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L'EXPRESSIONDZ.COM
LES
BEURS
Des Français à part entière ou entièrement
à part?
Pr Chems Eddine Chitour
Photo Diatala.org
11
février 2008 « Je veux
dire à ces enfants qui sont Français et qui croient souvent à
tort, et quelquefois à raison, qu´une partie de la France les
aime moins, je veux leur dire que personne ne sera jugé sur la
couleur de sa peau ou l´adresse de son quartier ». Nicolas
Sarkozy, le 8 février 2008 Le chef de l´Etat
français a présenté, vendredi 8 février, son plan «Espoir
Banlieue», axé sur l´insertion par le travail, la lutte
contre l´échec scolaire et le désenclavement. Nicolas Sarkozy a
également promis des renforts de police. Initialement, cette présentation
aurait dû être faite depuis Vaux-en-Velin, aux côtés de la
secrétaire d´Etat à la Ville, Fadéla Amara. Mais cette dernière
s´est rendue seule dans le Rhône, le 22 janvier, se contentant d´en
présenter les grandes lignes au risque d´accentuer l´impression
d´impréparation. Surtout, la secrétaire d´Etat a été
publiquement désavouée par sa ministre de tutelle, Christine
Boutin, qui a déclaré ne pas croire en un "énième plan
banlieue". Le plan «Espoir Banlieue» dévoilé par
Nicolas Sarkozy s´ajoute, en effet, à une longue liste. Depuis
le lancement du programme "Habitat et vie sociale", en
1977, ou la création de la politique de Développement social des
quartiers (DSQ) et des zones d´éducation prioritaires (ZEP) en
1981, la politique de la ville en France a compté pas moins de 13
plans successifs. Le chef de l´Etat a souhaité un plan d´action
concentré sur une centaine de quartiers prioritaires, autour de
trois axes: l´insertion par le travail, la lutte contre l´échec
scolaire et le désenclavement.
Nicolas Sarkozy a d´abord annoncé un toilettage du pilotage de
la politique de la ville. Un conseil interministériel sera créé
sous l´autorité du Premier ministre, et devra être "le
lieu de suivi des décisions". Le chef de l´Etat a également
appelé à "clarifier la chaîne des responsabilités".
Il s´est engagé à ce qu´un représentant de l´Etat soit présent
dans chaque quartier visé et a promis de conduire avec les élus
locaux une réflexion sur la répartition des dotations aux
collectivités. Nicolas Sarkozy s´est fait le chantre de la
promotion de la diversité. A ce titre, il a rappelé avoir confié
à l´ancienne garde des Sceaux, Simone Veil, la mission d´inscrire
la garantie de ce principe dans le préambule de la Constitution.
Le chef de l´Etat a également appelé la fonction publique à
faire des propositions pour permettre la diversité, "à tous
les niveaux".(1)
«J’assume!»
L´ancien ministre de l´Intérieur a aussi abordé la question de
la sécurité. Nicolas Sarkozy a annoncé le déploiement de 4000
policiers supplémentaires dans les banlieues d´ici trois ans,
plaidant pour "une police au plus près des habitants des
quartiers". "Il y a dans ces quartiers un sang neuf pour
la France". Pour ne pas le laisser dépérir, Nicolas Sarkozy
a promis l´insertion par le travail. Le chef de l´Etat a ainsi
annoncé la création d´un nouveau dispositif, baptisé
"Contrat autonomie", pour accompagner vers l´emploi
dans les trois prochaines années plus de "100.000
jeunes". "Chaque jeune qui le voudra aura ce contrat qui
débouchera sur une formation, sur un contrat d´apprentissage ou
sur un emploi", a-t-il affirmé. Le chef de l´Etat entend également
favoriser la création d´entreprises dans les banlieues. Enfin,
pour lutter contre l´échec scolaire, Nicolas Sarkozy a souhaité
que les jeunes sortis sans diplôme du système "soient
accueillis par une école de la deuxième chance". Le chef de
l´Etat n´a pas craint de décréter cette proposition
"priorité" de son quinquennat. Il s´agit donc de généraliser
ces établissements qui ne sont actuellement qu´une petite poignée
par académies, en leur permettant de bénéficier de la taxe d´apprentissage.(1)
Nicolas Sarkozy fait des banlieues un "enjeu de
civilisation": "Nous allons réinventer la ville".
