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L'EXPRESSIONDZ.COM
NÉOLIBÉRALISME ET DISPARITION DES
ETATS-NATIONS
La Belgique premier maillon
faible
Chems Eddine Chitour
Le Grand Place de Bruxelles - ©
Photos FOIRALLE
Jeudi 17 juin 2010
«Prenez une salle de
spectacle à Bruxelles où sont réunis un grand nombre d’artistes
du pays. Dans un micro, une voix dit aux Flamands de s’installer
à droite, aux Wallons à gauche (ou le contraire, peu importe).
Des voix s’élèvent alors: «Et nous les Belges, on se met où?»
Histoire belge
Les indépendantistes flamands de la NVA, qui
ont remporté le scrutin dimanche, sont de grands partisans de
l’unité européenne, en laquelle ils voient une chance de
dissolution de la Belgique dans le cadre d’une Europe des
régions. Comment ce pays que l’on croyait stable est en fait
vulnérable? Tout remonte à 1830.La révolution belge de 1830
conduit à une seconde indépendance et l’établissement d’un État
neutre sous l’autorité d’un gouvernement provisoire et d’un
congrès national. Avec l’installation de Léopold de
Saxe-Cobourg-Gotha comme premier roi des Belges, la Belgique
devient une monarchie constitutionnelle et une démocratie
parlementaire. L’unionisme entre catholiques et libéraux, à la
construction d’un État libéral et une Constitution qui était en
avance pour l’époque. Par l’initiative de son deuxième roi,
Léopold II, qui a acquis l’État indépendant du Congo comme
possession privée après la Conférence de Berlin en 1884-1885, la
Belgique devient un empire colonial en 1908.
«Grand vainqueur des élections législatives du 13 juin, écrit
Robert Sollé, l’indépendantiste flamand Bart De Wever prône
"l’évaporation" de la Belgique. Rien de moins! Certes, la
Belgique a toujours manqué de solidité, mais on ne l’imaginait
pas déjà en liquidation. Plusieurs facteurs favorisent cette
évaporation. La chaleur, d’abord, et il est vrai que ça chauffe
au pays de la frite. Le vent, ensuite, et tout le monde a
entendu siffler le vent mauvais des récriminations
nationalistes. La Belgique, en ébullition, changera-t-elle
d’Etat? Il est trop tôt pour le dire.»(1)
Séisme et tsunami
Le quotidien
francophone Le Soir analyse les résultats de ce scrutin qui
pourrait remettre en cause les fondements de l’Etat belge. «Un
tremblement de terre». Un résultat «historique». Même
si elle était attendue, la victoire des nationalistes flamands
de la N-VA [Nouvelle Alliance flamande] a provoqué des réactions
à la mesure de son importance. La N-VA est incontournable en
Flandre C’est un véritable «tsunami» De Wever. Les
nationalistes flamands remportent quelque 30% des voix au nord
du pays. Leur président Bart De Wever est de loin, le recordman
de voix, de préférence au Sénat, dépassant très largement le
demi-million de voix. Cela se traduirait pour la N-VA par 27
sièges à la Chambre contre 17 au CD&V [chrétiens-démocrates], 13
au SP.A [socialistes flamands] et 13 à l’Open VLD [libéraux]. Le
PS grand vainqueur du côté francophone: s’il ne s’agit pas, là,
d’un tsunami, c’est toutefois une «victoire éclatante»,
reconnue par tous, du MR à Ecolo. Les deux vainqueurs du jour,
Bart De Wever (N-VA) et Elio Di Rupo (PS), ont chacun à leur
manière appelé au dialogue pour surmonter la crise communautaire
avant de se consacrer aux urgences socioéconomiques.(2)
S’agissant du vainqueur, «Il est considéré comme le
politicien le plus marrant, le plus intelligent...et le plus
dangereux», note le quotidien progressiste De Morgen (...)
