Opinion
Le chemin de Damas des pays occidentaux
à Lough Erne :
Un sursis pour le peuple syrien
Chems
Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Samedi 22 juin 2013
«Si chacun
balayait devant sa porte, comme la ville
serait propre!»
Proverbe russe
Lundi 17 juin les huit, pays les plus
industrialisés se sont retrouvés pour un
sommet en Irlande. L'unanimisme de
façade du G8 sur le fléau de l'invasion
fiscale que le néolibéralisme tente
d'endiguer dans ses excès, a volé en
éclats quand il s'est agi de la Syrie.
Le voeu des vassaux d'imposer un espace
interdit à l'aviation de la Syrie comme
aux plus beaux jours de l'aventure BHL-sarkozienne
qui a abouti à l'assassinat d'El
Gueddafi.
Le
problème de l'évasion fiscale
On nous dit que Les dirigeants des
grandes puissances du G8 se sont
séparés, mardi 18 juin, au terme de deux
jours de sommet en affichant un front
uni pour ´´combattre le fléau de
l'évasion fiscale´´ qui n'a néanmoins
pas masqué leurs désaccords profonds sur
le conflit syrien. (...) États-Unis,
Russie, Japon, France, Allemagne,
Italie, Royaume-Uni et Canada se sont
engagés à mettre en place un échange
automatique d'informations, dans une
déclaration commune rendue publique
mardi. La ´´déclaration de Lough Erne´´,
doit faire en sorte que ´´ceux qui
veulent échapper à l'impôt n'aient nul
part où aller´´, a conclu le Premier
ministre britannique, David Cameron. Le
G8 s'attaque donc aux sociétés-écrans et
aux placements offshores par la
nécessité de ´´savoir qui les détient
vraiment´´ tout en exigeant que ´´les
administrations fiscales et les
autorités chargées de faire respecter la
loi soient en mesure d'obtenir ces
informations facilement´´. Pour ce
faire, ´´les Etats doivent modifier les
réglementations qui permettent aux
entreprises de transférer leurs
bénéfices d'un pays à l'autre pour
échapper à l'impôt´´. (...) Enfin, le G8
a promis de nouvelles normes pour éviter
que les multinationales comme Google,
Apple, Starbucks ou Amazon échappent à
l'impôt par le biais de mécanismes
sophistiqués d'optimisation fiscale.»(1)
Comment faire? Le G8 a la solution. Dans
ce domaine nous dit-on «les dirigeants
ont pour ambition commune d'imposer
l'échange automatique de données
bancaires et fiscales entre pays, sur
tous les contribuables. Et ce, jusque
dans les paradis fiscaux et les pays à
secret bancaire de tradition, où ces
derniers pourraient dissimuler des
avoirs. Les membres du G8 étant tous
d'accord pour aller vers l'échange
automatique, de la Russie au Japon, il
s'agit d'amorcer une dynamique d'ici le
G20 de septembre à Saint-Pétersbourg.
(2)
Le «Chemin
de Damas» des puissants du G7
L'autre sujet qui a focalisé l'attention
est la plaie sanguinolente du peuple
syrien victime d'un conflit qui le
dépasse. Celui d'un redécoupage du monde
comme au bon vieux temps de Sykes-Picot
il y a de cela un siècle. Pourtant, le
verdict d'une solution à la libyenne
avec lynchage à la clé ne fut pas
retenu. A bien des égards la
«conversion» à la solution de la paix
concernant le conflit syrien des pays
européens au premier rang desquels se
trouvent les boutefeux anglais et
français, s'apparente à celle de Paul
sur le chemin de Damas.
Le Père Marchadour, bibliste, nous
rappelle les circonstances du revirement
de Paul: «Paul est un jeune homme d'à
peu près 35 ans. Né dans la diaspora, il
a vécu dans un environnement culturel
hellénistique, tout en étant fortement
protégé dans son identité juive. (...)
Saül a été formé pour pratiquer et faire
respecter la tradition pharisienne, en
particulier dans toutes les exigences de
la Loi. C'est son zèle pour la Torah qui
explique son hostilité contre les
disciples de Jésus. et la
´´persécution´´ qu'il mène contre
l'Église. Quel genre d'intervention
musclée pouvait-il se permettre alors
que Rome avait le monopole des
arrestations, des incarcérations et des
exécutions? À moins que ce soit un genre
de lynchage populaire, commis hors
légalité, comme ce fut le cas pour
Étienne (...) Et voici que son combat,
qu'il croit sincèrement conforme au
projet de son Dieu, est remis en
question radicalement à la suite de
l'irruption de Jésus dans sa vie, à la
fois fracassante et discrète. (...)
