Opinion
Boite de Pandore
du Malistan :
Ce n'est pas notre affaire !
Chems
Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Samedi 19 janvier 2013
«Le capitalisme
porte en lui la guerre comme la nuée
porte en elle l'orage»
Jean
Jaurès
Le mercredi 16 janvier nous a
brutalement rejeté vingt ans en arrière
dans les pires années où l'Algérie se
battait pour sa survie. De quoi
s'agit-il? d'une prise massive d'otages
dans une base gazière et pétrolière
frontalière avec la Libye, In Aménas est
située à 265 km au nord-est d'Illizi, à
815 km au sud-est de Ouargla à 730 au
sud-est de Hassi Messaoud et à environ
1500 km au sud-est d'Alger. En 2010, le
site d'In Aménas produit 50.000 barils
par jour de condensats de gaz naturel
ainsi que 9 milliards de mètres cubes de
gaz naturel par an, soit 12% de la
production nationale de gaz. Le site
représente 18% des exportations gazières
de l'Algérie.
L'assaut mené par les forces spéciales
de l'armée algérienne pour libérer les
otages d'un groupe islamiste a pris fin
jeudi soir, selon l'agence nationale
APS. Aucun bilan sur cette opération n'a
été donné. Des centaines de travailleurs
algériens et une quarantaine d'étrangers
avaient été pris en otages mercredi par
un groupe lié à Al Qaîda sur le site
d'In Aménas, dans le centre-est de
l'Algérie. Le groupe ayant revendiqué la
prise d'otage a indiqué, notamment dans
un communiqué, qu'il agissait en
représailles à l'intervention contre les
islamistes armés au Mali par l'armée
française, dont les avions ont été
autorisés par l'Algérie à survoler son
territoire. On le voit, «L'Algérie» a
autorisé le survol de son territoire et
je l'en remercie», a déclaré le ministre
des Affaires étrangères, à l'émission
Grand Jury LCI-Le Figaro-RTL, nous
sommes à notre corps défendant des
«collaborateurs». Nous avons été
impliqués et tout est fait par les
médias pour présenter cet acte
d'autorisation comme un acte majeur dans
la lutte que mène la France.
Aux dernières nouvelles, 30 otages et au
moins 11 islamistes ont été tués jeudi
lors de l'assaut donné par les forces
spéciales de l'armée algérienne sur le
complexe gazier de Tigantourine dans
l'est du pays, pour libérer plusieurs
dizaines d'Algériens et d'étrangers
retenus prisonniers, a-t-on appris
auprès de la sécurité algérienne. Il a
indiqué que, comme durant la guerre
civile menée par les autorités
algériennes contre les islamistes dans
les années 90, l'Algérie ne négocierait
pas, ni ne céderait au «chantage» des
«terroristes». «Nous disons que face au
terrorisme, hier comme aujourd'hui et
demain, il n'y aura ni négociation (avec
les terroristes), ni chantage, ni répit
dans la lutte contre le terrorisme»,
a-t-il déclaré, rappelant qu'il «s'agit
d'une position algérienne connue depuis
longtemps».
Les autres
grandes prises d'otages dans le monde
Il est curieux de constater la
propension des Occidentaux à vouloir à
tout prix s'ingérer dans les affaires
intérieures des pays soumis à des
opérations de chantage. Les médias ont
repassé en boucle quelques phrases.
David Cameron n'est pas content, il
s'est interrogé pourquoi il n'a pas été
informé par les Algériens, les
Américains se sont déclarés inquiets au
point d'envoyer un drone Prédator dont
on peut penser qu'il a eu l'autorisation
de survoler la base; le comble est la
position du gouvernement nippon qui
exige des Algériens de cesser
immédiatement les opérations.
Pour l'histoire, les prises d'otages
consubstantiels de la mal-vie des damnés
de la Terre. Les 5 et 6 septembre 1972,
pendant les Jeux olympiques de Munich,
11 membres de la délégation israélienne
sont tués lors d'une prise d'otages.
Deux sont tués par le commando, neuf,
lors de fusillades déclenchées par la
police allemande. Le 4 novembre 1979. A
Téhéran (Iran), 52 Américains sont
retenus à l'ambassade des Etats-Unis.
