Opinion
Dialogue imaginaire entre Salah Hamouri
et Gilad Shalit :
L'absurdité de l'occupation
Chems Eddine Chitour
Salah Hamouri
Mardi 25 octobre
2011
«Avez-vous
déjà imaginé une femme palestinienne
accouchant en prison, les pieds et mains
liés? Avez-vous déjà vu un enfant de 12
ans menotté a un checkpoint et laissé
des heures au soleil ou sous la pluie
par la volonté d'un simple soldat?
Savez-vous qu'un grand nombre de mes
camarades a déjà passé plus de 20 ans
derrière les barreaux? Beaucoup ont
perdu leurs parents sans pouvoir leur
dire "adieu".»
Salah Ammouri, Franco-Palestinien en
prison depuis 2005
Gilad Shalit, soldat de l'armée
israélienne a été libéré en échange de
1000 prisonniers dont des femmes. Ce
chiffre impressionnant nous montre deux
choses: Israël ne recule devant rien
quand il s'agit de délivrer un de ses
soldats et que la vie d'un Israélien
«vaut» au moins celle de 1000
Palestiniens. On dit que seuls ceux qui
n'ont pas du sang sur les mains ont été
délivrés. Pourquoi alors ont-ils été
arrêtés? Si un millier de prisonniers
peuvent être délivrés d'un coup, il faut
croire qu'Israël a la capacité de
remplir facilement les prisons. Nous
avons, alors, pneser à un « dialogue
imaginaire » à sens unique entre deux
Israéliens- qui sont aussi Français-,
l'un libéré et qui a bénéficié en France
d'un tapage médiatique sans pareil,
l'autre qui a été délibérément ignoré et
qui croupit encore dans une prison
israélienne.
Cher Gilad
Je suis content de ta libération après
1946 jours, moi qui croupis dans les
geôles depuis plus de 2400 jours et je
suis encore plus content de tes propos
sur la paix. Ce que je ne comprends pas
c'est pourquoi tu as remis ton uniforme,
comptes-tu reprendre du service,
remonter dans ton char «Merkeva» dernier
cri, pour aller offrir des fleurs aux
Palestiniens de Ghaza?
Je vais te raconter mon histoire. Je
suis né comme toi en 1985. Je suis un
étudiant français en sociologie de
l'Université de Bethléem, ma mère est
française et mon père palestinien. J'ai
été inculpé en 2005 sous la double
accusation d'avoir projeté de tuer le
rabbin Ovadia Yossef, - pour l'occasion,
un délit d'intention a été créé- et
d'appartenance au Front populaire de
libération de la Palestine. Après trois
ans de détention provisoire sans
jugement, j'ai accepté, sur les conseils
de mon avocate, une procédure de
plaidoyer de marchandage afin d'échapper
à une peine éventuelle de quatorze ans,
et ai donc été condamné par le tribunal
militaire à une peine de sept ans de
prison que je purge actuellement à la
prison de Guilboa.
On me dit que tu as été fait prisonnier
alors que tu conduisais un char Merkeva
en faisant le blocus de Ghaza. As-tu une
idée de la détresse des enfants que tu
terrorises avec ton char, t-a-t-on dit
que les avions Apache traumatisent à vie
les enfants? Curieusement, les efforts
des forces israéliennes et de l'Autorité
palestinienne pour te localiser ayant
été vains, ton pays a voulu te libérer
par la force,il n'a pas hésité à engager
une nouvelle guerre en lançant
l'opération Pluies d'été, le 28 juin
2006. Sais tu qu'elle a été une source
de malheur supplémentaire. Elle
comportait toute la panoplie des
horreurs: bouclages, incursions,
arrestations et frappes aériennes sur la
bande de Ghaza, qui ont fait plus de 200
morts et plus de 800 blessés. Des
centaines de détenus dont des
parlementaires palestiniens et des
ministres Hamas de l'Autorité
palestinienne ont été arrêtés et ont
rejoint les quelque 10.000 Palestiniens
emprisonnés en Israël.
