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L'EXPRESSIONDZ.COM
LE RACISME CONTRE LES ARABES
État des lieux d'une intolérance
assumée
Chems Eddine Chitour
Lundi 30 août 2010
«Toute vérité passe par trois stades: en premier lieu on la
ridiculise; en deuxième lieu on s’y oppose violemment; enfin on
l’accepte comme si elle allait de soi.» Schopenhauer
Cet été est assurément l’été de tous les
dangers! Après les colères de Gaïa, voilà que refait surface et
au grand jour, dans des pays qui se piquent de dicter la norme,
le spectre de l’intolérance dans tous les pays européens et même
aux Etats-Unis avec le feuilleton de la mosquée de Ground Zero.
Pratiquement, dans tous les pays européens, Suède, Danemark,
Belgique, Italie et France, l’extrême droite se sent pousser des
ailes. Nouvelle particularité, le thème récurrent est de plus en
plus assumé par les pouvoirs en place et est vu comme un
argument de campagne, bref, c’est une machine à gagner les
élections.
Naturellement, le thème de la xénophobie et du racisme est
contagieux. Les pays arabes ne brillent pas à titre d’exemple
par leur tolérance et le racisme est toujours en sommeil;
cependant, ces mêmes pays ne s’intronisent pas donneurs de
leçons et dépositaires en ce qui concerne la norme des droits de
l’Homme, qui deviennent, on l’aura compris, de plus en plus les
droits de l’homme blanc chrétien. Dans cet ordre d’idées, il
nous a paru important de répondre à quelques faits constatés,
notamment à une interview du sieur Jean-Marie le Pen,
tortionnaire de son état et député en France, que la vulgate
officielle des médias français a cru bon de rediffuser en boucle
pour bien leur donner des arguments visant à légitimer le
discours ultrasécuritaire du pouvoir. Sous la plume de Pepper
Seargent nous lisons: «Un documentaire daté d’avril et
consacré à Jean-Marie Le Pen vient de refaire surface avec force
remous. Dans une séquence pendant laquelle le vieillard
rugissant aborde ses souvenirs, il lâche une de ces immondes
petites phrases dont lui seul, autrefois, avait le secret: "J’ai
acheté une maison de campagne pour permettre à mes enfants, qui
habitaient le XVe, de voir des vaches au lieu de voir des
Arabes." Le dérapage, c’est plutôt quand la droite dite
républicaine ou modérée se met à mener une politique
d’extrême-droite pour se maintenir au pouvoir quoi qu’il en
coûte. (...) Aux étages supérieurs de notre société, la parole
s’est libérée, le mépris a été légalisé. (..) Mais que l’on se
rallie en masse derrière des étendards xénophobes pour hurler
que des exceptions sont la règle, non. Que l’on se mette à
croire, à l’unisson et d’un pas cadencé, que des groupes
ethniques sont responsables de tous nos maux, non encore. Qu’on
en oublie que nous n’avons jamais voulu intégrer ceux que nous
accusons aujourd’hui de ne pas vouloir s’intégrer, non toujours.»(1)
On le voit, le thème porteur et inépuisable est celui de
l’Arabe: «Ce pelé, ce galeux d’où viennent tous nos maux.»
