Opinion
65 ans de deuil,
de sang et de larmes :
Qui se souvient de la Nekba ?
Chems
Eddine Chitour
Lundi 20 mai 2013
«Malheur au monde
à cause des scandales! Il est fatal,
certes, qu'il arrive des scandales, mais
malheur à l'homme par qui le scandale
arrive!»
(Evangile
selon saint Luc)
15 mai 1948, une étape importante dans
la chaîne des malheurs des Palestiniens.
Ce jour-là, des autochtones qui vivaient
là depuis la nuit des temps furent
brutalement considérés par le fer et par
le feu comme des apatrides. Les Nations
unies, par la reconnaissance quelques
jours plus tôt de l'Etat d'Israël,
venaient de livrer du même coup des
hommes, des enfants, des femmes pour
l'immense majorité sans défense, aux
mains d'une organisation terroriste qui
mit en oeuvre une épuration ethnique au
nom de la religion. Il fallait une Terre
pour un peuple sans Terre au nom de la
Bible. Bien plus tard, le président
Yitzhak Rabin l’homme qui a combattu
durement les Palestiniens mais qui
aurait pu faire la paix, s’il n’avait
pas été assassiné, affirmait, à juste
titre, que «la Bible n'était pas un
cadastre!»
Tout est
parti du plan Daleth
En novembre 1947, au moment du vote du
plan de partage, la Palestine mandataire
compte environ 600.000 juifs pour
1.200.000 Arabes. David Ben Gourion a
confié à Yigaël Yadin le soin d'étudier
un plan militaire permettant de préparer
le Yichouv à l'intervention annoncée des
États arabes. Comment bouter les Arabes
du maximum de terres pour l'espace vital
juif? Il s'agit du plan Daleth qui est
mis en application dès le début du mois
d'avril.
Le plan Daleth ou plan D, est le plan
établi par la Haganah en mars 1948
pendant la guerre de Palestine de 1948.
Il fut rédigé par Israël Ber et Moshe
Pasternak, sous la supervision de Yigal
Yadin, chef des opérations de la
Haganah. Ilan Pappé y voit un plan mis
au point par les sionistes pour spolier
les Arabes palestiniens de leur terre en
les chassant de leur terre.» (1)
Dans un article intitulé «Plan Daleth:
Master Plan for the Conquest of
Palestine», Walid Khalidi présente, lui
aussi, le plan comme une ligne de
conduite donnée à la Haganah pour
l'expulsion des villages palestiniens.
Il tire ses conclusions de plusieurs
éléments du contexte liés au sionisme et
à la guerre civile de 1947-1948 en
Palestine mandataire en donnant
l'argumentaire suivant:
1° Les sionistes étaient confrontés à un
problème territorial en tant que
mouvement nationaliste sans territoire
sous son contrôle;
2° Le transfert de la population arabe
hors de Palestine était dans leur esprit
depuis Théodore Herzl. Les sionistes ne
pouvaient accepter de ne posséder qu'une
faible proportion des terres cultivables
dans la partie accordée à l'État juif
par le plan de partition (1.500.000 de
dounams cultivables seulement sur les
7.500.000 cultivables et les 13.000.000
de la surface totale);
3°L'État juif tel que défini par le plan
de partage était peuplé d'autant de
juifs que d'Arabes; les sionistes
étaient conscients de leur puissance
[militaire].
4°La défaite arabe palestinienne ne
pouvait être effective que si les Arabes
étaient «délogés», étant donné que
malgré la «surpuissance» des juifs, les
Arabes étaient in situ; le plan sioniste
devait être implémenté avant le 15 mai
1948, date à laquelle on pouvait
s'attendre à ce que les armées
régulières arabes interviennent pour
respecter le statu quo en Palestine».(2)
«En avril 1948, lit-on sur
l'encyclopédie Wikipédia, la guerre
entre dans une deuxième phase avec le
passage de la Haganah à l'offensive. le
9 avril, des troupes de l'Irgoun et du
Lehi perpètrent un massacre à Deir
Yassin qui a un impact important sur la
population palestinienne. Le 14 mai 1948
à minuit, le mandat britannique sur la
Palestine s'achève officiellement.
L'État d'Israël a été proclamé dans la
journée sur une partie du territoire.
