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L'EXPRESSIONDZ.COM

ISLAMOPHOBIE

Un nouveau MacCarthysme en Europe
Chems Eddine Chitour


Photo: AFP/Kaveh Rostamkhani

Lundi 8 novembre 2010

«Qu’as-tu à regarder la paille qui est dans l’oeil de ton frère? Et la poutre qui est dans ton oeil à toi, tu ne la remarques pas! Comment peux-tu dire à ton frère: «Frère, laisse-moi ôter la paille qui est dans ton oeil», toi qui ne vois pas la poutre qui est dans ton oeil? Hypocrite, ôte d’abord la poutre de ton oeil; et alors tu verras clair pour ôter la paille qui est dans l’oeil de ton frère.»
Saint Mathieu


Une contribution de Guillaume Weill-Raynal a attiré mon attention, il s’interrogeait sur une islamophobie qui formate inexorablement la société française au point de ne susciter aucune réaction des bien- pensants contre cette dérive dangereuse du «vivre-ensemble» pourtant consacré par la laïcité et les lois de la République. Il ne faut pas croire que cette réaction de rejet des musulmans est une singularité française, il n’en est rien, tous les pays européens, à des degrés divers, ont vu l’avènement de partis extrémistes qui font de la croisade contre les musulmans un fonds de commerce porteur. Pratiquement, les principaux pays européens de la Suisse à la Norvège, au Danemark, aux Pays-Bas connaissent cette unanimité qui rappelle à bien des égards la situation qui prévalait au milieu des années trente en Allemagne avec des «nuits de cristal» spécifiques à chaque pays qui rivalise d’imagination pour traquer le basané, l’Arabe qui a la prétention de vivre «religieux» sans naturellement porter atteinte aux lois du pays où il vit.
Ecoutons Guillaume Weill-Raynal nous parler de cette lente dérive: «C’était il y a un an. En septembre 2009, je publiais ici même une «Lettre ouverte» aux représentants du Crif et de la Licra pour m’étonner de l’absence totale de réaction de leur part face à la banalisation de la parole islamophobe sur de nombreux sites et médias de la communauté juive. Banalisation. Le mot est faible. On pouvait déjà parler, alors, de déferlement. Du «politologue» Guy Millière, tenant conférence dans une synagogue parisienne, appelant à ne pas «capituler» devant le spectre d’un «changement de population et de culture en Europe» qualifié de «guerre mondiale contre l’islamisme» au site de l’Union des patrons et professionnels juifs de France (Upjf), publiant des articles voyant dans la «doctrine islamique de l’immigration» un «cheval de Troie moderne», conçu pour accomplir un «projet insidieux vieux de mille quatre cents ans de conquête et de domination» afin de «dominer les sociétés non musulmanes et paver la voie à leur totale islamisation», les bornes de l’inacceptable me paraissaient, de longue date, avoir été largement franchies».(1)