Nous lisons sous la plume de Iman Kurdi un autre exemple
toujours actuel: «Le ministre de l’Intérieur, condamné pour
injure raciale, va faire appel: il avance que ses propos
auraient été mal compris. Un quotidien saoudien le prend au mot
et se livre à une explication de texte accablante. Brice
Hortefeux, le ministre de l’Intérieur français, a été condamné
pour injure raciale contre les Arabes. Le 4 juin, un tribunal
parisien l’a reconnu coupable d’"injure non publique envers un
groupe de personnes en raison de leur origine". Hortefeux a le
douteux privilège d’être le premier ministre en exercice
condamné pour racisme. Dans de nombreux pays, il aurait dû
présenter des excuses et démissionner.»(2)
Mais voyons, poursuit Iman Kurdi, de quoi il est précisément
coupable. Toute l’affaire tourne autour d’un jeune homme appelé
Amine Brouch-Benalia. Son père est algérien. En septembre 2009,
lors de l’université d’été de l’UMP à Seignosse [Landes], ce
jeune militant a souhaité se faire prendre en photo aux côtés de
Brice Hortefeux. Tandis que ce dernier s’exécute, on entend une
femme dire au ministre: «Il [Amine] mange du porc et boit de
la bière», ce à quoi Hortefeux réplique: «Ah, mais ça ne
va pas du tout, alors, il ne correspond pas du tout au
prototype.» Tous rient. On entend alors une autre militante
signaler: «C’est notre petit Arabe.» (...) Tout d’abord,
il y a cette femme qui nous dit avec fierté que cet Arabe mange
du porc et boit de l’alcool [elle précise également qu’il est
catholique]. En d’autres termes: c’est un type bien parce qu’il
ne fait pas comme les autres Arabes. Il est l’exception qui
confirme la règle, un «bon» Arabe au milieu de la
multitude des «mauvais» Arabes.(...) Le recours au terme
«prototype» suggère que les Arabes sont tous les mêmes;
sa connotation déshumanisante est avilissante. Quand le ministre
déclare que «un, ça va», mais que ça commence à poser
problème «quand il y en a beaucoup», non seulement il
affirme que tous les Arabes sont des fauteurs de troubles, mais
il confirme l’idée qu’on pourrait à la rigueur en sauver un ou
deux, sur une majorité de bons à rien. En outre, il signale aux
citoyens français nés de parents arabes qu’ils ne sont pas de «véritables»
citoyens français.(2)
Un autre pourfendeur heureux des Arabes est un émigré de la
troisième génération, en l’occurrence, Eric Zemmour dont le
père, juif natif d’Algérie, lui se veut carrément «plus
royaliste que le roi». Il en rajoute au grand bonheur de
tous ceux qui règlent leur compte avec l’Arabe, voire avec le
musulman par juif interposé. Hichem Hamza écrit à ce propos:
(...) Alors que ses propos, relatifs aux «trafiquants, pour
la plupart, noirs et arabes» ont déchaîné les passions sur
le Web, sa tolérance, déclarée le même jour sur France ô, à
l’égard du racisme à l’embauche, n’a pas été remarquée par les
internautes. Une injustice médiatique qu’il était temps de
réparer. (...) Loin d’être une bévue regrettable, l’attitude de
Zemmour résulte davantage d’une posture réfléchie et
stratégique. (...) Eric Zemmour qui affirma lors d’un débat, et
sans la moindre preuve statistique à l’appui, que «90 à 95%
des mineurs délinquants sont noirs ou arabes». (....)En
cette fin d’hiver, Zemmour récidive en commettant un nouvel
ouvrage, Mélancolie française, consacré à l’Histoire de France.
Le titre sibyllin évoque la tristesse qui se serait emparée de
la nation, affligée, de ne pas avoir accompli sa mission quasi
divine, sa destinée manifeste, de succéder à l’Empire romain.
(...) Aux yeux du journaliste, la France de 2010 est comparable
à un Empire submergé par de «nouveaux barbares» -
comprenez les immigrés afro-maghrébins - qui refuseraient de se
«romaniser» ou de s‘assimiler. (....) Même Jean-Marie Le
Pen a estimé, que Zemmour faisait partie de ces rares
journalistes, avec Elizabeth Lévy et Serge Moati, à le traiter «correctement».
(...) Défense de l’existence des races, banalisation de l’arabophobie
et de l’islamophobie, nostalgie de la domination occidentale,
lepénisation des esprits, apologie de la haine sous couvert de
liberté d’expression(3) Dieudonné constate que, malgré son
dérapage, Zemmour n’a pas été sanctionné: «Il faut être juif
pour avoir la liberté d’expression en France.»
Qui sont ces Arabes et d’où
viennent-ils?
Dès le IXe siècle av. J.-C., des textes assyro-babyloniens et
hébraïques mentionnent sous le nom d’Arabes des populations
parlant une langue sémitique et venant périodiquement du désert
arabique vers la région syro-mésopotamienne. Puis ce nom est
donné à toutes les tribus nomades de la péninsule arabique, et,
à partir de l’expansion du VIIe siècle apr. J.-C., il désigne
les peuples nomades et agriculteurs qui adoptent cette langue.