Sais-tu aussi, qu'Israël a menti et que
tous les enfants palestiniens
emprisonnés en Israël ne seront pas
libérés? Toutes les femmes non plus? Et
bon nombre de ceux qui seront libérés ne
pourront pas rentrer chez eux mais
seront déportés ailleurs? Sais-(tu aussi
qu'un prisonnier palestinien avait 13
ans au moment de sa capture. Il s'agit
de Ali Abd Allah Salem Amariya, de
nationalité israélienne, né en 1975,
arrêté le 24 novembre 1988 à l'âge de 13
ans, condamné à 40 ans de prison, et
donc emprisonné depuis près de 29 ans.
Sais-tu enfin que 22 prisonniers avaient
moins de 18 ans au moment de leur
arrestation. On dit que seuls ceux qui
n'ont pas de sang sur les mains ont été
libérés, sais-tu que Nelson Mandela,
présenté aujourd'hui comme une sorte
d'icône du pacifisme, était considéré
comme un terroriste par les Etats-Unis
et le Royaume-Uni? Amnesty International
avait refusé de l'adopter comme
«prisonnier de conscience» parce qu'il
prônait la violence. Comme Alain Gresh,
je te pose la question essentielle qui
ne sera pas posée: est-ce que l'attaque
contre Ghaza de décembre 2008, durant
laquelle des crimes de guerre et des
crimes contre l'humanité ont été commis,
ne signifie pas que l'armée israélienne
a «du sang sur les mains»? Sans parler
de l'invasion du Liban de 1982, qui a
fait des milliers de victimes civiles,
ou de la guerre contre ce même pays en
2006, qui a causé 1400 morts dont tu
devrais être certainement au courant et
malgré cela, à Ghaza même au plus fort
de la tuerie de 400 enfants, tes
conditions de détention n'ont pas été
aggravées.
Moi aussi je suis comme toi, né en
Palestine, pour toi, c'est Israël
d'après un décret de Dieu pour les
Israéliens. Je suis comme toi aussi, un
Franço-Israélien mais de second collège,
ainsi en ont voulu les dirigeants
français sous l'emprise de médias et de
lobbys pro-israéliens puissants. Moi
aussi je suis jeune, moi aussi j'aspire
à vivre en paix. L'expression «soldat
franco-israélien» me gêne. Elle ne te
gêne pas? Est-tu un soldat ayant le haut
d'uniforme français et le bas israélien?
Ou bien le drapeau français au bras
gauche et celui d'Israël à droite?
Serais-tu prêt à défendre la France que
tu ne connais pas après avoir défendu
Israël? Que ferais-tu si la France
entrait en guerre contre Israël? En
fait, cette expression qui devait aider
à ta libération t'a desservi et, d'une
certaine façon, m'a valu quelque
sympathie par ricochet. Car moi, on
m'ignore totalement, on parle de ma
double nationalité réelle d'une façon
évasive.
Si je t'écris c'est parce comme moi tu
sais dans ta chair ce que c'est que
l'enfermement, la sensation de solitude
encore que tu dois savoir le tapage qui
est fait pour te faire connaître et
apitoyer le monde. Sais-tu que tu as une
page wikipédia avec plus de 2 millions
de références toi qui n'as jamais rien
fait si ce n'est de conduire un char
pour terroriser des enfants et des
personnes sans défense.
Sais-tu que ma mère qui vit aussi en
France, a remué ciel et terre, en vain
pour sensibiliser les pouvoirs publics?
Personne ne l'a reçue en France, mon
second pays comme le tien. Ma grand-mère
vit en France contrairement à toi. On
dit que Nicolas Sarkozy, qui recevait
régulièrement à l'Élysée ton père, a dit
«le fait que Gilad ait été reconnu
Français depuis le début, a beaucoup
contribué, je pense, à le préserver en
vie». Il te recevra à Paris bientôt,
a-t-il encore dit.