Le prix du rire

«Je n’avais, bien entendu, reçu aucune réponse de Patrick Gaubert et Richard Prasquier, les deux destinataires de cette lettre ouverte, auxquels j’avais pourtant pris soin d’en adresser personnellement un exemplaire par courrier. Trois mois plus tard, je publiais, sur Rue 89, une nouvelle lettre ouverte, à Brice Hortefeux cette fois, lequel, invité d’honneur d’un colloque de ladite Upjf, s’y était vu décerner - défense de rire! - la «prix de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme». Une remise de prix d’autant plus saugrenue, que l’Upjf, imperturbablement, continuait alors de publier, chaque semaine, la même littérature nauséabonde. Je ne citais dans cet article que les «échantillons» les plus ahurissants, notamment un article paru le 17 décembre 2009, comparant les populations musulmanes d’Occident à une prolifération de souris, et quelques jours plus tard, un montage photo «humoristique», d’une manifestation de Martiens sur la planète Mars: «Musulmans, rentrez chez vous». J’en avais adressé, en dernière tentative, un exemplaire à Gilles Bernheim, grand rabbin de France, en lui demandant simplement de bien vouloir me faire connaître son sentiment sur cet état de fait. Deux semaines plus tard, je recevais un appel téléphonique d’un rabbin du consistoire (dont je tairai le nom, par charité), à qui le grand rabbin de France - «trop occupé», selon ses propres dires - avait confié la délicate tâche de me répondre directement. (...) «La meilleure attitude, c’est de laisser pisser, vous verrez que dans trois semaines, on n’en parlera plus...»(1)
...Le discours islamophobe s’est désormais installé dans le ronronnement d’une norme acceptable, et donc acceptée. Standardisée. Dernier épisode en date, l’interview de Bat Ye’or sur Radio J, mercredi 27 octobre. Cette écrivaine britannique d’origine égyptienne est présentée, dans les milieux néocons, comme une «spécialiste du monde arabo-musulman». Pasionaria hystérique de la dénonciation de la «dhimmitude», elle mène aussi un combat exalté contre ce qu’elle appelle la transformation de l’Europe en Eurabia.(...) Ce jour-là, l’écrivaine est donc interrogée sur son nouveau livre: L’Europe face au spectre du Califat. Un titre suffisamment explicite, lui aussi, qui devrait pouvoir dispenser d’un examen approfondi de l’ouvrage pour se faire une idée du contenu. (...) Quant au remède qui pourrait permettre d’éviter la catastrophe, les suggestions du journaliste laissent pantois: «On voit la montée d’une extrême droite nationaliste dans plusieurs pays d’Europe, y compris d’ailleurs en France. Vous pensez que c’est la bonne solution, pour résister à ce que vous appelez le palestinisme et la volonté du Califat? Je ne sais pas si c’est la bonne solution, mais certainement, si l’Europe veut survivre, il faut qu’elle se raccroche à ses valeurs qui ne sont pas celles du Califat (...) Et par conséquent, qu’elle puisse se défendre contre l’emprise des lois de la charia qui sont imposées par une immigration de plus en plus nombreuse».(1) On peut s’interroger à juste titre sur les fondements de cette islamophobie. Certains font remonter les débuts à la désintégration de l’empire soviétique à 1990, l’Islam étant devenu pour l’Occident le satan de rechange, il y eut ensuite les attentats du 11 septembre 2001, qui furent à bien des égards, du pain bénit pour les va-t-en guerre de tout poil, il y eut enfin le discours de Ratisbonne du pape qui donna d’une certaine façon, une légitimité douteuse aux islamophobes.
«Ce qui a étonné beaucoup de musulmans, écrit Jean-Marie Gaudeul, ce n’est pas le sujet principal de la conférence du pape: personne ne conteste, ni parmi les chrétiens, ni parmi les musulmans, le lien qu’il établit entre la rationalité et la foi. Leur première source d’étonnement vient du fait que pour trouver un exemple à ne pas suivre, il est allé puiser chez les musulmans, l’impression - première et superficielle, j’en conviens - qu’on en retire est que la rationalité se trouve chez les chrétiens et non dans l’Islam. A juste titre, les musulmans nous citent l’exemple des Mu’tazilites ou des Philosophes qui, tout musulmans qu’ils étaient, en venaient à dire que la vérité recherchée par les philosophes est du même ordre que la vérité prêchée par les prophètes à travers des symboles. On pense à Avicenne ou à Averroès. Notons, en passant, que beaucoup de penseurs musulmans du XXe siècle sont, en fait, des néo-mu’tazilites. Une deuxième surprise vient du fait que le pape puise ses idées dans la littérature des controverses: Manuel Paléologue (1350-1425); Ibn Hazm (994-1064), si bien que les paroles qu’il cite sont, en elles-mêmes, provocantes».(2)
D’ailleurs le pape lui-même le souligne! En citant ces textes, Benoît XVI ajoute des commentaires qui sont, à la fois, offensants et inexacts. En effet, le pape commente de son propre chef: «Assurément l’empereur savait que dans la sourate 2, 256 on peut lire: «Nulle contrainte en religion!». C’est l’une des sourates de la période initiale, disent les spécialistes, lorsque Mahomet lui-même n’avait encore aucun pouvoir et était menacé. Mais naturellement, l’empereur connaissait aussi les dispositions, développées par la suite et fixées dans le Coran, à propos de la guerre sainte.» Il s’agit là des propos du pape lui-même. L’ennui, c’est que ce verset coranique - de l’avis unanime de tous les commentateurs - tant chrétiens que musulmans - n’est pas de la période initiale, mais bien de la période médinoise quand Muhammad est en position d’autorité. Les musulmans s’indignent que cette opinion marginale soit présentée comme représentative de l’ensemble de la doctrine islamique. Bon nombre de leaders musulmans souhaitent un apaisement rapide de la crise; mais il serait dangereux de refuser de reconnaître que le texte de Benoît XVI contient des inexactitudes et qu’il donne trop d’importance à une citation d’un auteur marginal. Cet incident, cependant, a donné aux musulmans l’impression que le pape ne les aime pas et qu’il manque de cette sensibilité qui aurait pu lui faire deviner le retentissement de ses paroles dans le monde musulman».(2)

«Ne touchez pas à Israël!»

