Opinion
Jean-Luc Mélenchon
:
Certitude et ambiguïté du discours
Chems
Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Samedi 16 février
2013
«Mon Dieu,
gardez-moi de mes amis, mes ennemis je
m'en charge!».
Voltaire
Jean Luc-Mélenchon était à Alger mardi
12 janvier. Il a animé une conférence à
l'Institut français d'Alger. Son
discours ambivalent est une énigme.
Autant il a été flamboyant quand il
s'est agi de parler des luttes sociales
et du sort des beurs, des émigrés, des
musulmans bref, des damnés de la terre
française, autant son discours sur les
relations algéro-françaises est très en
retrait de notre naïve «attente» du
«Grand Soir» qui s'est arrêté pile
devant ce sujet tabou.
Qui est
Jean-Luc Mélenchon?
Il appartient à la gauche
méditerranéenne, il a même été ministre
sous la gauche. Les dernières élections
l'ont révélé. Sa stratégie de «rupture»
lui a permis de «recoller» les morceaux
d'un Parti communiste en perdition. Un
ovni pourtant bien identifié, venu de
nulle part, qui a pris à la hussarde les
destinées du Parti communiste, l'a
aguerri pour en faire une force de
frappe qui frappe fort. Nous avons suivi
un vrai tribun qui remue les foules,
avec le sens de la répartie, et des
références puisées dans le bréviaire de
la gauche mythique, celle des Jaurès
avec aussi des accents soixante-huitards
qui ont donné un coup de jeune à ceux
qui ont vécu mai 1968, période heureuse
pendant laquelle «il était interdit
d'interdire». Le FDG semble prédestiné à
jouer un rôle dans la vie politique
surtout s'il poursuit son travail
d'éducation politique efficace auprès
des couches populaires.. Il est vrai que
le charisme de Mélenchon, qui a un
talent de tribun y contribue
efficacement.
Lors d'un meeting à Marseille, il se
déclare pour une Méditerranée
fraternelle: «Notre chance c'est le
métissage», il salue «Arabes et
Berbères» par qui seraient venues en
Europe «la science, les mathématiques ou
la médecine» au temps où selon lui
«l'obscurantisme jetait à terre l'esprit
humain». Refusant «l'idée morbide et
paranoïaque du choc des civilisations»,
il a dit sa pensée aux Maghrébins «qui
ont libéré le sol de la patrie des
nazis»... «Les peuples du Maghreb sont
nos frères et nos soeurs» et il n'y a
«pas d'avenir pour la France sans» eux,
«La France n'est pas une nation
occidentale» a-t-il cru bon encore
d'ajouter, «vouée à suivre le char des
Etats-Unis d'Amérique» mais «une nation
universaliste». Pour moi, la question se
pose pour un homme public de la façon
suivante: séparer strictement l'Etat et
la religion, un point! Le reste, c'est
une affaire privée.» S'agissant du halal
- problème de fond pour l'avenir de la
France, à en croire la droite et son
extrême, Jean-Luc Mélenchon avait
déclaré qu'«on n'attrape pas une
religion en mangeant de la viande». (1)
Mélenchon
et l'immigration
Dans une étude intéressante, Salim
Lamrani explique pédagogiquement que
l'immigration loin d'être un boulet est
un atout pour la France. Il écrit: «En
France, l'instrumentalisation de la
question migratoire a historiquement été
le fait de l'extrême droite. Désormais,
la digue républicaine a été rompue par
la droite traditionnelle qui n'hésite
plus à reprendre cette thématique et à
stigmatiser les immigrés. (...) Pour
l'UMP, les problèmes de la France
s'expliqueraient par la présence trop
nombreuse de la population étrangère en
France. Ainsi, selon les thuriféraires
de «l'identité nationale», le chômage et
les déficits publics seraient dus au
nombre trop élevé d'immigrés en France.
