Opinion
La Turquie attaque les Kurdes et
menace d'attaquer militairement la Syrie
Chris
Marsden
Mercredi 8 août
2012
A la veille d'une
offensive majeure du régime syrien dans
la ville d'Alep, la Turquie a menacé
d'envahir la Syrie, utilisant comme
prétexte le fait que des groupes kurdes
ont pris le contrôle de territoires sur
sa frontière nord.
Un tel acte
pourrait entraîner Ankara directement
dans une guerre avec la Syrie alors que
la Turquie avait longtemps cherché à
diriger les choses en contrôlant le
Congrès national syrien et l'Armée
syrienne libre, opposés au régime
syrien.
Cela aurait lieu
avec le soutien total des Etats-Unis.
Le journal Egyptien
Al Ahram a cité des informations
parues dans les médias turcs selon
lesquelles l'ambassade des Etats-Unis à
Ankara et le consulat américain à Adana,
dans le sud-ouest de la Turquie, ont «
préparé des opérations militaires contre
le régime Baath syrien, le gouvernement
turc en étant informé ».
Un grand nombre de
camions militaires, chargés d'armes
destinées à l'opposition syrienne, ont
été vus quittant la base aérienne d'Incirlik.
Le ministre turc
des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu,
a averti de ce qu'un massacre allait
avoir lieu à Alep, qui est proche de la
frontière turque, et lança un appel à
l'action. Les événements s'accompagnent
d'une escalade rhétorique ayant pour
thème une « menace terroriste » posée
par les Kurdes.
Dans la quinzaine
passée, jusqu'à cent quinze combattant
kurdes on été tués dans le sud-est de la
Turquie au cours d'opération militaires
avec des attaques aériennes près de la
ville de Semdinli. Dimanche, il y eut
une contre-offensive de la part de
forces kurdes qui ont attaqué trois
postes militaires près de la frontière
iraquienne et au cours de laquelle au
moins six soldats turcs et quatorze
rebelles ont été tués. Des responsables
turcs ont affirmé avoir eu affaire à
deux cent combattants du PKK (Parti des
travailleurs du Kurdistan).
Les Kurdes
représentent 17 pour cent de la
population iraquienne (31 millions
d'habitants) ce qui comprend la région
semi autonome du Kurdistan iraquien, 9
pour cent de la population syrienne (21
millions d'habitants) et de 7 à 10 pour
cent de la population iranienne (75
millions).
20 millions de
Kurdes (25 pour cent de la population)
vivent en Turquie, mais celle-ci
s'oppose avec véhémence à la création
d'un Etat indépendant. L'armée turque
s'en est pris en particulier aux forces
du PKK, avec lequel elle est en conflit
depuis 1984, un conflit qui a coûté 40
000 vies surtout parmi les Kurdes. L'AKP
(Parti de la justice et du
développement) le parti au gouvernement,
a cependant fait clairement comprendre
que son objectif était en fin de compte
une intervention directe en Syrie.
Sans nommer
personne, le premier ministre Racip
Tayyip Erdogan a accusé des pays
étrangers de soutenir les combattants
kurdes, qui avaient lancé des attaques «
ignobles » contre au moins trois bases
militaires. « La Turquie a la force de
remettre à leur place les nations et les
cercles ennemis qui tirent les ficelles
de l'organisation terroriste » dit-il
menaçant.
Le vice-président
de l'AKP, Omer Celik, déclara de façon
plus directe « les préparatifs d'une
attaque sur plusieurs fronts par le PKK
excèdent ses capacités. En menant les
attaques de Semdinli et Hakkari, le PKK
a agi parallèlement aux massacres
perpétrés par les forces d'Assad [le
président syrien] à Alep.»
L'AKP s'est mis à
la tête du mouvement pour déposer Assad,
rompant son alliance précédente avec la
Syrie. Elle fit le calcul que cela lui
assurerait la direction d'une alliance
avec les puissances sunnites comprenant
l'Arabie Saoudite et le Qatar et que les
Etats-Unis utilisent comme
intermédiaires pour installer en Syrie
un régime qui leur soit inféodé. Cela
couperait l'Iran chiite de son principal
allié régional et priverait la Russie et
la Chine d'une base au Moyen-Orient.
Il a œuvré pour
s'assurer le soutien des groupes kurdes
actifs en Syrie et pour les intégrer
dans le CNS (Conseil national syrien)
qui est à présent dirigé par Abdelbaset
Sayda, un kurde vivant en exil en Suède.
