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L'EXPRESSIONDZ.COM
UNE NOUVELLE ÈRE EN TUNISIE
La révolution du jasmin
Chems Eddine
Chitour
Dimanche 16 janvier 2011
«Lorsque le peuple un jour veut la vie,
Force est au destin de répondre, Aux ténèbres de se dissiper,
Aux chaînes de se briser...Qui n’aime pas la montagne, Vivra
éternellement au fond des vallées.»
Abou el Kassem Echebbi
Un coup de tonnerre. Le peuple tunisien
s’est libéré, après cinquante-cinq ans de parti unique, de deux
présidents. Il n’acceptera pas qu’on lui vole sa révolution. La
promesse du président Zine El-Abidine Ben Ali de quitter le
pouvoir à l’issue de son mandat en 2014, annoncée jeudi soir 13
janvier à la télévision, ne semble pas avoir calmé les esprits.
Vendredi, les manifestations hostiles au pouvoir se
poursuivaient dans le centre de Tunis, après près d’un mois
d’émeutes dans l’ensemble du pays. «Non à Ben Ali», «Soulèvement
continu, non à Ben Ali», crient les manifestants, qui n’ont pas
été inquiétés par les policiers. «Le ministère de l’Intérieur
est un ministère de la terreur», «Hommage au sang des martyrs»
ou encore «Non aux Trabelsi (la belle-famille du président) qui
ont pillé le pays», scandent également les manifestants. «Je
vous ai compris», a martelé à plusieurs reprises le chef de
l’Etat, âgé de 74 ans.(1)
Une rhétorique malsaine
Le problème du pouvoir d’achat a pris très vite un tour
politique. Tariq Ramadan dans un billet, un mois après le début
des émeutes, écrit: «La Tunisie n’est pas une démocratie: c’est
une dictature qui pratique l’assassinat politique, la torture et
dont le gouvernement vit de la corruption la plus répandue. Il
faut soutenir la population en général et les jeunes en
particulier qui descendent dans la rue et qui demandent à ce que
leur liberté et leurs droits soient protégés et respectés. Il
est l’heure, il est temps, de mettre un terme à cette mascarade
de démocratie et de progrès soi-disant «modernistes», destinée à
tromper les touristes ou les «mal-informés». Il est l’heure, il
est temps, de dire au peuple qui se réveille que nous sommes de
son côté, que nous ne sommes point dupes et que les Tunisiens
ont raison de se révolter. Quant à tous ceux qui font silence ou
qui veulent préserver leurs intérêts politiques, économiques ou
touristiques... il leur restera la honte. Que ces émeutes
finissent par le succès ou l’échec, il restera le principe et la
cause: résister à un dictateur et dénoncer ses alliés
(dictateurs, démocrates ou/et hypocrites).»(2)
Une petite remarque au remueur de foules naïves en Europe où il
écume les plateaux en développant une rhétorique malsaine, lui
permettant de dire le tout et son contraire. Bref, pas un mot du
petit-fils de Hassan El Banna concernant le régime égyptien et
l’assassinat de ses frères coptes.
Bref, et pour revenir au pouvoir tunisien pendant 23 ans 3 mois
et sept jours, il faut affirmer objectivement que pendant ces
8495 jours, beaucoup de choses sont à l’actif de ce pouvoir, il
est indéniable que le niveau de vie a augmenté, que la Tunisie
était considérée comme un pays émergent, que la sérénité y
régnait et tous les présidents français de gauche comme de
droite ont loué sa gouvernance. De plus, tous les pays
occidentaux qui ne veulent maintenant plus de Ben Ali -La France
de Nicolas Sarkozy qui a été accueilli avec ferveur lors de son
voyage en Tunisie, ne souhaite pas accueillir Ben Ali- eux qui
l’ont soutenu et l’ont encouragé car c’est le dernier rempart
contre l’intégrisme. De ce fait, ils ont une responsabilité dans
la nécessité pour le pouvoir d’être encore plus coercitif
vis-à-vis du peuple tunisien. Michèle Alliot-Marie, la ministre
française des Affaires étrangères, n’est-elle pas allée jusqu’à
proposer aux gouvernements algérien et tunisien «le savoir-faire
français en matière de maîtrise des émeutes? Nous lisons: «Nous
proposons que le savoir-faire, qui est reconnu dans le monde
entier, de nos forces de sécurité permette de régler des
situations sécuritaires de ce type. C’est la raison pour
laquelle nous proposons aux deux pays [Algérie et Tunisie,
Ndlr], dans le cadre de nos coopérations, d’agir en ce sens pour
que le droit de manifester puisse se faire en même temps que
l’assurance de la sécurité.»
