Opinion
L'Algérie de
demain : Le chaos ou l'alternance
sereine ?
Chems Eddine Chitour
Dimanche 18 septembre
2011
Depuis quelque temps des rumeurs
d'une « normalisation » de l'Algérie se
font jour. En effet, il n'est que
d'écouter les chaînes étrangères, à la
fois ce qui est dit en clair et ce qui
est sous-entendu. En clair, le vent de
chaos constructeur pour reprendre
l'expression de Condoleezza Rice, doit
aussi toucher l'Algérie.
Dans la doxa occidentale, les révoltes
des peuples arabes sont un phénomène
endogène au nom de valeurs suprêmes dont
seul l'Occident a lesecret. On répète à
satiété que l'Islam n'est pour rien et
qu'il n'est pas revendiqué dans les
slogans. Bref, les pays occidentaux se
sentent un devoir d'émanciper les
jeunesses arabes contre les tyrans qui
les gouvernent en leur offrant la
liberté, la démocratie. Malheureusement,
il est avéré que les espérances des
jeunes étaient pour ainsi dire
téléguidées et répondaient à un agenda
concocté dans les officines
occidentales. Résultat des courses, le
chaos destructeur s'est installé dans
ces pays. Le dernier exemple est l'irakisation
de la Libye décidée il y a près d'un an
et mise en oeuvre entre autres par BHL,
le trublion philosophe, tout-terrain
qui, dit-on, aurait aussi des velléités
de démocratiser l'Algérie. Nous sommes
tous malheureusement des petits pays qui
ne sommes pas maîtres de nos destins.
Nidal Hamadé, journaliste correspondant
en Europe d'Al-Intiqad, quotidien
libanais, évoque les rôles respectifs
des deux principaux alliés et acteurs
des États-Unis dans les événements au
Proche-Orient, à savoir la France et le
Qatar. Selon des sources françaises
citées par Nidal Hamadé, à l'occasion de
la visite en France de Moustapha
Abdeljalil, président du Conseil
national de transition libyen (CNT),
Nicolas Sarkozy a affirmé à son hôte qui
se plaignait de l'Algérie: «Patientez,
et vous verrez ce qui va se passer en
Algérie dans un an, et en Iran dans
trois!» Ces propos démontrent que ce qui
se passe au Proche-Orient actuellement,
surtout après la révolte de la jeunesse
égyptienne et la chute du régime de
Moubarak, est soumis à un agenda
étranger dans lequel les puissances
occidentales colonisatrices veulent
redessiner le Proche-Orient. En effet,
d'après Nidal Hamadé, le timing des
menaces françaises contre l'Iran et
celui de la campagne virulente du Qatar
contre la Syrie ne sont pas
innocents.URL:
www.partiantisioniste.com/articles/890.
Rapine
Quand l'émir du Qatar appelé «l'ehmir du
Qatar double baril ambulant» se permet
de donner la leçon aux autres dirigeants
arabes, quand la chaîne El Jazeera est
devenue une chaîne de propagande
sioniste, quand il se permet d'exiger
des visas à l'Algérie, il y a quelque
chose de détraqué dans le mouvement du
monde. Au moment où dans le monde on
créé des ensembles pour résister à cette
mondialisation-laminoir, les pays arabes
sont englués dans des combats
d'arrière-garde. Ils attendent leur tour
pour être ´´normalisés´´ à l'instar de
l'Irak, du Soudan, de la Libye. Ce qui
se passe en Libye participe d'un Nouvel
ordre mondial où la frontière ne sera
plus entre Etats mais entre les forts et
les faibles à l'intérieur des pays.
Voulons-nous de cet Ordre injuste qui
enrichit les riches, appauvrit les
pauvres, divise pour régner et lance des
slogans comme la démocratie, les droits
de l'homme alors qu'ils sont bafoués
dans ces mêmes pays? La Libye n'est
qu'un domino parmi tant d'autres et
cette contribution est une mise en garde
pour une réelle prise de conscience du
combat que nous devons mener quelles que
soient nos latitudes contre
l'intolérance, le fait accompli, et pour
la dignité humaine...
Il y a un sérieux problème pour le
vivre-ensemble planétaire. L'addiction
au pétrole est génératrice de toutes les
dérives et le peak oil est une réalité
d'après l'AIE, il serait passé en 2006.
