Opinion
La France et la
lepénisation des esprits: Une réalité
assumée
Chems
Eddine Chitour
Pr Chems
Eddine Chitour
Samedi 28 avril
2012
«Dites à tous les
enfants! Et dites-le à tous les pères et
mères: nous avons une chance de partager
l'espoir sur la Terre.» «Ensemble, nous
allons vivre, chaque frère et chaque
soeur, petits enfants de l'arc-en-ciel
et d'une terre fertile»
40 000 Norvégiens se sont réunis jeudi à
Oslo pour interpréter une chanson haïe
par Anders Behring Breivik en signe de
défiance envers l'extrémiste de droite.
Un petit pays de 5 millions d'âmes est
en train de donner des leçons
d'humanisme. Devant les déclarations
d'une cruauté et d'une stupidité
confondantes débitées pendant son procès
par Anders Breivik, le pouvoir norvégien
répond par le droit, l'extraordinaire
dignité et la rare intelligence pour
juger Breivik. Dès le lendemain de la
tuerie, le Premier ministre
social-démocrate avait déjà affirmé avec
force que le massacre renforçait la foi
de son pays dans les valeurs de
tolérance, d'ouverture et de démocratie.
Les autorités norvégiennes ont refusé
dans cette affaire toute exception à
l'Etat de droit qui prévaut dans leur
pays. «Les survivants d'Utoeya disent,
eux, souhaiter un procès équitable,
écartant toute idée de justice
d'exception.»
«Un mal qui répand la terreur ; Mal que
le Ciel en sa fureur Inventa pour punir
les crimes de la terre, Le racisme
puisqu'il faut l'appeler par son nom
c'est ainsi que l'on peut qualifier ce
mal qui ronge les sociétés depuis la
nuit des temps et qui a trouvé une
triste application lors des dernières
élections en France. Que s'est-il passé?
Les médias comme un seul homme ont
«zoomé» sur le score de Marine Le Pen
donnant d'abord 20%, puis 19% et enfin
17, 9% parlant d'une poussée du FN de
Marine Le Pen supérieure au score du
père en 2002.
Ce n'est pourtant pas vrai. En 2002 le
tandem de l'extrême droite: Le Pen +
Mégret totalisait 19,2%, en 2012 le FN
est à 17,9%, soit -1,3%... Pourquoi dire
que le record a été battu...
Curieusement, le score de Jean-Luc
Melenchon est présenté comme une
défaite, pourtant c'est le parti qui a
le plus progressé passant à +9,2%.
La réalité
de l'émigration et le portrait robot de
l'électeur FN
Dans une contribution rapportée par le
journal le Grand Soir, il est démontré
qu'il n'y a pas de corrélation directe
entre le vote du FN et la densité
d'émigrés. L'électorat de l'extrême
droite est plus masculin que féminin, il
est plus important chez les
artisans-commerçants et les ouvriers, il
est très légèrement moins riche que la
moyenne nationale. Il est surtout moins
diplômé. Sa préoccupation majeure est
l'immigration: l'électorat du Front
national est nationaliste et même
ethniciste. Judith Bernard du site
«Arrêt sur images» a substitué une
«France qui fantasme» à cette «France
qui souffre», identifiée par les
politiques et les médias. (...)
L'étymologie est claire: qu'il souffre
ou qu'il fantasme, le xénophobe (celui
qui a peur de l'étranger) est d'abord
quelqu'un de malade. Et comme tout
malade, il a besoin d'être soigné. La
cure passe par un discours clair que
chacun, enseignant, journaliste,
politique ou simple citoyen, se doit
d'avoir à coeur d'apporter. (1)
Voici donc les cinq communes sur les
quarante-deux de plus de 90.000
habitants où la population immigrée
dépasse 20% de la population globale en
2008 (Saint-Denis 36,4%, Montreuil
25,4%, Argenteuil 24,7%, Mulhouse 22,0%,
Paris 20,2%). Voici maintenant les
pourcentages du vote Front national au
premier tour des élections
présidentielles le 22 avril 2012 dans
ces mêmes communes: Saint-Denis 9,9%,
Montreuil 9,3%, Argenteuil 14,8%,
Mulhouse 17,5%, Paris 6,2% (...) Deux
autres exemples: à Hénin-Beaumont,
commune où vote Marine Le Pen, le taux
d'immigration est de 2,9%. Le Front
national est très largement en tête avec
35,5% des suffrages exprimés. (1)
La
responsabilité de la gauche dans la
«prospérité» du Front national
Curieusement, ce n'est pas la Droite qui
a mis le pied à l'étrier à Jean-Marie Le
Pen, mais c'est la Gauche de François
Mitterrand. «L'ex-président de la
République, écrit Anne Jean Blanc, fut
le meilleur allié de Jean-Marie Le Pen,
qui lui en est reconnaissant. Jean-Marie
Le Pen portraiture François Mitterrand
en «ambitieux» et «opportuniste», et
parle, tout en respect, d'un «adversaire
politique intelligent, cultivé et de
talent». (...) En 1981, faute d'avoir
ses 500 signatures, le président du
Front national ne peut être candidat à
la présidentielle. Par la suite, Le Pen
écrit au chef de l'Etat, Mitterrand,
afin de réclamer un «traitement
équitable». Une aubaine pour le
socialiste, qui y voit un moyen de
contrer le RPR de Jacques Chirac.
