|
L'EXPRESSIONDZ.COM
ÉLECTION À LA TÊTE DE L'UNESCO
Farouk Hosni a-t-il le magistère
moral ?
Pr Chems Eddine Chitour
Farouk Hosni
Mardi 22 septembre 2009
[...] Il faut que l’Égypte redevienne belle comme elle
l’était et qu’elle cesse d’imiter les Arabes qui considéraient,
à une certaine époque, l’Égypte comme une partie de l’Europe.»
Mi-septembre, l’Unesco attend son nouveau directeur général.
Plusieurs candidats sont en lice, mais il y a un favori, en
l’occurrence, un candidat controversé pour des raisons diverses
et pour une fois les inconditionnels d’Israël comme BHL, et
Claude Lanzmann sont sur la même longueur d’onde que les
intellectuels arabes surtout égyptiens...Un battage médiatique
sans précédent a été organisé pour barrer la route à Farouk
Hosni. J’ai même vu sur la chaîne France 24, Claude Lanzmann,
encore lui, et Elisabeth Chemla, que nous connaissons aussi en
Algérie descendre en flammes le candidat malgré les
interventions équilibrées de Charles Saint-Prot. Cela m’a
interpellé et j’avoue que j’avais un sentiment de colère contre
cet acharnement qui veut qu’en toute chose, l’imprimatur doit
être donnée par Israël, j’ai donc cherché à le défendre et j’ai
déchanté.
Qui est Farouk Hosni? Diplômé de la faculté des beaux-arts
d’Alexandrie en 1964. En 1971, il est attaché culturel à
l’ambassade d’Égypte à Paris et directeur du Centre culturel
égyptien dans la capitale française. Il travaille également pour
le compte des services de sécurité égyptiens, en établissant des
rapports sur les étudiants égyptiens installés à Paris, comme
l’a révélé le professeur de droit international Yahya el-Gamal,
ancien ministre et attaché culturel à Paris, dans ses mémoires
intitulés Ordinary Life Story(1)
Que lui est-il reproché? Farouk Hosni est soutenu par la France
pour sa candidature à la tête de l’Unesco. Il part favori.
Interpellé l’an dernier au Parlement égyptien par les Frères
musulmans, Hosni, 71 ans, déclare qu’il brûlerait lui-même les
livres écrits en hébreu s’il en trouvait dans les bibliothèques
égyptiennes. En 1997, il affirme: «Les juifs volent notre
histoire et notre civilisation; ils n’ont pas eux-mêmes de
civilisation; ils n’ont pas de pays et ne méritent pas d’en
avoir. Dans les colonnes du Monde, en mai dernier, Hosni tente
de balayer les accusations d’antisémitisme pour se présenter
comme le candidat passerelle entre Nord et Sud: "Au moment où il
faut se mobiliser contre les forces de la régression et de
l’enfermement communautaire, partout à l’oeuvre, le choix d’un
Arabe, d’un musulman, d’un Égyptien serait, au-delà de ma
personne, un formidable message de paix." Un argumentaire qui ne
convainc pas BHL. Le philosophe considère que cela n’équivaut
pas à des excuses. Bernard-Henri Lévy avance même que le
plaidoyer de Hosni était en partie rédigé par Henri Guaino,
conseiller spécial de Nicolas Sarkozy et chef de mission de
l’Union pour la Méditerranée, coprésidée par la France et
l’Égypte...»(2)
«La grandeur de l’Egypte»
Le soutien militant de la France est tellement puissant qu’outre
«les réseaux», Henri Guaino, la plume du président de la
République, aurait sinon rédigé lui-même, tout au moins «lu
avant publication», la réponse de Farouk Hosni, dans une
tribune du Monde en mai dernier. Le moins que l’on puisse dire
est que Farouk Hosni n’a aucune caution des intellectuels
arabes. Abbas Beydoun écrit dans As Safir: Alors que la presse
égyptienne nationaliste et officielle fait campagne en faveur de
la candidature du ministre de la Culture, les intellectuels
égyptiens se montrent beaucoup plus réservés à l’égard de ce
représentant fidèle d’un régime plutôt décrié. Ceux qui ont lu
la page entière consacrée à Farouk Hosni dans le quotidien
cairote Al Ahram auront compris que la «grandeur de l’Egypte»
est mobilisée derrière sa candidature au poste de Directeur
général de l’Unesco, comme elle avait été mobilisé derrière
Boutros Boutros-Ghali (ancien secrétaire général de l’ONU),
Mohamed El Baradei (chef de l’Aiea) et Ahmed Zeweil (prix Nobel
de chimie). La grandeur de l’Egypte, le prestige de l’Egypte, le
rôle régional de l’Egypte, c’est tout cela qui est en jeu. Une