Ils sont libérés 444 jours plus tard,
par l'intervention de l'Algérie après
l'échec d'une opération commando
américaine en avril 1980. Les 6 et 7
novembre 1985. A Bogota (Colombie), 400
personnes sont prises en otage au palais
de justice par un commando du M19. Le
lendemain, l'assaut fait une centaine de
morts. Rappelons-nous aussi, que du 1er
au 3 septembre 2004, dans une école à
Beslan (Ossétie du Nord), un commando
tchétchène prend en otages près de 1200
personnes, enfants, parents et
enseignants. L'assaut des forces russes
se solde par la mort de 331 personnes et
fait quelque 400 blessés. Enfin en
février-mars 2003 dans le Sahara
algérien, 32 touristes d'Allemagne,
Suisse, Pays-Bas et Autriche sont
enlevés en plusieurs groupes par le
Groupe salafiste pour la prédication et
le combat (Gspc). Une otage allemande
meurt après une insolation, les autres
sont libérés en mai lors d'une opération
de l'armée algérienne, puis en août au
Mali contre le versement non confirmé
d'une rançon. (1)
Pour rappel, la résolution 1904 de
décembre 2009 a été votée suite à
l'instance de l'Algérie/ stipule qu'il
ne faut pas verser de rançon. Le
gouvernement Sarkozy a été le premier à
la torpiller en payant des rançons pour
libérer ses concitoyens. Les deux fois
où la France a tenté de libérer les
otages, cela s'est traduit par la mort
des otages français comme en Maurétanie,
il y a deux ans et dernièrement en
Somalie avec la mort de trois personnes
dont l'otage de la Dgse. Le problème du
Mali est d'abord un problème de
décolonisation bâclée à la fois du côté
malien, mais aussi de la mentalité des
anciens colonisateurs. Avant le Mali,
les terroristes, il faut le préciser,
sont un cadeau de démolition de la Libye
par les Occidentaux dont la France;
l'Algérie a gardé tant bien que mal ses
frontières. Que se serait-il passé si
l'Algérie n'avait pas autorisé les
Français à survoler son territoire? Un
détour de 300 km aurait-il évité à
l'Algérie de s'impliquer? Il semble
pourtant que l'attaque a été programmée
depuis longtemps, elle devait donc avoir
lieu. Il est toujours difficile de
réagir en face d'une prise d'otages et
chacune a ses caractéristiques. En
l'occurrence, les forces spéciales
avaient toutes les difficultés en même
temps: d'abord, le site lui-même est une
bombe potentielle si le gaz venait à
être libéré, de plus, c'est une prise
d'otages de masse plus de 600 personnes
sur un espace large, enchevêtré entre
les réservoirs, les tours, les
équipements divers et les tuyauteries,
où il faut aller déloger
vraisemblablement un à un les preneurs
d'otages. Enfin, détail capital, les
preneurs d'otages «classiques» ne sont
pas des candidats au martyre. Il est
donc mal venu aux experts de tout poil -
notamment les spécialistes algériens
adoubés- qui viennent en boucle dire «il
n'y a qu'à faire-ça-, de parler sans
savoir de quoi ils parlent. Claude
Gallois, ancien patron du Gign français
expliquait sur une chaîne de télévision
qu'il est très difficile de réussir
quand le nombre de personnes prises en
otage est important comme c'est le cas.
Pour lui, les forces spéciales
algériennes ont fait leur travail en
pareil cas. Ils ont eu besoin de temps
pour sécuriser la base
Où sont
nos amis?
Dans cette affaire, il est difficile de
savoir quels sont les protagonistes. On
nous parle de terroristes lourdement
armés. Par qui? L'argent des cigarettes,
de la drogue ou autre chose? Deux pistes
semblent se détacher: le Qatar et
l'arsenal libyen offert par la coalition
aux terroristes suite au lynchage de
Kadhafi.
L'hebdomadaire satirique français Le
Canard enchaîné rapportait dans son
édition du mercredi 6 juin, que l'émir
du Qatar a livré une aide financière aux
mouvements armés qui ont pris le
contrôle du nord du Mali. Parmi ces
groupes, qui ont reçu les dollars
qataris, figurent le Mujao qui retient
en otage sept diplomates algériens
depuis le 5 avril dernier. Sous le titre
«Notre ami du Qatar finance les
islamistes du Mali, Le Canard enchaîné
indique que la Direction du
renseignement militaire (DRM), qui
relève du chef d'état-major des armées
françaises, a recueilli des
renseignements selon lesquels «les
insurgé du Mnla (indépendantistes et
laïcs), les mouvements Ansar Eddine,
Aqmi (Al Qaïda au Maghreb islamique) et
Mujao ont reçu une aide en dollars du
Qatar.» (2)
«En clair: les émirs du Qatar financent
des mouvements islamistes armés qui
sèment la terreur en Algérie et dans le
Sahel; qui détiennent des otages
algériens et qui ont proclamé un khalifa
islamique aux frontières algériennes.
