|
L'EXPRESSIONDZ.COM
L'OTAN VIS-À-VIS DES TALIBAN
La stratégie de l'anaconda
Chems Eddine
Chitour
Photo © Agence Reuters
Samedi 27 novembre 2010
L’Afghanistan n’a pas connu un jour de paix depuis plus de
trente ans.
Lors du Sommet de l’Otan à Lisbonne, la
situation en Afghanistan a occupé une place particulière. Il
s’agissait de définir une nouvelle stratégie, une de plus, «pour
venir à bout de l’intégrisme et de l’obscurantisme taliban qui
empêchent l’émancipation de la société afghane» et ceci en
proposant aux Afghans une démocratie aéroportée par drones
interposés; s’il y a des dommages collatéraux, c’est normal,
c’est le prix à payer pour que les petites filles puissent enfin
aller à l’école... Petit rappel sur ce pays qui n’a pas connu un
jour de paix depuis plus de trente ans. Envahi en 1979 par les
Soviétiques, des milliers de morts plus tard, l’empire
soviétique fut obligé par les combattants afghans de se retirer
sans gloire. Il faut dire qu’à l’époque, la croisade
anti-«empire du mal» selon l’expression de Ronald Reagan, avait
mobilisé une vaste coalition déjà, composée des pays musulmans
pour aider les taliban, un certain Ben Laden s’était illustré
dans ces combats. Les Américains, par la CIA interposée,
fournissaient les armes notamment les fameux missiles Stinger
qui ont fait des ravages dans les chars soviétiques. Les taliban
étaient avec Ben Laden les meilleurs alliés du camp occidental,
et «on ne s’occupait à l’époque, au milieu des années 90, quand
ils ont pris le pouvoir, s’ils avaient appliqué une Constitution
obscurantiste qui ne fait pas de place à la liberté, la
démocratie».
2001, le 11 septembre, renversement d’alliance, les amis d’hier
devinrent les pires ennemis. George W. Bush avait mis la tête de
Ben Laden à prix (25 millions de dollars), dead or alive; mort
ou vif, dans la plus pure tradition du western. Deux mois après
les montagnes de Bora Bora [censées abriter, Ben Laden] étaient
pilonnées. Il y eut, dit-on, plus de bombes que pendant la
Seconde Guerre mondiale. En décembre, les taliban furent
chassés, et des clips de l’armée américaine incitaient les
Afghanes à enlever leur burqua. Les dommages collatéraux furent
discrètement oubliés.
Où en sommes-nous en 2010?
L’Afghanistan est plus que jamais en perdition, un gouvernement
fantoche, mal élu, qui fait de la corruption, une science
exacte, «gouverne la ville de Kaboul», le reste aidé par une
coalition de plus de 150.000 militaires appartenant à une
vingtaine de pays sous le commandement du général quatre
étoiles, David Petraeus connu pour avoir «pacifié l’Irak», en
remplaçant du général Stanley Mc Christal, coupable d’avoir trop
parlé à des médias de la réalité du terrain en Afghanistan. Que
deviennent ces Afghans à qui on promet le bonheur? La commission
indépendante des droits de l’homme de l’Afghanistan a annoncé
que plus de 1300 civils afghans ont été tués pendant les 7
premiers mois de l’année. Dans son dernier rapport, ladite
commission a annoncé que ces derniers avaient perdu la vie, lors
des attentats terroristes, des raids aériens des forces
étrangères et des opérations militaires dans diverses régions
afghanes. «67% des victimes ont été tuées par la rébellion armée
et 23% par les forces de l’ISAF», ajoute le rapport.
L’organisation internationale Oxfam a également annoncé dans un
rapport que 2010 était l’année la plus meurtrière pour les
civils afghans. L’Oxfam a appelé les deux parties en lice à
épargner les civils.(1)
De ce fait, une trentaine d’ONG travaillant en Afghanistan ont
appelé les pays de l’Otan à prendre des «mesures urgentes» pour
mieux protéger les civils. Cet appel intervient le jour de
l’ouverture à Lisbonne d’une conférence des pays de l’Otan
consacrée en grande partie à l’Afghanistan et, notamment au
calendrier de la transition au cours de laquelle ils doivent
transférer la responsabilité de la sécurité du pays à l’armée et
à la police locales. Dans leur communiqué, ces 29 organisations
humanitaires, dont Oxfam, Afghanaid et la Commission afghane des
droits de l’Homme, «appellent l’Otan à placer la protection des
civils au coeur de sa stratégie de transition». «Des civils sont
plus que jamais blessés et tués et la sécurité de l’Afghanistan
est plus instable qu’au cours de ces neuf dernières années»,
soulignent ces ONG, craignant que «la violence ne continue à
s’accroître en 2011» si «des mesures urgentes ne sont pas prises
dès maintenant». Elles demandent, notamment à l’Otan d’améliorer
la formation et le suivi des forces de sécurité afghanes
«pendant la période de transition», qui doit en principe
s’achever à la fin 2014, selon la communauté internationale.