Les Etats-Unis ont connu leur peak oil
en 1973, ce qui explique dans une grande
mesure la politique impériale des
Etats-Unis (suivez les routes du
pétrole, vous y verrez les bases
«américaines...). Est-il admissible, à
notre époque, que les gisements
pétroliers ou d'uranium, par exemple,
soient appropriés par les seuls
possesseurs de la surface du sol sur
lequel s'exerce une souveraineté, que
seuls les mouvements contingents de
l'histoire ont déterminée?» En clair, la
démocratie aéroportée de Bush en Irak et
en Afghanistan est probablement celle de
l'Occident en Libye au nom des droits de
protection des faibles. Traduction:
s'emparer par la force de ressources
pétrolières, rapine rendue nécessaire
par l'ébriété énergétique dans les pays
occidentaux industrialisés.
Le citoyen lambda est préparé à de
futures guerres pour les matières
premières d'une façon générale. Un
proverbe soviétique bien connu
s'applique au discours actuel: «Ce qui
est à moi est à moi, ce qui est à toi
est négociable». Est-ce là un discours
de générosité? Non, c'est la guerre que
font les forts qui ont bâti leur
prospérité sur les Suds épuisés. Il ne
faut pas se faire d'illusion, après
avoir ratissé les pays du Sud, ce sera
ensuite la guerre entre les loups. Et
comme le disait François Mitterand au
crépuscule de sa vie,: «Nous sommes en
guerre contre les Etats-Unis, une guerre
sans morts».. L'Occident ne se laissera
pas faire. Il est toujours imbu du mythe
des races supérieures. Lisons Renan,
Arthur de Gobineau, Jules Ferry, Rudyard
Kipling, Chamberlain, Cécil Rhodes... Il
y a un fond rocheux de l'inconscient
collectif qui fait que le bougnoule
restera toujours le bougnoule, le raton
restera le raton, Ce courant de pensée
insidieux est en train de formater
inexorablement l'imaginaire occidental.
Non, le XXIe siècle ne sera pas celui du
bien commun, mais celui du bien pour les
plus forts.
Que
faut-il faire en Algérie?
Notre jeunesse ballottée entre les deux
univers, est justement attirée par cette
mante religieuse qu'est l'Occident qui
lui demande d'abdiquer son essence et
d'être l'esclave du marché dans la
nouvelle division du monde qui est
toujours structuré par la certitude que
l'Occident, c'est le club des races
supérieures. Nous sommes en faute, nous
n'avons pas su guider notre peuple; nous
avons une faillite morale pour n'avoir
pas su dire «non!», «basta!» aux
multiples dérives d'un système qui fait
dans la «aççabya» un mode de gouvernance
qui perpétue et fait de la Révolution un
fonds de commerce qui lui permet de se
fidéliser les organisations de masse en
tout genre. Quelle est l'espérance pour
celui qui s'immole ou brave la mer? Un
travail, une vie décente? Un avenir ou
la liberté? Beckett disait qu'«un
bulletin de vote ne se mange pas». De
l'autre côté, l'instrumentalisation de
la religion a fait dire à Boumediene
dans son discours à Lahore: «Les
musulmans ne veulent pas aller au
paradis le ventre creux». Qu'en est-il
du sentiment de l'Algérie profonde de
ces jeunes qui galèrent, qui veulent
vivre et contribuer au ciment de la
société. Nous n'avons des jeunes que la
dimension «destruction», essayons de
voir en eux des bâtisseurs.
Une grande partie de l'errance des
jeunes est due à la main basse sur les
symboles de la Révolution de Novembre
par une caste qui en a fait un fonds de
commerce et de ce fait, en parler,
déclenche l'urticaire chez certains et
l'indifférence chez les jeunes à qui
nous n'avons pas su inculquer ces
valeurs. Qu'on le veuille ou non, une
nation ne peut pas vivre sans symboles,
sans évènements fondateurs, ailleurs des
mythes sont érigés en dogmes
fondateurs... La population de 1988
n'est pas celle de 2011 qui, à bien des
égards, est toujours aussi fragmentée et
en errance. J'en veux à la culture qui a
réussi à abrutir la jeunesse en lui
proposant une sous-culture de
l'abrutissement où il est invité à «se
divertir», alors qu'il faut lui proposer
de l'éducation, du travail, bref, de la
sueur au lieu de soporifiques coûteux et
sans lendemain.
On croit à tort que le football et la
Star Ac, voire les émissions de danse et
chants de stars payés avec l'argent du
contribuable, pouvaient amener une
sérénité permanente. Cruelle erreur:
c'est une drogue dure car l'addiction se
paie en émeutes de mal-vie.
