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Opinion
LA CIVILISATION DU TOUJOURS PLUS:
Est-il trop tard pour sauver la planète ?
Chems Eddine Chitour
Fukushima
Mardi 12 avril 2011
«Les problèmes du monde ne
peuvent pas être résolus par les sceptiques ou les cyniques dont
l’horizon est limité par les réalités évidentes. Nous avons
besoin d’hommes capables d’imaginer ce qui n’a jamais existé
(...) Le changement est la loi de la vie. Et ceux qui ne
regardent que dans le passé ou le présent sont certains de rater
le futur (...)»
John Fitzgerald Kennedy
La planète va mal! Nous sommes à la fin d’un cycle
civilisationnel, celui de l’abondance et de la consommation
débridée de l’Occident. Cette errance énergétique a été le
paradigme d’une croissance construite sur la négation de la
nature et du développement du tiers monde. Résultat des courses,
des inégalités abyssales en termes de développement de
consommation d’énergie entre le Nord et le Sud. La
mondialisation laminoir est en train de casser les dernières
défenses immunitaires des pays vulnérables, d’une part, en leur
soutirant d’une façon ou d’une autre au besoin par une
démocratie aéroportée, leurs ressources énergétiques et minières
pour le plus grand bien d’un capitalisme prédateur et sans état
d’âme se jouant de tout, et de toutes les peurs, dressant les
uns contre les autres et en définitive par cette consommation
débridée et dangereuse pour la planète et les hommes, elle
précipite l’humanité vers le chaos.
Un petit nombre d’Etats veut imposer une vision du monde basée
sur le postulat de Hobbes de la guerre de tous contre tous et
ceci au nom de la dictature du marché qui sous-tend un
néolibéralisme sauvage qui fait fi des aspirations des peuples,
de leurs identités, de leurs espoirs et de leurs spiritualités.
Rien ne doit s’opposer à la mondialisation néolibérale dont le
moteur est justement l’énergie. Cette énergie consommée d’une
façon débridée et qu’il faut à tout prix avoir au besoin par la
force et ceci pour maintenir un niveau de vie illusoire et
intenable. Cela ne se fait pas sans dommage! Tous les conflits
actuels ont comme sous-bassement des conflits pour l’énergie et
accessoirement pour l’idéologie qui est souvent religieuse, du
fait que les deux tiers des réserves pétrolières et la moitié
des réserves de gaz sont dans les pays musulmans. Ceci dit, il
se pose un véritable problème de rupture civilisationnelle avec
le mythe de la puissance infinie de l’homme en face de la
nature. Fukushima nous invite à être modeste, car l’homme a
délivré le feu de l’enfer et peine à le maitriser.. les nuages
radioactifs mortels n’ont pas besoin de visa pour cette mort
silencieuse et invisible.
Le déclin du pétrole
Pour ajouter à l’anomie du monde, le déclin inéluctable du
pétrole est en train de bouleverser cet appétit de consommation
que rien ne peut satisfaire Dans ´´49 ans´´, il pourrait ne plus
rester de pétrole exploitable sur Terre,´´même si la demande
n’augmente pas´´, prévient la banque HSBC dans un rapport de
prospective publié le 22 mars ´´Nous sommes convaincus qu’il ne
nous reste qu’une cinquantaine d’années de pétrole´´, insiste,
dans une interview accordée à CNBC, par Karen Ward, de senior
global economist(1).
Sadad al-Husseini, un géologue et ancien directeur d’exploration
de l’Aramco, la compagnie de pétrole nationale des Saoudiens, a
rencontré le consul général des USA à Riyadh en novembre 2007
selon un cable diplomatique publié par WikiLeaks et lui a révélé
que la capacité de l’Aramco ne pourra jamais atteindre la
production de 12.5 millions de barils par jour. Selon ce cable
de WikiLeaks, le pic pétrolier de l’Arabie Saoudite est prévu
pour 2012 C’est un fait, nous allons inéluctablement vers la fin
des énergies fossiles et notamment du pétrole. Soit on organise
cette mutation, soit on la subit. Les choses vont changer de gré
ou de force. Et si c’est de force, par la raréfaction, les prix
vont augmenter très brutalement...L’Occident a trouvé la parade
au manque d’énergie: les biocarburants. Pour cela il affame les
vulnérables en convertissant le maïs. Un plein de voiture (225
kg de maïs) suffit à nourrir un Sahélien pendant une année. Le
mythe des schistes bitumineux et des hydrates, c’est le bilan
énergétique qui prime. La technologie ne peut changer la
géologie des réservoirs. La production imite la découverte avec
un certain retard (5 à 10 ans), mais est contrainte par la
demande Les découvertes mondiales de pétrole ont culminé dans
les années 60. Le pic du pétrole peut être un plateau ondulé si
l’économie mondiale entre en crise, ce qui est probable La
production mondiale de gaz [ gaz non conventionnels
compris]culminera après le pétrole, mais une pénurie locale de
gaz est probable en Europe, bien avant la pénurie de pétrole.