Mais il y a mieux encore. Toujours selon
Le Canard enchaîné, l'émirat du Qatar a
des visées sur les richesses des
sous-sols du Sahel. «Des négociations
discrètes ont déjà débuté avec Total»,
le géant pétrolier français pour
exploiter à l'avenir le pétrole dont
regorge cette région de l'Afrique. Le
Mnla (Mouvement national de libération
de l'Azawad) et Ansar Eddine qui ont
reçu ces subsides ont pris le contrôle
du nord du Mali à la faveur d'un coup
d'Etat qui a renversé, le 22 mars 2012,
le régime du président malien Amadou
Toumani Touré. Quant au Mujoa (Mouvement
pour l'unicité et le jihad en Afrique de
l'Ouest), une dissidence d'Aqmi, elle
détient sept diplomates algériens
enlevés le 5 avril dernier et réclame
des autorités algériennes 15 millions
d'euros contre leur libération et menace
d'actions terroristes en cas de refus de
satisfaire ses revendications. (...)
Selon Le Canard enchaîné, le ministre
français de la Défense, Jean-Yves Le
Drian, «n'ignore aucune des mauvaises
nouvelles arrivées d'Afrique
subsaharienne. Et rien de l'implication
de «notre ami du Qatar», formule d'un
officier de l'état-major, dans la
«capture» du Nord du Mali par plusieurs
mouvements djihadistes.» (...) (2)
Et pourtant, c'est ce même émir que nous
avons reçu en grande pompe en décembre
dernier et avec lequel nous sommes en
affaires. On parle de plus en plus de
terroristes surarmés. Par qui? «Parce
qu'enfin lit-on dans une contribution
pertinente, les armes aux mains des
islamistes maliens ne sont pas tombées
du ciel: si Paris n'avait pas, à
l'instigation pressante de l'agitateur
BH Lévy, livré contre la Jamahiriya
libyenne une guerre du fort au faible en
compagnie de ses acolytes euratlantistes,
les armes aujourd'hui utilisées contre
nos troupes seraient sagement restées
enfermées dans leurs bunkers. «Sans
doute ne faudrait-il pas oublier non
plus, que le mouvement séparatiste
malien appelé Mnla a été créé dans la
précipitation par Mohamed Ag Najem
lequel commandait un millier de
mercenaires touareg au service du régime
de Kadhafi et qu'il a été retourné par
les services français quelques semaines
avant la chute de Tripoli. Ag Najem
aurait-il accepté de trahir Kadhafi et
de retourner au Mali s'il n'avait pas eu
les assurances de Paris pour pouvoir
rentrer chez lui avec armes et bagages
remplis d'or et de dollars afin d'y
jouer le nouveau rôle qui lui a été
dévolu?» (3) (4)
L'ouverture de la boîte de Pandore et
l'enlisement au Malistan
Curieusement, la prise d'otages fut du
pain bénit pour les médias qui n'avaient
plus rien à dire concernant les
mouvements au sol des troupes françaises
pratiquement clouées sur place dans
l'attente des acrobates des pays
voisins. Il est vrai qu'ils ont fait un
mouvement vers Djabali, mais en laissant
les Maliens en face des islamistes. Au
demeurant, l'opération malienne, mal
conçue, mal calculée, devait en principe
et au départ relever de la
«guerre-éclair». À ce titre, les
effectifs français viennent d'être
portés à 800 hommes et Paris bat
vainement le rappel de ses alliés
européens, ceux-ci ne se bousculant pas
pour apporter leur contribution à
l'aventure. François Hollande, enfin, se
présidentialise et est célébré en France
comme «un chef de guerre». Sur tous les
médias français, journaux, radios,
télés, on proclame qu'il «est vraiment
devenu président de la République
maintenant qu'il a déclenché une
guerre». Comme Bush après la guerre
contre l'Irak, et comme le président
Obama, sacré «chef de guerre» après la
mort de Ben Laden, ou comme le président
Sarkozy après l'attaque de la Libye, le
président Hollande s'engage sur un
terrain mouvant. «Ce n'est pas cela ma
France», a pu dire De Villepin.