Les historiens nous assurent qu’en des temps immémoriaux, quand
l’Europe en était à la préhistoire, l’Arabie était une contrée
verdoyante et fertile, irriguée par plusieurs fleuves, un pays
souriant où les patûrages alternaient avec les fôrets. Le
changement climatique survenu il y a environ dix mille ans fut
important. La sécheresse, qui s’installa peu à peu, favorisa
l’avancée du désert, déterminant ainsi un mode de vie
particulier et modifiant les relations entre les peuples: aux
lisières de l’Arabie, des civilisations naquirent, montèrent
vers leur zénith, brillèrent d’un éclat fulgurant, puis
déclinèrent...De grand royaumes surgirent ainsi et retournèrent
au néant. Pourtant, des marchands qui traversaient cette contrée
parlaient, avec émerveillement, des royaumes qu’ils avaient
traversés en faisant des descriptions enthousiastes. Par leur
langue comme par leurs croyances religieuses, les Arabes font
partie du monde sémitique. Le Royaume de Saba fondé dans
l’Arabie du Sud-Ouest vers le XIe avant J.-C accomplit des
prouesses technologiques qui dénotent un haut degré de
développement. A partir du premier siècle après J.-C. trois
peuples se trouvent sous la souveraineté d’un même roi: les
Sabéens, les Hymiarites et un troisième peuple habitant l’Arabie
méridionale converti au judaïsme. Les langues sémitiques
(araméen, arabe, hébreu,) écrit Chouikha forment un groupe de
langues parlées depuis la plus haute Antiquité au Moyen-Orient,
au Proche-Orient ainsi qu’en Afrique du Nord. L’araméen apparut
vers 850 avant J.-C. en Syrie, et dès le VIe siècle fut utilisé
comme Linga franca de l’Égypte à l’Afghanistan.(4)
Le fameux appel du Christ sur la croix en araméen: «Ya Ilahi,
Ya ilahi, limasabaktani» que les Chrétiens ânonnent, un
locuteur de l’Arabe le comprend: «ô Mon Dieu, ô Mon Dieu,
Pourquoi m’as-tu laissé tomber!» [ Pourquoi Tu as pris de
l’avance sur moi].
L’arabe est une langue très riche; les Arabes se vantent,
d’avoir 80 mots pour désigner le miel, 500 pour le lion, 1000
pour le chameau et l’épée. Le vocabulaire comprend 60.000 mots.
La latinisation des noms des penseurs musulmans montre leur
influence auprès des savants européens: Ibn Sina Avicenne, Ibn
Tufayl Abubacer, Ibn Bajjah Avempace. Les califes abbassides
créent au début du IXe siècle une académie de traduction appelé
Bayt al Hikma (Maison de la sagesse) à Baghdad et envoient des
émissaires à Byzance pour acquérir les manuscrits grecs à prix
d’or. (...) Parmi les traducteurs fameux, on peut mentionner au
IXe siècle le médecin Hunayn ibn Ishaq (Johannitius) qui
transcrit les corpus médicaux d’Hippocrate et de Galien, qui
serviront de base au Canon de la médecine d’Avicenne qui sera
lui-même traduit en latin et fera autorité durant cinq siècles.
(...)(4)
Malgré ces évidences on constate déjà que dès le XIXe siècle des
thèses racistes de la supériorité de l’homme blanc de religion
chrétienne apparaissent. Ernest Renan s’en était fait le chantre
dans «L’avenir de la science»:«On parle souvent d’une
science et d’une philosophie arabes, et, en effet, pendant un
siècle ou deux, au Moyen âge, les Arabes furent bien nos
maîtres, mais c’était en attendant que nous connussions les
originaux grecs. (...)»(4)
S’agissant justement de cette langue arabe, Jacques Berque
explique que la fonction de la langue, pour les Arabes, est
différente, supérieure à celle qu’elle remplit pour les
Occidentaux: «(...) Non seulement elle exprime et suggère,
mais elle guide, transcende.» (...) Il donne un exemple:
ainsi, en arabe, les mots se rapportant à l’écrit dérivent tous
de la racine k.t.b.: Maktûb, maktab, maktaba, kâtib, kitâb. En
français, ces mêmes mots sont: écrit, bureau, bibliothèque,
secrétaire, livre. Les mots français sont tous les cinq
arbitraires, mais les mots arabes sont, eux, «soudés, par une
transparente logique, à une racine, qui seule est arbitraire».