Républicain (antimonarchiste), séparatiste et flamingant, De
Wever concède une certaine arrogance et préfère se qualifier de
«patriote flamand». «Bart De Wever est l’avatar
flamand de Berlusconi», estime pour sa part Guido Fonteyn
dans Le Vif/L’Express. Bart De Wever, un néo-Berlusconi. (3)
Populiste et télégénique, le président de la N-VA
indépendantiste, Bart De Wever, peut à présent caresser son rêve
de voir un jour la Belgique s’«évaporer». L’Anversois de
39 ans, à l’embonpoint marqué, historien de formation et père de
quatre enfants, a réussi son pari. Son parti est passé de 3% en
2003 à 29% en 2010. Né dans une famille proche de l’extrême
droite flamande. S’il se dit patient et modéré, Bart De Wever ne
cache pas que son but ultime: une Flandre indépendante,
membre à part entière de l’Union européenne. Comme étape «intermédiaire»,
avant «l’évaporation» de la Belgique, il propose une
Belgique «confédérale», où les régions auraient plus de
pouvoir que le gouvernement central, réduit à s’occuper de
questions comme la défense ou les affaires étrangères. «A
propos de confédéralisme, écrit Bart Eeckhout, on peut déjà
noter ceci: il n’existe nulle part dans le monde un pays
confédéral stable et actif, à savoir une alliance entre des
entités nationales fédérées qui décident ensemble de former un
Etat. Le confédéralisme se termine soit par une refédéralisation,
comme en Suisse, soit par la division d’un pays. Plus que la
monarchie, c’est la dette publique d’environ 333,7 milliards
d’euros (97% du PIB) et l’imbroglio autour de Bruxelles qui
apparaissent comme l’actuel ciment négatif entre les Belges du
Nord et du Sud.»
Philippe Ledent, économiste chez ING parle de l’hypothèse de la
séparation Flandres -Wallonie, écoutons-le: «La scission
entre la Wallonie et la Flandre me paraît politiquement et
économiquement impossible. Sur le plan économique, le principal
obstacle au démantèlement de la Belgique est la colossale dette
publique de l’Etat fédéral qui s’élève à 333,7 milliards d’euros
(97% du PIB). Même sur le plan politique, malgré la victoire des
nationalistes du N-VA, la scission n’est pas envisageable. La
Flandre n’a pas dans l’immédiat intérêt à se séparer de sa
voisine wallonne car il se pose le problème de la région de
Bruxelles. La Flandre est beaucoup plus prospère que la
Wallonie. En 2008, elle représentait 58% de la richesse du pays,
contre seulement 24% pour la Wallonie. A court terme, il est
clair que l’arrêt des transferts entre les deux régions
entraînera un choc négatif important sur l’économie wallonne.
L’arrêt des transferts budgétaires permettra au gouvernement
flamand de réduire la pression fiscale sur les ménages et les
entreprises. Le pouvoir d’achat pourra augmenter entraînant une
hausse de la consommation. Cependant, il ne faut pas oublier
qu’abolir les transferts aurait pour conséquence de fortement
appauvrir les Wallons. (...) Mais aujourd’hui, l’écart entre les
deux régions reste très important, le rattrapage sera long et
difficile. Et surtout, il impliquera une prise de conscience des
autorités wallonnes des faiblesses de leur économie et de la
nécessité de profondes réformes structurelles impopulaires.»(5)
L’implosion du Royaume de Belgique est-elle pour bientôt? A la
veille des élections générales, voyage chez les Flamands,
partagés sur l’avenir de leur pays. En 1968, des milliers
d’étudiants flamands de l’université de Louvain dépavaient les
trottoirs et défilaient aux cris de «Walen Buiten!»