Il convient enfin, qu´"il y a des quartiers dans notre pays
où l´on a moins de droits et moins de chances que d´autres".
"J´assume tout ce que j´ai dit et fait par le passé sur le
sujet", a-t-il dit en référence à ses propos polémiques
sur le "Kärcher" et la "racaille" avant les
émeutes de 2005. De quoi s´agit-il? Voilà des jeunes Français
en pleine errance identitaire qui peinent à s´en sortir. Ils
vivent dans des ghettos appelés banlieues et de temps à autre en
réponse à des contrôles fréquents ciblés- délit de faciès-
et itératifs, qui finissent mal, du fait que souvent la police se
sentant pousser du zèle -surtout ces dernières années- ils
rentrent en éruption et flambent tout sur leur passage. On parle
alors d´intifada des banlieues. Cette malvie touche même ceux
qui font l´immense effort de s´en sortir. Même avec leur diplôme,
leur nom de famille est un véritable calvaire qui plombe leur
avenir.
Un petit coup d´oeil dans le rétroviseur pour nous rendre compte
de la façon dont les ancêtres de ces Beurs sont traités chez
eux. Etrange discours, en effet, la rhétorique sur la politique
de civilisation bien ciselée et agréable à entendre sans plus.
Nous avons des difficultés à comprendre cette hauteur de vue
toute gaullienne et les positions pour le moins
"colonialistes" du président Sarkozy à Dakar en
juillet 2007: "Le drame de l´Afrique, c´est que l´homme
africain n´est pas assez entré dans l´Histoire (...). Jamais il
ne s´élance vers l´avenir (...). Dans cet univers où la nature
commande tout (...), il n´y a de place ni pour l´aventure
humaine ni pour l´idée de progrès.". Avec habileté, le président
Sarkozy, écrit Prao Yao Séraphin, insulte la mémoire de nos ancêtres,
en justifiant son refus de repentance. Pour lui, "le
colonisateur est venu, il a pris, il s´est servi, il a exploité,
il a pillé des ressources, des richesses qui ne lui appartenaient
pas. Il a dépouillé le colonisé de sa personnalité, de sa
liberté, de sa terre, du fruit de son travail. Il a pris mais je
veux dire avec respect qu´il a aussi donné". Prao Yao Séraphin
poursuit son plaidoyer en écrivant: L´heure est venue de
repenser l´Afrique autrement qu´avec des rapports
condescendants. Le locataire de l´Elysée gagnerait à lire Paul
Bairock, pour qui le sous-développement est un phénomène
historique, car "jusqu´à la fin du XVIIe siècle, les écarts
dans les niveaux de développement économiques et techniques des
divers pays étaient peu importants". C´est la colonisation
qui a désarticulé et retardé notre développement".(2)
Ce colonisé n´en est pas pour autant sorti indemne des méfaits
de la colonisation. La France a eu besoin des bras et du sang de
ces "bougnoules" - René Naba pense que ce mot vient du
mot "Abou Gnole", il semblerait que pour affirmer la
bravoure des soldats indigènes, on leur donnait de la gnole et on
les envoyait à l´assaut pratiquement ivres. C´est avec leur
sang que les indigènes ont défendu Wissembourg en 1870, Verdun
et le Chemin des Dames en 1917 et, plus tard, ils se distinguèrent
sur les théâtres pendant la Seconde Guerre mondiale, Monte
Cassino fut pris grâce au sacrifice des RTA et des Tabors
marocains (Régiments des Tirailleurs algériens). Le colonisé n´en
est pas pour autant quitte. Après 1945 et sous l´impulsion du
Plan Marshall, il fallait reconstruire la France. Ces mêmes
tirailleurs algériens et marocains, voire sénégalais, devinrent
des tirailleurs béton, ils construisirent l´essentiel des
infrastructures de la période des Trente Glorieuses. Ce sont
justement les descendants de ces pionniers - naturellement
analphabètes, la colonisation y ayant veillé - qui vont tenter
de s´intégrer - en se désintégrant - dans une société qui
leur ordonne de se dissoudre et de gommer leurs aspérités
identitaires ou religieuses. Il vient que les discriminations
subies par les descendants des colonisés, sont une triste et
injuste réalité. Un rapport du Conseil économique et social en
France révèle que, loin d´avoir disparu, les pratiques
discriminatoires à l´égard des jeunes issus de l´immigration
sur le marché du travail sont récurrentes et qu´"il existe
une réalité extra-économique, non rationnelle".(3).