Qu'avons-nous fait pour les 75% de la
population (la jeunesse) née après 1962?
Cette jeunesse ne connaît pas son
histoire, sa culture! Au contraire elle
est ballotée entre une «'accabya» arabe
moyen-orientale mythique, qui, qu'on se
le dise une bonne pour toutes, nous
exècre, ne veut pas de nous et fera tout
pour nous démolir, il n'est que de voir
la haine des roitelets roulant sur une
rente imméritée et faisant les matamores
par canons occidentaux interposés. Elle
ne résiste pas aux sirènes occidentales
qui lui proposent des soporifiques sans
lendemain et lui donnent l'illusion de
la liberté..
C’est un fait L'Algérie peine à se
redéployer, elle a connu toutes les
horreurs et sa dernière révolution, elle
l'a faite en 1988, elle a connu une
décennie rouge avec à la clé 200.000
morts, de ce fait elle a déjà ´´donné´´.
Ceux qui attendent un autre chaos
attendront longtemps, le peuple a pris
conscience que si ceux qui le gouvernent
ne sont malheureusement pas à la
hauteur, ceux qui appellent à un
printemps n'ont aucune empahie pour le
peuple algérien. Cependant, doit-on
continuer à nous installer dans les
temps morts? A l'évidence non! la rente
n'est pas éternelle et la contagion du
virus du chaos réorganisateur a
certainement des niches dans le pays qui
le feront prospérer et à Dieu ne garde,
BHL et ses amis seront amenés à
«s'occuper de nous». Ce qui se passe
dans les pays arabes, nous l'avons vécu
et vous êtes frustrés de ne pas voir
l'Algérie à feu et à sang.
La IIe
République
L'Algérie doit changer c'est une
certitude, elle le fera d'une façon non
violente car elle a payé le prix du
sang. Beaucoup d'actions sont à mettre à
l'actif du pays et beaucoup de pays
arabes nous envient. Il existe 100
journaux privés dont la moitié étant des
quotidiens. L'état d'urgence qui était
une nécessité a été levé. Nous irons
vers plus de liberté, de tolérance, de
démocratie en offrant en parallèle un
travail, un toit et une éducation, un
accès aux soins qui sont les vrais
attributs de la dignité humaine.
Seul le parler-vrai, la parole désarmée
et l'honnêteté pourront permettre une
sortie de crise. Je crois profondément
que le personnel politique actuel ne
fait pas preuve d'imagination car
fonctionnant sur des schémas du passé.
Les partis politiques ont, à des degrés
divers, cautionné le système depuis
vingt ans et la demande d'alternance
incantée par certains devrait en toute
logique s'appliquer aussi à eux. Quant à
l'Assemblée nationale, elle est en bout
de course.
Dans ces conditions ne peut-on pas faire
l'économie d'une révolte qui sera, à
n'en point douter, catalysée de
l'extérieur, en prenant les devants
d'une façon déterminée?
L'Algérie de demain a besoin de réponses
durables et non pas de réponses
conjoncturelles à l'emporte-pièce, sans
vision d'ensemble et qui donnent
l'impression de s'être installés
confortablement dans les temps morts.
L'Etat joue au pompier tentant de calmer
en vain les classes dangereuses à telle
enseigne que brûler des pneus peut vous
valoir de disposer d'un appartement sans
aucune contrepartie en termes de force
de travail. Cette fuite en avant de la
réponse unique aux conditions sociales
(logement, nourriture,) et dans une
moindre mesure un simulacre de santé et
d'éducation où on s'occupe plus du
contenant que du contenu (il n'est que
de voir les communiqués laudateurs, sur
le nombre de salles de classe, de lycées
voire d'amphithéâtres et d'universités
construits) sans un mot sur la qualité
de l'acte pédagogique qui s'est
dangereusement détérioré, ni même sur la
qualité des soins. Il faut plus que
jamais revoir tout ce que nous faisons.
Pour commencer, l'Etat doit arrêter de
vivre sur un train de richesses qui ne
correspond pas à une création de
richesses. Il nous faut réhabiliter
notre savoir-faire en comptant sur
nous-mêmes et non sur les Chinois, les
Français, Turcs et autres Coréens pour
qui l'Algérie est un bazar où l'on peut
refiler n'importe quoi pour l'équivalent
de 30 milliards de dollars de gadgets
sans lendemain... Au-delà des grandes
envolées lyriques sur la liberté, il
faut être en mesure de permettre à
chacun de donner la pleine mesure de son
talent, d'être utile, de gagner
dignement son pain non pas par des
perfusions faisant des citoyens des
assistés à vie ou des oubliés à vie.
