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Opinion
La Nekba, an 63 : Le désespoir au
quotidien
Chems Eddine Chitour
Lundi 16 mai 2011
« Celui qui m’a changé en exilé m’a changé en bombe...Palestine
est devenue mille corps mouvants sillonnant les rues du monde,
chantant le chant de la mort, car le nouveau Christ, descendu de
sa croix, porta bâton et sortit de Palestine. »
Mahmoud Darwich
Ce 15 mai, les Palestiniens et tous ceux qui sont épris de
justice fêtent un douloureux anniversaire, celui de leur
déportation violente pour les plus chanceux et celui des
massacres de la main des organisations sionistes
post-indépendance d’Israël et convertis en armée la plus morale
au monde. Des manifestations émaillées d’incidents à
Jérusalem-Est où, au moins, une dizaine de Palestiniens, dont un
adolescent de 16 ans, ont été blessés lors de heurts avec les
forces israéliennes. Pire encore les manifestations aux
frontières du Golan, du Liban et dans les territoires occupés,
des Palestiniens ont vue la mort d’une douzaine de personnes et
de plusieurs dizaines de blessés Rappelons que la résolution 194
de l’ONU dispose que «les réfugiés qui désirent rentrer dans
leurs foyers et vivre en paix avec leurs voisins devraient y
être autorisés le plus vite possible». Tous les gouvernements
israéliens se sont opposés à l’application du droit au retour,
au nom du caractère juif de l’Etat.
Deux poids, deux mesures
Après la chute du califat, la puissance de l’époque s’est vu
confiée par la SDN la Palestine en 1922. À partir de 1925,
lit-on dans l’Encyclopédie Wikipédia, le cheikh palestinien Izz
al-Din al-Qassam met sur pied un groupe comprenant entre 200 et
800 militants. Il organise des attaques contre les intérêts
britanniques et sionistes dans les environs de Jenine. Il est
tué en 1935 par les Britanniques qui l’assiègent avec 200 de ses
partisans. Sa mort est un élément déclencheur de la Grande
Révolte arabe qui voit, sous les auspices du Mufti Amin
al-Husseini, les Arabes palestiniens entrer en lutte armée
contre les Britanniques. Ces derniers décident de mater la
révolte violemment. Curieusement, ils se font seconder par des
unités composées de Juifs palestiniens comme les «Special Night
Squads» (Escadrons de nuit spéciaux) et la «Jewish Settlement
Police» (police coloniale juive). En riposte aux attaques
arabes, l’Irgoun, une milice sioniste de droite, organise de son
côté de nombreux attentats. Fin 1939, la Révolte aura fait près
de 5000 morts et aura vu la déportation ou la mort des
principaux leaders arabes palestiniens.(1)
Avant même la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Juifs de
l’Irgoun appuyé par le groupe Stern se retournent contre les
Anglais, en réaction contre l’interdiction de l’immigration des
Juifs en Terre d’Israël; le 22 juillet 1946, un attentat
terroriste de l’Irgoun contre l’Hôtel King David, centre de
l’administration britannique à Jérusalem, fait 92 morts.
L’Angleterre ne traite pas de la même façon les Palestiniens
qu’elle a matés et les Israéliens qui l’attaquent. «Malgré leurs
100.000 hommes en Palestine, les Britanniques sont démunis face
à cette violence qu’ils ne peuvent mâter comme la révolte arabe
de 1936. Selon Henry Laurens, il n’est pas possible pour eux
d’utiliser contre des blancs occidentaux, et de surcroît contre
des Juifs après la Shoah, des méthodes utilisées contre des
indigènes. Devant leur incapacité à concilier les points de vue
arabe et sioniste, face aux coups reçus et aux trop nombreuses
pertes, ils décident de mettre un terme à leur mandat et de
remettre la «question de la Palestine» à l’ONU. Les événements
se calment après l’annonce britannique. Toutefois, dès le
lendemain du vote du Plan de Partage de la Palestine, la
violence éclate à nouveau mais cette fois entre Juifs et Arabes
palestiniens.(1)
Avant le 14 mai 1948, alors que la Palestine était toujours sous
autorité britannique, la communauté juive et les Arabes
palestiniens s’affrontèrent dans le contexte d’une guerre
civile. Les Palestiniens parlent d’al-Naqba (catastrophe), leurs
forces ont été vaincues par les forces juives et au cours de
laquelle une bonne partie d’entre eux a vécu un exode dont ils
ne se remettent pas 63 ans après, la mémoire est toujours vive.