Tandis que l'ONU propose d'autres plans
de partage, les Israéliens lancent de
juillet 1948 à mars 1949 une série
d'opérations militaires entrecoupées de
cessez-le-feu, prenant le contrôle de
toute la Galilée, du sud-ouest de la
Samarie de la majeure partie de la zone
côtière, de l'ouest de la Judée jusqu'au
secteur de Jérusalem, et enfin du
Néguev. Durant la période du 15 mai 1948
à la mi-avril 1949, plus de 350.000
Palestiniens (sur les 750.000 de
l'ensemble de l'exode palestinien)
prennent la route de l'exode, fuyant les
combats ou expulsés des zones contrôlées
ou conquises par Israël.»
La Nekba:
un nettoyage ethnique
Rappelons que la résolution 194 de l'ONU
dispose que «les réfugiés qui désirent
rentrer dans leurs foyers et vivre en
paix avec leurs voisins devraient y être
autorisés le plus vite possible». Tous
les gouvernements israéliens se sont
opposés à l'application du droit au
retour, au nom du caractère juif de
l'Etat. Avant même la fin de la Seconde
Guerre mondiale, les juifs de l'Irgoun
appuyé par le groupe Stern se retournent
contre les Anglais, en réaction contre
l'interdiction de l'immigration des
juifs en Terre d'Israël; le 22 juillet
1946, un attentat terroriste de l'Irgoun
contre l'hôtel King David, centre de
l'administration britannique à
Jérusalem, fait 92 morts. L'Angleterre
ne traite pas de la même façon les
Palestiniens qu'elle a matés et les
Israéliens qui l'attaquent. Selon Henry
Laurens, il n'est pas possible pour eux
d'utiliser contre des Blancs
occidentaux, et de surcroît contre des
juifs après la Shoah, des méthodes
utilisées contre des indigènes. Devant
leur incapacité à concilier les points
de vue arabe et sioniste, face aux coups
reçus et aux trop nombreuses pertes, ils
décident de mettre un terme à leur
mandat et de remettre la «question de la
Palestine» à l'ONU.
Dans son ouvrage courageux «Le Nettoyage
ethnique de la Palestine», l'historien
israélien, Ilan Pappé, professeur à
l'Université de Haïfa, que les sionistes
considèrent comme un «juif honteux»,
démolit le mythe selon lequel les Arabes
auraient attaqué Israël au moment de sa
fondation. En fait, le nettoyage
ethnique de la population palestinienne
(massacres, terreur et expulsions
forcées à grande échelle) était prévu
dès la première heure. Le nettoyage
ethnique commença - de manière un peu
désorganisée - dès les premiers jours de
décembre 1947, quelques jours à peine
après le vote de l'ONU et trois mois
avant l'adoption du plan Daleth. Quant
aux méthodes utilisées par les sionistes
à cette époque, Ilan Pappé montre
qu'elles étaient déjà ce qu'elles sont
aujourd'hui: cynisme et chutzpah,
mensonges permanents, (...) crimes de
guerre et crimes contre l'humanité.(...)
Dès le départ, l'armée «la plus morale
de tous les temps», s'est distinguée par
sa brutalité, son sadisme et sa
cupidité: pillages, destructions
systématiques, viols, exactions en tous
genres, assassinats».» (1)
La Nekba n'est pas tombée du ciel, elle
a été minutieusement préparée. Dès juin
1938, Ben Gourion déclare devant
l'Exécutif de l'Agence juive: «Je suis
pour le transfert forcé [l'expulsion des
Arabes palestiniens]. Je ne vois rien là
d'immoral.» Dix ans plus tard, le 24 mai
1948, il écrit dans son Journal: «Nous
allons créer un Etat chrétien au Liban,
dont la frontière sud sera le Litani.
Nous allons briser la Transjordanie,
bombarder Amman et détruire son armée,
et alors la Syrie tombera. Après quoi,
si l'Egypte veut continuer à se battre,
nous bombarderons Port Saïd, Alexandrie
et Le Caire. Ce sera notre vengeance
pour ce que les Egyptiens, les Araméens
et les Assyriens ont fait à nos aïeux à
l'époque biblique. Indépendamment du
fait que la prétendue oppression des
juifs par les Egyptiens, les Araméens et
les Assyriens est dénuée de tout
fondement historique, et que les
ancêtres du «père» de l'Etat juif
étaient très probablement des Khazars
sans le moindre lien avec la Palestine.»