Mais la plupart des Kurdes voient le CNS
avec beaucoup de méfiance à cause du
rôle dominant qu'y joue les Frères
musulmans et la participation de
l'Arabie Saoudite et du Qatar au
financement, à l'armement et à
l'entraînement des insurgés.
L'affirmation régulière que le CNS ne
fait pas de sectarisme a peu de poids
face à l'importance grandissante prise
par Al-Qaïda et les forces salafistes
dans le camp anti-Assad.
Le groupe kurde
ayant le plus de soutien, le PKK, et le
parti qui lui est affilié au niveau
local et de façon non officielle, le PYD
(Parti de l'union démocratique),
s'étaient à l'origine alliés avec Assad
dû à leur opposition à l'insurrection
sunnite et dans l'espoir de se voir
récompenser avec une autonomie sous une
forme ou une autre.
Ces derniers jours,
le transfert d'unités syriennes en vue
d'assembler une force de 20 000 soldats
à Alep a laissé un vide qui a été comblé
par le PYD et d'autres groupes dont on
dit à présent qu'ils contrôlent cinq ou
six des principales villes dans le nord
de la Syrie.
Erdogan a déclaré à
propos de cette menace, « C'est notre
droit le plus naturel d'intervenir étant
donné que ces formations terroristes
dérangeraient notre paix nationale…Dans
le Nord, [Assad] a déjà attribué cinq
provinces aux terroristes. »
La Turquie a oeuvré
afin de trouver une sorte d'arrangement
avec le dirigeant de l'administration
kurde autonome d'Irak, le Président
Massoud Barzani, afin d'empêcher que des
mouvements en Syrie, en Irak et en
Turquie ne convergent. Il a envoyé
Davatoglu dans la capitale Ebril le
premier août pour des pourparlers. Une
déclaration commune exprimait « les
profondes inquiétudes à propos de
l'instabilité et du chaos en Syrie » qui
constituaient « une menace de la
stabilité et de la sécurité régionale »
et promettait de coordonner les efforts
afin d'établir une Syrie démocratique et
non sectaire.
Cela venait
cependant à la suite d'une admission
précédente faite par Barzani à Al-Jazeera
que les Kurdes syriens avaient été
entraînés militairement en Irak.
Toute idée d'une
région autonome kurde que ce soit sous
Assad ou sous un gouvernement après
Assad, est un chiffon rouge pour Ankara.
Mais le gouvernement turc utilise aussi
la question kurde comme un moyen
d'établir une tête de pont en Syrie.
Le CNS et le CNK
(Conseil national Kurde) se sont mis
d'accord pour établir un comité destiné
à répondre aux inquiétudes turques quant
à la menace de « terrorisme » à la suite
d'une réunion avec Davutoglu. Abdulhakim
Bashar, le dirigeant du CNK a accusé le
PYD d'être un allié d'Assad et déclaré
que la meilleure option pour les Kurdes
syriens était de former une
confédération kurde affiliée à la
Turquie.
Le fait de mettre
l'accent avant tout sur la menace kurde
donne à Ankara le casus belli
qu'il lui faut pour déclarer la guerre à
la Syrie et ouvrir un second front
accompagnant l'invasion d'Alep, la
capitale commerciale syrienne, par des
forces de l'ASL (Armée syrienne libre)
et des combattants djihadistes. La
Turquie a déjà envoyé 2000 soldats sur
la frontière syrienne ainsi que des
missiles, des hélicoptères et des chars.
La répression des
Kurdes par la Turquie se fait avec le
soutien total de Washington, qui voit
dans la Turquie le meilleur candidat
pour diriger une guerre de procuration
contre la Syrie. La secrétaire d'Etat
Hillary Clinton doit aller en Turquie
pour des discussions cette semaine.
L'administration Obama supervise
l'armement et l'entraînement de
l'opposition par ses alliés régionaux et
a ses agents militaires et de la CIA sur
place.
Cette semaine, le
Daily Telegraph a rapporté que le
Trésor américain avait donné au Groupe
d'action sur la Syrie la permission
d'envoyer des fonds à l'opposition, ce
que le Groupe a décrit comme une
décision qui allait « changer la donne
».
L'acte criminel de
Washington consistant à provoquer
délibérément une guerre sectaire en
Syrie constitue le centre d'un crime
bien plus grand encore. Afin de
s'assurer une hégémonie sans partage de
ressources pétrolières vitales, les
Etats-Unis se sont alliés à des forces
d'Al-Qaïda, aux Frères musulmans et aux
despotes du Golfe Persique dans le but
de retracer dans le sang la carte du
Moyen-Orient.
(Article original
publié le 07 août 2012 )
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Publié le 8 août 2012 avec l'aimable
autorisation du WSWS
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