(...)En réalité, l'immigration est une
nécessité économique pour la France.»(2)
«Une étude du ministère des Affaires
sociales poursuit Salim Lamrani, portant
sur le coût de l'immigration sur
l'économie nationale révèle que les
immigrés, loin de plomber le budget des
prestations sociales, rapportent chaque
année aux finances publiques la somme de
12,4 milliards d'euros, contribuant
ainsi à l'équilibre du budget national
et au paiement des retraites. (...) Ce
solde amplement positif détruit
l'argumentaire du FN et de l'UMP au
sujet de l'immigration En outre, selon
cette étude, il convient d'ajouter à ce
solde positif net de 12 milliards
d'euros par an, d'autres revenus non
monétaires d'une grande importance
économique et sociale. Ainsi, les 5,3
millions de résidents étrangers établis
en France (11% de la population)
occupent dans leur immense majorité des
emplois dont les Français ne veulent
pas. Par ailleurs, 90% des autoroutes
ont été construites et sont entretenues
avec de la main-d'oeuvre étrangère.» (2)
«Jean-Luc Mélenchon, porte-parole du
FDG, a condamné les positions de la
droite et de l'extrême droite: «Le
problème de la France, ce n'est pas
l'immigré, c'est le financier. Ce n'est
pas l'immigré qui ferme l'usine. Ce
n'est pas l'immigré qui condamne les
autres à la pauvreté. C'est le capital
financier et ses chiens de garde du
Front national.» (2) (3)
La leçon
aux Algériens chez eux
Globalement, son intervention a porté
sur deux grands thèmes: la lutte
ouvrière internationale et les rapports
algéro-français, Jean-Luc Mélenchon a
été comme à son habitude, percutant...
Cependant, le leader du Front de gauche
a répété à l'envi qu'il est un patriote
français qui aime son pays et sur la
question mal posée de la repentance, il
a dévoilé ses batteries. Nous commençons
à connaître le vrai Mélenchon et son
ambivalence.
M.Mélenchon renvoie dos à dos l'Algérie
et la France. «La vie des nations est
également faite, de contrats et
d'accords. Si les Algériens ne sont pas
contents de ces contrats, ils n'ont qu'à
en signer d'autres. La République
française doit y trouver son compte»,
a-t-il soutenu. Comprenne qui peut!
Diluant ses idées dans des phrases
creuses et très sonores, il ressert les
grands mots de destin commun, de
Méditerranée, d'humanité. «Il y a une
faible conscience de la communauté de
destin en région méditerranéenne. Il y a
aussi un poids de l'histoire mal géré.
Je trouve cela désolant.» Pour lui,
demander des excuses à la France pour
les crimes commis durant la période
coloniale est une perte de temps. «Ceci
n'a pas de sens. C'est un subterfuge
pour ne pas parler d'autre chose. Vous
n'allez pas demander à vos enfants ou à
vos petits-enfants de venir
s'excuser...»
Jean-Luc Mélenchon ne veut pas entendre
parler de la repentance de la France
pour les crimes coloniaux commis en
Algérie. Il qualifie de ce fait le
combat pour la dignité et la
focalisation sur cette question de
´´belle perte de temps´´. «Je pense que
ça serait une belle perte de temps. La
France, c'est aussi moi, et moi je n'ai
martyrisé personne, ni mes ancêtres
(...) Je pense que c'est une perte de
temps totale et un subterfuge pour ne
pas parler d'autre chose, des problèmes
auxquels nous sommes confrontés», a-t-il
soutenu. «Je ne me laisse pas entraîner
dans des machins pareils», a-t-il
ajouté. »(4)
Ce grand machin pour lequel un million
de personnes, dans une guerre atroce,
sans nom, faite de tortures et étant
l'aboutissement de 132 ans
d'humiliation, de spoliation, de déni de
dignité, d'enfumades. Tout cela c'est un
«machin» pour M.Mélenchon. Qualifier la
Révolution algérienne de simple «guerre
civile» n'est pas acceptable! Pour
rappel, Jean-Luc Melenchon avait déjà
donné son avis sur cette question lors
d'une interview.
A une question: sur la repentance de la
France officielle pour ses crimes,
commis tout au long de 132 ans
d'occupation violente de la terre
algérienne? Jean-Luc Mélenchon oppose
une fin de non-recevoir alambiquée:
«Non. Pas du tout. Ce serait produire
une confusion de plus! Le peuple
français n'a pas décidé l'invasion de
1830. C'est la monarchie qui l'a fait.
Quand il a été consulté
démocratiquement, le peuple français a
toujours opté pour la solution la plus
avancée. Le peuple français n'est pas
davantage responsable de la colonisation
que de l'esclavage ou de la déportation
des juifs! (...) J'ai dit devant le
Sénat français que nos armes ont
combattu pour un ordre injuste, celui de
la colonisation et qu'il était juste
qu'elles perdent ce combat. Le peuple
algérien et l'Algérie se sont constitués
dans la guerre d'indépendance. Cette
guerre, il l'a gagnée. Quel genre de
vainqueur a besoin des excuses du
vaincu? En avons-nous jamais demandé,
après les avoir vaincus, aux Allemands
qui nous ont envahis trois fois en un
siècle? Maintenant, la guerre est finie.
