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Opinion
Le chaos arabe : Un printemps ou un mirage ?
Chems Eddine Chitour
Photo: Kapitalis
Jeudi 28 avril 2011
« Le premier des droits de
l’homme c’est la liberté individuelle, la liberté de la
propriété, la liberté de la pensée, la liberté du travail
».
Jean Jaurès
Depuis plus de quatre mois, les peuples arabes connaissent, à
des degrés divers, l’instabilité. Les révoltés se battent pour
la liberté. Les révoltes dans chacun des pays ont des
singularités, mais elles ont un dénominateur commun. Ce sont les
jeunes qui en sont les moteurs. S’il est vrai que des dynamiques
souterraines existaient pour se soulever contre les pouvoirs en
place et les motifs sont légion, on ne peut pas cependant,
exclure les manipulations occidentales qui, à des niveaux divers
guident ou canalisent ces révoltes. Nous allons examiner la
situation actuelle de ces révoltes qui jouent les prolongations.
Ainsi et comme l’écrit Ahmed Al Zorqa à propos du Yémen protégé
par les Américains: «Le président Ali Abdallah Saleh a donné son
accord à un projet du Conseil de coopération du Golfe prévoyant
sa démission à moyen terme. Si les partis d’opposition semblent
favorables à ce plan, les manifestants exigent toujours le
départ immédiat du dirigeant yéménite. Le plan de sortie de
crise présenté le 23 avril par les monarchies du Golfe est en
réalité destiné à empêcher la transition démocratique au
Yémen.(...) Car c’est l’Arabie Saoudite qui fait barrage aux
demandes de chute du régime. Elle ne veut pas que les Yéménites
réussissent leur transition démocratique, de peur de perdre son
influence sur le pays voisin, qu’elle considère comme son
arrière-cour.(1)
Mieux encore, les dépêches en provenance de Bahreïn [ où il y
eut une répression avec l’aide de l’Arabie Saoudite] révèlent
que les forces de sécurité continuent de violer la Convention de
Genève en torturant les protestataires qui participent aux
manifestations.»
Humanitaire à géométrie variable
On est en droit de se demander pourquoi l’Occident (les
Etats-Unis et leurs alliés français et anglais) ont une
conception de l’ingérence humanitaire à géométrie variable. Les
Bahreinis ne sont-ils pas des humains au même titre que les
Libyens? Quarante-deux ans d’un pouvoir exécrable ne tolèrent,
écrit René Naba, certes, nulle indulgence. Mais l’argumentaire
occidental, «la protection des populations», une version
réactualisée de l’ingérence humanitaire, gagnerait toutefois en
crédibilité si une telle mesure s’était appliquée également aux
pays en proie à la même contestation populaire, périphérique de
l’Arabie Saoudite, particulièrement Bahreïn et le Yémen, où la
répression a atteint le même degré de férocité qu’en Libye.
L’imposition de cette mesure, le 18 mars 2011, révèle la
duplicité de la diplomatie occidentale dans le traitement des
grands problèmes internationaux, particulièrement en ce qui
concerne la gestion des conflits du tiers-monde. Les
tergiversations occidentales à l’égard de cette mesure masquent
mal les compromissions de l’Europe avec le gouvernement du
colonel El Gueddafi et s’expliquent par l’importance que revêt
le marché libyen aux yeux des divers protagonistes, notamment au
niveau des transactions militaires: quatorze des vingt-sept pays
membres de l’Union européenne exportent des armes vers la Libye,
pour un montant de 844 millions de dollars, alors qu’un embargo
«de facto» sur les livraisons d’armes est désormais en vigueur.