Jacques Chirac est allé jusqu’à dire que les droits de l’homme
c’était de fournir le pain, la santé et l’éducation. Il a raison
en partie mais qu’en est-il des privations de liberté? de la
mal-vie, du constat d’une société à deux vitesses avec des
fortunes imméritées qui ont jailli du néant et surtout de la «Hogra»?
Autant de malheurs qui, ajoutés les uns aux autres, font
l’incendie que même les complicités occidentales par leur
mutisme ne peuvent longtemps réprimer.
«Les pays européens, écrit Mohamed Belaali, la France de Sarkozy
en tête, prompts d’habitude à s’immiscer dans les affaires
iraniennes ou ivoiriennes par exemple, se sont, cette fois,
contentés de quelques communiqués après des semaines de silence
complice: «La Tunisie est confrontée à des problèmes économiques
et sociaux. Seul le dialogue permettra aux Tunisiens de les
surmonter», disait platement un communiqué du ministère français
des Affaires étrangères. Quel contraste entre la violence de la
propagande menée contre l’Iran au printemps 2009 lors de
l’élection présidentielle, et la platitude des déclarations
officielles à propos de la révolte du peuple tunisien? Il
suffisait à l’époque de lire les titres des journaux et de
regarder les images diffusées en boucle par les télévisions
américaines et européennes pour se rendre compte de la haine que
voue l’impérialisme à la République islamique d’Iran. La révolte
du peuple tunisien, elle, ne mérite que mépris et silence. Car
«la Tunisie est un pays ami, nous sommes extrêmement vigilants
sur ce qui se passe là-bas et fortement préoccupés (...) En même
temps, la France n’a pas à s’ingérer dans les affaires de la
Tunisie», déclarait Luc Chatel sur Radio Classique et
i-Télé.»(3)
Véritable bombe
«C’est que la France est l’un des premiers investisseurs
étrangers en Tunisie. Elle occupe même la première place quant
au nombre d’entreprises installées dans ce pays (1200
entreprises). On peut citer pêle-mêle Lacoste, Valeo, Sagem,
Danone, Sanofi-Aventis, Fram, Accor, Club Med, BNP-Paribas,
Société Générale, Groupe Caisse d’épargne, etc., etc. Il faut
donc, vaille que vaille, sauver Ben Ali et sa dictature. Mais la
bourgeoisie française craint par-dessus tout la victoire du
peuple tunisien et l’installation au Maghreb d’une véritable
démocratie qui donnera l’exemple à tous les peuples du monde
arabe dirigé aujourd’hui par des régimes anachroniques,
soutenus, financés et armés par l’impérialisme américain et son
caniche européen. (...) Le soulèvement du peuple tunisien
aujourd’hui, son courage et sa détermination à affronter l’un
des régimes les plus répressifs, montre la voie à suivre à tous
les opprimés non seulement du Maghreb mais de tout le monde
arabe! Les masses populaires arabes ont trop souffert de cette
complicité objective de leurs propres bourgeoisies corrompues
jusqu’à la moelle épinière et de la bourgeoisie occidentale qui
les maintient dans la dépendance et la misère. Le monde arabe
est aujourd’hui une véritable bombe qui peut exploser à
n’importe quel moment. Longtemps exploitées, marginalisées,
humiliées, les masses populaires arabes relèvent lentement la
tête et essayent de sortir de cette longue nuit dans laquelle
elles ont été plongées.»(3)
Partout dans le monde, les peuples se libèrent des griffes des
despotes qui les maintenaient en état de sujétion. Les fausses
démocraties pour servir de couverture à une classe de nouveaux
riches, dont le seul souci est de se construire des empires sur
le dos du peuple en un temps record et sans se fatiguer, ont
atteint leur fin de cycle. Dans notre pays, Octobre 88 a été,
malgré la manipulation, une première remise en cause par les
couches les plus défavorisées de la mainmise de cette classe sur
les leviers du pouvoir et de la boulimie qui s’est emparée
d’elle avec l’accession de Chadli Bendjedid à la Présidence. Le
FIS, ayant réussi à capter le mécontentement populaire et à le
canaliser vers des revendications politiques, devint l’ennemi
principal à abattre. Aujourd’hui, la triste réalité est là
devant nous: un peuple perverti et appauvri, dans un pays livré
à la corruption et la gabegie; le règne du bricolage dans tous
les domaines, la manipulation et le clientélisme érigés en
méthode de gouvernement.