Les jeunes issus de l´immigration continuent d´être confrontés
à des pratiques discriminatoires. L´exclusion du marché du
travail reste la question la plus douloureuse. Une inégalité d´autant
plus mal vécue qu´ils ont cru dans l´école et investi dans
leurs études. Les discriminations à l´emploi se font, en effet,
de plus en plus pesantes en France. Le "plafond de
verre", bloque l´ascension sociale des jeunes Beurs, et se
fait de plus en plus présent. "Les pratiques
discriminatoires sont récurrentes et ont tendance à s´accroître".
La transition professionnelle, définie comme le passage du système
scolaire vers l´emploi stable, diffère selon la nationalité ou
l´origine des jeunes, relève la chercheuse. "Pourtant, ces
jeunes ont de meilleurs atouts pour l´accès à l´emploi que
leurs parents, en raison de leur formation, des normes sociales
acquises, et d´une manière générale, de leur meilleure intégration
sociale dans la société. " Mais "il existe une réalité
extra-économique, donc non rationnelle, au regard des exigences
du marché du travail": à côté des critères utilisés
pour tous les demandeurs d´emploi, entrent en jeu des
"exclusions formelles" tacites et non reconnues, liées
à l´origine ethnique des candidats. Cette réalité douloureuse
est difficile à mettre en évidence. Il en ressort qu´à tous
les niveaux, les enfants nés de parents immigrés sont handicapés
dans leur accès à l´emploi. Mais surtout, les études n´ouvrent
pas plus de perspective d´insertion. "L´analyse du taux de
chômage par niveau d´études montre que le diplôme n´est pas
aussi déterminant pour tous", insiste le rapport. Le taux de
chômage des jeunes diplômés issus de l´immigration est le
double de celui des jeunes nés de parents français. La
discrimination repose plus sur un "faisceau informel d´apriorismes"
que sur une orientation idéologique clairement formulée: les
chefs d´entreprise, les chargés du recrutement affichent
rarement une "préférence nationale". La sociologue
Mouna Viprey détaille ainsi le processus classique de cette mise
à l´écart: la forme "la plus commune consiste dès le
premier stade pour l´employeur, à éviter tout contact avec le
postulant d´origine étrangère réelle ou supposée, en lui déclarant
que l´emploi est déjà occupé, alors qu´un candidat autochtone
est convié à un entretien." Dans une deuxième phase, lors
de l´entretien, il est "fréquent" qu´on exige d´eux
des qualifications supplémentaires non demandées aux autres.
Enfin, même quand un emploi est proposé à des jeunes issus de l´immigration,
c´est "souvent"à des conditions moins intéressantes
que celles offertes aux autres candidats. "Plus qu´au sein
du monde professionnel, la discrimination semble s´exercer à son
seuil", conclut la chercheuse.
Cette discrimination directe aboutit enfin à une autre, indirecte
et masquée: celle, invisible, qui est pratiquée par les
dispositifs d´accueil et d´aide à la recherche à l´emploi
(ANPE, mission locale, CIO), qui poussent les jeunes Beurs à déployer
des stratégies de contournement. Dans une étude effectuée en
1999 dans le bassin d´emploi de Roubaix sur les jeunes diplômés
issus de l´immigration, qui a mis en évidence "une
discrimination au faciès, permanente à l´embauche", le
sociologue Saïd Bouamama explique que plus de la moitié des
jeunes rencontrés se sont vu proposer de modifier leur prénom
dans leurs démarches de recherche d´emploi. "Cette expérience
est encore plus douloureuse car elle exige une autonégation
identitaire", explique le chercheur. Enfin, le taux de chômage
des cadres immigrés est deux fois plus élevé que celui de la
moyenne de la population active nationale. Le problème de fond réside
dans l´image que se fait le Français de souche de l´immigré
africain ou arabe, surtout s´il est de confession musulmane.