Les changements climatiques: le
danger permanent
Les émissions de CO2 «ont atteint un niveau dangereux» pour
James Hansen, qui dirige l’Institut Goddard d’études spatiales
de la Nasa. Il estime que le réchauffement climatique plonge la
planète dans la crise et que le secteur énergétique tente d’en
cacher l’ampleur au public. «Les émissions de CO2 dans
l’atmosphère ont d’ores et déjà atteint un niveau dangereux» à
385 particules par million, ce qui représente un «point
critique», a expliqué le spécialiste du climat. Le réchauffement
climatique a accru l’intensité des pluies diluviennes et des
inondations dans l’hémisphère Nord au cours de la seconde moitié
du XXe siècle, selon deux études récentes publiées par la revue
Nature et établissant un lien direct entre le changement
climatique et son impact sur des événements météorologiques
extrêmes. Sachant que nous avons émis en 2010 environ 50
gigatonnes de gaz à effet de serre, cela signifie que nous
devons descendre à 15 gigatonnes d’ici 40 ans pour empêcher un
dérèglement massif du climat. Si la demande mondiale continue à
augmenter au rythme actuel, ni les fossiles, ni le nucléaire, ni
les énergies renouvelables ne pourraient y répondre. Il faudrait
les ressources de quatre planètes. Donc, le premier effort doit
porter sur les économies d’énergie, la réduction très forte de
consommation des pays riches.
Le démon de l’atome: une guerre
contre l’humanité
Le 6 avril, Reuters a signalé que ´´le noyau du réacteur
nucléaire de Fukushima au Japon est entré en fusion et a
traversé la cuve du réacteur´´. Bien pire, en fait, parce que le
matériau du coeur en fusion brûle ensuite de manière incontrôlée
à travers la fondation en béton, ce qui signifie que tous les
paris sont ouverts..(...) En fait, les cartes de radioactivité
de l’Institut norvégien pour la recherche atmosphérique (NILU)
confirment une contamination sur la côte Ouest, le Midwest et
l’ouest du Canada, et dans certaines régions plus élevées qu’au
Japon. De I’iode-131 radioactif dans l’eau de pluie
échantillonnée près de San Francisco a été trouvé à plus de
18.000 fois au-dessus des normes fédérales de l’eau potable. Il
fait aussi son apparition dans le lait. (...) Moret a cité deux
éminents scientifiques en nucléaire qui ont déclaré publiquement
que le nord du Japon (un tiers du pays) est inhabitable et doit
être évacué. Le Dr Chris Busby est l’autre spécialiste des
rayonnements ionisants. Le 30 mars, il a dit à la télévision
Russia Today que la contamination de Fukushima causera au moins
417.000 nouveaux cancers.(2)
L’humanité est à un tournant
« Les grandes crises comportent, écrit Leonardo Boff, de grandes
décisions. Il y a des décisions qui signifient la vie ou la mort
pour certaines sociétés, institutions ou personnes. La situation
actuelle est celle d’un malade auquel le médecin dit: ou vous
contrôler votre taux élevé de cholestérol et votre tension ou
vous devrez vous attendre au pire. Vous choisissez. L’humanité
entière a de la fièvre et est malade; elle doit décider: ou bien
continuer à un rythme hallucinant de production et de
consommation, garantir toujours la croissance du PIB national et
mondial, rythme hautement hostile à la vie, ou bien regarder en
face d’ici peu les réactions du système-terre qui a déjà donné
des signes clairs de stress global.»(3)
«(...) Mais ce que nous craignons, c’est, comme beaucoup de
scientifiques l’annoncent, un changement subit, brusque et
radical du climat qui éliminerait rapidement beaucoup d’espèces
et serait un grave péril pour notre civilisation. Les
informations de l’IPPC de 2001 faisaient déjà état de cette
éventualité. Celles de la ´´U.S. National Academy of Sciences´´
de 2002 affirmaient que ´´des preuves scientifiques récentes
montrent un changement climatique accéléré et de grande ampleur.