L’empressement de la France de prendre la tête de cette nouvelle
«croisade», selon l’expression de son ministre de l’Intérieur
Claude Guéant, répond au souci de Nicolas Sarkozy de gommer de
la mémoire l’accueil triomphal réservé à El Gueddafi, en
décembre 2007, avec l’installation de sa tente dans le périmètre
de l’Elysée, en même temps que de se dédouaner de sa
complaisance ancienne avec les dictateurs arabes.(2)
Pour Manlio Dinucci, l’objectif de la guerre en Libye est
double. «Il n’est pas seulement le pétrole, dont les réserves
(estimées à 60 milliards de barils) ni le gaz naturel dont les
réserves sont estimées à environ 1500 milliards de m3. Dans le
viseur des «volontaires» de l’opération «Protecteur unifié» il y
a aussi les fonds souverains, les capitaux que l’Etat libyen a
investi à l’étranger. Les fonds souverains gérés par la Libyan
Investment Authority (Lia) sont estimés à environ 70 milliards
de dollars, qui grimpent à plus de 150 si l’on inclut les
investissements étrangers de la Banque centrale et d’autres
organismes. (...) Selon les déclarations officielles, c’est «la
plus grosse somme d’argent jamais bloquée aux Etats-Unis», que
Washington garde «en dépôt pour l’avenir de la Libye». Elle
servira en réalité pour une injection de capitaux dans
l’économie étasunienne toujours plus endettée. Quelques jours
plus tard, l’Union européenne a «gelé» 45 milliards d’euros de
fonds libyens».(3)
Abdelatif Kerzabi explique cela par l’autoritarisme.
Ecoutons-le: «L’autoritarisme (G. Hermet, 1985) est un rapport
gouvernants-gouvernés reposant de manière suffisamment
permanente sur la force plutôt que sur la persuasion.
L’autoritarisme se manifeste par: l’absence de respect des
droits de l’homme, l’embrigadement de la société par la
réglementation de tous les aspects de la vie sociale, la
persécution de l’opposition, la restriction des libertés
d’association, d’expression et d’opinion, le recrutement de
l’élite politique relève de la cooptation, enfin, les élections
ne sont qu’une apparence démocratique et visent à légitimer le
système politique aux yeux du monde. Voilà ce qui s’apparente
aux régimes politiques dans le Monde arabe». C’est contre ces
régimes que la rue arabe explose. (...) Ils se font appeler
Zaïms (leaders charismatiques) après les indépendances des pays
arabes, et centralisent tout le pouvoir politique. C’est
l’euphorie des peuples arabes qui viennent de se libérer du
colonialisme. (...) » (4)
« Armés de leur légitimité historique, les Etats arabes ont
imposé leur domination sur la société par la concentration des
pouvoirs. Les pouvoirs en place n’admettent pas les voix
discordantes. Ils se considèrent investis d’un message divin que
les autres n’ont pas le droit de discuter. Ici et là,
l’opposition est considérée comme une agression au Watan (la
nation). Les opposants sont des Khaouana (traîtres à la nation).
Dans les années quatre-vingt, alors que la démocratie se met en
place en Europe de l’Est, les pays arabes font foi d’une
certaine réticence dans un monde où la liberté des peuples
apparaît comme une norme universelle (...) La démocratie
libérale et le libre marché constituent désormais l’horizon
indépassable pour toutes les sociétés nous dit le philosophe
américain F. Fukuyama. Les Constitutions sont révisées pour
ouvrir le champ politique à la société mais surtout pour
pérenniser les pouvoirs en place. Les pays arabes ont réussi à
mettre en place des institutions «démocratiques» tout en les
vidant de leur substance. Invoquant l’ordre sécuritaire et
l’ordre public, le législateur arabe privilégie le contrôle sur
toute la société. Ainsi, les médias se transforment en
porte-parole du régime, les libertés violées, le Parlement
ligoté, etc. » (4)
« Depuis la chute de l’Empire ottoman, l’économie de rente dans
les pays arabes est restée prépondérante même si elle a changé
de forme. On ne peut pas dire que le Monde arabe a réussi son
développement. Selon le Pnud, environ 40% de la population des
pays arabes, soit 140 millions de personnes, vit en dessous du