Notons que des centaines de civils afghans ont été tués lors de
raids menés par les forces de l’Otan.(2)
On se souvient que le président des Etats-Unis a annoncé le 1er
décembre l’envoi de 30.000 soldats supplémentaires avec pour
objectif de sécuriser les grands centres urbains afghans et de
vaincre les taliban et Al Qaîda. (...) Seule une stratégie
commune avec Islamabad pourrait permettre une lutte
antiterroriste efficace en Afghanistan et au Pakistan. Mais
l’armée pakistanaise rechigne à lancer une offensive au
Baloutchistan et dans les Zones tribales pakistanaises, là où se
sont réfugiés les taliban afghans. Face à ces réticences, les
Etats-Unis prévoient d’intensifier, en 2010, l’utilisation de
drones au Pakistan, sous la responsabilité de la CIA. (3)
Dans une conférence donnée à Sciences Po à Paris, le général
David Petraeus a tracé les grandes lignes de la stratégie
américaine. Il rapporte une petite histoire celle d’un lapin
devant une grotte, qui rédige une thèse où il affirme que les
lapins sont les plus forts au monde. Vint à passer un renard, le
lapin, sûr de lui, lui fait part de cette conviction; le renard
est sceptique, le lapin l’invite à rentrer dans la grotte et au
bout d’un moment, le lapin sort avec la queue du renard autour
du cou. Le même scénario se reproduit avec le loup, et l’ours.
Chaque fois le lapin sort avec la queue du loup ou de l’ours
autour du cou. Intrigués, les animaux de la forêt font appel à
la chouette et lui demandent d’aller voir, elle qui voit dans le
noir ce qui se passe dans la grotte; la chouette visite la
grotte et fait part de ce qu’elle a vu; un énorme tigre avec des
griffes énormes entre lesquelles le lapin dort à «poings
fermés». Conclusion du général David Petraeus: «Peu importe la
thèse que vous faites, l’essentiel c’est d’avoir le bon
conseiller.» (4)
Une première lecture appliquée à l’Afghanistan nous incite à
voir dans le lapin, l’Afghanistan, dans le tigre les Etats-Unis,
et la thèse [quelle qu’elle soit], celle de la politique
américaine. Ce qui, par voie de conséquence, amène à dire que
les Etats-Unis ne lâcheront pas le gâteau afghan. Le général
quatre étoiles décrit la situation comme sous contrôle et montre
que la «stratégie de l’anaconda» qui consiste à couper les
taliban de leurs circuits de ravitaillement commence à porter
ses fruits. Parallèlement, le général décrit un plan social de
plusieurs centaines de millions de dollars destinés à améliorer
le quotidien des Afghans. Pourtant les taliban résistent et
avancent. Trois événements importants sont à signaler: la
découverte de gisements de métaux nobles et rares d’une qualité
exceptionnelle et de gisements de pétrole importants, joints à
la situation privilégiée de l’Afghanistan comme carrefour
stratégique.
Le deuxième fait est en rapport avec la situation sur le
terrain: la coalition, c’est-à-dire en fait les Etats-Unis,
n’avance pas, elle perd des hommes malgré les ravages des drones
pilotés à partir de centres de contrôle du fin fond du Texas, et
leurs dommages collatéraux. En clair, les taliban gagnent du
terrain. Le bourbier Afghan se vietnamise. Le coût de la guerre
devient insupportable pour les coalisés par ces temps de crises.
Que faire?
Comment disposer des richesses de ce pays et ne pas perdre la
face comme au Vietnam, ce qui va advenir d’une façon
inéluctable? Il faut partir! Mais faire comme en Irak, il ne
faut pas abandonner les ressources pétrolières. De ce fait, il
faut négocier! Cette fois-çi, avec les taliban modérés, la
technique de l’impérialisme occidental est toujours la même,
elle a été utilisée par la France justement au Vietnam et en
Algérie puis aussi par les Etats-Unis en 1975 par la création de
troisième force sans succès comme, l’ont montré les films tels
que Dien Bien Phu, Apocalypse now et La Bataille d’Alger. Les
médias occidentaux habituent l’opinion à un projet de retrait
occidental d’Afghanistan. D’autant, comme rapporté dans une
contribution du Courrier International, «les taliban ne veulent
pas négocier. Les taliban ont promis qu’ils feront fuir l’Otan
d’Afghanistan avant 2014, la nouvelle échéance prévue pour
transmettre les commandes aux forces de sécurité nationale,
peut-on lire dans le quotidien pakistanais Daily Times, le 22
novembre. Précisant que cette nouvelle date était
«irrationnelle» et que les pays occidentaux étaient incapables
d’installer un gouvernement stable à Kaboul, le porte-parole des
taliban, Zabihullah Mujahid, a annoncé l’imminence de nouvelles
attaques de la part des insurgés. «Les taliban ne peuvent rester
silencieux, ne serait-ce qu’une seule nuit, jusqu’à l’avènement
de la liberté et la formation d’un gouvernement indépendant»,
a-t-il conclu.» (5) A Lisbonne, outre le président Karzaï, on
note aussi la présence du Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon,
et du président de la Banque mondiale, Robert Zoellick. Les deux
organisations seront sollicitées pour accompagner l’Otan dans la
mise en oeuvre du plan de retrait qui comporte une partie civile
et le développement de l’Afghanistan. Les deux parties resteront
liées par un partenariat sur le long terme, au-delà de la
période de combat qui pourrait se prolonger après 2014. Les
responsables de l’Otan ont, pour leur part, reconnu que des
forces de la coalition resteraient dans ce pays bien au-delà de
cette date en adoptant un rôle de soutien, rapporte The New York
Times. Ce calendrier est cependant, susceptible d’être revu si
les progrès en matière de sécurité d’ici à cette échéance ne
sont pas suffisants. Il est déjà acquis que des dizaines de
milliers de soldats étrangers resteront en Afghanistan après
2014 pour former les troupes afghanes et les assister. (6) Pour
les Etats-Unis, les Pakistanais sont de moins en moins fiables.