Mitterrand prend acte de la requête de
Le Pen. Quelques mois plus tard, la
France découvre sur le plateau de TF1,
puis d'Antenne 2, deux chaînes de grande
écoute, la mèche blonde et les poings
rageurs du leader d'extrême droite,
pourfendeur - déjà - de l'immigration.
Merci qui? «L'omerta avait été rompue
grâce à Mitterrand», reconnaît le tribun
frontiste. Ce n'est pas tout. En 1986,
par le biais du scrutin à la
proportionnelle instauré aux
législatives, Mitterrand permet au FN
d'avoir des élus à l'Assemblée
nationale. (...) Le fondateur du FN juge
que le «comportement» de l'ancien
président de la République a été «tout à
fait digne» durant ses deux septennats.
(...) A l'en croire, l'ancien leader
socialiste n'était pas un homme de
convictions, seul le pouvoir
l'intéressait: «A Vichy, il était proche
du pouvoir; sous la IVe République, il a
été plusieurs fois ministre et, sous la
Ve, il a été président.»» (2)
Pour Danielle Bleitrach, le cordon
sanitaire a disparu de: «(...) c'est
face à la vague de la crise toutes les
digues politiques sont en train de
sauter... la manière dont le barrage
qu'avait érigé avec un certain courage
Jacques Chirac a sauté, volé en éclats.
Jacques Chirac avait institué un cordon
sanitaire à l'intérieur de la droite,
l'isolement du Front national, le
remugle pétainiste qui remontait du
vieux pays quel qu'en soit le prix
électoral. Osons dire que celui qui
avait ouvert les vannes par pure
tactique politicienne avait été François
Mitterrand, l'homme de toutes les
ambiguités, celui qui s'était lui-même
présenté comme la digue face à
l'influence communiste. (...) Sarkozy a
tout fait pour favoriser cette
confusion, pour assurer à sa classe,
celle dont il a défendu les intérêts
sans la moindre faille, une hégémonie
totale au prix d'une terrible
aggravation des conditions de vie de la
majorité de la population française (..)
Sarkozy a fait tomber le fragile cordon
sanitaire que Chirac avait institué
autour de l'extrême-droite pour répondre
à la stratégie de Mitterrand: voter
Front national est devenu grâce à la
volonté de Sarkozy d'occuper le terrain
de l'extrême-droite un vote
d'adhésion,... «Nous avons donc la
construction d'une nouvelle
respectabilité du Front national,
désormais devenu ´´compatible avec la
République´´ (...)» (3)
«(...) De Gaulle avait étendu un pieux
manteau sur ce qu'était cette France-là,
celle qui, déjà, avait préféré Hitler.
Et pour que le symbole de la
réconciliation soit total, Sarkozy
organise un premier mai pétainiste
autour du ´´vrai travail´´. (...) La
campagne électorale de Mélenchon a eu le
mérite d'utiliser au maximum la
situation existante en mettant dans un
homme de talent tribunicien le soin de
lui assurer un meilleur pourcentage et
arriver à mobiliser ce qui restait
d'organisation communiste. (...) Mais
nous sommes dans un processus, les
digues ont sauté. Que faire? D'abord, il
ne doit pas manquer une voix à François
Hollande. (...) la seule chose que
j'attende de Hollande n'est pas la
Révolution mais bien d'abord le retour à
la digue chiraquienne radicale, un
certain légalisme.(...) On ne comprend
pas le fascisme, on le combat en
éradiquant ses causes et en affrontant,
quel qu'en soit le prix, ceux qui l'ont
choisi.»(3)
Pierre Tevenian et Sylvie Tissot ont
décortiqué le phénomène Le Pen, il y a
dix ans de cela. Ils nous décrivent
l'évolution par étape de cette
diabolisation de l'immigré. L'autre
enseignement est que cette stratégie
«raciste» contre l'allogène transcende
les clivages gauche-droite.: «Sarkozy
n'a fait depuis cinq ans qu'attiser la
haine des musulmans et des immigrés.