seuil de pauvreté. (...)Nous pensons que le calme qui a régné
dans la rue arabe est dû en grande partie à la fermeture des
espaces publics qui n’a pas permis le passage de l’indignation
individuelle poussée jusqu’au suicide, à l’indignation
collective. Ce sont les télévisions satellitaires et l’Internet
qui vont faire ce que l’imprimerie (encore une découverte arabe)
a fait pour la révolution française. Internet avec ses réseaux
sociaux ainsi que les chaînes satellitaires (Al Jazeera, Al
Arabia, BBC, France24...) ont bouleversé le paysage médiatique
dans le Monde arabe. L’enfermement médiatique et culturel des
pays arabes ne résiste pas à ce déferlement des médias portés
par les nouvelles technologies. » (4)
« Désormais, on informe et on s’informe, on sait ce qui se passe
ailleurs, on lit les ouvrages interdits, on discute...Bref, le
peuple arabe s’émancipe et saute les verrous de la censure. Face
aux intellectuels nationalisés qui courtisent le prince, des
jeunes internautes animent le débat public. A défaut d’espaces
publics, la génération «Facebook et Sms» a créé un espace
virtuel où chacun profiterait de sa liberté. L’alibi culturel
qui fait que les peuples arabes sont réfractaires à la
démocratie et aux valeurs universelles, est contredit par la rue
arabe. Pis encore, c’est le manque de liberté qui les a conduits
à se réfugier dans l’Islam pour l’utiliser à des fins
libératrices. La radicalisation de cet islamisme dans sa forme
violente au nom de la «guerre sainte» a donné aux pouvoirs
totalitaires une raison de plus pour maintenir sous contrôle les
sociétés arabes.»(4)
Pour l’universitaire, Olivier Roy Directeur du programme
méditerranéen de l’Institut universitaire européen de Florence.
«L’avenir du mouvement démocratique dans le Monde arabe se
jouera sur une longue durée, comme les révolutions du XIXe
siècle Ce mouvement des Jeunes, un mouvement générationnel de
jeunes modernistes, à la fois par leur technique de
communication, leur comportement et leurs demandes: démocratie,
liberté, fin de la corruption, dignité, respect. Ce sont des
révoltes indigènes dans un espace politique où la dimension
idéologique est absente. Les référents idéologiques qui ont
dominé le Monde arabe pendant soixante ans - nationalisme,
panarabisme, panislamisme, antisionisme, anti-impérialisme -
sont taris. On demande la liberté de créer des partis
politiques, un Parlement, une Constitution. En ce sens, du point
de vue politique, c’est une révolte libérale. Les acteurs
politiques traditionnels (les Frères musulmans et l’armée) ont
compris que les règles du jeu avaient changé et admis la
nécessité des réformes. (...) Le mouvement somme les acteurs
politiques traditionnels de mettre en place un espace politique
démocratique ».(5)
Quel est le logiciel occidental de
redécoupage du Monde arabe?
Après l’échec de la démocratie aéroportée en Irak et dans le
bourbier afghan, les puissances occidentales essaient d’arriver
à la même finalité en mettant en oeuvre une autre tactique celle
de miner le Monde arabe de l’intérieur. il faut dire qu’ils ont
la partie facile tant les gouvernants qui cultivent le culte de
la personnalité voire du sauveur «El Mahdi» ont tout fait pour
installer leur peuple dans les temps morts, chacun utilisant une
légitimité soit révolutionnaire, soit religieuse, soit
divine...L’essentiel est de garder le pouvoir même au prix du
désespoir de chacun (harraga, kamikaze...). Selon une étude de
la Rand Corporation de 2005 on apprend que l’Amérique essaie de
subdiviser l’Oumma musulmane en divers camps. Elle donne la
recette à adopter ou adapter selon qu’elle a affaire aux
fondamentalistes, aux traditionalistes, aux modernistes, et
carrément aux séculiers. Dans le même esprit, Gilles Munier cite
nommément Israël et les Etats-Unis comme des catalyseurs de la
fitna syro-syrienne. «Les manifestations qui ont lieu en Syrie
font le bonheur des dirigeants israéliens. Bien que les
contestataires syriens affirment être tous attachés à l’unité de
la Syrie, le vieux rêve sioniste de partition du pays en quatre
Etats -sunnite, druze, alaouite, kurde - leur semble à portée de