De ce fait, les Américains pensent à sécuriser leurs retraites
grâce à l’aide des Russes; les ennemis d’hier. La Russie est
désormais un allié objectif dans plusieurs dossiers comme la
lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue, les
cyberattaques ou la prolifération des armes nucléaires. Dans
l’immédiat, l’Otan cherche à transformer la Russie en partenaire
en Afghanistan. Elle est ainsi sollicitée pour faciliter à
l’Organisation, un transit étendu vers et hors de ce pays. Le
Pakistan pris entre deux feux a très mal réagi à ce manque de
confiance. «L’accord écrit l’éditorialiste du Daily Times, sur
les routes d’approvisionnement conclu entre l’Alliance et
Moscou, dessert les intérêts du Pakistan, qui n’est plus
désormais un passage obligé vers l’Afghanistan. Islamabad y perd
un outil de pression important, d’autant que les frappes de
drones vont s’intensifier.» Un article publié dans The
Washington Post a secoué le pays. «Les Etats-Unis veulent
élargir la zone d’intervention des drones au Pakistan», titrait
le quotidien américain. Selon ce document, «cette demande
américaine concerne la région de Quetta [capitale de la province
pakistanaise du Baloutchistan] où serait installé l’exécutif du
mouvement taliban. Ce document clarifie plusieurs points.
Premièrement, les Pakistanais ont beau minimiser l’importance de
la Quetta Shura [l’organe de décision des insurgés islamistes,
dirigé par le mollah Omar] et nier sa présence, les Américains
sont convaincus du contraire. Les raisons du refus pakistanais
sont nombreuses. Quetta étant une très grande agglomération, les
dommages collatéraux risquent d’être importants. Autre décision
d’importance, l’Otan est parvenue à un accord avec Moscou afin
de faire passer l’approvisionnement militaire occidental par la
Russie à la frontière avec l’Afghanistan.(...) Notre défiance à
l’égard de l’Inde et notre politique de «profondeur stratégique»
ne nous ont menés nulle part. Notre pays est en train de
s’effondrer devant nous, (...) Il est temps que notre
gouvernement ouvre les yeux avant que le pays ne soit plus qu’un
champ de ruines»(7)
L’ennemi d’hier est devenu l’ami d’aujourd’hui. Outre le fait
que la Russie a une revanche à prendre en Afghansitan, on
constate qu’elle demande sa part du gâteau, notamment en vendant
du matériel de guerre aux Afghans. De plus, la position
privilégiée de l’Afghanistan lui permettra d’avoir un oeil sur
les stratégies pétrolières et gazières de l’Occident, elle qui
doit placer des quantités importantes de gaz, elle pourra ainsi
sécuriser le South stream, revitaliser le Droujba et peut-être
enterrer définitivement le projet Nabucco, épouvantail européen
pour contourner la Russie et l’Iran. Ce n’est donc pas l’avenir
des Afghans qui intéresse l’Occident et la Russie. Il est à
parier que les taliban reviendront au pouvoir, on les appellera
modérés et personne ne s’occupera plus du sort des femmes
afghanes et de la démocratie dans ce pays, l’essentiel est que
l’Occident ne manque pas d’énergie et de matières premières.
1. Afghanistan: 1300 civils afghans victimes des violences
22/11/2010 http://french.irib.ir
2. Des ONG appellent l’Otan à mieux protéger les civils
20/11/2010
3. La stratégie militaire occidentale Courrier international
01.07.2010
4. David Petraeus: Conférence à Science Po retransmise en direct
par France 24-Paris 22 novembre 2010
5. Les taliban encore plus déterminés Courier international
22.11.2010
6. 2014 et après? Courrier international 22.11.2010
7. Editorial: Un grand perdant: le Pakistan Daily Times
22.11.2010
Pr Chems Eddine Chitour,
Ecole nationale polytechnique
Droits de reproduction et de diffusion
réservés © L'Expression
Publié le 27 novembre 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
Partager
Les textes du Pr Chems Eddine Chitour
Les dernières mises à
jour
|