(..) (...) Depuis longtemps,
philosophes, historiens, sociologues,
mais aussi militants anti-racistes se
sont efforcés d'expliquer ce phénomène,
et depuis 2002 une explication semble
s'être s'imposée: le racisme se nourrit
des effets de la crise économique -
chômage, précarité, détérioration des
liens sociaux et des conditions de vie
dans les quartiers populaires. (...) Le
racisme est ainsi appréhendé comme une
production sociale. (...) Il repose sur
un certain nombre de présupposés
qu'Annie Collovald s'est récemment
attachée à réfuter. (...) Les
commerçants et professions indépendantes
apparaissent alors comme les premiers
soutiens du parti d'extrême droite.
(...) Or c'est précisément le rôle joué
par la classe politique et les médias
dans la montée du Front national que
nous voudrions souligner, ouvrant ainsi
à une autre approche du racisme. Le
racisme, comme nous avons voulu
l'expliquer dans notre Dictionnaire de
la lepénisation des esprits, n'est pas,
ou pas spécialement, une caractéristique
de la «France d'en bas»; il est même, à
beaucoup d'égards, une production de la
«France d'en haut», et le résultat de la
réappropriation dans ses discours de
grilles d'analyse, d'arguments, de
schémas de pensée d'extrême droite. À
quelle réalité renvoie ce que le
ministre socialiste Robert Badinter
avait, le premier, qualifié de
«lepénisation des esprits»?» (4)
Les auteurs abordent ensuite la question
de l'immigration: «(...) La question de
l'immigration va devenir, après 1988, un
vrai cheval de bataille. Un angle
d'attaque privilégié est ainsi trouvé
pour attaquer la gestion de la gauche.
Au sein du discours qui se développe
ainsi, deux idées, directement issues de
la rhétorique d'extrême droite,
reviennent sans cesse, pour gagner un
caractère d'évidence de plus en plus
partagée. La thématique de la menace va
d'abord s'incarner dans la dénonciation
d'une «invasion». «Nous sommes victimes
d'une invasion apparemment pacifique
mais qui, évidemment, nous menace
mortellement dans notre identité et
notre sécurité», Jean-Marie Le Pen «Le
type de problèmes auxquels nous allons
être confrontés n'est plus
l'immigration, mais l'invasion», Valérie
Giscard d'Estaing, UDF «Ce qui était une
immigration de renfort démographique
devient une immigration de substitution
de peuplement», Jean-Louis Debré, RPR
(...) «Les nations existent. Chacun
défend son existence légitimement»,
Jean-Pierre Chevènement». (4) «Ce
discours sur l'invasion a été d'autant
plus efficace qu'il est venu se greffer
sur une certaine conception de la nation
française. L'immigration ne peut en
effet être présentée comme un danger
pour la France que parce que celle-ci
est conçue comme une entité basée sur
une «identité» homogène et immuable à
travers des siècles. (...) Cette vision
se traduit surtout par une série de
déclarations sur le «seuil de tolérance»
et d'appels répétés à la mise en oeuvre
de «quotas». «C'est très bien qu'il y
ait des Français jaunes, des Français
noirs, des Français bruns. Ils montrent
que la France est ouverte à toutes les
races et qu'elle a une vocation
universelle. Mais à condition qu'ils
restent une petite minorité; sinon la
France ne serait plus la France. (...),
Charles de Gaulle, «Il y a une overdose
d'immigration», Jacques Chirac, RPR «Le
seuil de tolérance est franchi», Alain
Juppé, RPR, «Le seuil de tolérance est
dépassé depuis les années 1970»,
François Mitterrand» (4)
«Par la suite, poursuivent Pierre
Tavenian et Sylvie Tissot: la «question
de l'immigration» laisse la place à
celle de l'«insécurité», et à la
thématique de l'invasion venue de
l'extérieur se substituent la mise en
garde contre «la délinquance,
l'insécurité et l'incivilité». (...) De
cette situation, «l'angélisme et le
laxisme» seraient responsables, comme on
nous l'a continuellement répété à partir
de 1997. (...) Des «sauvageons» dont
parlait le ministre de l'Intérieur
Jean-Pierre Chevènement aux «racailles»
évoqués par son homologue du
gouvernement Raffarin, on retrouve ce
double processus de stigmatisation
caractéristique des nouvelles classes
dangereuses: l'insistance sur la
délinquance et la focalisation sur les