(1)
Massacre
de masse et racisme, conséquences de la
Nekba
Parmi les architectes du nettoyage
ethnique par le fer et par le feu,
«Menahem Begin se distingue pendant
cette guerre en massacrant avec d'autres
tueurs de l'Irgoun, 240 civils à Deir
Yassine (le 9 avril 1948, cinq semaines
avant la proclamation de l'Etat
d'Israël). 200 villageois assassinés par
la Haganah, l'armée régulière, huit
jours après la proclamation de l'Etat
juif. Ce massacre, plus tabou encore que
celui de Deir Yassine, a été «révélé» en
2000 par Teddy Katz, de l'Université de
Haïfa. A Dawaimeh, le pire de tous les
massacres israéliens, plus de 450 civils
palestiniens ont perdu la vie en octobre
1948. Ilan Pappé écrit à ce propos: «Les
soldats juifs qui ont pris part au
massacre ont rapporté les horreurs:
bébés au crâne fracassé, femmes violées
ou brûlées vives dans les maisons,
hommes poignardés..» Quant aux
Britanniques, ils ont laissé faire. Ilan
Pappé parle de «passivité complice»».
A propos du massacre de Deir Yassin, le
grand physicien Albert Einstein, juif de
confession, s'était toujours élevé
contre la politique des organisations
sionistes et terroristes. Il écrit le 10
avril 1948, à M.Shepard Rifkin,
directeur exécutif des amis Américains
des combattants pour l'indépendance
d'Israël: «Cher monsieur, quand une
véritable catastrophe finale s'abattra
sur la Palestine, le premier responsable
en sera le gouvernement britannique et
les seconds responsables seront les
organisations terroristes qui émanent de
nos rangs. Je ne veux voir personne
associé avec ces gens égarés et
criminels.» (3)
Après Deir Yassine, il y eut Kibya, il y
eut Jenine. Il y eut Ghaza. La
sociologue Ester Benbassa écrit:
«Comment des juifs, dont les parents ont
vécu la persécution, la souffrance,
peuvent-ils tolérer qu'un autre peuple,
les Palestiniens, connaisse un sort
similaire? Je ne veux pas non plus être
juive et approuver cette guerre immorale
que mène Israël.» (4)
On sait que les crimes de masse d'Israël
ont précédé l'existence et depuis 1947,
date du vote de l'ONU du partage de la
Palestine, l'Etat d'Israël n'a cessé de
continuer à tuer, de violer,
d'incendier, à accaparer les terres des
Palestiniens, de détourner les eaux des
pays voisins, en un mot, de terroriser
le Moyen-Orient sous l'oeil complice,
voire impuissant de l'Occident. Jénine
nom mythique eut son calvaire. Jénine
est une ville de Cisjordanie et un
important centre agricole palestinien.
L'assaut contre le camp de réfugiés de
Jénine, considéré alors par les
Israéliens comme une pépinière de
kamikazes, dura du 3 au 11 avril 2002,
dans le cadre de l'opération «Rempart».
Le journaliste Amnon Kapeliouk fait
parler un militaire participant au
carnage. Ce dernier décrit sans état
d'âme son rôle dans l'armée la plus
morale au monde: «Un pilote de
l'escadrille, le lieutenant-colonel Sh.,
raconte: «Notre escadrille a lancé
pendant tous les jours de combat une
quantité énorme de missiles à
l'intérieur du camp des réfugiés. Des
centaines de missiles. Toute
l'escadrille fut mobilisée pour ces
opérations, y compris des réservistes.
(...) Pendant les combats, il y avait
toujours au-dessus de Jénine deux Cobra
prêts à lancer un missile vers la maison
indiquée par le QG en bas (...). Les
´´combattants volants´´ ne jureront pas
que leurs missiles n'ont pas touché des
civils. (...) Ce n'est pas difficile
d'imaginer ce qui se passe à l'intérieur
des maisons après tout ce qu'on a tiré
dessus, dit un réserviste qui requiert
l'anonymat. (...) Pendant le couvre-feu,
il y avait des ´´patrouilles
violentes´´. Un char ´´galopait´´ dans
les rues désertes, écrasait tout ce
qu'il trouvait sur son chemin et ouvrait
le feu sur ceux qui violaient le
couvre-feu. (...) Une nuit, j'ai monté
la garde (dans un appartement dans
lequel nous nous étions installés).
Toute la nuit, j'ai entendu une petite
fille qui pleurait. Là-bas, il s'est
produit une déshumanisation. Certes,
nous avons subi un feu nourri, mais, en
revanche, nous avons effacé une ville.»