Le paradigme nouveau d’un changement soudain dans le système
climatique est bien établi par la recherche depuis maintenant 10
ans. (...) Si cela nous arrivait, nous aurions à affronter une
hécatombe environnementale et sociale aux conséquences
dramatiques. (...) Chocs pétroliers à répétition jusqu’à
l’effondrement et péril climatique. Voilà donc ce que nous
préparent les tenants des stratégies de l’aveuglement. La
catastrophe de Fukushima alourdira encore la donne
énergétique».(3)
Michel Rocard, Dominique Bourg et Floran Augagneur avertissent
l’Occident et sa technologie sur sa fuite en avant: «Ce qui
change, disent-ils, radicalement la donne, c’est que notre
vulnérabilité est désormais issue de l’incroyable étendue de
notre puissance. Nos démocraties se retrouvent démunies face à
deux aspects de ce que nous avons rendu disponible: l’atteinte
aux mécanismes régulateurs de la biosphère et aux substrats
biologiques de la condition humaine..(...) Enfermée dans le
court terme des échéances électorales et dans le temps
médiatique, la politique s’est peu à peu transformée en gestion
des affaires courantes. Elle est devenue incapable de penser le
temps long. Or, la crise écologique renverse une perception du
progrès où le temps joue en notre faveur. (...) Il est
impossible de connaître le point de basculement définitif vers
l’improbable; en revanche, il est certain que le risque de le
dépasser est inversement proportionnel à la rapidité de notre
réaction ».(4)
« Nous ne pouvons attendre et tergiverser sur la controverse
climatique jusqu’au point de basculement, le moment où la
multiplication des désastres naturels dissipera ce qu’il reste
de doute. Il sera alors trop tard. Lorsque les océans se seront
réchauffés, nous n’aurons aucun moyen de les refroidir».(4)
Enumérant les conséquences de cet autisme, ils écrivent: «Les
catastrophes écologiques qui se préparent à l’échelle mondiale
dans un contexte de croissance démographique, les inégalités
dues à la rareté locale de l’eau, la fin de l’énergie bon
marché, la raréfaction de nombre de minéraux, la dégradation de
la biodiversité, l’érosion et la dégradation des sols, les
événements climatiques extrêmes...produiront les pires
inégalités entre ceux qui auront les moyens de s’en protéger,
pour un temps, et ceux qui les subiront. Elles ébranleront les
équilibres géopolitiques et seront sources de conflits.
L’ampleur des catastrophes sociales qu’elles risquent
d’engendrer a, par le passé, conduit à la disparition de
sociétés entières. C’est, hélas, une réalité historique
objective. (...) Lorsque l’effondrement de l’espèce apparaîtra
comme une possibilité envisageable, l’urgence n’aura que faire
de nos processus, lents et complexes, de délibération. Le stade
ultime sera l’autodestruction de l’existence humaine, soit
physiquement, soit par l’altération biologique. Le processus de
convergence des nouvelles technologies donnera à l’individu un
pouvoir monstrueux capable de faire naître des sous-espèces.
C’est l’unité du genre humain qui sera atteinte. Il ne s’agit
guère de l’avenir, L’idéologie du progrès a mal tourné. (...)
Les enjeux, tant pour la gouvernance internationale et nationale
que pour l’avenir macroéconomique, sont de nous libérer du culte
de la compétitivité, de la croissance qui nous ronge et de la
civilisation de la pauvreté dans le gaspillage(4).
Stéphane Foucart s’interroge lui aussi sur l’impuissance de
l’homme vis-à-vis d’une technologie qu’en définitive il ne
maitrise pas: «Les médias en font-ils trop? Ici ou là se lèvent
quelques voix pour relativiser le désastre en cours dans la
centrale de Fukushima 1. Ensuite, force est de reconnaître que
d’autres sources d’énergie sont bien plus dangereuses que
l’atome. (...) Car ce qui se joue dans la centrale nippone n’est
pas seulement un accident industriel de première grandeur.
