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L'EXPRESSIONDZ.COM
Qui se soucie de la faim ?
Pr Chems Eddine Chitour
Lundi 23 novembre 2009
«Dieu a dit: il faut partager; les riches
auront la nourriture, les pauvres auront l’appétit.»
Coluche
Un, deux, trois, quatre, cinq: un enfant vient de mourir de la
faim. C’est par ce compte macabre que Jacques Diouf, directeur
général de la FAO, nous appelle au secours sur un ton suppliant.
Près de 200 millions d’enfants vivant dans des pays en
développement souffrent de problèmes de croissance et de santé
en raison d’une mauvaise alimentation dans leur petite enfance,
a fait savoir mercredi l’Unicef. En Asie, le pourcentage
d’enfants souffrant d’un retard de croissance est cependant
tombé de 44% en 1990, à 30% l’an dernier et en Afrique, il est
passé de 38 à 34% pour la même période, indique un rapport de
l’Unicef. Alors que la malnutrition touche 1 milliard de
personnes dans le monde, personne n’attend grand-chose d’autre
de ce sommet que de fortes paroles et des constats tragiques.
Aucun représentant du G8 n’est présent à cette réunion, à
l’exception de Silvio Berlusconi, qui échappe ainsi à la
réouverture d’un procès prévue le même jour à Milan.
Snobé par les dirigeants du G8, le sommet de la FAO,
l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et
l’agriculture, voudrait bien relever le challenge de
l’éradication de la faim dans le monde, oui. Mais, vraiment
quand? Dans un délai inconnu? Les chiffres à eux seuls sont bien
éloquents quant à la tragédie silencieuse qui se déroule sur
notre planète Terre. «Aujourd’hui, plus de 17.000 enfants
vont mourir de faim. Un toutes les cinq secondes. Six millions
par an. Ceci n’est pas acceptable. Nous devons agir.» Dès
l’ouverture du sommet de la FAO, le secrétaire général de l’ONU,
Ban Ki-moon, a voulu frapper les esprits en égrenant un chapelet
de chiffres dramatiques. Selon lui, il faudra accroître la
production alimentaire de 70% pour nourrir plus de 9 milliards
d’humains en 2050. «Il nous faut effectuer des changements
significatifs pour pouvoir nous nourrir et en particulier
protéger les plus pauvres et les plus vulnérables», a ajouté
Ban Ki-moon. C’est dans ce but que les chefs d’Etat et de
gouvernement (sauf ceux du G8) étaient réunis, hier, à Rome.
Dans une déclaration finale, ils se sont engagés à «éradiquer
la faim dans le monde», mais la date butoir pour y parvenir,
2025, a été supprimée du projet initial. Seul objectif daté: «Réduire
de moitié le pourcentage et le nombre de personnes souffrant de
la faim et de la malnutrition d’ici à 2015.»
Les pays membres de la FAO avaient déjà réitéré cet objectif du
Millénaire en juin 2008. Depuis, le nombre de personnes
souffrant de la faim est passé de 850 millions à 1,02 milliard.
Aucun chiffre ne figure non plus sur les investissements
nécessaires pour accroître la production agricole, notamment pas
les 44 milliards de dollars annuels pour l’agriculture, jugés
nécessaires par le directeur général de la FAO, Jacques Diouf.
La déclaration finale prévoit seulement «d’inverser la
tendance à la diminution des financements nationaux et
internationaux consacrés à l’agriculture, à la sécurité
alimentaire et au développement rural des pays en développement».
