Algérie
Ce que fut la
colonisation (2) :
Les jours de mai funeste de l'Algérie
Chems
Eddine Chitour
Pr Chems
Eddine Chitour
Jeudi 10 mai 2012
«On a tué,
massacré, violé, pillé tout à l'aise
dans un pays sans défense, l'histoire de
cette frénésie de meurtres et de rapines
ne sera jamais connue, les Européens
ayant trop de motifs pour faire le
silence (...). Rien n'est plus contraire
aux intérêts français que cette
politique de barbarie.»
Jean Jaurès citant Clémenceau (Chambre
des députés, 27 mars 1908)
Dans cette deuxième partie de notre
récit sur ce que fut la colonisation,
nous allons revenir rapidement sur la
situation qui prévalait à la veille de
l'invasion coloniale. Après la chute de
Grenade en 1492, les puissances
ibériques (Espagne et Portugal), se
renforcent économiquement et
militairement. Les Espagnols s'emparent
de plusieurs ports du littoral algérien
et obligent les villes de Ténès,
Mostaganem et Cherchell de payer tribut,
Alger livra l'île qui contrôlait sont
port. Alger ou El-Djazaïr était un petit
port peuplé d'environ 20.000 habitants,
sa population s'est accrue fortement
avec l'arrivée des Juifs et des Maures
expulsés d'Andalousie après la chute de
Grenade. Après avoir achevé la
Reconquista en 1492 avec la chute du
dernier bastion en possession musulmane:
l'Émirat de Grenade, le cardinal Ximenès,
inquisiteur de la Cour d'Espagne porte
la Croisade au coeur des petits États
barbaresques. Les Espagnols annexent
plusieurs villes côtières: Mers El Kébir
en 1505, Oran en 1509 et Bougie (Béjaïa)
en 1510.
S'il est vrai que l'Algérie a été
occupée sous la période ottomane, il
faut cependant rendre justice à Khier
Eddine Barberousse qui a sauvé l'Algérie
d'une christianisation forcée comme ce
fut le cas des Incas et des Aztèques.
Pizzaro a fait ses premières armes sur
les côtes algériennes.. De plus, Khier
Eddine fut le premier à délimiter les
frontières de l'Algérie actuelle,
notamment à l'est la province de Tabarka
payait tribut et faisait allégeance à la
Régence d'Alger qui eut souvent à
rentrer en guerre avec la Régence de
Tunis. Et on apprend que cette dernière
a pendant plus d'un siècle «envoyé
l'huile à la Mosquée d'Alger afin que la
lumière ne s'éteigne jamais».
A l'ouest, Khier Eddine suivit la
division romaine entre la Maurétanie
césarienne et la Maurétanie tingitane
par le fleuve Moulaya «Flumen Malva
Dirimit Maurétanias duas», le fleuve
Moulaya divise les deux Maurétanies. Il
a fallu attendre le traité de Lalla
Maghnia en 1845, pour que la France
rectifie la frontière au profit du
royaume du Maroc, le prix de la félonie
étant de déclarer la guerre à l'Emir
Abdelkader. Khayr ad-Din repousse les
attaques espagnoles sur les différentes
villes. C'est l'acte de naissance de la
Régence d'Alger. La ville d'Alger
devient un grand port de guerre qui
gagne au fil des expéditions étrangères
la réputation de «bien gardée» (en
arabe). La domination de la mer lui
permet de repousser plusieurs attaques
provenant d'un certain nombre de pays
européens, à commencer par celle menée
par Charles Quint en octobre 1541.
Par ailleurs, l'Algérie imposait aux
différentes flottes pénétrant en mer
Méditerranée un impôt, avec protection
contre toutes attaques de pirates ou de
pays tiers. La liste des pays ayant
souscrit à cet impôt: Royaume-Uni:
267.500 francs, France: 200.000 francs,
États-Unis: 125 000 dollars par mois. En
1536, l'amiral français Bertrand d'Ornesan
unit ses douze galères françaises à une
petite flotte ottomane appartenant à
Barberousse à Alger, faite d'une galère
ottomane et de 6 galiotes, et attaque
l'île d'Ibiza, dans les Baléares. Après
le siège de Nice, François Ier propose
aux Ottomans de passer l'hiver à Toulon.
La cathédrale de Toulon servit aussi de
mosquée. Bien plus tard, le 18 octobre
1681, le Dey d'Alger déclare
officiellement la guerre à Louis XIV. En
1682-1683, l'amiral français Abraham
Duquesne commande par deux fois le
bombardement d'Alger, et força le Dey à
restituer tous les esclaves chrétiens.