C’est, aussi, un accident de civilisation. Depuis la fin du XIXe
siècle, l’Occident s’est affirmé comme la civilisation
techno-scientifique par excellence, proposant ou imposant au
reste du monde un mode de développement fondé sur l’innovation
technologique comme principal moteur de croissance économique.
Parce que nous l’assimilons de manière univoque au progrès
humain, le progrès technique prime sur toute autre considération
- politique, sociale, morale -, exception faite, parfois, des
situations dans lesquelles l’humain lui-même devient en quelque
sorte un matériau expérimental (cellules souches, procréation
assistée, etc.).»(5)
«L’Homme en Occident s’est cru invincible vis-à-vis de la
nature. L’idéologie du progrès a ses limites. «Cette prééminence
de la technoscience écrit Stéphane Foucart, repose sur un
contrat tacite: la promesse de domination de la nature et de
maîtrise du monde. Car, dans les opinions occidentales, la
technophobie, minoritaire mais émergente depuis quelques années,
tient surtout à la crainte de voir cette promesse non tenue, à
la crainte que les créations techno-scientifiques n’échappent à
leurs maîtres. De fait, le rejet de la technoscience apparaît
surtout lorsqu’une technologie agit de manière invisible,
qu’elle porte en elle le risque de devenir ubiquitaire et
qu’elle semble pouvoir s’émanciper de son créateur ou échapper
au contrôle du tout-venant. La technophobie récente concerne
surtout l’ingénierie génétique et les nanotechnologies: ce sont,
à chaque fois, les mêmes ressorts qui sont à l’oeuvre....On
s’inquiète aussi d’une perte de contrôle des individus sur cette
matière vivante modifiée, qui devient, par la grâce des brevets,
la propriété de grands groupes industriels. A Fukushima 1, que
voit-on? La matérialisation de toutes ces craintes, la preuve
tangible qu’elles sont fondées: les événements échappent non
seulement à la perception de tout un chacun, mais aussi au
contrôle des élites technoscientifiques. Les coeurs des
réacteurs, partiellement fondus, semblent avoir acquis une sorte
de vie autonome. Les mots le disent: nous sommes entrés en
conflit armé avec notre créature. (...) Dans la centrale
japonaise, c’est la promesse de maîtrise du monde et de contrôle
de la nature qui part en fumée. (...) C’est toute la notion
occidentale du progrès humain comme fonction linéaire du progrès
que cette catastrophe nous invite à repenser.»(5)
Pourtant, il existe une possibilité de s’en sortir en tant
qu’humain en allant vers le développement durable, en
partageant, en optant pour des technologies non dangereuses,
respectueuses de l’environnement, en allant vers la sobriété
énergétique et la frugalité, en respectant les rythmes de la
nature. Misons sur un avenir apaisé, misons sur le développement
durable. Il ne faudrait plus «maximiser» la croissance, mais le
bien-être et le bonheur. Avec raison en 1997, Pierre Bourdieu,
avec sa lucidité coutumière, se posait la question «des coûts
sociaux de la violence économique et avait tenté de jeter les
bases d’une économie du bonheur.» Nous pouvons encore
transformer la menace en promesse désirable et crédible. Mais si
nous n’agissons pas promptement, c’est à la barbarie que nous
sommes certains de nous exposer. L’Humanité est une, elle a pris
son essor à partir d’une Eve qui est née il y a quelques
millions d’années dans la Corne de l’Afrique. Que nos querelles
sont vaines!!
1.Le peak oil. Plus de pétrole dans 50 ans,
http://petrole/bloglemonde.fr 2011/04:04
2.S.Lendman
http://www.legrandsoir.info/Fukushima-est-entre-en-fusion-c-est-confirme.html
3.Leonardo Boff: Le passage difficile Le Grand soir 26 février
2011
4.M.Rocard, Dominique Bourg et Floran Augagneur: Le genre
humain, menacé. Le Monde 2.04.2011
5.Stéphane Foucart: Fukushima, un accident de civilisation
09.04.2011
Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique Alger enp-edu.dz
Publié le 14 avril 2011 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Les textes du Pr Chems Eddine Chitour
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