Devant le siège de la FAO, des militants d’ONG altermondialistes
avaient dressé une tente pour protester contre les
multinationales qui «utilisent la nourriture comme moyen de
spéculation». De son côté, Oxfam France a relevé que «sans
financement, il n’y a aucun espoir de nourrir un milliard de
personnes souffrant de la faim».(1)
La faim touche tous les continents à des degrés divers, même
dans lesdits développés la fracture est importante. Aux
Etats-Unis, près de 15% des foyers américains, soit 17 millions
d’entre eux et trois millions de plus que l’année précédente,
ont eu du mal à remplir leurs assiettes à un moment donné en
2008, faute d’argent, indique un rapport gouvernemental publié
lundi 17 novembre 2009. C’est un record depuis 1995, quand le
ministère de l’Agriculture a commencé à mesurer «l’insécurité
alimentaire», c’est-à-dire l’incapacité des foyers à assurer
toute l’année à tous leurs membres une alimentation suffisante
pour mener une vie saine.
Pendant ce temps, le lobby des armes est plus florissant que
jamais. Le budget militaire du Pentagone est égal à deux fois le
budget de toutes les autres nations. Même les pays arabes ne
sont pas en reste, ils s’arment jusqu’aux dents pour un
hypothétique adversaire extérieur à la Oumma, mais bien réel
quand il s’agit de se menacer mutuellement. Nous l’avons vu hier
à la télé égyptienne avec les rodomontades du zaïm qui menace
ceux qui attentent à la dignité des Egyptiens - visant
l’Algérie- et qui menace plus directement l’Iran se voulant et
s’intronisant le défenseur du Monde arabe. Aujourd’hui, il
reçoit Shimon Peres pour parler avec lui, on l’aura compris, de
paix. Il y a bien longtemps que le zaïm a mis un genou à terre
concernant Israël. Il est vrai que cela lui permet de drainer
une aumône de 3 milliards de dollars des Américains qui lui
permet de calmer temporairement les émeutes de la faim autrement
que par sa police.
Rouler ou conduire,
il faut choisir
Pour rappel. Au printemps 2008, des «émeutes de la faim»
secouaient 35 pays à travers le monde... Une crise qui n’avait
rien de conjoncturelle et dont la menace reste en embuscade dans
un monde en proie aux crises financières, économiques et
climatiques. Avril 2008, l’Egypte, le Maroc, l’Indonésie, les
Philippines, Haïti, le Burkina Faso, la Mauritanie connaissent
des manifestations populaires d’une rare violence. En un an, le
prix des denrées alimentaires a en effet connu des hausses
vertigineuses, 42% pour les céréales, 80% pour les produits
laitiers, selon la FAO. Une flambée des prix de 40% en moyenne
pour le blé, le maïs et le riz, ce dernier ayant atteint 1000$
la T, un record! Dans le même temps, le soja, le colza et
l’huile de palme, tous produits de base essentiels dans le
Tiers-Monde, subissaient les mêmes envolées...En résumé, une
situation catastrophique pour les plus pauvres, ceux-ci
consacrant quelque 70% de leurs revenus par foyer à
l’alimentation contre 15% dans les pays industrialisés...Louis
Michel, commissaire européen au Développement et à l’Aide
humanitaire, n’hésitait pas alors à évoquer un possible «tsunami»
alimentaire.(2)
En Amazonie par exemple, où se pose avec acuité non seulement la
question de la préservation d’une biodiversité déjà très
menacée, mais plus encore celle des effets de la déforestation
et de l’extension du désert agricole sur le changement
climatique global...Surtout quand l’on tient compte de la place
qu’occupent les grandes forêts tropicales dans le régime des
pluies et de leur rôle essentiel comme puits de carbone. Les
grandes forêts sont en effet les poumons verts de la planète,
produisant l’oxygène que nous respirons et absorbant le CO2 que
nos activités et nos transports produisent aujourd’hui en excès.
Cependant, les agrocarburants qui détournent d’immenses surfaces
agricoles de leur vocation alimentaire - resterait d’ailleurs à
savoir si la transformation de céréales en carburant est quelque
chose de vraiment rationnel, voire de moral - ne sont que l’un
des aspects d’une crise aux visages multiples.