question de patriotisme. Pourtant, les intellectuels égyptiens
ne semblent pas déborder d’enthousiasme. Ils ne se retrouvent
pas dans ce combat. Même l’hostilité de certains amis d’Israël
tels que Bernard Henri-Lévy ne suffit pas à leur faire serrer
les rangs derrière le candidat. Prenons les islamistes. Ils sont
toujours prompts à dénoncer les pro-israéliens, mais leur
aversion pour Hosni l’emporte sur l’aversion pour les amis
d’Israël. J’en conclus que les intellectuels, au-delà de leurs
différences, n’adhèrent pas à son bilan de ministre de la
Culture (poste qu’il occupe depuis vingt-deux ans). (...) Mais
la presse nationaliste égyptienne et arabe, Al Ahram et les
autres, continue de mener la bataille, les thuriféraires vantant
ses succès en tant que ministre. L’enjeu essentiel, toutefois,
c’est la grandeur de l’Egypte. (3)
Au départ, il était peintre. Un peintre formé à Paris. Le nommer
au ministère de la Culture était une bonne idée, d’une
intelligence rare chez les gouvernants arabes. (...) La charge
de son travail de ministre ne lui a pas laissé le temps
d’évoluer, mais il a continué à peindre, à exposer et à vendre.
A des prix astronomiques. Il a vendu des toiles pour plus de
100.000 dollars, voire 150.000 mille, alors que feu le grand
peintre Hassan Suleiman se contentait de quelques miettes. (..)
L’Unesco nous intéresse en tant que telle. Un de ses rôles est
de protéger la culture des peuples du monde entier, pas
seulement celle de l’Occident. D’après ce qu’on peut conclure de
l’article du dernier numéro du Monde diplomatique,
l’organisation n’a pas fait ce qu’elle aurait dû faire sous la
présidence actuelle de Koichiro Matsuura. Celui-ci aurait réduit
les moyens financiers alloués à cette fin et attribué des postes
à des Japonais et des Européens, dont certains sont entachés
d’une réputation de racisme. L’Unesco est plongée dans un chaos
total - débâcle administrative et corruption. Farouk Hosni
est-il la personne idoine pour la sortir de cette impasse? Y
a-t-il quelque chose dans son parcours qui le désigne comme le
sauveur que tout le monde attend? (...) Demandons-nous si, face
à l’étranger, nous devons soutenir n’importe quel Arabe et
n’importe quel Egyptien. Suffit-il d’être Arabe ou Egyptien pour
faire la gloire des Arabes ou de l’Egypte? Regardons plutôt ses
méthodes, sa qualification et ce qu’il risque de faire de son
poste. Quelle est l’impression qu’il laissera - de lui-même,
mais aussi de nous tous?(3)
Abdelwahab al-Effendi, un intellectuel soudanais, est encore
plus sévère. Ecoutons le: «Il y a une grande différence entre
demander pardon par un sursaut moral et demander pardon pour
gagner les bonnes grâces de quelqu’un. Dans le premier cas, cela
s’appelle faire amende honorable; dans le second, c’est de
l’hypocrisie. Les excuses du ministre de la Culture égyptien,
Farouk Hosni, publiées le 27 mai dans le quotidien français Le
Monde, pour ses déclarations d’il y a un an affirmant qu’il
était prêt à brûler tous les livres hébreux dans les
bibliothèques de son pays, relèvent de la seconde catégorie.
Comme il est convaincu qu’Israël a des relais partout, il pense
que les courbettes constituent le plus sûr moyen d’accéder au
poste de secrétaire général de l’Unesco.»(4)
«Pour commencer, il faut souligner que ses déclarations
méritaient effectivement des excuses: elles relevaient d’une
bêtise sans bornes. Un livre est source de savoir, quelle que
soit sa langue et d’où qu’il vienne; seuls les ignorants peuvent
le nier. (...) Voilà le coeur du problème: dans une dictature,
le rôle d’un ministre de la Culture n’est pas de protéger la
culture, mais de l’étouffer afin de protéger le régime. De ce
point de vue, Farouk Hosni a fait des merveilles. C’est un
virtuose de l’obéissance et de la flagornerie, qui a su
domestiquer la culture et la mettre au service du pouvoir. Cela
lui a valu d’être maintenu à son poste pendant près de vingt
ans, malgré les critiques et l’amertume des intellectuels et
artistes égyptiens. Le milieu dans lequel il souhaite entrer
aujourd’hui ne ressemble en rien à celui auquel il est habitué.