Dans le cadre de la réalisation de la continuité territoriale
prévue par le Plan Daleth, les forces de la Haganah, du Palmah
et de l’Irgoun se lancent à la conquête des localités mixtes. La
société palestinienne s’effondre.
Tibériade, Haïfa, Safed, Beisan, Jaffa et Acre tombent, jetant
sur les routes de l’exode plus de 250.000 Palestiniens.
Durant la période du 15 mai 1948 à la mi-avril 1949, plus de
350.000 Palestiniens (sur les 750.000 de l’ensemble de l’exode
palestinien) prennent la route de l’exode, fuyant les combats ou
expulsés des zones contrôlées ou conquises par Israël. Dans
toutes les pseudo-négociations, les Palestiniens parlent du
retour des refugiés, et pendant ce temps la colonisation
s’accélère rendant chaque fois une partie du territoire de
Palestine définitivement sioniste. Pour les nouveaux historiens
israéliens anti-sionistes, ce sont les Britanniques qui ont
empêché l’émergence d’un État palestinien et ont favorisé celle
d’un État juif. L’exode palestinien n’a pas été le fait d’une
politique arabe, voire encouragé par les Arabes mais bien,
principalement, d’une expulsion manu militari due aux soldats
israéliens.
Dans son ouvrage courageux « Le Nettoyage ethnique de la
Palestine », l’historien israélien Ilan Pappé, professeur à
l’Université de Haïfa, que les sionistes considèrent comme un
«Juif honteux», démolit le mythe selon lequel les Arabes
auraient attaqué Israël au moment de sa fondation. En fait, le
nettoyage ethnique de la population palestinienne (massacres,
terreur et expulsions forcées à grande échelle) était prévu dès
la première heure.
Le 10 mars 1948 (deux bons mois avant la proclamation
d’indépendance) se tint à Tel-Aviv, au siège de la Haganah (la
«Maison Rouge») une conférence présidée par Ben Gourion et
réunissant des chefs sionistes civils et militaires, afin de
mettre au point les détails des «opérations» à venir. Cette
réunion fut - toutes proportions gardées - l’équivalent de la
conférence tenue en janvier 1942 à Berlin-Wannsee par les chefs
nazis. Bien sûr, il n’y fut pas question de «solution finale du
problème palestinien» mais seulement de «plan Daleth»* mais pour
les centaines de milliers de Palestiniens chassés, dépossédés,
tués, mutilés ou blessés, cela ne fait aucune différence.
Méthodes prévues par le plan sioniste: «Intimidation massive,
siège et pilonnage des villages et des quartiers, incendie des
maisons, des biens, des marchandises, expulsion, démolition et
pose de mines dans les décombres pour empêcher les expulsés de
revenir».(2)
Le nettoyage ethnique commença - de manière un peu désorganisée
- dès les premiers jours de décembre 1947, quelques jours à
peine après le vote de l’ONU et trois mois avant l’adoption du
plan Daleth. Quant aux méthodes utilisées par les sionistes à
cette époque, Ilan Pappé montre qu’elles étaient déjà ce
qu’elles sont aujourd’hui: cynisme et chutzpah, mensonges
permanents, (...) crimes de guerre et crimes contre
l’humanité.(...) Dès le départ, l’armée «la plus morale de tous
les temps», s’est distinguée par sa brutalité, son sadisme et sa
cupidité: pillages, destructions systématiques, viols, exactions
en tous genres, assassinats».(3)
La Nekba a été préparée minutieusement
La Nekba n’est pas tombée du ciel, elle a été minutieusement
préparée. Bien sûr, l’idée de nettoyage ethnique en Palestine
n’est pas née subitement en mars 1948. Elle est l’aboutissement
d’une longue évolution devenue évidente dans les années 1930.