On dit que tu as reçu une lettre du
président de la France, il est
immensément soulagé par ta libération,
il décrit même le bonheur et l'émotion
des Français que tu ne connais pas et
qui ne te connaissent pas, pas plus que
moi, mais qui, grâce à un battage
médiatique extraordinaire, tu es sur
toutes les lèvres de ceux qui font
allégeance à Israël par lobby sioniste
français interposé. Il paraît que c'est
là que se décident les carrières des
hommes politiques français. Ta cause est
tellement importante pour la France que
ton père Noam Shalit, a déposé plainte
contre X le 6 juin 2011, devant le
procureur de Paris, pour enlèvement et
séquestration. Cette plainte engage la
justice française à mener une enquête et
notamment, réduire la liberté de
mouvement des ravisseurs qui ne font que
défendre leur pays.
Ma mère
Sais-tu justement où est la France?
Connais-tu quelques mots de français? Il
est vrai que tu as pu avoir ces papiers
par, dit-on, ta grand-mère et que même
ton père et ta mère ne parlent pas
français. Ma mère est française, elle
n'a jamais pu, contrairement à tes
parents qui sont Israéliens, être reçue
par le président de la France et dans sa
petite ville qui est aussi la mienne, on
m'a fait portrait d'honneur. On dit que
Bertrand Delanoë, maire de la ville de
Paris qui est, comme tu dois le savoir,
la capitale de la France, et qui ne te
connais pas, a insisté pour te dresser
sur le fronton de la mairie un immense
portrait où tu es représenté non pas en
militaire se battant pour son pays mais
en civil pour attirer la compassion sur
ton visage juvénile qui a dû souffrir du
«traitement barbare» qui t'a été infligé
par des barbus...
Rien à voir avec mon procès ou comme tu
le sais, je suis innocent, mais là aussi
cela n'est pas important, j'avais
«l'intention» de commettre un acte
délictueux,je suis donc coupable de 7
ans de prison où rien ne me fut épargné,
même l'isolement. C'est peut-être là que
l'on se rejoint. Ma mère s'est lancée en
France, en compagnie de personnes
honorables éprises de justice dans une
campagne pour obtenir ma libération.
Mais elle a vite déchanté. Toi et moi
n'avons pas pas été traités «sur un pied
d'égalité», ne cesse-t-elle de clamer.
Pour toi, depuis cinq ans, tout le
gratin politique français est mobilisé,
la preuve? Les nombreuses visites à
l'Élysée de ton père tandis que ma mère
a dû se battre pour décrocher deux
rendez-vous avec des conseillers de
Nicolas Sarkozy.
Ma mère a été émue jusqu'aux larmes en
écoutant le président parler de ta
libération et incidemment de moi: «C'est
la première fois dit-elle que Nicolas
Sarkozy prononce le nom de mon fils en
sept ans. Mais cette phrase n'a pas de
sens et demeure même contre-productive.
Mon fils doit sortir de prison le 28
novembre prochain. Pourquoi devrait-il
attendre le 18 décembre et la seconde
vague de libération de prisonniers?
Voilà donc le président, en voulant
faire du bien, m'enfonce en demandant au
Premier ministre de me faire bénéficier
d'un rab de détention pour être dans la
charrette de ceux qui seront libérés
trois semaines plus tard. Je suis sûr
qu'il ne l'a pas fait exprès, mais comme
tu sais, un jour de prison c'est une
éternité... Même la presse m'a ignoré.
Le 27 septembre dernier, j'ai fait une
grève de la faim dans la prison de
Guilboa (nord d'Israël) en signe de
solidarité avec d'autres détenus
palestiniens, pour protester contre le
durcissement de nos conditions de
détention depuis ton enlèvement en 2006
près de quinze mois après moi.
Tu t'es déclaré en faveur de la
libération des derniers prisonniers
palestiniens détenus en Israël. Tu dis
que tu serais très content s'ils étaient
relâchés et pouvaient retrouver leurs
familles et leurs terres, «sans
amertume». Tes mots sont magnifiques.
