|
L'EXPRESSIONDZ.COM
LE SACRE D'AHMADINEJAD
L'Iran acteur majeur du
Moyen-Orient
Pr Chems Eddine Chitour
Photo Al Manar
Lundi 15 juin 2009
«(...) il y a un moi dans l’infini d’en haut comme il y a un moi
dans l’infini d’en bas, ce moi d’en bas c’est l’âme, ce moi d’en
haut c’est Dieu. Mettre, par la pensée, l’infini d’en bas en
contact avec l’infini d’en haut, cela s’appelle prier».
Victor Hugo (Les Misérables)
Le président iranien sortant, Mahmoud
Ahmadinejad a remporté l’élection présidentielle avec 62% des
voix dès le premier tour, dominant son principal rival Mir
Hossein Moussavi qui a dénoncé des «irrégularités». Point
d’orgue d’une campagne qui a duré trois semaines et qui, de
l’avis des Occidentaux, s’est passée dans la bonne humeur
parlant même de révolution verte en adoubant implicitement Mir
Hussein Moussaoui, qui, dit-on dans la terminologie occidentale,
est un «islamiste modéré» de loin préférable au «sulfureux
et infréquentable» Ahmadinedjad ce trublion qui ose déranger
l’Occident et son «ordre». Un sondage publié à Washington
et commandité par un, «New America Foundation»
expliquerait en partie la vicoire d’Ahamdinejad. Les priorités
des Iraniens sont dans l’ordre: l’économie (90%), des élections
libres (87%), la liberté de la presse (84%), les relations avec
l’Occident (75%), le soutien au Hamas et au Hezbollah (60%) et
en dernier, l’arme nucléaire (49%). - 52% des Iraniens sont
favorables à ce que leur pays possède l’arme atomique (40% sont
contre).
L’histoire du pays remonte à plus de 6000 ans avant
Jésus-Christ, avec l’apparition de Sialk sur le plateau iranien,
l’un des premiers systèmes urbains de l’humanité à avoir inventé
un procédé d’écriture. Cette très ancienne civilisation fut
souvent occupée par les empires conquérants: grec, romain,
byzantin, arabe, afghan, mongol, ottoman, russe, et bien plus
tard, britannique. Culture millénaire, elle se développa dans
tous les domaines: religieux (elle est le berceau du
zoroastrisme, fondé au VIe siècle avant J.-C.), littéraire,
technologique militaire ou scientifique. Société paradoxale,
elle avança et continue à avancer selon une dialectique de
mouvements contradictoires: les tentatives de modernisme
engendrèrent du repli sur soi, tandis que les retours au
fondamentalisme se sont souvent accompagnés de fulgurances
technologiques...
L’histoire de l’Iran: une continuelle
ingérence
Pendant la période 1848-1896: arrivée au pouvoir de Nasir Ed Din
Shah, modernisation du pays. En 1848: première école
scientifique (Dar al-Fonoun). A la fin du XIXe siècle, elle
entra de plain-pied dans l’ère industrielle, aux côtés des
grandes puissances occidentales. En 1906: une révolution née de
manifestations contre des réformes fiscales aboutit à la
convocation d’un Parlement par Muzzafaradine Chah et à
l’adoption d’une Constitution (suspendue en 1909), l’une des
toutes premières du monde musulman. En 1907 c’est la première
ingérence de l’ère moderne. Il faut lire Samarcande d’Amine
Maâlouf pour comprendre la détresse des premiers nationalistes
perses qui ont eu toute l’Europe contre eux. La Russie et la
Grande-Bretagne se partagent la Perse en zones d’influence. Un
découpage qui permettra la création de l’Anglo-Persian Oil
Compagny (renommée plus tard la British Petroleum «BP»),
chargée de la prospection, de l’exploitation et de la vente du
pétrole iranien. Le pétrole sera d’ailleurs l’argument invisible
de toute la politique occidentale et impérialiste du XXe siècle.