Frantz Fanon dans "Les Damnés de la Terre" avait raison
d´écrire que le colonisateur utilisait un "langage
zoologique" pour désigner l´indigène. Toujours comparé à
un animal sauvage, sournois et dangereux, l´"Arabe"
doit être pourchassé et souvent repoussé vers les confins pour
assurer le triomphe des Français. C´est une "hyène"
ou une "bête féroce" qu´il faut "refouler au
loin" et rejeter "pour toujours dans les sables du
Zahara (sic)", affirme Hain, fervent défenseur d´une
politique brutale de déplacements massifs et forcés des
populations d´Algérie. (...) Selon Sauclières, l´"indigène"
est un "rapace" dont il faut se méfier, car ses
attaques sont à la fois rapides et meurtrières. Sous la plume du
capitaine Lapasset, il est un "animal" qui, "comme
le chacal", ne s´apprivoise jamais. Pour le général
Bugeaud, "les "indigènes" sont des
"renards" que l´on doit "fumer à outrance"
lorsqu´ils fuient dans des cavernes pour échapper aux armées
françaises lancées à leur poursuite. (...)Face aux barbares qui
font peser sur la civilisation une menace mortelle, tout est
permis, puisqu´ils ne laissent d´autre alternative que de les détruire
ou d´être détruits par eux". Bien plus tard, il s´est
trouvé un ministre de "Gauche", pour traiter les
descendants de ces indigènes de "sauvageons".
L’Autre
Les Beurs des banlieues fondent comme un essaim, qu´ils
appartiennent à leurs tribus, qu´ils sont de zoulous, voire des
apaches, bref tout un langage forgé par l´homme blanc pour désigner
l´Autre qui lui est, par essence, inférieur et qu´il a mission
de civiliser portant ainsi sa croix et son fardeau en tant qu´homme
blanc ´The white man burden" de Kipling. Pourquoi ne rend-on
pas justice à ces Français entièrement à part qui rêvent d´être
des Français à part entière. La malvie actuelle des jeunes des
banlieues plonge ses racines dans la nuit coloniale. Ce n´est
pas, le croyons-nous, des mesures conjoncturelles et quelques
saupoudrages loin d´un réel Plan Marshall qui, décidées d´en
haut, règleront structurellement le problème de l´intégration
de Français issus de l´immigration maghrébine ou d´Afrique
noire. Le problème est justement un problème de civilisation: l´Homme
blanc pense qu´il est seul producteur de sens. Pour cela, il a la
posture du Shérif gardien de "l´ordre". Il est maître
chez lui-même si les Beurs sont là depuis mille ans, on leur
collera toujours le vocable, devenu péjoratif, celui d´être
issus de l´immigration. Un Italien, un Portugais, voire un
Hongrois, est rapidement intégré. Pourquoi? Une tentative de réponse
consisterait à postuler qu´en définitive, c´est finalement un
problème de civilisation qui fait que le corps social français n´absorbe
pas des éléments allogènes à sa civilisation, sa culture et en
définitive sa religion. Ceux qu´on prétend être "intégrés"
seraient en fait, en pleine errance, ayant largué les amarres
avec leur identité originelle, on leur impose une identité de
rechange où ils seront toujours tenus en suspicion, malgré une
allégeance douloureuse et des signes extérieurs d´acculturation.
(*) Ecole nationale polytechnique
1.Hugo Lattard. Sarkozy tente de redonner l´espoir
aux banlieues. L´Expansion.com - 08/02/2008.
2.Prao Yao Séraphin: Quand Sarkozy déclare la guerre à l´Afrique:
Président du Mlan www.mlan.fr Vendredi 14 Septembre 2007.
3.Rapport du Conseil Economie et Social. Le Monde 3.06. 2002. Droits
de reproduction et de diffusion réservés © L'Expression
Publié le 12 février 2008 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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