Les agrocarburants représentent une production de 40 millions de
tonnes annuels dont 4 millions de biodiesel et 36 d’éthanol, à
comparer aux 2 milliards de tonnes de pétrole consommés chaque
année par les transports routiers. On voit que l’impact en tant
que carburant est négligeable (2%). Par contre, la catastrophe
humanitaire se compte en millions de vies humaines(2)
On apprend au passage que ce sommet a vu la première dame
d’Iran, l’épouse du président iranien Mahmoud Ahmadinejad, Azam
al-Sadat Farahi, qui s’exprime rarement en public, se rendre
hier au forum des épouses des chefs d’Etat, avant l’ouverture,
lundi pour trois jours, du sommet mondial sur la sécurité
alimentaire. Elle s’est exprimée parmi les épouses des quelque
60 chefs d’Etat qui doivent participer au sommet, a déclaré un
porte-parole de la FAO, Christopher Matthews. L’agence de presse
italienne Ansa précise qu’elle a décrit l’Iran comme un exemple
de la lutte contre la faim, expliquant que le système iranien,
suivant les enseignements religieux, garantissait la sécurité
alimentaire pour l’ensemble des familles iraniennes. Azam
al-Sadat Farahi a également dénoncé, à l’occasion de ce forum
présidé par Suzanne Moubarak, l’épouse du président égyptien
Hosni Moubarak le sort des enfants souffrant de faim dans la
Bande de Ghaza.
Pour Jacques Diouf, directeur général de la FAO, «le combat
contre la faim peut être remporté». Aucun nouvel engagement
chiffré ne figure dans le projet de déclaration finale d’une
quarantaine d’articles, notamment pas les 44 milliards de
dollars annuels pour l’agriculture, jugés nécessaires par la
FAO. Les auteurs de la déclaration se contentent de saluer la
promesse des membres du G8 à l’Aquila en juillet dernier de
mobiliser 20 milliards de dollars sur trois ans contre la faim,
et de demander que «ces engagements soient honorés». Pour
sensibiliser l’opinion, Jacques Diouf a lancé une pétition en
ligne et appelé à une grève de la faim de 24 heures. Lui-même
affirme avoir jeûné «par solidarité», de même que le
secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon Même le pape Benoît XVI
a dénoncé cet apartheid alimentaire La Communauté internationale
affronte, au cours de ces dernières années, une grave crise
économique et financière. Les statistiques témoignent de la
croissance dramatique du nombre de ceux qui souffrent de la
faim, à laquelle concourent l’augmentation des prix des produits
alimentaires, la diminution des ressources économiques des
populations plus pauvres, l’accès limité au marché et à la
nourriture. (...) Dans l’Encyclique Caritas in Veritate, j’ai
observé que «la faim ne dépend pas tant d’une carence de
ressources matérielles, que d’une carence de ressources
sociales, la plus importante d’entre elles étant de nature
institutionnelle. Il manque en effet une organisation des
institutions économiques qui soit aussi en mesure de bien
garantir un accès régulier et adapté (...) à la nourriture et à
l’eau, que de faire face aux nécessités liées aux besoins
primaires et aux urgences des véritables crises alimentaires
(...)». Et j’ai ajouté: «Le problème de l’insécurité
alimentaire doit être affronté dans une perspective à long
terme, en éliminant les causes structurelles qui en sont à
l’origine et en promouvant le développement agricole des pays
les plus pauvres à travers des investissements en
infrastructures rurales, en système d’irrigation, de transport,
d’organisation des marchés, en formation et en diffusion des
techniques agricoles appropriées»(3).