En 1921, au sortir de la Première Guerre mondiale, la
Grande-Bretagne, force occupante du pays, impose un officier
cosaque, le colonel Reza Khan à la tête du Royaume. Il sera
couronné le 25 avril 1926, sous le nom de Reza chah Pahlavi. En
1951 le progressiste Mohammad Mossadegh devient Premier
ministre. Il consolide les nationalisations et entreprend des
réformes sociales. Il sera renversé en 1953 par un coup d’État,
fomenté avec l’appui des États-Unis (et regretté aujourdhui par
Barack Obama). En 1979 raz-de-marée de la révolution de l’imam
Khomeiny qui avait exploité les grèves sociales En 1988 la
guerre avec l’Irak soutenu par les roitelets du Golfe et les
Etats-Unis cesse. La guerre aura fait un million de morts.
1997: le réformateur Mohammad Kathami est élu président de la
République. Il sera reconduit en 2001. Signature d’un programme
de coopération avec l’Aiea (Agence internationale de l’énergie
atomique). En 2002: George Bush désigne l’Iran comme appartenant
à «l’Axe du mal». Le 12 juin 2005: élection
présidentielle; Mahmoud Ahmadinejad l’emporte sur l’ancien
président, Hachemi Rafsandjani. En 2006, le président
Ahmadinejad annonce que l’Iran «a rejoint le club des pays
disposant de la technologie nucléaire». Une résolution de
l’ONU exige la suspension des activités nucléaires. Le 8 mai
2006: Mahmoud Ahmadinejad écrit à George W.Bush pour proposer de
«nouveaux moyens» de régler les tensions dans le monde,
geste sans précédent depuis la révolution en 1979. Les 11-12
décembre: l’Iran organise une conférence internationale sur
l’holocauste, rassemblant soixante-sept historiens et chercheurs
de trente pays. Le 3 décembre 2007: plusieurs sources
occidentales annoncent l’arrêt du programme d’armement nucléaire
iranien depuis 2003 dont le rapport remis par les agences
américaines NSI au président George Bush qui n’en tient pas
compte.
Le fils du dernier Shah Reza Pahlavi, parlant de la chute du
régime de son père écrit: A l’origine, ce sont certains
religieux qui ont répandu ce rejet de l’occidentalisation parce
qu’ils étaient farouchement opposés à la réforme agraire et à
l’émancipation des femmes, deux réformes majeures que mon père
avait promues. Il y a eu progressivement une alliance entre les
différentes tendances marxistes, qui étaient très en vogue parmi
les intellectuels, et le clergé. Pour autant, personne ne se
posait de question au sujet de Khomeiny, personnage qui ne
disposait, au départ, d’aucune aura particulière. Très peu
d’Iraniens avaient lu son livre, Velayat-e Fakih, dans lequel il
exposait ses théories théocratiques. La gauche antioccidentale
cherchait un leader porteur d’un concept simple parce que le
message marxiste était trop difficile à expliquer dans une
société aussi traditionnelle que l’Iran. C’est pourquoi le
slogan «Allahu Akbar» («Dieu est le plus grand») a
fini par l’emporter sur le reste, Khomeini les a tous dupés.
Ahmadinejad est exactement ce qu’il dit de lui-même. C’est un
cavalier de l’Apocalypse qui ne songe qu’au retour du douzième
imam. Il croit vraiment à cette perspective eschatologique.
Christian Makarian Reza Pahlavi: Ahmadinejad est un cavalier de
l’Apocalypse. L’Express. 20/02/2009
Quel est le poids de l’Iran? L’Iran est un immense pays riche en
toute énergie. La consommation de l’énergie électrique en Iran
est actuellement de l’ordre de 33.000 mégawatts par an. 75% de
cette énergie est produite par le gaz, La consommation dans les
vingt prochaines années devrait doubler et se situer entre 70 à
80.000 mégawatts. En ce qui concerne le pétrole, les réserves
iraniennes sont évaluées à 133 milliards de barils. La
production actuelle est de 4 millions de barils par jour dont
2,6 à 2,9 millions sont exportés. L’exportation du pétrole
constitue 80% des recettes en devises et 40% du budget de
l’Etat. Il s’avère donc nécessaire pour l’Iran, dans le cadre de
sa stratégie énergétique, de réduire d’ici vingt ans la part du
pétrole dans la production de l’énergie électrique L’Iran
dispose de 26.376 milliards de mètres cubes de réserves de gaz
[ses réserves le placent au deuxième rang mondial après la
Russie. La production actuelle est d’environ 84 milliards de
mètres cubes dont 53% sont consommés pour la production
d’électricité. En ce qui concerne l’énergie nucléaire, l’Iran
possède les plus grandes mines d’uranium au Proche-Orient,
l’équivalent de 43 milliards de barils de pétrole. L’objectif
des autorités iraniennes est de réduire d’ici 2021 la part du
gaz dans la production de l’énergie électrique de 75%
actuellement à 65%, et celle du pétrole de 18 à 5%, et
d’augmenter celle de l’hydroélectrique jusqu’à 20% et de
produire les 10% restants par l’énergie nucléaire. La
consommation pétrolière se situe en 2007 à 1,6 mb/j. On peut
citer l’accroissement du parc automobile iranien qui est passé
d’un million de véhicules en mars 1991-1992 à 8,5 millions en
mars 2006-2007; la quasi-totalité de ces véhicules est produite
en Iran.