L'homme, plein de certitudes sur son
Dieu, se fait renverser sur le chemin de
Damas. ´´Saül, Saül, pourquoi me
persécutes-tu? Je suis Jésus que tu
persécutes.´´ (3)
Souvenons-nous, il s'agissait
-maintenant que la ligne rouge était
franchie pour Bachar El Assad accusé
avoir utilisé du gaz sarin avec des
preuves ramenées par des journalistes du
Monde et par la CIA- de passer à l'étape
suivante à confier à l'Otan... Comme
l'écrit Manlio Dinucci: «Les «preuves»
ont été fournies par la CIA, la même
qui, il y a dix ans, fournit la
documentation photographique, montrée
par Colin Powell au Conseil de sécurité,
sur la possession par l'Irak de 500
tonnes d'armes chimiques et biologiques
(...) Mais désormais, les jeux étaient
faits: les «preuves» de la Cia avaient
servi à justifier la guerre contre
l'Irak. Peu importe donc si, une fois la
guerre gagnée contre la Syrie, on
découvrait que ce sont les «rebelles»
qui ont utilisé des armes chimiques,
comme a déclaré Carla Del Ponte de la
Commission ONU sur les crimes de guerre.
(...) D'après le jugement sans appel de
Washington, la Syrie a franchi la «ligne
rouge» et le président Obama, à
contrecoeur, a décidé de fournir des
armes aux «rebelles». En dissimulant le
fait, émergé de l'enquête du New York
Times (26 mars), que depuis janvier 2012
la CIA fournit des armes aux «rebelles»,
en les faisant arriver par un pont
aérien en Turquie et Jordanie et en
entraînant là les forces infiltrées en
Syrie. (...) La no-fly zone sera imposée
par les chasseurs étasuniens qui,
décollant de Jordanie et des
porte-avions, pourront détruire avec
leurs missiles les avions et les
défenses anti-aériennes de la Syrie sans
survoler son territoire. La no-fly zone,
donc, «ne requerra pas une résolution du
Conseil de sécurité de l'ONU».(4)
La veille de l'arrivée en Irlande des
membres du G8, la presse main stream
martelait avec zèle sur le fait que le
sommet allait décider de la mise à mort
définitive du peuple syrien par la mise
en place d'une zone d'exclusion aérienne
qui comme chacun sait a été le compte à
rebours en Libye pour le lynchage d'El
Gueddafi. Non seulement il n'y eut pas
de lynchage, mais les vassaux furent
contraints et forcés de faire marche
arrière pour -sauver à défaut du peuple
syrien- le sommet irlandais Que s'est-il
passé? Une phrase permet d'expliquer le
tout. Vladimir Poutine a réussi à
«convaincre» ses partenaires du G8 qu'il
faut raison garder et qu'il faut militer
plus que jamais pour la solution
politique. Le G8 s'est joué à ´´sept
contre un´´ sur le dossier syrien: les
Occidentaux, qui espéraient infléchir la
position de Moscou, se sont heurtés à un
Vladimir Poutine farouchement déterminé
à éviter l'escalade à tout prix.
Signe des tensions persistantes, les
membres du G8 se suffisent du plus petit
dénominateur commun dans leur
déclaration, à savoir trouver ´´une
solution politique à la crise, basée sur
une vision d'une Syrie démocratique´´ et
comprenant toutes les parties au
conflit. La tenue d'une conférence de
paix sur la Syrie, maintes fois
repoussée, qui se fera ´´dès que ce sera
possible´´ mentionne le communiqué.
Ultime revirement: lors de sa rencontre
avec la presse française, François
Hollande déclare: «Nous savons que nous
ne sommes pas d'accord avec Poutine sur,
à la fois, les livraisons d'armes, les
armes chimiques, la question du rapport
au régime syrien. Donc, ce qu'il nous
faut faire, tous les chefs d'Etat et de
gouvernement qui sont ici, c'est d'aller
vers une solution politique à travers la
conférence de Genève, chacun devant
faire pression sur ceux qui sont les
plus proches pour Vladimir Poutine, le
régime syrien, et pour nous,
l'opposition, pour qu'il puisse y avoir
une conférence qui débouche
véritablement sur une solution.´´(5)
La
détermination de Poutine tsar de toutes
les Russies à sauver la paix
«Les membres du G8 se félicitent d'avoir
obtenu l'adhésion du président russe à
un engagement en faveur d'un processus
de paix et d'une transition politique.»