«Toutefois, poursuit-il, même si la solidarité animée par
l’amour dépasse la justice, parce qu’aimer c’est donner, offrir
du "mien" à l’autre, elle n’existe jamais sans la justice, qui
pousse à donner à l’autre ce qui est "sien" et qui lui revient
en raison de son être et de son agir. Je ne peux pas, en effet,
"donner" à l’autre du "mien" sans lui avoir donné tout d’abord
ce qui lui revient selon la justice. Si on vise l’élimination de
la faim, l’action internationale est appelée non seulement à
favoriser une croissance économique équilibrée et durable ainsi
que la stabilité politique, mais aussi à rechercher de nouveaux
paramètres - nécessairement éthiques et ensuite juridiques et
paritaires entre les pays qui se trouvent à un degré différent
de développement».(3)
«La faim n’est pas une calamité naturelle», souligne
M.Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations unies pour
le droit à l’alimentation. Elle est essentiellement le fruit de
choix politiques inadaptés. Ce constat apparaît, à la fois,
terrible et salutaire. Terrible par son ampleur: un milliard de
personnes seraient sous-alimentées en 2009 selon l’Organisation
des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO);
deux milliards d’individus seraient atteints de malnutrition;
neuf millions en mourraient chaque année. Salutaire parce qu’on
pourrait éviter la crise alimentaire en effectuant d’autres
choix de société. Les solutions de rechange, techniquement
réalistes et efficaces, constitutives d’un autre modèle de
développement, ne manquent pas. Cependant, leur identification
suppose celle des causes du marasme.(4)
Et demain ?
La terre peut-elle nourrir les 6,7 milliards actuels et les 9
milliards en 2050? Il existe actuellement un petit groupe de
personnes qui disposent d’un tel pouvoir qu’elles agissent sans
tenir compte de l’existence des autres habitants de notre
planète. (...) Depuis près de quarante ans, c’est-à-dire depuis
les années soixante du siècle dernier, le monde globalisé a
perdu sa capacité naturelle de réparer les dommages écologiques
dérivés de la croissante activité humaine. Pour être plus
clairs, disons qu’il lui est devenu impossible de se nettoyer et
de se régénérer lui-même en raison du volume énorme de déchets
liquides, gazeux et solides déversés par l’homme dans les mers,
dans les rivières, dans l’atmosphère et sur les sols. Quelles en
sont les conséquences? Le réchauffement atmosphérique, la perte
de sources d’eau potable, la disparition d’espèces, la
destruction de la couche d’ozone, l’élévation du niveau des mers
et des océans et l’augmentation de sa température. Les désastres
naturels voient augmenter leur fréquence. L’humanité a-t-elle
conscience de ce qui se passe?
Malheureusement, tout le monde ne s’en alarme pas autant. Un
nouveau rendez-vous est prévu pour le mois de décembre, à
Copenhague, avec le même objectif de tenter de freiner la
destruction de l’environnement, mais la Maison-Blanche ne donne
pas le moindre signe qui puisse laisser penser que le plus gros
contaminateur se dispose à assumer sérieusement sa
responsabilité afin de préserver le futur de l’humanité. La
terre se meurt.(5) Doit-on en conclure que le problème de la
faim est une question de volonté politique et de justice
mondiale? Quand les roitelets du Golfe dépensent des milliards
de dollars dans des palais ou dans des dépenses de prestige,
quand le marché de la publicité aux Etats-Unis est de 300
milliards de dollars, quand le marché des marchands de canon que
sont devenus les Etats est de 1200 milliards de dollars alors
qu’avec 25 fois moins on peut éradiquer la faim, il y a
assurément quelque chose de pourri dans le royaume Terre!
1.Le monde dans les engrenages de la faim
Mardi http://french.irib 17 novembre 2009
2.Le spectre de la crise alimentaire barmya@orange.fr Dimanche
15 novembre 2009
3.Discours de Benoît XVI au sommet mondial sur la sécurité
alimentaire 16.11.2009
4.Stéphane Parmentier:Et soudain resurgit la faim Le monde
Diplomatique novembre 2009
5.La terre se meurt: Agence Cubaine de Nouvelles 10.11.2009
Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale
polytechnique, Ecole d´ingénieurs Toulouse
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Publié le 23 novembre 2009 avec l'aimable autorisation de l'Expression
Les textes du Pr Chems Eddine Chitour
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