Le poids de l’Iran
C’est donc un pays sûr de lui qui vient de réélire Ahmadinejad.
«Pour rappel, la stratégie de Barack Obama vis-à-vis de
l’Iran, écrit Karim Pakzad, est désormais relativement connue.
En quelques mois après son investiture, la rupture avec
l’idéologie des néo-conservateurs américains et son émanation,
la politique de George Bush, qui divisait le monde entre le
"bien" et "le mal" créditant ainsi l’idée d’une "guerre entre
les civilisations". Le président Barack Obama semble vouloir
tenir compte du poids de l’Iran dans la région et du rôle que ce
pays peut jouer pour la résolution du conflit au Proche-Orient,
la stabilité en Irak et dans l’ensemble de la région, et la paix
en Afghanistan. (...). Une politique de détente et de dialogue
avec l’Iran suppose que les Etats-Unis ont désormais abandonné
l’idée d’un changement du régime par la force. Barack Obama
s’est adressé à l’occasion de Newrouz (le nouvel an iranien, le
21 mars), la fête la plus populaire en Iran au peuple et à tous
les dirigeants iraniens avec un ton respectueux envers un pays
qui est l’héritier d’une civilisation plusieurs fois millénaire,
une puissance régionale, et une société qui est l’une des plus
dynamiques du monde musulman». Karim Pakzad,Iran: la
nouvelle stratégie américaine. Iris 2 juin 2009
«Les gestes d’ouverture de Barack Obama, écrit François
Nicollaud, ancien ambassadeur de France en Iran, en direction de
la République islamique d’Iran, marquent-ils la fin du blocage
du dossier nucléaire? L’usine d’enrichissement de Natanz, qui a
soulevé l’émotion internationale n’a jamais été conçue comme une
installation clandestine. S’ils avaient voulu la dissimuler, les
Iraniens ne l’auraient jamais construite en plein désert, où
elle est aisément repérable et destructible. Jusqu’à présent le
jeu occidental s’est concentré sur un objectif principal:
conduire l’Iran à fermer Natanz, et à renoncer à toute activité
d’enrichissement, qui est en effet l’une des deux voies d’accès
à la Bombe. Mais là, c’est aller au-delà du Traité de
non-prolifération, qui n’interdit aucune activité nucléaire
sensible tant qu’elle ne débouche pas effectivement sur des
applications militaires et qu’elle reste bien soumise aux
contrôles de l’Aiea». «De fait, la vocation du programme
d’enrichissement iranien, qui est au coeur de la crise, n’est
pas encore affirmée: pacifique peut-être, mais de façon
virtuelle tant que l’uranium légèrement enrichi de Natanz n’est
pas utilisé dans une centrale électronucléaire; Quelqu’un a dit
une fois qu’on ne pouvait pas "désinventer la bombe atomique",
même si cela serait une excellente chose. Dans le même esprit,
si l’on veut avancer, il faut être prêt à admettre que l’on ne
convaincra pas l’Iran de "désinventer" la technologie de
l’enrichissement, qu’il a acquise à grand peine, et dont sa
population tire une grande fierté. L’Iran peut en revanche
comprendre qu’il s’agit d’une technologie sensible, dont l’usage
doit être spécialement encadré. (...) Une nouvelle négociation,
pour réussir, devrait partir sur de toutes autres bases. (...)