Jusqu’à présent, il pouvait écraser sous sa botte tout ce qui
avait un rapport avec la culture et les intellectuels, alors
qu’au poste qu’il convoite, la règle est de les respecter. Car
ceux qui occupent le pouvoir dans le monde arabe ne se rendent
pas compte qu’en se faisant les "alliés" des Occidentaux,
c’est-à-dire en faisant le sale boulot de répression et de
torture à leur place, ils ne gagnent en rien le droit de
s’asseoir à la même table qu’eux, ni de leur parler d’égal à
égal. Il n’est pas pensable que l’Unesco se donne un secrétaire
général qui soit originaire d’un pays où l’on élimine les
opposants par des procès manipulés et des actes d’accusation
fantaisistes.»
Rejeté par les artistes
«La volonté de Farouk Hosni d’accéder au sommet de l’Unesco
ne se heurte pas seulement à sa manière répréhensible de traiter
la culture dans son pays, mais également à sa pratique du
pouvoir. Il a en effet géré son ministère comme un fief
personnel, donnant prise à des accusations de confusion entre
l’intérêt public et ses intérêts privés. En tout état de cause,
il ne faut pas considérer Farouk Hosni comme le candidat des
Egyptiens et encore moins comme celui des Arabes. Il est rejeté
par la plupart des artistes égyptiens. Tout au plus peut-il être
considéré comme le candidat de l’Egypte officielle, de cette
Egypte qui expulse les militants européens exprimant leur
solidarité avec les habitants de la bande de Ghaza, cette prison
gardée par Israël d’un côté, par l’Egypte de l’autre. Cette
Egypte-là n’a rien à voir avec l’humanisme; elle ne représente
en aucun cas les Arabes. Si Farouk Hosni devait être nommé à ce
poste, ce qui est fort peu probable, cela ne servirait en rien
les Arabes. Au contraire, il risquerait de devenir une source
d’embarras. La dernière chose dont les Arabes ont besoin, ce
serait que leur réputation, déjà en lambeaux chez eux, subisse
un nouveau déshonneur à l’extérieur.»(4)
Bernard-Henry Lévy, encore lui, se bat jusqu’au bout dans tous
les journaux. Il écrit: «(...) Et cet incendiaire de livres
et d’âmes s’étant lancé, depuis cette date, dans une campagne
électorale dont la frénésie n’a d’égale que l’habileté à
désinformer.(...) Farouk Hosni est égyptien et on fâcherait, en
le récusant, ce grand pays qu’est l’Égypte. On atteint là les
sommets de la mauvaise foi. Car s’il est exact que l’homme est
soutenu par l’autocrate dont il chante servilement la gloire
depuis des décennies, il ne l’est évidemment pas par l’autre
Égypte, la seule qui compte en la circonstance, puisque c’est
celle des créateurs et des artistes. (..)Va-t-on confier les
rênes de l’agence culturelle mondiale à un homme qui, lorsqu’il
entend le mot culture, sort ses ciseaux ou son briquet? Et puis
va-t-on, sous prétexte qu’il représenterait "le Sud" ou "le
Monde arabe", donner le "comité du patrimoine mondial" à un
responsable qui, lorsqu’il avait la charge de son patrimoine
national, a vu trois de ses collaborateurs directs, plus un
ancien chef de cabinet, lourdement condamnés pour avoir trempé
dans un trafic de trésors archéologiques égyptiens? (...) Alors,
sans doute est-il déjà tard. Peut-être eût-il fallu que le Maroc
maintienne la candidature d’Aziza Bennani, le Brésil celle de
Gilberto Gil, ou que le juriste algérien Mohamed Bedjaoui soit
soutenu par son pays.»(5)
Si Monsieur Hosni passe, c’est qu’il n’y a plus de morale dans
ce bas monde, tout est une question de rapports de force. Quand
bien même nous serions pour une fois du même côté d’un
islamophobe tel que BHL, la raison, les intellectuels arabes
qui, naturellement, n’ont pas le droit au chapitre, le
méprisent. On peut donc s’occuper de la culture en faisant
allégeance à des tyrans au nom de la réalpolitik. Il semble que
les négociations entre Moubarak et Netanyahu ont porté sur cela.