Curieusement, la conférence se félicite
que Poutine veuille bien accepter la
proposition qu'il a lui-même faite
depuis le début... Le journal Le Figaro
relate justement, avec amertume la
reddition du G7 devant la Russie, nous
lisons: «Vladimir Poutine aura
finalement réussi à reléguer à
l'arrière-plan l'option d'armer les
rebelles syriens, qui prévalait
pourtant, la semaine dernière après le
soutien américain à la proposition
franco-britannique. À la place, les
membres du G8 se félicitent d'avoir
obtenu l'adhésion du président russe à
un engagement en faveur d'un processus
de paix et d'une transition politique,
sans autre arrêté de date que «dès que
possible». L'échéance de juillet est
oubliée, des dirigeants évoquent
maintenant août ou septembre ».(6)
« Cette déclaration en sept points met
l'accent sur la convocation de la
conférence dite de Genève 2, prévoit
d'accroître l'aide humanitaire aux
réfugiés, demande la création d'un
gouvernement de transition et condamne
l'usage d'armes chimiques - qui devra,
selon le G8, faire l'objet d'une enquête
internationale sous l'égide de l'ONU.
Elle ne fait en revanche pas référence
au départ d'Assad, tout en lançant un
appel à ses fidèles qui souhaiteraient
déserter. Les leaders du G8 estiment
avoir sauvé la face plutôt que de se
séparer sans accord, et se targuent
d'avoir ramené Poutine à la table des
négociations après plusieurs entretiens
bilatéraux très tendus. François
Hollande a beau jeu, du coup, de
souligner son devoir de continuer à
soutenir l'opposition «par tous moyens,
humanitaires, matériels, politiques».
Mais pas militaires.(...) En retrait par
rapport à ces derniers jours, a plaidé
auprès de François Hollande lors de leur
rencontre bilatérale à la fin du sommet
qu'une intervention militaire n'était
«pas d'actualité».(6)
Autre point marqué par Moscou, Hollande
n'exclut plus la présence des Iraniens à
la conférence de Genève 2. Le G8 a, par
ailleurs, pris acte du poids grandissant
des jihadistes dans la rébellion,
s'inquiétant de «la menace grandissante
du terrorisme et de l'extrémisme en
Syrie et de la nature de plus en plus
intercommunautaire du conflit». Une
formule sur laquelle pourra s'appuyer
Damas, qui n'a de cesse de répéter qu'il
lutte contre des «terroristes». David
Cameron a souligné qu'un gouvernement de
transition devrait être non
confessionnel. (...) Pris au piège de
leurs positions aussi intransigeantes
qu'intenables, les Occidentaux se sont
déjugés: plus de ligne rouge, plus
d'exigence du départ d'Assad, plus
d'absence de l'Iran aux débats Le monde
a changé, il est grand temps de s'en
rendre compte. L'Occident a subi une
humiliation presque sans précédent et il
faudra choisir, soit la solution
politique, soit armer les rebelles, ce
qu'il font déjà, et se préparer à une
guerre mondiale. Dans le communiqué on
lit: «La menace de la livraison d'armes
ne sert plus que de levier pour faire
pression sur Assad en vue d'obtenir la
conférence de Genève, désormais seule
priorité.» Comment peut-on déclarer
cela, une chose pareille alors que Assad
est d'accord pour cette réunion, et que
les seuls qui y sont opposé, c'est
justement les rebelles?» (6)
«Ich bine
ein Berliner» versus «Nous sommes avec
le peuple syrien»
Ces deux phrases, la première prononcée
est célèbre, la deuxième aurait pu être
le bréviaire des chercheurs de paix au
G8. Souvenons-nous le 26 juin 1963, John
Kennedy débarque à Berlin-Ouest. En
pleine Guerre froide, le président
américain prononce ces quatre mots
restés si célèbres: «Ich bin ein
Berliner» qui à l'époque était synonyme
de résilience...
Après le sommet du G8, Obama est parti
en Allemagne. «Comme en écho à ses
prédécesseurs, écrit Patrick Saint Paul,
il a choisi Berlin-Est pour tenter de
marquer l'histoire de son empreinte.
(...) En 1987, le président Ronald
Reagan avait provoqué l'incrédulité en
lançant son appel au numéro un
soviétique: «M.Gorbatchev, abattez ce
Mur. Ouvrez cette porte.» Mercredi,
Obama a appelé à tourner définitivement
la page de la Guerre froide avec une
réduction des arsenaux stratégiques
nucléaires américain et russe.