«Alors que les langues européennes solidifient le mot, le
figent, en quelque sorte, dans un rapport précis avec la chose,
que la racine n’y transparaît plus, qu’il devient, à son tour,
une chose, "signifiant" une chose, le mot arabe reste cramponné
à ses origines. Il tire substance de ses quartiers de noblesse.»(5)
On estime justement que la langue française compte plus de 480
mots provenant de l’arabe. De même on estime qu’il y a environ
4000 mots espagnols empruntés à l’arabe. Des douzaines d’étoiles
ont une éthymologie arabe. Le plus notable des ouvrages Le livre
des Etoiles fixes est dû à Abd al-Rahman al-Sufi (Azophi en
Occident). Qu’en est-il justement de l’arabe et de sa destinée
en France? L’enseignement de la langue arabe est ancien sur le
territoire français. Il remonte dit-on à l’époque de François
1er. Bien plus tard, l’agrégation d’arabe fut créée en 1905.
L’enseignement de l’arabe était essentiellement lié au phénomène
colonial et à la politique du «diviser pour régner».
Ainsi, le maréchal Lyautey écrivait dans une circulaire de 1925:
«Nous n’avons pas à enseigner l’arabe à des populations qui
s’en sont toujours passé. L’arabe est facteur d’islamisation,
puisqu’il est la langue du Coran, et notre intérêt nous commande
de faire évoluer les Berbères hors du cadre de l’Islam.»
Après la décolonisation, la langue arabe continua d’être
enseignée et en 1975 le Capes d’arabe fut créé. Dans le courant
des années 1990, l’enseignement de l’arabe devient victime de
choix idéologiques. En 2005, la session du Capes d’arabe a été
supprimée. L’Education nationale en France considère que l’arabe
est une langue étrangère, bien qu’elle soit usitée dans les
familles, dans les cages d’escaliers, dans les quartiers. Elle
domine dans les banlieues, dans les prisons. L’arabe en France
est la langue des sous-scolarisés et des savants. Pourtant, la
langue arabe ne peut pas être considérée comme une langue «rare»
puisqu’elle est parlée par plus de 350 millions d’individus dans
le monde. L’âge d’or de la langue arabe c’est aussi l’âge d’or
de la science et de la technologie musulmanes dont les plus
grands auteurs étaient arabophones sans être arabes. Maïmonide
écrivit son livre Dellalat el haïrin, (Le guide des égarés) en
arabe et non en hébreu.(6).
L’horloge et les lévriers
La recherche d’un bouc émissaire en fonction de son appartenance
religieuse ou ethnique est vieille comme la civilisation et elle
n’est que le produit des frustrations de ceux qui cherchent des
réponses rapides et simples, en tout cas à faible risque, face
au véritable mal qui les ronge: le racisme. Ce «fond rocheux»
qui sommeille dans l’inconscient de cet Occident imbu de sa
pureté du sang «limpeiza de sangre» et seul habilité à
gouverner le monde. Elles ne comprennent pas que l’infortune et
les hasards de l’histoire peuvent les amener à la même condition
qu les Arabes actuels eux qui furent les héritiers paresseux
d’une civilisation qui éclairait le monde. Baghdad était
illuminée quand l’Europe émergeait aux temps historiques.
On raconte que Haroun Er Rachid envoya comme présent à
Charlemagne vers l’an 800 une horloge à eau; une clepsydre.
Charlemagne lui aurait envoyé en retour des lévriers. D’un côté,
les premières horloges du monde révolution technologique majeure
s’il en est, de l’autre des lévriers...! Non, les Arabes
n’étaient pas des barbares! Pourtant, face à l’immensité des
défis de tout ordre qui menacent la Terre, cet Occident ne
comprend pas que l’humanité est une, elle est issue d’une Eve
quelque part dans la Corne de l’Afrique, il y a de cela sept
millions d’années.
1.Sergeant Pepper: Les boutades sur les Arabes me font rire...
Agoravox 27 août 2010
2.Iman Kurdi: Brice Hortefeux se moque des Arabes. Arab
News15.06.2010
3.Hicham Hamza: De quoi Zemmour est-il le nom? Site Oumma.com.10
mars 2010. 4.Chouikha:La langue arabe, son histoire, son
originalité:Agoravox 25 juin 2010
5.Jacques Berque: Les Arabes. Rééditions 1959, 1970
6.Chems Eddine Chitour:
http://www.oulala.net/Portail/spip.php?article449625 mars 2010
Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale
polytechnique, enp-edu.dz
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Publié le 30 août 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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