Comment se fait-il qu’indépendamment des pays occidentaux
solidaires d’Israël, donc de l’Egypte, aucun pays qui vote pour
ce poste n’ait eu un sursaut de dignité? Est-ce normal et sans
être naïf, que Bernard-Henry Lévy fasse l’apologie de Mohamed
Bedjaoui à notre lieu et place?
Doit-on ad vitam aeternam subir l’Egypte des tyrans qui n’a rien
à voir avec l’Egypte des intellectuels du peuple de l’histoire?
Cette Egypte se croit autorisée à parler au nom des Arabes, de
tous les Arabes. Que l’on se rende compte: le poste de SG de la
Ligue arabe est une propriété privée de l’Egypte au point que
tous les anciens ministres des Affaires étrangères atterrissent
à ce poste. Nous l’avons vu avec la reculade de l’Algérie quand
la Ligue arabe s’était réunie à Alger, il y a quatre ans. Nous
l’avons vu avec la présidence de l’Union pour la Méditerranée
qui a été attribuée, on ne sait sur quel critère, à l’Egypte. En
fait, la politique de l’Egypte officielle consiste à faire de
l’à-plat-ventrisme vis-à-vis des pays occidentaux pour mieux
faire les matamores vis-à-vis des autres pays arabes. Le Premier
ministre d’Israël, Benyamin Netanyahu, aurait négocié avec le
président Moubarak la levée du veto israélien contre cette
candidature. En échange, Le Caire devrait s’attaquer au trafic
d’armes à destination de Ghaza, affirme Al Quds Al Arabi. C’est
tout dire...
Pour toutes ces raisons, la nomination de Farouk Hosni est une
double erreur à double titre: au titre du tyran qu’il sert
depuis 22 ans en verrouillant la culture et à titre personnel il
n’apporte rien. Un homme «de culture» qui parle de brûler
des livres, c’est-à-dire le savoir, combien même ce seraient des
livres israéliens, n’est pas digne de s’occuper de la culture.
Pauvres Arabes! L’Egypte se considère héritière des pharaons
quand ça l’arrange et nie de ce fait tout lien culturel avec le
monde arabe mais quand il s’agit de le diriger, personne ne doit
passer avant elle. Elle se veut le seul interlocuteur de
l’Occident, tout ce qui concerne les Arabes doit passer par
elle. Cette tyrannie est insupportable car elle n’est justifiée
sur aucun plan dans le domaine de la science, des lettres.
Toutes les universités arabes sont dans un mouchoir de poche,
dans les 500 dernières universités sur 9000. Du point de vue
économie, il n’y a aucun exemple à suivre. D’où vient alors
cette réputation surfaite? Peut-être dans le charisme du grand
homme que fut Nasser et qui avait à sa façon une vision pour le
monde arabe au même titre que Fayçal et Boumediene.
En définitive, Farouk Hosni n’a pas, le croyons-nous, le
magistère moral pour conduire l’éducation et la culture à
l’échelle mondiale déjà bien perturbée par la mondialisation qui
a fait d’avoir un produit marchand et qui ne s’est pas
particulièrement illustré sous la direction de Koïchiro Matsuura
moins de croire au miracle et pourquoi, monsieur Hosni pourrait
alors donner la pleine mesure de son talent maintenant qu’il est
libre de ne pas penser uniquement du prisme réducteur du Raîs. Pr Chems Eddine CHITOUR,
Ecole nationale polytechnique
1.selon Al-Arham:
http://weekly.ahram.org.eg/2004/678/bo41.htm
2.Beatrice Parrino: Farouk Hosni, l’embarrassant candidat
égyptien. Le Point.fr 17/09/2009
3.Abbas Beydoun. Farouk Hosni: Pour le meilleur ou pour le pire?
As-Safir 18.09.2009???
4.Abdelwahab al-Effendi. N’élisez pas Farouk Hosni à l’Uneso.
Al-Quds Al-Arabi 29.05.2009?
5.B.-H. Lévy: «Ne laissons pas l’Unesco à un flic de la culture»
Le Point. 17/09/2009 N°1930
Droits de reproduction et de diffusion
réservés © L'Expression
Publié le 22 septembre 2009 avec l'aimable autorisation de l'Expression
|