Les Occidentaux doivent aussi abandonner le discours selon
lequel il ne serait pas possible de discuter sérieusement avec
l’Iran, tant qu’il n’aurait pas restauré leur confiance par
toute une série de gestes que l’Iran juge précisément
inacceptables.» François Nicoullaud, Iran nucléaire: quelle
sortie de crise? Iris 2 juin 2009
Il est regrettable que l’ouverture tant vantée ne se soit pas
concrétisée. Aucun pays occidental, Etats-Unis en tête, n’a
appelé le président Ahmadinejad pour le féliciter. Au contraire
on attend la réaction de la rue et de la presse au lieu d’être
un honnête courtier qui ne rapporte que les manifestations des
opposants, elle ne rapporte pas, on l’aura compris, celle des
autres, des miséreux des sans-grad qui ont voté pour Ahmadinejad.
On va jusqu’à parler de «révolution de velours», appelant
de ses voeux l’arrivée d’une équipe dite «modérée», en
comprenant par cela celle qui accepte l’Ordre des pays
occidentaux, principalement l’Europe et les Etats-Unis.
L’Occident a plus que jamais besoin de l’Iran. C’est lui qui
détient la clé de la stabilité au Moyen-Orient. Les Etats-Unis
qui «officiellement» s’interdisent toute ingérence, n’ont
pas hésité à peser de tout leur poids en déclarant par
vice-président interposé, que l’aide au Liban dépendra du
scrutin. Si le peuple vote mal, il n’aura rien, heureusement
pour lui le peuple a bien voté. L’Europe est dramatiquement
pauvre en énergie. De plus, elle est prise à la gorge par la
Russie (épisode de l’Ukraine), elle cherche des sources
d’approvisionnement externes, mise à part l’Algérie, qu’elle a «fidélisée»
sans contrepartie, elle veut développer un gazoduc pour ramener
le gaz d’Asie centrale: «le Nabucco» qui ne sera rentable
que si l’Iran accepte de vendre du gaz à l’Europe. Le problème
du nucléaire iranien pourrait trouver une issue dans le cadre
d’une dénucléarisation du Moyen-Orient. Obama y a fait allusion
dans son discours du 4 juin. On l’aura compris, le programme
nucléaire israélien sera aussi à mettre sur la table d’autant
que spectaculairement la Russie vient d’annoncer qu’elle serait
d’accord pour un désarmement total. Il est fort à parier que
Ahmadinejad sera beaucoup plus réaliste. Il a aussi ses
contraintes. L’achat de matériels sophistiqués nécessaires à
l’exploitation des hydrocarbures, se heurte à des réticences de
plus en plus fortes L’Iran, conscient de son isolement, pourrait
accepter une solution de compromis sur l’enrichissement, sans
affecter sa «souveraineté nucléaire». Le fait d’avoir
imposé sur la scène internationale l’Iran est une victoire n’en
déplaise aux potentats arabes et au Pharaon d’Egypte qui voient
le train du progrès passer à vive allure, qui s’accrochent
frénétiquement à leur «koursi» pendant que leurs peuples
assoiffés de liberté et de savoir se demandent s’il y aura un
jour une vraie démocratie sans verser naturellement dans le mode
de vie occidental, l’Iran s’ouvre à son rythme après la chape de
plomb du Shah et sa révolution blanche après l’autre chape avec
les mollahs dont on sait que le sacerdoce est indexé sur le «bazar».
Tout doucement, Ahmadinejad donne une perspective d’ouverture
vers la modernité sans rien abdiquer de son identité
plurimillénaire et de son identité religieuse. Le développement
technologique de l’Iran qui a, faut-il le rappeler, une
industrie de haut niveau, produit ses avions, ses voitures, son
armement et est même rentré avec panache dans le club fermé des
pays ayant une technologie spatiale. Quel pays arabe peut défier
l’Iran si ce n’est par procuration américaine?.. Il est à
souhaiter seulement que l’Iran ne tente plus d’exporter sa
révolution. Elle redeviendra la patrie millénaire de la sagesse
et du savoir, celle de Omar Kheyyam et naturellement de Djallal
Eddine Roumi.
Pr Chems Eddine CHITOUR,
Ecole nationale polytechnique
Droits de reproduction et de diffusion
réservés © L'Expression
Publié le 15 juin 2009 avec l'aimable autorisation de l'Expression
|