Le peuple tunisien nous donne en ce moment même la plus belle
leçon de l’Histoire du Maghreb postcolonial. Ce peuple qu’ils
ont si longtemps étouffé et terrorisé pendant qu’ils
construisaient leur empire ne veut plus se laisser faire. La
jeunesse des quartiers populaires, qui voit tous les horizons se
boucher devant elle pendant que les enfants de la nomenklatura
au pouvoir se préparent à prendre la relève de leurs parents à
la tête des fortunes colossales que ces derniers ont bâties avec
l’argent du peuple, n’accepte plus ces règles du jeu iniques où
les gagnants sont toujours les mêmes. Nous devons prendre acte
de ce qui se passe en Tunisie et aller vers une transition
paisible qui permette à celles et à ceux qui ont à coeur cette
Algérie d’exprimer pacifiquement leur volonté et de s’engager
résolument dans la construction d’une nouvelle Algérie, une
Algérie de justice et de liberté.
Nomenklatura
Nous n’avons rien à attendre de l’Occident qui nous manipule
continuellement. Le refus opposé au président tunisien rappelle
étrangement ce qui est arrivé au Shah d’Iran malade et que les
Etats-Unis n’ont pas voulu accueillir. Il n’a pu trouver refuge
qu’en Egypte chez un autre dictateur. La Tunisie aborde une
transition politique dans des conditions très délicates. Le
départ de Ben Ali satisfait la principale exigence d’un vaste
mouvement de contestation dont les revendications étaient, à
l’origine, avant tout de nature économique et sociale, mais qui
s’est transformé en révolte politique sous le coup de la
répression. La répression ne pouvait être une réponse aux
revendications de la jeunesse. Une barrière psychologique a été
brisée. Il va falloir beaucoup de sang-froid pour rétablir le
calme dans les rues et ramener le débat à la sphère politique.
Pour beaucoup de pays qui se trouvent dans une situation
comparable, la transition qui s’amorce en Tunisie aura valeur de
test. Les partis politiques qui, d’une façon ou d’une autre se
sont accommodés du pouvoir, même les islamistes, vont tenter de
récupérer cette vraie révolution qui aboutit au départ de Ben
Ali. Plus rien ne sera jamais comme avant. Les Tunisiens auront
eu leur épreuve du sang. Ils ne se laisseront plus manipuler.
Puissent-ils profiter de leur «printemps» et contribuer à ce
Maghreb qui nous tient tant à coeur.
1.Des milliers de Tunisiens exigent le départ de Ben Ali. Le
Monde avec Reuters 14.01.2011
2.TariqRamadan
http://www.tariqramadan.com/De-la-Tunisie-de-l-Algerie-et-du.html
3.Mohamed Belaali: «Que l’étincelle tunisienne embrase tout le
monde arabe!»
http://www.legrandsoir.info/Que-l-etincelle-tunisienne-embrase-tout-le-monde-arabe.html
Pr Chems Eddine Chitour,
Ecole nationale polytechnique
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Publié le 16 janvier 2011 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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