main. Invité aux Etats-Unis par le Centre S. Daniel Abraham pour
la paix au Moyen-Orient, Shimon Peres a été reçu, le 5 avril
dernier, à l’USIP - United States Institute for Peace - un think
tank créé par le Congrès américain en 1984 pour «prévenir et
résoudre les conflits dans le monde». Il a appelé la «Communauté
internationale» a soutenir la «transition en Syrie»(...) Il a
offert de restituer à la Syrie le Golan, occupé en 1967 puis
annexé en 1981. (...) Shimon Peres a posé trois conditions: que
la Syrie «divorce» d’avec l’Iran et le Hezbollah, que le plateau
soit démilitarisé, que le retrait israélien s’effectue dans le
cadre d’un traité de paix. Il s’en est ensuite pris aux Frères
musulmans égyptiens, incapables, selon lui, de faire reculer la
pauvreté («Le problème de l’Egypte», a-t-il déclaré, «n’est pas
de prier dix fois par jour...»).»(6)
En définitive, est-ce que ce qui se passe dans les pays arabes
augure d’un printemps ou est- ce un mirage? Pour Kurtz «Les
révolutions suscitent l’étonnement, l’admiration, l’espoir mais
aussi la compassion quant à la férocité de la répression des
régimes en place. La Tunisie, l’Egypte, le Yemen, la Libye et la
Syrie vivent avec plus ou moins de violence ces ´´printemps
arabes´´. Je crains que dans ces deux pays [Tunisie et Egypte],
la révolution ait été confisquée par les caciques des régimes
antérieurement en place sous l’influence de l’ami états-unien et
français. Il en ira probablement de même du Yémen. Quant à la
Libye, détentrice de richesses pétrolières, c’est une autre
paire de manches. L’impérialisme n’est pas mort et pourrait
instaurer le chaos. La Syrie ne présente aucun intérêt sauf pour
le complexe militaro-industriel des EU, mais un enjeu
géopolitique. Son alliance avec l’Iran et le Hezbollah libanais,
ses frontières avec Israël en font un enjeu non négligeable si
l’on considère que l’Irak conquise, la Jordanie et la Turquie
pro-occidentales font de ce pays enclavé une proie que
l’impérialisme EU cherchera par tous les moyens à domestiquer.
Je le dis, ces printemps arabes ne doivent pas faire illusion,
noyautés par des pays étrangers aux intérêts des justes
revendications de ces peuples, participent à la mise en place
d’une stratégie du chaos dont les objectifs visés ne sont pas la
démocratie mais l’accaparement des richesses des uns et
l’instauration d’une pax américaine dans le croissant fertile au
profit d’Israël».(7)
Les peuples arabes ne veulent plus se situer «ni contre
l’Occident ni à son service Ils veulent être libres et aspirent
à la paix. Les gouvernants doivent comprendre la nécessité
rapide de mutations pour qu’elles ne soient pas imposées de
l’extérieur». L’Occident continue sa rapine et propose une
démocratie du ´´panem et circens´´, pain et jeux de la Rome
antique. C’est une politique sûre et ancienne que d’y laisser le
peuple s’endormir dans les fêtes et dans les spectacles, dans le
luxe et dans le faste, dans les plaisirs, dans la vanité et la
mollesse ce que nous appelons les soporifiques au lieu de le
conduire sur le dur chemin du travail, de la sueur et du mérite.
Pour cela, les chefs doivent donner l’exemple...
1.Ahmad Al-Zorqa. Un plan saoudien loin des
revendications populaires. Mareb Press 26.04.2011
2.
http://www.renenaba.com/libye-le-zele-de-la-france-en-suspicion/
25.04.201.
3.Manlio Dinucci. La rapine financière du siècle Mondialisation
25 avril 2011
4.Abdelatif Kerzabi http://www.alterinfo.
net/La-fin-de-l-autoritarisme-dans-le-monde-arabe_a56744.html 26
Mars 2011
5.François d’Alançon Olivier Roy: «Une révolte moderniste» La
Croix 13/04/2011, 18
6. Gilles Munier. Syrie: Israël et les Etats-Unis jettent de
l’huile sur le feu. Mondialisation.ca, 21.04.2011
7.Kurts: Le destin des printemps arabes http://bellaciao.org/fr/spip.php?article1164702504
11
Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique Alger enp-edu.dz
Publié le 29 avril 2011 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Les textes du Pr Chems Eddine Chitour
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