(5)
«Il y a 65 ans, écrit Salah Hamouri,
(...) Ce jour-là, où plusieurs centaines
d'enfants ont été tués de sang-froid,
plusieurs centaines de femmes se sont
fait violer, et des centaines de
villages ont été complètement détruits,
ce jour-là, une nouvelle page de
l'histoire d'un peuple qui est devenu
réfugié dans les camps a commencé à
s'écrire. Au cours de cette guerre, les
milices sionistes ont commis des crimes
contre l'Humanité, sous l'observation et
le soutien de la communauté
internationale. (...) 65 ans après, la
colonisation continue de confisquer
notre terre, pour poursuivre le projet
qui vise à déraciner le reste de notre
peuple. (...) Aujourd'hui, après tout ce
que nous avons vécu pendant ces années
d'occupation, notre peuple est de plus
en plus convaincu que ses droits à
l'indépendance, la liberté et au retour
ne tombent pas dans l'oubli. (....)
Enfin, en ce jour, les martyrs nous
rappellent depuis leurs tombes qu'il ne
faut jamais oublier leur sang qui a
arrosé la terre de la Palestine et qu'il
faut surtout continuer leur chemin de
lutte et de résistance jusqu'à ce que
nous arrachions notre droit, pour vivre
libres comme tous les peuples autour du
monde.»(6)
L'épuration ethnique actuelle, la
colonisation à marche forcée, la Loi du
retour, qui font qu'un juif du bout du
monde a le droit de retour en Israël
comme cela est permis aux juifs d'Europe
centrale, aux Falashas et même aux juifs
chinois qui ont fait leur alya!: Leur
montée vers Israël» Cependant, on note
tout de même une discrimination même
parmi les juifs (7)
La volonté israélienne de faire d'Israël
un Etat juif va, par la force des
choses, amener les Arabes Israéliens à
quitter leur pays. Ce sera
l'accomplissement définitif de la Nekba.
L'avenir des Palestiniens est plus que
jamais sombre. Le fait accompli commence
à être reconnu comme irréversible.
Malgré des protestations comme celle du
célèbre astrophysicien britannique
Stephen Hawking qui a boycotté une
conférence en Israël, les Palestiniens
continueront à vivre dans la peur et le
déni de dignité. Les arbalètes du Hamas
sont plus des sursauts de dignité qu'une
réelle puissance. Les Etats-Unis se sont
retirés. Les Arabes s'étripent et Israël
tourne le dos au droit international et
à la dignité humaine. Pourtant, on se
prend à rêver de la paix sur cette
Palestine, terre cananéenne, qui a vu
naitre une même souche: les Cananéens.
Certains d'entre eux se disent investis
d'une mission divine qui fait d'eux un
peuple élu qui a reçu une Terre de Dieu.
L'historien Schlomo Sand dans son
ouvrage: «Comment le peuple juif fut
inventé» et deux autres auteurs
israéliens, Israël Finkelstein et Neil
Asher Silberman, ont montré justement
que nous avons affaire à un même peuple:
les Cananéens.» «Il n'existe aucune
preuve, écrivent-ils, d'une invasion de
Canâan par les enfants d'Israël
commandés par Josué.. L'archéologie
révèle que les habitants de ces villages
n'étaient autres que les peuplades
indigènes de Canâan qui, petit à petit,
ont fini par développer une identité
ethnique que l'on peut qualifier
d'israélite.» (8)
En définitive, seul un Etat de tous les
citoyens avec une égale dignité
permettra le retour de la paix dans
cette région du monde qui a vu
l'avènement du monothéisme.
1. Ilan Pappé: Le nettoyage ethnique de
la Palestine Arthème Fayard 2008
2. Walid Khalidi, Plan Dalet: Master
Plan for the Conquest of Palestine,
Journal of Palestine Studies, Vol.18,
No1, Special Issue: Palestine 1948.
Automn 1988, pp4-33.
3.
http://www.alterinfo.net/Einstein-et-Bricmont-sur-l-imposture-sioniste
4. Ian Hamel: Le cri de colère d'Esther
Benbassa. Site Oumma.com 17 novembre
2009
5.Amnon Kapeliouk
http://www.monde-diplomatique.fr/2002/05/KAPELIOUK/16488
mai 2002
6.Salah Hamouri. Nakba: il y a 65 ans
http.www.france palestine. org/Nekba
7.http://www.chineinformations.com/guide/les-chinois-en-israel_2503.html
8.Israël Finkelstein et Neil Asher
Silberman: La Bible dévoilée p.157.Ed
Gallimard 2010.
Professeur Chems eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 20 mai 2013 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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