Sous prétexte de réaliser un inventaire de toutes les terres
susceptibles d’être acquises par le Fonds national juif, les
sionistes ont constitué des dossiers très complets sur tous les
villages palestiniens. «Ces archives contenaient des détails
précis sur la situation topographique de chaque village, ses
voies d’accès, la qualité de ses terres, ses ressources en eau,
ses principales sources de revenus, sa composition
sociopolitique, ses affiliations religieuses, les noms de ses
mukhtars, ses relations avec les autres villages, l’âge de ses
habitants de sexe masculin (de seize à cinquante ans), et bien
d’autres choses. Une catégorie importante était l’indice
d’«hostilité» (à l’égard du projet sioniste, évidemment),
fonction du degré de participation du village à la révolte de
1936 (...) Dès juin 1938, Ben Gourion déclare devant l’Exécutif
de l’Agence juive: «Je suis pour le transfert forcé [l’expulsion
des Arabes palestiniens]. Je ne vois rien là d’immoral.» Dix ans
plus tard, le 24 mai 1948, il écrit dans son Journal: «Nous
allons créer un Etat chrétien au Liban, dont la frontière sud
sera le Litani. Nous allons briser la Transjordanie, bombarder
Amman et détruire son armée, et alors la Syrie tombera. Apres
quoi, si l’Egypte veut continuer à se battre, nous bombarderons
Port Saïd, Alexandrie et Le Caire. Ce sera notre vengeance pour
ce que les Egyptiens, les Araméens et les Assyriens ont fait à
nos aïeux à l’époque biblique. Indépendamment du fait que la
prétendue oppression des Juifs par les Egyptiens, les Araméens
et les Assyriens est dénuée de tout fondement historique, et que
les ancêtres du «père» de l’Etat juif étaient très probablement
des Khazars sans le moindre lien avec la Palestine.»(3)
Dans l’ouvrage publié sur le site de Global Research, Stephen
Lendman écrit: «Il y eut des destructions de maisons, de
villages et de récoltes, des viols et d’autres atrocités. On
massacra des civils sans défense, femmes et enfants; on ne fit
pas de quartier. Ces crimes ne sont jamais mentionnés dans
l’historiographie officielle expurgée. On n’y trouve que le
mythe des Palestiniens quittant volontairement le pays et
craignant les représailles des armées arabes venues envahir
Israël. Ces mensonges ont pour but de couvrir les crimes
israéliens que les Palestiniens appellent ‘Nakba’ (catastrophe
ou désastre).»(3)
Massacre de masse et racisme, conséquence de la Nekba
Parmi les architectes du nettoyage ethnique par le fer et par le
feu, «Menahem Begin se distingue pendant cette guerre en
massacrant avec d’autres tueurs de l’Irgoun 240 civils à Deir
Yassine* (le 9 avril 1948, cinq semaines avant la proclamation
de l’Etat d’Israël). 200 villageois assassinés par la Haganah,
l’armée régulière, huit jours après la proclamation de l’Etat
juif. Ce massacre, plus tabou encore que celui de Deir-Yassine,
a été «révélé» en 2000 par Teddy Katz, de l’Université de Haïfa.
A Dawaimeh, le pire de tous les massacres israéliens, plus de
450 civils palestiniens ont perdu la vie en octobre 1948. Ilan
Pappé écrit à ce propos: «Les soldats juifs qui ont pris part au
massacre ont rapporté les horreurs: bébés au crâne fracassé,
femmes violées ou brûlées vives dans les maisons, hommes
poignardés..» Quant aux Britanniques, ils ont laissé faire. Ilan
Pappé parle de «passivité complice»».(4)
A propos du massacre de Deir Yassin, le grand physicien Albert
Einstein, juif de confession, s’était toujours élevé contre la
politique des organisations sionistes et terroristes. Il écrit
le 10 avril 1948, à M.Shepard Rifkin, directeur exécutif des
amis Américains des combattants pour l’indépendance d’Israël:
«Cher monsieur, Quand une véritable catastrophe finale s’abattra
sur la Palestine, le premier responsable en sera le gouvernement
britannique et les seconds responsables seront les organisations
terroristes qui émanent de nos rangs. Je ne veux voir personne
associé avec ces gens égarés et criminels».(4)
Après Deir Yassine, il y eut Kibya, il y eut Jenine. Il y eut
Ghaza. La sociologue Ester Benbassa écrit: «Comment des juifs,
dont les parents ont vécu la persécution, la souffrance,
peuvent-ils tolérer qu’un autre peuple, les Palestiniens,
connaisse un sort similaire? Je ne veux pas non plus être juive
et approuver cette guerre immorale que mène Israël.»(5)
Dans une contribution lumineuse et objective, l’historien
israélien Ilan Pappé écrit à propos du racisme colonial,
conséquence d’une spoliation violente de la terre de Palestine:
«(...) En fait, si vous connaissez l’hébreu, vous savez que
toute la langue hébraïque, de 1882 jusqu’à aujourd’hui, qui a
été construite pour décrire ce que le mouvement sioniste est en
train de faire en Palestine, utilise, encore et encore, les mots
«hityachwut, hituachahut»; et la seule façon de traduire ces
mots est coloniser. Ainsi le mouvement sioniste, à la fin du
XIXe siècle, (...) utilisait très volontiers le mot coloniser.