origines étrangères. Cette lepénisation
des esprits, a rendu possible la
présence du leader du Front national au
second tour des élections
présidentielles de 2002. (...) La
conception culturaliste et à relents
racistes d'un «choc des civilisations»
fait ici sentir son influence, renforcée
après le 11 septembre et la campagne
bushienne contre l'Irak. Cette
focalisation récente sur les populations
maghrébines, d'origine maghrébine ou
plus largement associées au «monde
musulman», nous incite à nous
interroger, au-delà de l'influence de
l'extrême droite française, sur le rôle
que joue, dans la persistance du
racisme, l'imaginaire et l'idéologie
coloniale - une idéologie qui a irrigué
l'ensemble de la classe politique et de
la société française.»(4)
La gauche
de Hollande et l'Algérie
Qu'en est-il des futures relations de
Hollande avec l'Algérie? Tout d'abord,
il ne faut pas faire dans l'angélisme;
il existe des thèmes en France qui
transcendent les clivages droite-gauche,
notamment sur l'immigration, la finalité
est la même: le contrôle de
l'immigration, seule la méthode est,
dit-on, plus humaine. Il en est de même
de la politique extérieure. Le PS avait
félicité Sarkozy pour l'invasion de la
Libye avec comme conséquence le lynchage
d'un homme. Il en est de même de la
place de la France dans l'Otan, de la
Syrie et du refus de Hollande
d'envisager l'entrée de la Turquie
durant son mandat.
Cette politique de désignation de
l'allogène comme étant le responsable du
mal-être français, Sarkozy l'a
pleinement assumée avec sa compilation
de lois liberticides contre
l'immigration attisant les pulsions
morbides de Français de souche, blancs
judéo-chrétiens en face d'envahisseurs
basanés et qui, de surcroît, veulent
imposer leur Islam. Il faut se poser la
question pourquoi un émigré algérien qui
maîtrise la langue de Voltaire,
certaines fois beaucoup mieux que les
gens du cru, et ceci sans appartenir à
la francophonie et un étranger -
étranger à la langue, à la culture
française à qui tout est permis, ne
peut-il pas s'inté-grer à l'ombre des
lois de la République sans marqueur
identitaire de l'origine de l'identité
originelle.
Quand un député français de fraîche date
avec un père roumain se permet de
dénigrer le film «Indigènes» au point de
rameuter le ban et l'arrière-bans de
tous les nostalgiques, il y a quelque
chose d'incompréhensible dans le royaume
de France; quand tous les Dupont la Joie
s'en donnent à coeur joie, quand il
s'agit de se défouler sur le bougnoule,
quelque part il y a consensus savamment
entretenu par des médias aux ordres et
par un consensus latent transversal.
Nous ne devons pas avoir de préférence
pour paraphraser Jacques Duclos entre la
peste et le choléra. La Gauche et ses
valeurs faussement humanistes a toujours
trompé les Algériens. Mitterand a
beaucoup fait pour l'anomie algérienne.
Ses suivants ont un discours doucereux
mais qui ne doit pas nous tromper.
Cependant, au vu des premières réactions
du candidat Hollande qui sera
vraisemblablement élu président, les
relations ´´historiques´´ entre les deux
pays seront plus ou moins apaisées avec
le président socialiste.
Souhaitons que le futur gouvernement
reviendra aux fondamentaux et appelle à
un épanouissement légitime de la
diversité cultuelle qui a fait la
richesse de la France, qu'il saura
replacer dans son milieu naturel que
constitue la rive Sud de la Méditerranée
orientale où l'Algérie occupe plus que
jamais une place modératrice dans une
région qui a grand besoin de stabilité.
1.Olivier Favier 26 avril 2012
http://www.legrandsoir.info/immigration-et-vote-front-national-en-avril-2012-un-peu-de-demographie.html
2. Anne Jean Blanc Le-Pen-raconte-mitterrand-
Le Point 28-04-2011
3.
www.mleray.info/article-france-presidentielles-2012-les-digues-ont-saute-104044380.html
4. Pierre Tevanian et Sylvie Tissot, La
lepénisation des esprits. Du 21 avril
2002 au 22 avril 2012: retour sur une
histoire qui ne finit jamais Alterinfo
24 Avril 2012
Professeur
Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 29 avril
2012 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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