Que faire quand les quelques villages
seront pris. Pendant longtemps, la
France a aidé le Mnla qui parlait de
partition, maintenant elle aide le Mali.
Pourtant, les frontières héritées de la
colonisation d'après l'OUA devaient être
intangibles mais l'UA, inaudible
actuellement, avec un commissaire à la
Sécurité dépassé, appelle à
l'Occupation, la présidente appelle
l'Otan, rien que çà.
S'agit-il de reconquérir la totalité de
l'intégrité territoriale du Mali?
Allons-nous le faire tout seuls? Comment
s'assurer ensuite du maintien de la
sécurité des villes qu'il s'agit de
reprendre, Gao, Tombouctou, Kidal?
Quelle sera la contribution de nos
alliés? «C'est une guerre contre le
terrorisme. Simplement, il faut aussi
être capables de poser les bonnes
questions en termes de durée et de
moyens de l'intervention et
d'alliances», a déclaré sur BFM TV,
mardi, le député de l'opposition de
droite, qui préside le groupe permanent
de travail sur le Sahel à l'Assemblée
nationale française. Et d'appréhender
l'entrée de l'armée française dans «un
schéma de guerre asymétrique qui prend
du temps, qui est coûteux en argent et
en vies, et donc il est important que la
France ne soit pas seule dans ce
combat». Pierre Lellouche relève un
autre problème, celui de la faiblesse de
l'Etat malien. Il rappelle que le
gouvernement malien actuel est un
gouvernement transitoire avec un
président transitoire qui est le
résultat d'un coup d'Etat organisé par
l'armée malienne. «Tout cela est une
opération qui va nous entraîner, me
semble-t-il, assez loin dans la durée.»
Au-delà du bilan, de l'impact médiatique
recherché - obtenu - et des implications
sécuritaires, cette attaque rappelle
certaines vérités. Il faut se rendre à
l'évidence que la sécurisation des très
vastes territoires désertiques algériens
est quasi impossible. Avec 7 800 km de
frontières à sécuriser, seule une étude
globale avec les pays concernés
permettra de trouver les méthodes et
solutions à mettre en oeuvre en
s'attaquant à la tâche aussi démesurée
soit-elle. Il n'y a rien à attendre de
pays qui ont leur propre contrainte
comme la Tunisie et la Libye. La
sécurisation des frontières devrait être
de la responsabilité de tous les pays
qui ont en commun des frontières avec
l'Algérie. Seule une technologie
innovante permettra d'avoir un coup d'oeil
global sur les 7800 km de frontières
(surveillance par satellite, drones...)
ce sont ceux-là les paris du futur.
Cette aventure néocoloniale pour les
matières premières, nous remet en tête
les mots de Paul Valery: «La guerre
c'est le massacre de gens qui ne se
connaissent pas au profit que de gens
qui se connaissent bien, mais ne se
massacrent pas.» A son corps défendant,
l'Algérie a donné un sursis à l'aventure
coloniale de la France, les troupes
françaises sont en train de lever le
pied - dans la plus pure tradition
d'armons-nous et partez- rameutant à la
fois les Européens qui traînent les
pieds et les Africains qui vont obéir
aux injonctions. Ces pays vont envoyer
au casse-pipe leurs troupes mal
entraînés avec peu de moyens. Le conflit
va s'enliser et il n'est pas sûr qu'une
fois ouverte la boîte de Pandore du
Malistan, on puisse la refermer de
sitôt. Le conflit va durer. Il serait
hautement souhaitable que l'Algérie se
tienne en retrait d'un conflit qui ne la
concerne pas.
1. http://www.la-croix.com/Actualite/
Monde/Les-autres-grandes-prises-d-otages-_NG_-2013-01-17-900347
2.
http://www.dna-algerie.com/enquete/le-canard-revele-des-dollars-du-qatar-pour-financer-un-khalifa-islamique-aux-frontieres-d-algerie-3
3. Oumma.com 14 012013 «Les mensonges de
la propagande de guerre française au
Mali.»
4. Honni soit qui Mali y pense
http://www.geopolintel.fr/article582.html
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 19 janvier 2013 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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