La paix fit ensuite conclue avec le
Royaume de Louis XIV. Elle devait durer
plus d'un siècle.
Suite à l'indépendance des États-Unis en
1776 que la Régence d’Alger fut la
première à reconnaître – Condelezza Rice
secrétaire d’Etat des Etats-Unis à
remis, il y a quelques années à notre
ambassadeur aux Etats-Unis, une copie de
la lettre de reconnaissance des
Etats-Unis par la Régence d’Alger- , le
Sénat américain décide de proposer un
«traité de paix et d'amitié avec les
États de Barbarie» dont un avenant sera
paraphé le 5 septembre 1795 à Alger puis
de nouveau le 3 janvier 1797. Un traité
similaire sera signé avec le Bey de
Tunis. Le traité est ratifié et paru
dans le Philadelphia Gazette le 17 juin
1797. L'article 11 de ce traité indique
que: «Considérant que le gouvernement
des États-Unis n'est en aucun sens fondé
sur la religion chrétienne, qu'il n'a
aucun caractère hostile aux lois, à la
religion ou à la tranquillité des
musulmans et que lesdits États-Unis
n'ont jamais participé à aucune guerre
ni à aucun acte d'hostilité contre
quelque nation mahométane que ce soit,
les contractants déclarent qu'aucun
prétexte relevant d'opinions religieuses
ne devra jamais causer une rupture de
l'harmonie régnant entre les deux
nations». Il a été rédigé par John
Barlows, consul général des États-Unis à
Alger.
Cependant, La Régence fut constamment
attaquée, notamment après le congrès de
Vienne, où l'Europe se mit d'accord pour
réduire la Régence, l'expédition
américaine de 1815 et celle que
conduisent les Marines britannique et
hollandaise sur Alger en août 1816, ces
dernières subirent de grandes pertes et
sont empêchées d'accoster sur Alger.
L'Affaire de l'éventail entre le pacha
turc Hussein Dey et le consul français
Pierre Deval, le 30 avril 1827, est le
casus belli de la guerre déclarée par le
Royaume de France à la Régence d'Alger,
qui déclenche le blocus maritime d'Alger
par la marine royale française.
En 1827, donc, le Dey n'était pas encore
remboursé du million qu'il avait prêté à
la France, sans intérêts, trente et un
ans auparavant! Bien plus, du fait des
dettes de Bacri, le Dey risquait fort de
ne jamais toucher un sou. Ainsi, sous
couleur de satisfaire ses réclamations,
on avait «rendu légale sa spoliation».
Le Dey d'Alger était ainsi
«magnifiquement» récompensé de l'ardeur
qu'il avait mise à faciliter le
ravitaillement de la France affamée par
l'Angleterre. (1)
L’invasion
: La fin d’un monde
Le 14 juin 1830, le général de Bourmont
débarqua sur le sol algérien à Sidi
Fredj. L'armée coloniale livra les 19 et
24 juin les deux batailles de Staoueli.
L'état-major français bénéficie d'un
plan de débarquement, Reconnaissance des
forts et batteries d'Alger, dressé par
l'espion Boutin envoyé par Napoleon en
1808. Après des combats difficiles, le
Dey n'eut plus qu'à faire sauter le fort
l'Empereur à l'explosif. Dans l'acte de
reddition signé par de Bourmont il est
dit que l’armée ne s’ingerera pas dans
les choses de la religion et
sauvegardera les lois et coutumes des
vaincus.
Pourtant, le 7 juillet, ordre est donné
d'évacuer la Casbah. Ce sera la première
violation du Traité de capitulation
conclu deux jours auparavant seulement.
La pièce d'artillerie - Baba Merzoug
pour les Algériens - la «Consulaire»
pour les envahisseurs, est expédiée à
Brest le 27 juillet 1833. C'est ce canon
qu'une association souhaite récupérer
sous l'indifférence apparente des
autorités. La conquête jamais achevée
sera âpre, rude et violente, longue de
plus d'un siècle, au cours duquel
émergeront le Bon, la Brute et le
Truand: des généraux partisans de
l'ethnocide des théoriciens de la
colonisation, défenseurs de
l'expropriation des indigènes, et des
missionnaires qui n'avaient de cesse de
faire retrouver à l'Algérien son
substrat originel chrétien après avoir
enlevé la gangue musulmane. Car le
cardinal Lavigerie recommandait de
christianiser les Algériens ou de les
refouler loin dans le désert...
