Opinion
Au-delà du devoir
d'inventaire :
La nécessaire réconciliation
Chems
Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Mercredi 19 décembre
2012
«La colonisation a
été un système inéquitable et
oppresseur. La guerre d'Algérie a
produit, comme toute guerre, des
tragédies humaines. Dire cette vérité,
n'est pas rajouter du malheur à la
douleur, c'est accomplir notre devoir à
l'égard de toutes les victimes de cette
période»
François
Hollande juillet 2006
«C'est aux historiens et aux chercheurs
des deux pays d'entamer un véritable
travail commun de lecture de cette
Histoire dense et riche, marquée par des
hauts et des bas qui témoignent de
l'intensité de nos relations. Mais d'un
point de vue politique et stratégique,
je ne peux que réaffirmer l'obligation
pour l'Algérie et la France de
travailler ensemble tant leurs
interdépendances sont nombreuses. Nous
avons une responsabilité devant nos
peuples.»
Abdelaziz
Bouteflika décembre 2012
Le président français François Hollande
nous rend visite. Qu'il soit le bienvenu
dans cette Algérie avec laquelle,
dit-on, il a une réelle empathie. Pour
la clarté des choses, nous allons en
honnête courtier situer le contexte, le
bien-fondé et les attendus de cette
visite, dont une fois de plus, les
Algériens attendent beaucoup. Cinquante
ans de relations tumultueuses, le fossé
est toujours aussi béant, faut-il comme
l'a suggéré Bernard Kouchner, attendre
une éclaircie dans les relations algéro-françaises
avec le départ darwinien de la
génération de Novembre ?. Est-ce
l'Africain qu'est l'Algérien est enfin
sorti de l'histoire? Cette phrase a fait
beaucoup de dégâts dans l'imaginaire
algérien au même titre que ce
tremblement de terre qui eut lieu un
matin de 1830 et dont les répliques se
font encore sentir.
Les
Algériens n'ont pas jailli du néant.
L'apport de l'Islam
S'agit-il d'une visite à caractère
économique? La frustration serait
grande! En fait, pour la France,
l'Algérie doit demeurer ad vitam
aeternam un marché à l'instar des
paléo-relations métropole-province. Le
monde a profondément changé mais le fond
rocheux des relations algéro-françaises
est resté celui d'un 5 juillet 1962 date
à laquelle l'Algérie et la France se
sont séparées dans la douleur. Akram
Belkaïd rapporte les propos d'un haut
responsable algérien qui déplore cet
échange marchand sans sédimentation
après 50 ans d'un réel savoir-faire en
Algérie: «On se croirait revenus au
début des années 1980, quand Pierre
Mauroy et Edith Cresson nous sommaient
d'acheter du Made in France pour aider
la gauche française au pouvoir. C'est un
peu le même discours qui nous est servi
en ce moment. Aujourd'hui, nous voulons
parler de partenariat et de co-localisation,
et, en face, il n'est question que de
nous fourguer (sic) des produits
français que, de toutes les façons, nous
achetons déjà ou que nous pouvons
acheter ailleurs.»(1)
L'Islam et les Arabes, tant diabolisés
par les hommes politiques et une presse
aux ordres, ont eu leur heure de gloire.
Dans cet ordre, il est bien connu que le
tempérament algérien s'accommode mal de
l'injustice, de la «hogra» du rapport à
la dignité . Aussi et au risque d’être
redondant , quelques éléments sur se
socle rocheux algérien constitué par
l’identité et la religion «J'ai toujours
ressenti écrit André Miquel, une estime
particulière pour Ma'mûn, ce fils du
fameux Haroun al-Rachid. Au IXe siècle,
alors que l'Occident chrétien peine à
sortir d'une époque de troubles, ce
calife de Baghdad encourage la
traduction en arabe des oeuvres
grecques, fonde un institut des sciences
et invite ses frères à discuter des
rapports entre religion et raison, débat
aujourd'hui encore d'une étonnante
actualité. J'ai donc voulu le faire
revivre en renouant avec un genre très
en honneur dans la littérature arabe
classique: les maqâmât, des entretiens
autour d'un sujet convenu ou sans
programme préétabli. Les Lumières sont
certes un phénomène occidental,
directement lié à l'évolution des
sciences et du christianisme. Mais ce
mouvement a pu dans certains pays être
orchestré ou favorisé par un pouvoir
"éclairé" : Louis XV, par le relais de
Madame de Pompadour, ou Frédéric II de
Prusse ont fait au XVIIIe siècle ce que
Ma'mûn a tenté au IXe, favoriser les
sciences et les arts. Certes, ce calife
n'a pas tout inventé: les traductions
des oeuvres grecques avaient commencé
avant lui et le mouvement s'est amplifié
du fait de l'ouverture du monde musulman
à l'Iran et à l'Inde. (...) Ce que j'ai
voulu montrer, c'est l'ouverture d'un
Islam trop oublié aujourd'hui. Les
chrétiens et les juifs restaient libres
de pratiquer leur foi, avec l'assurance
de la protection du pouvoir. (2) Non les
Musulmans n’étaient pas des barbares !