Cependant, il s'est gardé d'interpeller
directement Vladimir Poutine, évitant
d'user d'une rhétorique à la Reagan,
après l'ambiance glaciale qui a régné
entre lui et le président russe lors du
G8, lundi et mardi en Irlande du Nord.
(...) Cinquante ans presque, jour pour
jour, après le «Ich bin ein Berliner» de
John F. Kennedy, l'actuel président
américain a dit vouloir s'inspirer de
l'esprit de Berlin, dont les habitants
ont pris en main leur destin pour
surmonter des obstacles immenses. «Alors
que nous restons vigilants à propos de
la menace terroriste, nous devons
dépasser l'état d'esprit de guerre
perpétuelle aux États-Unis et cela
implique de redoubler d'efforts pour
fermer la prison de Guantanamo. Cela
implique de contrôler l'utilisation de
nouvelles technologies comme les drones
et de rechercher le bon équilibre entre
la quête de sécurité et la protection de
la sphère privée.» Ajoutant: «Le Mur
appartient à l'Histoire (...),
maintenant, c'est à nous d'écrire
l'Histoire.» (7)
«Nous sommes avec le peuple syrien!»
Cette phrase résume le sacerdoce de
Vladimir Poutine sur la façon élégante
avec laquelle il a résisté au sommet du
G8 à ceux qui voulaient en découdre à
tout prix. La vérité est que Poutine
seul face à sept puissances imbues de la
volonté de l'hyperpuissance a résisté et
a vaincu car sa cause est juste.
L'Occident sait que l'opposition, qui
sans Al Nosra, ne vaut militairement
rien, en plus, elle est en train de
s'effondrer militairement et
politiquement depuis sa dislocation à Al
Quassaïr. De l'autre côté, vous avez une
armée du peuple soudée et unie derrière
son président qui, militairement
grignote du terrain avec des opérations
chirurgicales et avance politiquement
vers Genève avec une délégation, une
vision et un plan. De l'aveu même de
l'Otan, Bachar El Assad bénéficie du
soutien de plus de 70% de la population.
Le conflit latent entre l'Occident et la
Russie héritière de l'Union soviétique,
lors du G8, a vu le renouveau de la
Russie et du tsar Poutine. L'Occident,
sûr de lui, a enterré un peu trop tôt la
Russie et l'âme de résilience des Russes
dont parle si bien Dostoïevski. Qu'il se
souvient de la retraite de Russie et de
la bataille de Stalingrad. On a bien
senti que plus rien ne sera comme avant.
Pourtant , il est inquiétant de
constater comment les pays occidentaux
ont accepté de faire marche arrière.
Cela cache justement quelque chose !
Surtout si l’on sait que les « amis de
la Syrie vont se réunir à Doha sur les
moyens d’aider les combattants de la
liberté et que dans le même temps ces
combattants annoncent qu’ils disposent
d’armes sophistiquées ?
Il est à espérer , cependant, que malgré
toutes les manœuvres, les négociations
de Genève se tiennent et aboutissent à
une solution où l'alternance est
consacrée pour le plus grand bien du
peuple syrien. Amen!
1. Le G8 uni sur l'évasion fiscale mais
divisé sur la Syrie Le Monde.fr avec AFP
18.06.2013
2. L'échange automatique des données
bancaires, une priorité du G8. Le Monde
17.06.2013
3.
http://www.croire.com/Definitions/Bible/
Saint-Paul/Le-retournement-de-Paul-sur-le-chemin-de-Damas
4. Manlio Dinucci
http://www.mondialisation.ca/lart-de-la-guerre-le-lion-impatient-de-mettre-en-pieces-sa-proie/5339616
5.
http://www.lemonde.fr/politique/article/
2013/06/17/syrie-hollande-veut-mettre-la-pression-sur-la-russie_3431520_823448.html
6.
http://www.lefigaro.fr/international/2013/06/18/01003-20130618ARTFIG00669-g8-poutine-resiste-aux-occidentaux-sur-la-syrie.php?m_i=SfVSoIOMcPja8_
oJPMMTuonVCU8FLTzGZvbgRiZFjysu4%2BjSm
7.
http://www.lefigaro.fr/international/2013/06/19/01003-20130619ARTFIG00613-obama-a-berlin-dans-les-pas-de-jfk-et-de
reagan.php?m_i=pMmpSnwuGsmunD1
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Professeur Chems
Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 22 juin
2013 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
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