(Wallons, dehors).(...)Les Flamands obtinrent satisfaction. Les
francophones plièrent bagage pour aller fonder, entre vaches et
betteraves, une nouvelle université en Wallonie. Cette «victoire
de Louvain» est une étape importante du long combat mené par
les Flamands depuis la création du Royaume de Belgique en 1830,
pour être considérés comme des citoyens à part entière et
imposer leur langue à égalité avec le français.. (..) Léonie van
Tielborgh estime aussi que «l’indépendance de la Flandre, ce
n’est pas sérieux». (..) «Par son grand-père et à
l’école, elle a aussi compris l’un des mythes fondateurs de la
conscience flamande: les soldats flamands morts durant la guerre
de 14-18, pour n’avoir pas compris les ordres que leur donnaient
leurs officiers francophones. (...) Confédéralisme, le mot est
dans la tête de tous les Flamands. Une manière élégante de se
séparer sans divorcer, et de vider progressivement l’Etat
central des prérogatives qui lui restent.»(6)
Dans un texte oecuménique, de jeunes intellectuels belges
originaires des trois communautés du pays ont publié le même
jour dans un quotidien francophone et un néerlandophone le
plaidoyer suivant: «Laboratoire de l’Europe, carrefour des
civilisations, le pays doit rester uni.(...) Etre belge,
n’est-ce pas avoir l’humilité d’accepter d’avoir besoin de
l’autre pour se définir? Etre belge, c’est accepter de ne pas
être belge à soi tout seul. C’est accepter qu’une partie de
nous, nous échappe. "Un pays n’est pas quelque chose de
géographique", disait Brel. Etre belge, c’est plus qu’une
réalité, c’est un état d’esprit. On trouvera toujours des
raisons de se séparer. Aujourd’hui, ce sont les tensions
linguistiques sur fond d’écarts sociaux, demain ce pourraient
être les questions religieuses. Nous vivons à une époque où nos
identités sont davantage à construire qu’il y a cinquante ans.
(...)» Avec sa mixité, sa diversité de cultures - la
rencontre des mondes latin et germanique - et ses richesses
linguistiques, la Belgique a été et reste un des laboratoires de
l’Europe. Depuis toujours, nous sommes un carrefour de
civilisations. (...) Ce qui se passe en Belgique, la méfiance de
l’autre et le repli sur soi, est la boîte de Pandore de tous les
Etats membres de l’UE. Les minorités linguistiques existent
partout en Europe, à l’exception du Portugal. Demain, ce seront
l’Ecosse, la Catalogne, les minorités slovènes en Autriche. Si
nous ne sommes pas capables de vivre ensemble, qui en Europe
l’est encore? (...) Les universités et les partis politiques ont
été scindés et nous n’avons jamais eu de médias unitaires
bilingues. (...) Mais les hommes politiques n’en portent-ils pas
une part très lourde dans la crise actuelle?. Brel, encore lui,
ne chantait-il pas: «On a vu souvent rejaillir le feu de
l’ancien volcan qu’on croyait trop vieux»? Ne laissons pas à
une poignée de politiciens le monopole de notre avenir. Exigeons
de vrais hommes d’Etat, dignes de ce nom, pas des
politiciens.(7)
Processus
d’implosion
Regis Mex analyse
d’une façon lucide le processus d’implosion belge. Ecoutons-le:
«En ces temps de crise, écrit que ce soit d’un point de vue
géopolitique, financier ou social, il est un petit pays européen
dont on omet sans doute à tort de parler: la Belgique. En effet,
cette dernière n’échappe pas aux conséquences de l’avancée des
mesures visant à concrétiser un gouvernement mondial, ce qui ne
peut être autrement, puisque la capitale belge, Bruxelles, est
également la capitale de l’Europe. (...) Bien que cette
cohabitation ait déjà connu plusieurs heurts, les choses ont
pris de l’ampleur depuis trois ans, période pendant laquelle le
peuple belge a assisté à une augmentation du nationalisme
flamand et à la radicalisation du discours séparatiste. (...)»
Dans son livre La marche irrésistible du Nouvel Ordre Mondial,
Pierre Hillard nous disait ceci, en 2007: «Parler de
l’éclatement de la Belgique est une vieille Arlésienne depuis la
fondation de ce pays en 1831, en particulier avec la
reconnaissance de son indépendance et de sa neutralité lors de
la Conférence de Londres(...)»(8)
Le véritable coup de semonce a été lancé à la fin de l’année
2005 avec la signature d’un manifeste de 250 pages intitulé Pour
une Flandre indépendante en Europe. C’est sous l’égide d’une
cinquantaine d’hommes d’affaires, de journalistes et de
professeurs d’université flamands, dit «groupe de Warande»,
qu’un document a vu le jour. Rappelant le retard économique de
la Wallonie et le coût financier pour la Flandre, ce texte
affirme: Á l’intérieur de la Belgique, la Flandre a évolué d’une
région pauvre, sous-développée, vers une communauté à part
entière avec sa propre langue, sa propre culture, un niveau de
vie relativement élevé et ses propres caractéristiques et
objectifs économiques et sociaux. (...) Ce texte rappelle le
coût économique de la Wallonie sur le bon fonctionnement de la
Flandre. (...) Cette disparité économique entre ces deux blocs
entraîne des tensions croissantes entre Flamands et Wallons.