Tout travail mérite salaire. Ne créant
pas de richesse, on s'en remet à la
rente qui ne sera plus là pour couvrir
les atermoiements et les errances d'une
gouvernance au jour le jour, qui ne
prépare pas l'avenir. On l'aura compris,
ce n'est pas en consommant les
ressources du pays d'une façon
frénétique- donnant l'illusion factice
que nous sommes un pays émergent- que
nous irons vers l'avènement de
l'intelligence, de l'autonomie.
Il est nécessaire de se remettre
fondamentalement en cause en prônant
l'alternance dans le calme et la
sérénité. Le moment est venu d'aller
vers plus de démocratie mais aussi plus
de responsabilité pour le citoyen, vers
plus de justice en consacrant réellement
l'indépendance de la justice.
L'ouverture du champ audiovisuel ne doit
pas se faire d'une façon anarchique. Il
y a d'abord et avant tout un contrat
moral de ceux qui se bousculent au
portillon: comment donner une dimension
à notre pays à la fois sur le plan
culturel, scientifique et éthique. Le
critère qui devrait de mon point de vue
régir les autorisations est avant tout
éthique. Là aussi il devrait y avoir un
dénominateur commun et des fils
invisibles qui protègent le pays et ne
le livrent pas à toutes les cinquièmes
colonnes qui ne tarderont à pas à faire
surface.
Nos dirigeants doivent écouter en toute
humilité, sans condescendance, avant
qu'il ne soit trop tard. La gestion par
la paresse intellectuelle est encore
possible tant que nous pompons d'une
façon frénétique une ressource qui
appartient aux générations futures.
Demain se prépare ici et maintenant. A
quand, en définitive, un gouvernement
fasciné par l'avenir, qui mise sur
l'intelligence pour être une alternative
à ces jeunes en panne d'espérance? Il
nous faut retrouver cette âme de
pionnier que l'on avait à l'Indépendance
en mobilisant, quand il y a un cap.
Imaginons, pour rêver, que l'alternance
est une réalité, qu'une assemblée
constituante prépare de vrais élections
présidentielles le moment venu. Il est
pratiquement sûr qu'il n'y aura pas
d'aspérités qui permettront à «ceux qui
nous veulent bien de s'accrocher» La IIe
République que j'appelle de mes voeux
aura un cap multidimensionnel. A titre
d'exemple, le pays pourra mettre en
oeuvre les grands travaux autrement que
de les confier aux Chinois et Japonais,
sans sédimentation ni transfert de
savoir-faire, il mobilisera dans le
cadre du Service national, véritable
matrice du nationalisme et de
l'identité, des jeunes capables de faire
reverdir le Sahara, de s'attaquer aux
changements climatiques, d'être les
chevilles ouvrières à des degrés divers
d'une stratégie énergétique qui tourne
le dos au tout-hydrocarbures et qui
s'engage à marche forcée dans les
énergies renouvelables.
Le bonheur transparaîtra en chacun de
nous par la satisfaction d'avoir été
utile, et en contribuant par un travail
bien fait, par l'intelligence et la
sueur, à l'avènement de l'Algérie de nos
rêves. Il ne tient qu'à notre volonté de
faire de nos rêves une réalité. Si de
vraies réformes rendues nécessaires par
la marche du monde ne sont pas faites,
elles seront imposées à l'Algérie, après
naturellement un nouveau chaos pire que
celui que nous avons connu, celui de la
partition, qui, ne l'oublions pas, est
in fine, ce qui est promis à l'Algérie.
Il est hors de doute que les
rodomontades ne sont plus de mise. Le
monde a profondément changé, nous en
sommes encore à pratiquer la politique
de Bandoung du non-alignement. Le
capital symbolique de la glorieuse
Révolution de Novembre a vécu. Nous
n'avons pas su -tous autant que nous
sommes- inculquer les fondamentaux de la
fierté, du sacrifice, de l'endurance, de
la sueur et des larmes à notre jeunesse
pour faire du travail une vertu
cardinale.
Professeur
Chems Eddine Chitour
Ecole Nationale Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 18
septembre 2011 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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