Dans ce cadre aussi, l’amnésie savamment
entretenue fait que le sort peu enviable
fait aux Algériens «ces pelés, ces
galeux d'où viennent tous les maux» de
la France à en croire Marine Le Pen,
nous interpelle en conscience. Ces
Algériens ont décidé de vivre en France,
pour l'immense majorité d'entre eux
veulent vivre en paix, leur spiritualité
à l'ombre des lois de la République tout
en apportant leur part culturelle à
l’image de la France.
C'est donc de dignité qu'il s'agit aussi
quand on voit les chaînes interminables
pour aller mendier un hypothétique visa
qui ne vient pas. Pire encore, la France
des droits de l'homme a une position
singulière s'agissant des intellectuels
et universitaires. Le visa est distillé
parcimonieusement, pourtant là encore si
la francophonie est ce qu'elle est,
c'est que quelque part les
universitaires et intellectuels
algériens la «nourrissent» en lui
permettant de résister au raz-de-marée
de l'anglais.
Pour Alain Ruscio: «(...) Il y a encore
beaucoup de Français et d'hommes
politiques qui sont dans la situation de
penser, non plus qu'il y a d'un côté la
civilisation et de l'autre la barbarie,
mais que notre civilisation est plus
tolérante, plus humaine, plus humaniste
que les autres. L'autre aspect c'est que
la France, là aussi, a avec le monde
arabo-berbère en Afrique du Nord et plus
encore en Algérie, une spécificité qui
concerne le racisme anti-maghrébin, plus
anti-algérien. C'est le racisme le plus
ancré en France et qui agit. Il convient
de noter que ce racisme anti-arabe et
anti-maghrébin est plus ancien que la
Guerre d'Algérie, les premiers textes
assimilant barbarie et monde musulman
datent des croisades.»(3)
Le devoir
d'inventaire de la reconnaissance de l'oeuvre
algérienne pour la France
En réponse au négationnisme des «nostalgériques»
il est nécessaire de revenir sur la
clochardisation de la société
algérienne, pour reprendre une
expression de Germaine Tillon. Tout au
long de ces 132 ans, l'oeuvre coloniale
ne fut pas positive car le fameux
bréviaire a été décliné de toutes les
façons possibles. Certes, nous l'avons
écrit: à titre individuel des
instituteurs, des médecins, des
Européens admirables tentèrent d'alléger
les souffrances des Algériens, mais ils
furent en petit nombre. Nous leur serons
à jamais reconnaissants. Les rares
Algériens instruits furent des voleurs
de feu. Moins d'un millier d'Algériens
formés en 132 ans. Après la conquête
brutale, la politique du talon de fer,
du sabre, et avant celle du goupillon,
ce fut la curée, imaginez la Casbah dont
le trésor fut évalué à plus de 200
millions francs or, pillé. Tout fut bon
pour être arraché à ses propriétaires,
une nuée d'agioteurs mit en coupe réglée
une Algérie ouverte à tous vents. Pour
l'histoire, des Algériens furent
recrutés dans les troupes françaises
depuis 1837 (les fameux turcos) on parle
justement de ces zouaouas recrutés par
tous les moyens - la famine, la peur-)
que l'on appela les zouaves au point que
la statue du zouave du pont de l'Alma
indique les crues de la Seine. Ils
furent ensuite envoyés lors la guerre du
Levant en 1865... Ensuite, ce fut la
guerre de Crimée, puis la guerre de
1870: parmi les plus braves, on cite les
Algériens qui arrivèrent à enlever une
colonne à Wissembourg, moins d'une
centaine de rescapés sur les 800 du fait
d'un chassepot allemand qui fit des
ravages. Après le cauchemar de Verdun et
du Chemin des Dames, des milliers
d'Algériens y laissèrent leur vie ».(4)
« Lors de la Seconde Guerre mondiale,
les troupes coloniales furent, d'emblée,
massivement intégrées aux plans de
bataille et, placées en première ligne,
notamment à Monte Cassino le 22 mai
1944. Il y eut 140.000 soldats
algériens. Il y eut 14.000 morts et
42.000 blessés. Ce sont, en partie, ces
soldats qui revinrent ensuite au pays,
pour voir leurs familles massacrées un
jour de mai 1945... Enfin, la part du
sang et de la bravoure est illustrée par
un fait ignoré: l'apport des Algériens à
la résistance française à une époque où
des Français abandonnèrent leurs
concitoyens de confession juive. Les
Algériens du FTP (Francs-tireurs
partisans) avaient aussi pour mission de
secourir et de protéger les
parachutistes britanniques et de leur
trouver un abri.»(4)
Les «trente glorieuses» réussirent aussi
grâce à l'apport des Algériens qui,
après avoir versé leur sang pour la
France, aidèrent massivement pour sa
reconstruction. On ne peut passer sous
silence l'apport culturel de l'Algérie.
