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Vdida : hommage à toutes les « Mamans » du
monde
Chems Eddine Chitour
Lundi 28 septembre 2009
« Pourquoi donc cette crainte de disparaître à
travers la mort ? Le prochain mois je mourrai et des ailes me
grandiront ? Lorsque je planerai plus haut , je deviendrai comme
les anges. Ce que tu ne peux pas t’imaginer. ça je le serai »
Djallal Eddine Erroumi (1)
30 août 1979, le ciel nous tombe sur la tête. Vdida se meurt
Vdida est morte. En ce triste jour nous voulons évoquer le
cheminement exceptionnel de cette mère de cette maman comme
celui de toutes les mamans du monde. Dix jours plus tôt, Vdida
se plaignait de maux de ventre et tout en souffrant en silence,
elle ne voulait pas nous effrayer, nous dûmes l’amener à
l’hôpital. Le diagnostic fut sans appel ; Pancréatite : « Un
coup d’éclair dans un ciel serein ». Opération immédiate en vain
, transfert dans des conditions épiques à Paris (hôpital de la
Pitié )
« Ya rabi ma tdjarahliche el
kebda » que l’on peut rendre à peu près en français par la
traduction suivante : « O ! mon Dieu faites que
je n’apprenne pas de mauvaises nouvelles », Sa dernière
inquiétude alors qu’elle était sur son lit trachéotomisée fut de
s’adresser à nous , en nous interrogeant du regard si nous
étions correctement hébergés. Je me souviens comme si c’était
hier, ce fut pour elle la satisfaction suprême, elle ferma les
yeux en signe de compréhension. Elle pouvait mourir en paix.
Elle mourut deux jours après à 2000 km de son
pays qu’elle n’avait jamais quitté. Elle mourut dans
l’indifférence froide d’un corps médical qui a perdu toute
humanité et compassion. J’ai dû supplier une infirmière qui me
disait « votre mère a des nuits agitées » en lui demandant de
lire quelques phrases rassurantes que je le lui ai écrites dans
notre langue : « Labesse, Outgoudhara, Yalla
rabbi ». Il parait qu’elle eut pendant cette nuit là un
sommeil apaisé avant le grand sommeil.
Qui est au juste Vdida ? de son prénom Khadidja
en un mot comme en mille, c’est une maman avec tout ce que cela
comporte comme affection. Il me souvient à ce propos d’une
histoire parmi tant d’autres qu’elle nous racontait avec son
savoir-faire et qui permet mieux que mille discours, de prendre
la mesure de l’affection d’une mère. C’est une maman qui suit
son fils qui l’amène au plus profond de la forêt et qui
l’abandonne. Vinrent à passer des cavaliers qui trouvent la
maman en pleurs. Qu’as-tu el hadja ? Ne pleures pas, nous allons
te reconduire chez toi, n’ai pas peur ! D’une façon admirable la
maman répond : « Je n’ai pas peur pour moi, mais
j’ai peur pour mon fils, il fait nuit et les loups peuvent le
manger ! »
Cette histoire parmi tant d’autres nous permet
de mesurer mais le peut-on réellement ? l’amour d’une mère qui a
suivi aveuglément son fils qui voulait s’en débarrasser et qui
n’a pas pensé un seul instant à sa propre sécurité mais à celle
de son fils.
Ma mère n’avait pas fait d’étude, mais elle
était plus érudit que nous, son bon sens et son Islam tolérant
était fait à la fois de traditions et de superstition. Il est
vrai que l’Algérie ne s’est pas dissoute durant la longue nuit
coloniale culturellement et cultuellement grâce à nos mères à
qui on ne rendra jamais assez hommage. Leur relation simple à la
vie dénuée de tout calcul mesquin était en définitive, un « art
de vivre », qui leur permettait de rayonner et goûter en toute
simplicité, toute humilité à la vie avec des repères
identitaires et des approches sur le sens de la vie que ne
renieraient pas les plus grands philosophes tant ils sont
frappés au coin du bon sens. Une anecdote cependant, elle
apprit, rien qu’en écoutant mon père apprendre à mon frère la
table de multiplication. Elle la faisait répéter plusieurs fois
à mon frère pour lui éviter d’encourir le courroux de mon père
Sans être une bigote, Vdida aimait la vie- une
vie simple- qui ne fut pas facile, imaginez le pays kabyle au
plus fort de seconde guerre mondiale avec le marché noir, la
misère sans nom pour les indigènes et la chape de plomb d’une
colonisation qui pensait duré mille ans après les massacres à
grandes échelle de mai 1945. Elle garda vaillamment le cap avec
mon père et nous fûmes élevés et instruits en profitant de tout
les interstices de tolérance permis par le pouvoir colonial.