Cette tension est rehaussée par l’édification de l’Union
européenne, ce qui n’arrange pas les choses. Comme le souligne
avec beaucoup de justesse un des membres du «groupe de
Warande», Rémi Vermeiren: «Vu le nombre croissant de
compétences européennes d’une part, et de compétences régionales
d’autre part, il ne reste en fin de compte plus tant que ça de
la Belgique.» Ces propos sont en fait valables pour
l’ensemble des pays de l’Union européenne. En effet, nous
assistons à l’édification d’un État européen parallèlement à la
délégation de pouvoirs politiques, financiers, administratifs
etc. aux régions, ces dernières traitant de plus en plus avec
l’autorité supranationale de Bruxelles. Entre ces deux pôles,
l’État national est pris dans un véritable étau. Vidé de sa
substance, l’État belge n’est plus en mesure de freiner
l’implosion du pays dont les oppositions culturelles accélèrent
les envies d’indépendance des Flamands.(8)
«(...) Face à la partition programmée de la Belgique, de
nombreux Wallons tournent leur regard vers la France. (...) En
effet, si la France accepte d’intégrer avec son accord la
Wallonie au corps national, nous risquerions d’ouvrir une
véritable boîte de Pandore. (...)Si la France accepte d’intégrer
la Wallonie; les Basques, les Catalans d’Espagne pour ne citer
qu’eux, ne manqueraient pas d’exiger d’intégrer leurs frères de
sang français au sein d’une même entité territoriale(...) Il est
concevable aussi qu’une Flandre indépendante se rattache aux
Pays-Bas formant ainsi une vaste entité néerlandophone. (...)
Nous avons donc là un bel exemple parmi d’autres des services
que peut rendre cette crise aux processus de mondialisme et
d’unification européenne, qui, si elle peut se faire, ne le
pourra que sur les décombres des nations.».(8)
La Belgique est un laboratoire! Tout ce qu’il s’y passe n’est
pas anodin et est effectivement à mettre en lien avec le projet
d’un «nouvel ordre mondial» (NOM) qui est dans son étape
«assassinat des Etats-nations». Cette crise programmée va
générer un chaos réorganisateur comme le disait Condoleezza Rice,
(Ordo Ab Chaos). Ce qui se passe en Belgique semble être une «expérience
de masse» qui ne doit pas nous être indifférente. A qui le
tour? Pour que rien ne s’oppose au néolibéralisme qui n’a rien à
faire des Etats-nations faibles, s’intéressant surtout aux
consommateurs, les Etats doivent disparaître au profit d’entités
plus «flexibles» Nous sommes avertis.
1.Robert Sollé: Molécules Belges. Le
Monde 15 06 2010
2.Olivier Mouton: La victoire éclatante des indépendantistes
flamands. Le Soir 14.06.2010
3.Bart De Wever, le Flamand qui voudrait voir la Belgique
s’«évaporer» NouvelObs. 14/06/10
4.Bart Eeckhout: Le charlatanisme pur et dur des nationalistes.
De Morgen10.06.2010
5.Elodie Grangié:Interview de Philippe Ledent: La Flandre...la
Wallonie? 14/06/2010
6.La Flandre à mille temps. Liberation.fr 12/06/2010
7.Q. Martens, L. A. Nobels, A. de Lame, S. Siegers: L’art d’être
belge De Morgen 10.06.2010
8.Régis Mex: La Belgique, une victime du Nouvel ordre mondial?
AlterInfo 11 Juin 2010
Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale
polytechnique, enp-edu.dz
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réservés © L'Expression
Publié le 17 juin 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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