Pourtant, malgré tout ce déni de
personnalité, l'Algérie eut aussi sa
part, souvent la plus terrible dans le
rayonnement de la France, à la fois pour
défendre ses frontières, développer son
économie, et participer par
l'enseignement du français au
rayonnement culturel de la France qui
peine à résister- même à l'anglais- la
vulgate planétaire- selon le bon mot de
Pierre Bourdieu. Les Algériens ont donc
fait fructifier le «butin de guerre» que
fut la langue française, à telle
enseigne que l'Algérie paradoxalement
est le deuxième pays francophone, elle a
donc non seulement défendu la langue,
l'a enrichie en lui adjoignant des
termes spécifiquement algériens mais,
cerise sur le gâteau, offert à
l'Académie française une écrivaine de
talent en la personne d'Assia Djebar. En
2012, d'une façon ou d'une autre, 36
millions d'Algériens parlent, pensent et
achètent à des degrés divers français.
Mieux encore, une grande partie de la
matière grise est attirée par la France
qui reçoit ainsi, sans avoir dépensé un
sou, la fine fleur de l'Algérie. Cette
élite écrit le docteur Souilamas, grand
chirurgien des hôpitaux de Paris, peut
être un formidable levier de la
coopération bilatérale. «Ils ont
échangé, dit-il, le "marteau-piqueur ou
la truelle contre le bistouri ou le
stéthoscope, le mépris, le chantier
contre l'hôpital, les travaux publics
contre la médecine. Ils peuvent au mieux
passer de manoeuvre à ouvrier
qualifié''» (4)
«L'apport de l'Algérie assurément, est
objectivement à mettre sur le compte de
l'oeuvre positive de l'Algérie pour la
France. Le peuple de France doit savoir
qu'au sortir de la guerre, l'Algérie
était profondément meurtrie sur une
population de huit millions d'habitants,
deux millions de personnes furent
déplacées et regroupées pour couper les
combattants algériens de leur base
arrière, 10.000 villages furent brûlés,
ce fut une intégrale de l'horreur, une
sorte de condensé sur huit ans des
horreurs de l'invasion. A bien des
égards, les perturbations existentielles
qui nous occupent, sont des répliques
d'un tremblement de terre qui a eu lieu
le 5 juillet 1830... Il est immoral que
la France considère qu'elle a soldé ses
comptes en 1962. C'est cela aussi la
vraie dette de la France.»(4)
Les
tentatives multiples pour le
rapprochement
Pour rappel, les relations tumultueuses
de ce couple infernal qui, malgré tout,
–du fait des multiples liens, Jacques
Chirac disait qu’un Algérien sur sept à
des liens avec la France- ne veut pas
divorcer. On le sait, il y eut des
avancées notables et des reculs. On se
souvient que Jacques Chirac avait ainsi
fait reconnaître par son ambassadeur,
Hubert Colin de Verdière, le massacre de
Sétif en 2005. Il a essayé d'aller
jusqu'au traité d'amitié en 2003, et
l'année de l'Algérie en 2003 a été un
succès. Au début des années 2000, Alger
et Paris planchaient sur la signature
d'un Traité d'amitié censé clore la
période heurtée de l'après-indépendance.
Après le passage calamiteux de Nicolas
Sarkozy bien conseillé par les Bruckner,
sur «la tyrannie de la repentance»
exprimera un choix, un parti pris et
encouragera une écriture révisionniste
de l'histoire en confiant la fondation
pour la mémoire de la Guerre d'Algérie à
des historiens révisionnistes et des
associations Algérie française. A
l'occasion du 50e anniversaire de
l'indépendance de l'Algérie, François
Hollande avait adressé une lettre au
président Bouteflika dans laquelle il
estimait qu'il y «a place désormais pour
un regard lucide et responsable» de la
France sur son passé colonial en
Algérie.
Le 17 octobre dernier, le président
Hollande écrivait: «Le 17 octobre 1961,
des Algériens qui manifestaient pour le
droit à l'indépendance ont été tués lors
d'une sanglante répression. La
République reconnaît avec lucidité ces
faits. Cinquante et un ans après cette
tragédie, je rends hommage à la mémoire
des victimes.»