Nous fûmes des « voleurs de feu » pour reprendre l’élégante
expression de Jean El Mouhoub Amrouche
Ma mère était, à sa façon, une croyante
tolérante qui ne voyait que le bien et pour ainsi dire jamais le
mal. Une croyance simple consolidée par un Islam maghrébin de
quatorze siècles « et non pas le m’as-tu -vu actuel » qui fait
que la foi individuelle est plus perçu dans le regard des autres
que vécue personnellement . La foi s’étant refroidie en rites,
nous contemplons un pays qui a perdu se repères et qui adaptent
ceux des autres. Il n’est que de voir cette errance identitaire
vestimentaire et culturelle, accentuée par un discours religieux
à mille lieux du vécu historique culturel de chacun au profit
d’une métropole moyen-orientale.
Bien plus tard, j’ai découvert ainsi les
personnages et non des moindres dont elle nous parlait. Le soir
au coin du feu - à ce propos on ne mesurera jamais assez les
dégâts de la télévision en ce sens qu’elle a contribué à
disloquer le ciment familial- J’ai découvert Rabi’ate el ‘addaouya
une mystique. J ’appris ainsi que bien avant Hallaj et les
maîtres du soufisme, Rabi’a fut l’un des premiers mystiques de
l’Islam à avoir dépassé la démarche ascétique pour appeler à
l’union parfaite avec Dieu et la célébrer dans des poèmes d’une
brûlante ferveur. Elle nous parlait aussi de l’imam el Medjdoub,.
Je me souviens de quelques vers qu’elle nous récitait avec
verve : « La Tkhamam La Tdabar----La Tarfad Al-ham
Dima , Al-Falk Ma ho Msamar----Wa La Dania Mkima » « Ne pense
pas trop et ne cherche pas trop. Ne prend pas la tristesse
éternellement. Les planètes ne sont pas fixes -et la vie n’est
pas éternelle ».
Nous étions en extase devant les récits des
souhaba, ces compagnons du prophète qui ont fait la grandeur de
l’Islam, pendant ce temps à l’école , on nous apprenait que nos
ancêtres étaient gaulois … et gare à celui qui l’oubliait.
Je me suis souvent interrogé comment ma mère,
cette fille du plus profond du terroir était arrivée non
seulement à connaître des maitres soufis. Malgré sa connaissance
superficielle du Coran, elle avait cependant la foi du
charbonnier. Elle nous disait souvent : « Mimouna
ta’rafe Rabbi oua Rabbi ya’rafe Mimoua », Mimouna connaît bien
et Dieu connaît Mimouna », nous devinons vaguement que
Mimouna avait une fois chevillée au corps, mais qui ne
s’embarrassait pas de rituel !!!
Chaque matin que Dieu fait, ma mère la première
levée, faisait sa prière de l’aube, faisait le café tout en
écoutant son émission préférée celle de Cheikh Kettou qui fut
très proche d’elle en pensée et en « art de vivre ». Il est vrai
que Cheikh Kettou fut peut-être l’un des derniers à s’adresser
aux Algériens en leur parlant avec leur langue de l’Islam
maghrébin vieux de 14 siècles. Un Islam authentiquement
maghrébin fait de tolérance, qui respecte la culture, se
l’approprie et en définitif a permis aux maghrébins de vivre
leur foi sans en faire un fond de commerce ou sans importation
de rites et d’habitudes, notamment vestimentaires aussi
respectables soient- elles dans leur contexte, à des années
lumières de notre civilisation.
Il arrivait à ma mère d’être si touchée par un
verset, un hadith ou une explication du cheikh qu’elle se
mettait à pleurer en silence : une pluie silencieuse qui laisse
des larmes sur une vitre, comme je l’ai surprise plus d’une
fois. A mon regard interrogateur, elle me disait
« takhacha’ate », elle était touchée au plus profond d’elle et
elle finissait toujours par : « Koullach fani », « Tout à une
fin inéluctable ».