Au nom de la France, et au nom de la
religion, imaginons une armée qui
s'installe par le droit du plus fort,
qui tue, viole, pille, ruine de
paisibles citoyens pour la rapine mais
aussi, et rapidement pour installer des
colons qui avaient tous, à des degrés
divers, une vie ratée derrière eux. Ces
colons par la force des Bugeaud, et
autres sinistres Rovigo, devinrent des
maîtres, les agioteurs se mirent de la
partie et on détruisit à qui mieux mieux
un Alger qui a mis des siècles à
sédimenter pour mettre à sa place la
civilisation. Des cimetières furent
profanés, notamment ceux des Deys et les
os furent éparpillés sans respect pour
les morts, nous dit l'archiviste Albert
Devoulx. Nous allons dans ce qui suit,
citer quelques sinistres personnages
dont les noms continuent encore -
nostalgie oblige -à être ânonnés par des
Algériens Deux mois après l'invasion et
au mépris des promesses de De Bourmont,
le général Clauzel, qui symbolisera pour
les Algériens la spoliation légale et la
malhonnêteté, violera l'engagement. Il
inaugure la politique de privation et de
confiscation des biens habous qui
permettront à de nombreux officiers de
s'emparer de terres algériennes. C'est
le début de la colonie de peuplement.
Les
bourreaux sans honneur qui ont martyrisé
les Algériens Bugeaud, Clauzel, Rovigo,
Saint Arnaud….
Des stocks d'or et de bijoux constituant
le trésor de La Casbah furent pillés par
des intendants généraux sans être
inquiétés malgré la dénonciation
d'officiers français comme Berthezene:
«On est venu que pour piller les
fortunes publiques et particulières, on
m'a proposé de faire ou de laisser
faire, de laisser voler les habitants
parce que c'est autant d'argent importé
en France; enfin, d'obliger les
habitants à déserter le pays pour
s'approprier leurs maisons et leurs
biens.» L'imagination déchaînée et
bestiale des premières décennies de la
conquête sera «très riche». On payera
des spahis à 10 francs la paire
d'oreilles d'un indigène, preuve qu'ils
avaient bien combattu. «Un plein baril
d'oreilles récoltées paire à paire, sur
des prisonniers, amis ou ennemis» a été
rapporté d'une expédition dans le Sud
par le général Yusuf.
Les
enfumades et massacres des mois de mai
1845 et 1945
A partir de 1832, une nouvelle ère de la
colonisation commence. C'est la guerre
d'extermination par enfumades et
emmurements, l'épopée des razzias par la
destruction de l'économie vitale, la
punition collective et la torture
systématique. En avril 1832, la tribu
des Ouffia, près d'El Harrach, fut
massacrée jusqu'à son extermination. Le
butin de cette démonstration de la
cruauté coloniale que le Duc de Rovigo a
laissé commettre, fut vendu au marché de
Bab Azzoun où l'on voyait «des bracelets
encore attachés au poignet coupé et des
boucles d'oreilles sanglantes», comme en
témoigne Hamdane Khodja. La guerre de
Bugeaud –Le sobriquet « bouchou »
terrorisa des générations d’enfants -
fut une guerre d'épouvante, c'est le
premier usage, connu, de la guerre non
conventionnelle pratiqué par une armée
régulière sur le territoire algérien.
«Si ces gredins se retirent dans leurs
cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas!
Enfumez-les à outrance comme des
renards.» s’exclame Bugeau. Justement,
le 11 juin 1844, Canrobert évoque ce
fait d’armes, auquel il a
personnellement participé, un an
auparavant.«J'étais avec mon bataillon
dans une colonne commandée par
Cavaignac. Les Sbéahs venaient
d'assassiner des colons et des caïds
nommés par les Français; nous allions
les châtier. Dans la falaise est une
excavation profonde formant grotte. Les
Arabes y sont, et, cachés derrière les
rochers de l'entrée, [...] À ce moment,
comme nous nous sommes fort rapprochés,
nous commençons à parlementer. On promet
la vie sauve aux Arabes s'ils sortent.
(..) On pétarda l'entrée de la grotte et
on y accumula des fagots, des
broussailles. Le soir, le feu fut
allumé. Le lendemain, quelques Sbéahs se
présentaient à l'entrée de la grotte
demandant l'aman à nos postes avancés.
Leurs compagnons, les femmes et les
enfants étaient morts. Telle fut la
première affaire des grottes.