Nous vivons ensemble. Offrons sans
barguigner à nos enfants communs, à nos
familles communes, les bienfaits de la
paix et de l'effort commun sans regarder
sans cesse par-dessus nos épaules.» (4)
Ce que Jean-Luc Mélenchon «oublie» de
signaler, c'est que les Allemands n'ont
pas occupé l'Algérie pendant 132 ans.
Jean Daniel nous relate les dégâts dans
l'imaginaire français de quatre ans
d'occupation: ««Lorsqu'on voit ce que
l'occupation allemande a fait comme
ravage dans l'esprit français, on peut
deviner ce que l'occupation française a
pu faire en cent trente ans en Algérie.»
(5)
Cette phrase résume, à elle seule, la
tragédie de la colonisation. Malgré tous
les négationnismes bruts ou enveloppés,
la colonisation française ne fut pas un
long fleuve tranquille. Quand M.
Mélenchon joue sur les mots en parlant
de «guerre civile», il ne fait pas
avancer le débat. Pour rappel, une
guerre civile est la situation qui
existe lorsqu'au sein d'un État, une
lutte armée oppose les forces armées
régulières à des groupes armés
identifiables, ou des groupes armés
entre eux, dans des combats dont
l'importance et l'extension dépassent la
simple révolte ou l'insurrection. Du
point de vue du droit de la guerre, on
utilise l'expression «conflit armé non
international», le mot «guerre» étant
réservé au conflit armé international.
(...)Pour être considérées comme
«guerre», les hostilités doivent
atteindre un certain degré d'intensité
et se prolonger un certain temps. (...)
Jusqu'au début du XXe siècle, la guerre
civile est considérée comme une affaire
strictement intérieure qui ressort du
domaine réservé de l'État concerné, qui
a de fait et de droit toute latitude
pour traiter comme bon lui semble les
factieux, en considérant par exemple les
rebelles en armes comme de simples
criminels».(6)
«La formule élémentaire pour définir la
guerre civile est simple: la violence
doit être «civile», il doit s'agir d'une
«guerre», et son objectif est l'exercice
ou la prise du pouvoir.
«civile» signifie que la lutte a lieu à
l'intérieur d'un territoire national. La
violence est le critère suprême: les
combattants essaient de s'emparer du
pouvoir national ou de le conserver. La
vengeance, la revendication de droits,
les crimes de masse et les gains
économiques ne sont pas, pris isolément
ou ensemble, des motifs suffisants.
Seuls cinq cas précis peuvent être
cités: les conflits anglais (1642-1649),
américain (1861-1865), russe
(1918-1921), espagnol (1936-1939) et
libanais (1975-1990)».(7)
On le voit, la Révolution algérienne
n'est pas cataloguée sous le vocable de
guerre civile. De plus, le concept de
guerre civile s'adresse à une population
homogène. Tel n'était pas le cas,
puisque c'était en fait, un apartheid
avec une classe supérieure et des
indigènes. Nulle part nous n'avons
entendu parler de guerre civile
s'agissant de la Révolution de Novembre.
Jean-Luc Mélenchon est dans le même
registre que les socialistes de la
gauche Sfio qui avait mené la répression
et désignant ce qui se passait en
Algérie d'événements d'Algérie. Il a
fallu près d'un demi-siècle pour que la
France reconnaisse qu'il y avait une
guerre d'Algérie.
Le tribun
soixante-huitard et le dada de
l'écologie
L'autre face de Jean-Luc Mélenchon qui
n'a pas déçu sa prédilection de la mare
nostrum, nous a été exposée: «Je veux,
déclare-t-il, donner un signal humain
fort qui percute les routines. Nous
constituons par bien des aspects, une
seule famille humaine, sociale et
culturelle des deux côtés de la
Méditerranée. Aucun autre pays européen
n'est humainement aussi lié que la
France aux peuples du Maghreb. Combien
d'enfants, de parentèles en commun? Des
dizaines de milliers! En partageant la
mer Méditerranée, nous affrontons aussi
les mêmes défis écologiques vitaux pour
nos peuples, puisque plus de la moitié
des habitants de nos pays vivent au bord
de la mer. Il n'y a pas d'avenir utile
sans que nos peuples s'imbriquent
davantage.»