Qui empêche la France, celle qui se
revendique des droits de l'homme de se
grandir en reconnaissant aussi à la fois
son devoir vis-à-vis de l'histoire et sa
faute pour l'aventure coloniale? Certes,
on peut disserter sur la responsabilité
des enfants des actes de leurs parents,
comme l'ânonnait Sarkozy mais, est-il
juste de ne sortir ce faux argument
qu'en ce qui concerne l'aventure
coloniale? Et les autres fautes de la
France qu'elle n'arrête pas d'expier?
On le voit, la France avance avec
parcimonie, il a fallu plus de quarante
ans pour que les « événements d'Algérie
» soient reconnus comme étant la «
guerre d'Algérie ». Pourquoi ne pas
traverser le Rubicon et déclarer par
exemple à l’instar du préambule des
Accords de Nouméa de 1998 sur
l'indépendance de la Nouvelle Calédonie
que « la colonisation a été une
domination étrangère imposée aux
populations autochtones, qu'elle a été
destructrice des sociétés et des
cultures ? »Cela ferait avancer
considérablement les choses et arrêter
de perdre du temps tant les chantiers du
futurs sont importants pour bâtir une
nouvelle relation d’égale dignité
mutuellement profitables.
Comment
nous voyons l'avenir?
Dans une interview à l'Agence
France-Presse, le président de la
République, Abdelaziz Bouteflika, a
déclaré en substance: «Ce que l'Algérie
attend de la France, c'est un
accompagnement dans le processus de
développement économique, social et
humain, un vaste chantier en cours de
mise en oeuvre et qui nécessite un
perfectionnement de l'élément humain, un
transfert technologique réel et un
partenariat gagnant-gagnant dans le
système productif». Dans dix ans, il n'y
aura plus de mémoire vivante ou si peu
et le contentieux s'éteindra de lui-même
sans que la France contrairement aux
Etats- Unis -qui ont exorcisé leur
histoire vietnamienne- ne regarde son
histoire coloniale en face. Le virage
porteur d'avoir c'est ici et maintenant.
La réconciliation ne peut démarrer qu'à
partir d'un geste fort que nous
attendons. Le souhait algérien d'une
relation forte et dynamique rappelle à
s'y méprendre les fondements du traité
de l'Elysée en 1963 entre la France et
l'Allemagne.
Alors, tout sera permis. Nous
connaissons la situation délicate de
l'économie française avec un déficit
abyssal et un commerce extérieur qui
peine à redécoller. Nous connaissons les
besoins énergétiques de la France et
l'Algérie peut y subvenir dans un
partenariat gagnant-gagnant avec une
parole désarmée d'égal à égal comme elle
le fait avec les autres partenaires.
Elle a en face d'elle un pays qui parle
le français, le deuxième après la
France. On dit que la France connaitra
un déclin devant les nouveaux pays qui
émergent; à elle de faire le choix car
la mentalité de l'empire AOF et AEF a
vécu. A la France d'inventer une
nouvelle relation apaisée avec l'Algérie
en tournant le dos au discours de Dakar
à cette position grandiloquente et
condescendante quand ils s'adressent aux
Algériens.
Alors tout sera possible. L'avenir de la
France c'est le Sud. C'est son flanc
méditerranéen. Sans être naïf, rêvons
d'un partenariat de Tamanrasset à
Dunkerque, avec 100 millions de
locuteurs de la langue française, 100
millions de consommateurs, une
profondeur stratégique de 3500 km, une
jeunesse exubérante, des chantiers
titanesques, reverdir le Sahara,
développer le renouvelable avec un réel
potentiel. Il faut pour cela des
universités en commun, des recherches
communes. De plus, la «réparation»
élégante, généreuse peut revêtir la
construction par la France d'une grande
bibliothèque numérique comme celle
d'Alexandrie pour effacer la douleur de
l'incendie de la Bibliothèque nationale
en juin 1962. Ce serait un geste fort.
En définitive, la France a une chance
historique de tourner la page et
d'écrire l'avenir avec l'Algérie dans
une région qui sera de plus en plus
tumultueuse, une région où l'Algérie,
avec sa profondeur stratégique sera un
acteur majeur. Alger vaut bien une
messe...
1.http://www.slateafrique.com/100119/hollande-alger-pour-l-apaisement-et-le-commerce
2. A. Miquel: Connaître son héritage
arabe n'empêche pas d'être français. Le
Point 14 12.2012
3. Alain Ruscio. Historien: «Une
déclaration du président Hollande.» El
Watan 15.12.12
4. Chems Eddine Chitour
http://www.legrandsoir.info/ce-que-fut-la-colonisation-l-oeuvre-positive-de-l-algerie-envers-la-france.html
Pr. Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 19 décembre 2012 avec
l'aimable autorisation de l'auteur
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