Mais, par la suite, les sionistes ont appris que le colonialisme
n’était pas si populaire, alors ils l’ont traduit différemment,
ils ont trouvé le mot «settlement» [«implantation»], qui
signifie quelque chose d’autre en anglais; et ils ont trouvé
cette réponse: «Oui, c’est coloniser, mais ce n’est pas comme
´´coloniser´´, c’est une chose différente». (...) L’État pour
les Palestiniens, c’est deux Bantoustans, divisé par douze en
Cisjordanie, et clôturé comme un camp de concentration à Gaza,
qui n’a pas de connexion entre les deux, et qui a une petite
municipalité à Ramallah que l’on appellera gouvernement; voilà
l’État ». (6)
« (...) Quiconque a vécu en Israël assez longtemps, comme c’est
mon cas, sait que la principale corruption subie par les gens au
cours du service militaire est la totale déshumanisation des
Palestiniens. C’est pourquoi, quand il voit un bébé palestinien,
un soldat israélien ne voit pas un bébé, il voit un ennemi
potentiel. Entre chasser le bébé de la maison à coups de pieds,
et tuer le bébé, la route n’est pas très longue. (...) Les
Israéliens ne trouvent pas du tout bizarre que, si vous
établissez une démocratie, vous pouvez aussi perpétrer un
nettoyage ethnique, et un génocide. (..) Nous savons que les
Israéliens sont très clairs au sujet de ce qu’ils veulent: ils
veulent autant de territoire palestinien que possible, avec
aussi peu de Palestiniens que possible; c’est ce qu’ils
voulaient en 1882, et c’est ce qu’ils veulent en 2010. Cela n’a
pas changé. (...) Quand vous soutenez le droit au retour [des
réfugiés palestiniens] vous ne reconnaissez pas seulement le
crime de nettoyage ethnique de 1948, vous n’adhérez pas
seulement aux résolutions des Nations unies qui soutiennent très
clairement le droit au retour, vous dites en plus un très simple
non au racisme. Vous dites non au seul État raciste du
Moyen-Orient».(6)
Dans sa négation, Israël veut effacer le mot Nekba des mémoires
des jeunes palestiniens en commençant par les manuels scolaires
Nous laissons Ilan Pappé le grand historien israélien, conclure:
«Quand naquit l’Etat d’Israël, personne ne lui reprocha
l’épuration ethnique sur laquelle il était fondé, un crime
contre l’humanité commis par ceux qui la planifièrent et la
réalisèrent. Dès ce moment, l’épuration ethnique devient une
idéologie, un ornement infrastructurel de l’Etat. Discours
toujours valable aujourd’hui parce que le premier objectif reste
démographique, obtenir la plus grande quantité de terre avec le
plus petit nombre d’Arabes. La purification ethnique continue et
Israël veut nous la faire accepter.»
On sait que les crimes de masse d’Israël ont précédé son
existence et depuis 1947, date du vote de l’ONU du partage de la
Palestine, l’Etat d’Israël n’a cessé de continuer à tuer, de
violer, d’incendier, d’accaparer les terres des Palestiniens, de
détourner les eaux des pays voisins, en un mot de terroriser le
Moyen-Orient sous l’oeil complice, voire impuissant de
l’Occident.
1.La Palestine mandataire: Encyclopédie
Wikipédia.
2.Ilan Pappé: Le nettoyage ethnique de la Palestine Ilan Pappe
Arthème Fayard 2008
3.http://membres.multimania.fr/wotraceafg/conflit_pal_isr.htm
4.http://www.alterinfo.net/Einstein-et-Bricmont-sur-l-imposture-sioniste
5.Ian Hamel: Le cri de colère d’Esther Benbassa. Site Oumma.com
17 novembre 2009
6.Ilan Pappé: Soutenir le droit au retour des réfugiés, c’est
dire non au racisme israélien
http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=22719 10
janvier 2011
Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique Alger enp-edu.dz
Publié le 16 mai 2011 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Les textes du Pr Chems Eddine Chitour
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