A Alger, Jean Luc Mélenchon est revenu
sur le thème «porteur» de l'écologie
dans une perspective planétaire, il
invite les Algériens à s'opposer à
l'exploitation du gaz de schiste. Sur un
ton amusé, il déclare: «Il paraît qu'on
va exploiter le gaz de schiste chez
vous. Et ce sont les Français qui vont
le faire. Moi, ça ne me plairait pas.
Comme citoyen du même écosystème
méditerranéen, je vous demande
respectueusement: s'il vous plaît,
opposez-vous à ça! Il n'y a pas
seulement la fracturation hydraulique
qui permet l'extraction du gaz de
schiste qui est dangereuse. Il ne faut
pas extraire les gaz de schiste.»
Merci M.Mélenchon pour cet appel,
puissiez-vous être entendu par ceux qui
décident sans consulter leur peuple!
«Il faut s'obliger, poursuit-il, à
développer l'inventivité, les machines
et les moyens qui nous permettent de
nous passer du gaz de schiste et des
énergies carboniques. Nous savons le
faire. Quelle est la limite à
l'intelligence humaine? Il n'y en a pas.
L'humanité est en proie à des
bifurcations anthropologique, écologique
et autres. Le mot bifurcation remplace
celui de révolution. Manié dans tous les
sens, ce mot a fini par ne rien pouvoir
dire», (...) Il y a un seul écosystème
compatible avec la vie humaine. Un
système entré dans une grave
perturbation, c'est celle du climat. Si
nous voulons mettre un terme au
dérèglement climatique, nous devons
sortir des énergies charbonnées. L'air
et l'eau purs relèvent de l'intérêt
général humain.» Que c'est bien dit!
Mais aussi que c'est malheureusement
sans lendemain.
En définitive, on ne peut qu'être déçu -
du fait d'un manque de vigilance - quant
à la perception de la réelle
personnalité de M. Mélenchon. C'est en
définitive un politicien qui passe à
travers les gouttes de pluie, maniant la
rhétorique d'une façon parfaite, il peut
vous convaincre d'une chance et de son
contraire. De plus, contrairement à nous
autres Algériens, nous ne parlons pas
d'une seule voix à l'extérieur. Jean-Luc
Mélenchon ne «tape pas pour son pays» au
contraire, dès le début de ses
interventions, il fixe le cadre étroit
dans lequel il décide de parler et rien
ne peut l'en faire sortir au risque
d'encourir son courroux.
En définitive, comme dit dans
l'Ecclésiaste: «Rien de nouveau sous le
soleil.» Espérons que la nouvelle
génération de socialistes assumera
sereinement l'histoire sanglante de la
colonisation en Algérie et forgera des
relations apaisées. L'Algérie est prête
à assumer sa part de responsabilité
devant l'Histoire.
1.http://www.lejdd.fr/Election-presidentielle-2012/Actualite/Melenchon-a-vante-le-metissage-de-la-France-a-Marseille-502717
2. Salim Lamrani
http://www.mondialisation.ca/l-immigration-en-france-de-la-rh-torique-x-nophobe-la-r-alit-des-chiffres/31355
3. Jean-Luc Mélenchon, «Discours de
Strasbourg», 22.05.2012.
http://www.dailymotion.com/video/xr0h1l_j-l-melenchon-discours-de-strasbourg_news
4.
http://www.elwatan.com/international/chokri-belaid-etait-un-grand-tribun-des-pauvres-des-ouvriers-et-des-femmes-10-02-2013-202797_112.php
5. Jean Daniel «Le temps qui reste»
Editions Gallimard 1972
6. La guerre civile: Encyclopédie
Wikipédia
7. http://www.jeuneafrique.com/Article/
LIN24127questelivic0/
Pr.C.E. Chitour
Ecole Polytechique enp-edu.dz
Publié le 17 février 2013 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
Les dernières mises à jour
|