Ils dénotent une belle sensibilité que
tu as dû acquérir pendant ton
internement. Tu parles de «retourner
vers ma terre». Laquelle? Je n'en ai
plus. Sais-tu que depuis ton internement
il y a eu 100.000 colons nouveaux qui
sont venus s'installer chez moi sur les
20% qui me restent justement de ma
terre? Quand tu as été pris, tu
participais en juin 2005 avec ton unité
de chars faisant un blocus illégal et
meurtrier de Ghaza. Sais-tu qu'il y eut
seulement que 4 prisonniers israéliens
depuis 1994 mais 750.000 Palestiniens
ont séjourné dans les geôles
israéliennes depuis 1967?
Je vais te donner un échantillon de la
vie en prison en te rendant destinataire
aussi d'une lettre que j'ai envoyée aux
grands de ce monde, sourds à la détresse
humaine et à la cause de liberté du
peuple palestinien. Tu es à même
d'apprécier mieux que les autres toi qui
as connu l'enfermement. Tu sauras la
réalité de la souffrance, le sens du
combat des Palestiniens.: «Depuis les
cellules de la prison, on peut entendre
des voix parfois indignées qui parlent
des droits de l'homme....Ces hommes
politiques, ces gouvernements qui
prétendent défendre les droits de
l'homme et appliquer la justice,
savent-ils ce qui se passe dans les
prisons de l'occupation israélienne?
Savent-ils que plus de 8000 prisonniers
sont victimes de mort lente? Parfois des
voix s'élèvent lors de réunions au
sommet, il arrive que quelqu'un parle
des prisonniers politiques palestiniens
mais on parle de nous comme des
terroristes, des numéros sans visage
alors que comme tous les êtres humains,
nous sommes parfois faibles, parfois
forts, nous aimons et nous détestons,
nous rions, nous avons même des moments
de joie où nous pleurons aussi quand
nous pensons à nos familles. Pour
exprimer notre souffrance, il me
faudrait écrire 100 livres mais même une
encyclopédie ne ferait pas bouger vos
consciences (...) Peux-tu déjà imaginer
une femme palestinienne accouchant en
prison, les pieds et mains liés? As- tu
déjà vu un enfant de 12 ans menotté a un
checkpoint et laissé des heures au
soleil ou sous la pluie par la volonté
d'un simple soldat? Sais-tu qu'un grand
nombre de mes camarades a déjà passé
plus de 20 ans derrière les barreaux?
Beaucoup ont perdu leurs parents sans
pouvoir leur dire "adieu" toi dont les
parents ont remué la France.
Mon histoire raconte en creux celle de
mon peuple et celle de mon pays, la
Palestine. Profite bien de ta liberté,
mais réfléchis à l'absurdité et à
l'illégalité de cette occupation. Si tu
as du temps, viens me rendre visite, je
te raconterai l'histoire réelle de la
Palestine, pas celle que tu as apprise.
La vraie, celle des hommes et des femmes
depuis la nuit des temps, tous
cananéens, tous semblables, je te
mettrai aussi en garde contre les
fausses certitudes qui font des
Israéliens un peuple élu. Un des
professeurs les plus connus dans le
milieu universitaire israélien et à
l'étranger, en l'occurrence le
professeur Schlomo Sand a, dans un livre
courageux -que tu devrais lire- tordu le
cou à ces mythes fondateurs du peuple
juif. Il y a bien une religion juive
comme il y a une religion chrétienne ou
musulmane, mais il n'y a pas de peuple
juif. A partir de cela, tu pourras te
reconstruire et aller à la conquête
spirituelle du monde, convaincu que
toute guerre est absurde , nous sommes
tous frères. Moi le Palestinien , toi
l’Israélien avons en commun l’amour de
cette terre trois fois bénie de Dieu ,
nous pouvons vivre ensemble, nous devons
vivre ensemble , c’est à cela que nous
devrions consacrer notre combat, si tu
décides ,enfin , d’entendre ta
conscience.
Salah Hamouri... http://www.legrandsoir.
info/Une-lettre-de-Salah-Hamouri.html
Professeur
Chems Eddine Chitour
Ecole Nationale Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 26 octobre 2011 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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