En 1845, un siècle avant les massacres
du 8 mai 1945 et son lot de plusieurs
milliers de victimes, le général
Cavaignac avait inauguré l'ancêtre de la
«chambre à gaz» que le colonel Pellisier
utilisera pour mater l'insurrection des
Ouled Riah dans le Dahra. Ainsi, les
villageois de cette bourgade s'étaient
réfugiés dans des grottes des montagnes
avoisinantes pour échapper à la furie
des soldats. Ils furent enfumés par «des
fagots de broussailles» placés à
l'entrée-sortie des grottes. Le soir, le
feu fut allumé. Le lendemain, au moins
500 victimes furent dénombrées. Les
insurgés avaient pourtant «offert de se
rendre et de payer rançon contre la vie
sauve», ce que le colonel refusa. Un
soldat écrit: «Les grottes sont
immenses; on a compté 760 cadavres; une
soixantaine d'individus seulement sont
sortis, aux trois quarts morts; quarante
n'ont pu survivre; dix sont à
l'ambulance, dangereusement malades; les
dix derniers, qui peuvent se traîner
encore, ont été mis en liberté pour
retourner dans leurs tribus; ils n'ont
plus qu'à pleurer sur des ruines.» Après
ce massacre,
Pélissier fait mine de consciences
inquiètes: «La peau d'un seul de mes
tambours avait plus de prix que la vie
de tous ces misérables.» Saint-Arnaud
fera mieux que Cavaignac et Pélissier.
Le 8 août 1845, il découvre 500
Algériens qui s'abritent dans une grotte
entre Ténès et Mostaganem (Aïn-Meran).
Ils refusent de se rendre. Saint-Arnaud
dont Victor Hugo a dit qu'il avait les
états de service d'un chacal, ordonne à
ses soldats de les emmurer vivants. «Je
fais boucher hermétiquement toutes les
issues et je fais un vaste cimetière. La
terre couvrira à jamais les cadavres de
ces fanatiques. Personne n'est descendu
dans les cavernes. Personne que moi ne
sait qu'il y a dessous 500 brigands qui
n'égorgeront plus les Français.»
La politique de terre brûlée devait
amener une vingtaine d'années plus tard
les famines qui ont vu la mort de
centaines de milliers d'Algériens, au
point qu'il a fallu 50 ans pour que la
population algérienne retrouve le
chiffre de 3 millions d'habitants
qu'elle avait en 1830.
Bien plus tard les crimes de masse de
mai 1945 sont une autre tâche sur la
conscience de la France: comme exemple
de violence absurde, certains
militaires, juchés sur des toits de
wagons de chemin de fer, arrosaient à la
12.7 tous ceux qui passaient à leur
portée. Ce furent d'ailleurs parfois des
troupes coloniales africaines qu'on
utilisa pour accomplir la sinistre
besogne. Il n'y a jamais eu aucun acte
de repentance pour les massacres
perpétrés le 8 mai 1945 non seulement à
Sétif mais aussi à Guelma et à Kherrata...
Le général Duval le «boucher du
Constantinois: «Je vous ai donné la paix
pour 10 ans, si la France ne fait rien,
tout recommencera en pire et
probablement de façon irrémédiable.»
En définitive, après l'invasion, l'armée
n'a pas tenu parole, le peuple fut
humilié, déstructuré, dépossédé de sa
terre (60% des bonnes terres étaient
détenues par 10.000 colons qui est un
apartheid avant celui des colons de
l'Afrique du Sud. De plus,
l'administration coloniale mit la main
sur les fondations pieuses (Habous) qui
entretenaient les mosquées et les
zaouïas, ce qui tarit du même coup la
source de financement de l'enseignement
qui, pour Venture de Paradis, était
développé dans l'Alger d'avant la
conquête. Au total, en 1863, sur les 173
mosquées d'Alger, il restait à peine une
douzaine, toutes les autres furent
démolies ou aliénées, certaines furent
converties en écuries... Ces quelques
phrases, extraites du rapport
parlementaire de la commission dirigée
par Alexis de Tocqueville en 1847,
témoignent de la violence du choc
civilisationnel: «Autour de nous, les
lumières de la connaissance se sont
éteintes... C'est dire que nous avons
rendu ce peuple beaucoup plus misérable
et beaucoup plus barbare qu'avant de
nous connaître.» Voilà un échantillon de
l'oeuvre positive de la France.
1. G. Esquier: La prise d'Alger 1830.
Paris & Alger, E. Champion & l'Afrique
latine, 1923
Professeur
Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 10 mai
2012 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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