Cela ne l’empêchait pas d’être coquette avec son
souek (que je lui achetais au marché) et son khol qu’elle avait
des difficultés à broyer et son hénné (Hannate el Hadjla
constituant à l’époque le nec plus ultra de la mode). Elle
faisait des miracles, elle devenait encore plus lumineuse. Je
suis sûr de rencontrer le sentiment de beaucoup d’entre nous en
parlant de cela : époque bénie . Elle aimait la vie pour elle et
pour les autres, en essayant avec ses moyens de soulager les
douleurs les tristesses, ne serait-ce qu’en leur racontant une
histoire drôle d’une façon théâtrale . A juste titre, beaucoup
la pleurèrent sincèrement
Sa dernière prémonition. Imaginez une petite
bâtisse finalement terminée. Vdida fait sa prière dans la cour
et prévoyait d’y revenir après le ramadan pour s’y installer
définitivement. Après sa prière, elle eut cette réflexion en
citant un poème : « Ya bani dar el ghrour, ya
matoual’e bi’ha laoue tabni fi’ha el ksour tarhale oua tkhali’a ».
« O celui qui construit une demeure tentatrice, même si c’était
un palais, tu va disparaître et le laissera ». Elle mourut dix
jours après.
On ne guérit pas de l’absence de sa mère. Mieux
quoi qu’en dise, on ne s’en remet pas. Trente ans après notre
mère nous manque cruellement. C’est comme une amputation, c’est
comme une douleur lancinante qui se réveille à l’occasion de
n’importe quel événement aussi anodin soit-il. Ma mère disait
cela , faisait cela, traitait les choses comme cela. Plus d’une
fois, les leçons de bon sens inculquées avec amour par nos mères
nous servent de repères même dans des situations inextricables.
Elle disait souvent : « Khaliha li Rabbi », « Moul
nya yaddi », » Celui qui est de bonne foi est le gagnant, « Ya
sa’dak ya fa’al el khir », « Heureux celui qui fera des bonnes
actions » Il serait vain de rapporter toutes les maximes de
bon sens pétris d’humanisme et d’amour du prochain. Ce bréviaire
d’une vie simple, elle nous l’avais inculqué.
Je m’adresse en définitive à toutes et tous qui
n’ont jamais grandi, quand il s’agit de parler de leur mère, ils
sont toujours des enfants . Puissent-ils ne jamais oublier
l’amour d’une mère dans leur actes quotidiens et avoir de la
compassion pour les mères toutes les mères. l’Algérie se
grandirait en misant sur la formation des jeunes filles, futures
épouses et mères. Il est de la plus haute importance pour ce
pays que sa culture survive, se consolide et que ses traditions
se perpétuent.
La mondialisation et la « modernité débridée par
la parabole interposée ont fait plus de dégât dans l’imaginaire
de nos jeunes que la colonisation française en 132 ans. Ce
véritable prozac a totalement rendu erratique le comportement de
nos jeunes sans repères ,et il faut bien en convenir la morale à
l’ancienne ne paie plus. Les solidarités intergénérationnelles
ont disparu . Si c’est cela la modernité, on peut s’interroger
réellement sur son apport. Quand on voit nos pères et nos mères
dans des « Dar el ‘adjaza » de véritables mouroirs, un concept
que nous ne connaissions pas, car il était étranger à nos
valeurs, nous sommes scandalisés par leur sort.
Sans aller jusqu’à interdire les paraboles, le
pays et partant la société algérienne doit trouver les moyens de
se protéger culturellement et même cultuellement en promouvant
un contre discours basé sur le savoir, l’histoire, le décryptage
des grands enjeux du monde , au lieu de faire uniquement dans
l’éphémère des émissions dites de variétés et naturellement le
soporifique du football. Le cerveau du jeune algérien n’est pas
sollicité, il roule sur deux neurones. Il y a matière à se
réapproprier nos repères identitaires mis à mal par une
mondialisation ou plus exactement une mondialatinisation qui ne
fait pas de place aux autres cultures.
Publié le 30
septembre 2009 avec l'aimable
autorisation d'Oumma.com
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