Quelle est, alors, la technique des différents courants de l’extrême droite tolérés tant qu’ils cassent de l’Arabe ou du noir ou des musulmans pourvu qu’ils ne touchent pas à l’intouchable; Israël et ses défenseurs (Crif, Ufpj..)? Propager une fausse nouvelle, rameuter le ban et l’arrière-ban de tous ceux que cette croisade unit. Ainsi, Riposte Laïque, l’un des mouvements à l’initiative du fameux apéro saucisson-pinard qui écrit que la Goutte d’Or est un territoire musulman, un Kandahar parisien dirait en se moquant Rue 89 un site tolérant. Ainsi, les «enquêteurs» de Riposte Laïque, après «36 semaines» d’investigation, apportent ces effarantes conclusions:
«Pour les femmes intégristes, c’est un véritable défilé de mode, allant du hijab à la burqa, en passant par le jilbab, le tchador, le niqab, le sitar. [...] Les hommes intégristes, par contre, portent presque tous la même tenue, le kamis, une sorte de robe blanche, déclinée en deux modèles.»(3)
«Comme en Iran, comme en Somalie, comme au Soudan, une milice religieuse musulmane contrôle plusieurs rues du quartier Barbès, et une partie d’un grand boulevard parisien! Une personne digne de foi a déclaré à l’auteur avoir entendu, en passant un lundi vers midi dans la rue Myrha...l’appel du muezzin.» L’organisatrice de l’apéro saucisson a pris soin de protéger son identité. Sur sa page Facebook (supprimée), cette «Sylvie François» -un pseudo évidemment- affirme qu’elle vit à la Goutte d’Or et, dans une longue interview à Riposte Laïque, fait ce témoignage édifiant: «Cher Monsieur, trouver du pinard et du saucisson à la Goutte d’Or, depuis un certain temps, relève de l’exploit! Je ne vous parle même pas de pouvoir en consommer au troquet du coin...La déferlante musulmane dans le quartier est en train de nous imposer la prohibition islamique des produits de nos terroirs, parce qu’ils ne sont pas conformes à je ne sais quelle règle religieuse!»(3) «Rue Myrha, aux abords de la mosquée, de nombreux bars. Proposent-ils de l’alcool? Lorsqu’ils ne sont pas halal -ce qui est souvent le cas- oui. Proposent-ils du saucisson? Oui. Si Sylvie François a du mal à trouver du saucisson, une adresse à la Goutte d’Or la ravira: la charcuterie Au Cochon d’or, à l’angle de la rue des Poissonniers et de la rue Dejean. Soit à quelques minutes de la mosquée. Au restaurant Les Trois Frères, on propose rillettes, pâté et saucisson et même des côtes de porc en plat du jour. Le bar est superbement fourni. Bon, concédons à Riposte Laïque qu’il y a aussi du couscous et du thé à la menthe. En tout, il y a au moins une dizaine de bars et autres débits d’alcool et de saucisson dans le quartier (4 ou 5 rues). Si la mystérieuse Sylvie François était plus attentive à sa vie de quartier, elle saurait que des apéros de quartier (avec du pinard et du saucisson, oui!) sont parfois organisés, que les riverains picolent dehors tous les ans à l’occasion du parcours du vin blanc...L’apéro n’aura pas lieu. Sa tenue aurait été créatrice «de risques graves de troubles à l’ordre public», a jugé la préfecture de police de Paris. Nul besoin de ce type d’événement pour «rendre à ce quartier son âme populaire». Il ne l’a pas perdue.(3)
Pour rappel, l’affaire est cousue d’un drôle de fil blanc qui, pour le coup, a des allures de câble identitaire. Le 21 mai, une dénommée Sylvie François se présentant comme une habitante du XVIIIe arrondissement de Paris, ouvre sur Facebook un groupe «Apéro géant saucisson et pinard à la Goutte d’Or´´. (...) Riposte Laïque semble avoir joué un rôle dès le début de cette initiative. D’ailleurs, Maxime Lépante, un des responsables de Riposte Laïque et présenté comme «spécialiste de l’islamisation de la Goutte d’Or», répond longuement dans Minute daté du 9 juin aux questions de...Bruno Larebière, rédacteur en chef de l’hebdomadaire d’extrême droite. M.Lépante y déclare entre autres, d’une «offensive (de l’Islam) contre la France car il y a une volonté de conquérir le pays, c’est le but ultime».(4)
Parmi les défenseurs du vivre-ensemble, il nous plaît de citer aussi le sociologue Vincent Gesseir qui nous explique le vécu simple et apaisé des Français de confession musulmane loin de la diabolisation de l’Islam entretenue par les médias. Ainsi interrogé sur l’ouvrage «Nous sommes Français et Musulmans», il déclare:
«C’est le fruit d’une collaboration menée par France Keyser, Stéphanie Marteau et moi-même. Nous voulions sortir du «prêt-à-clicher islamique» Oui, tout à fait, nous voulions, à travers cet ouvrage, éviter les deux écueils classiques qui consistent à envisager les musulmans à travers le prisme sensationnaliste qu’affectionnent les médias ou au contraire à travers celui de «l’exotisme bobo». Il s’agissait pour nous de sortir de ces deux pôles qui ne reflètent en rien la réalité sociologique de cette population. La réalisation de ce livre vise avant tout à refléter la paisible sédentarisation des musulmans dans l’espace social français. Nous avons volontairement porté notre regard sur différents champs de la société pour illustrer la diversité et le caractère pluriel de la population musulmane de France. Cette approche renforce le constat de «l’extraordinaire banalité» de cette population. J’utilise volontairement cet oxymore pour illustrer le décalage entre le vécu réel des musulmans qui sont, pour l’écrasante majorité, en symbiose avec leur environnement social et des discours politico-médiatiques qui se focalisent sur l’altérité dont ils seraient les porteurs. C’est dans ce sens que nous affirmons être partis du quotidien et du banal pour atteindre l’extraordinaire» au sens étymologique du terme, c’est-à-dire que nous avons tenté de restituer un angle de vue qui sort des traitements auxquels ils sont ordinairement cantonnés».(5) Le Maccarthysme qui fut une chasse aux communistes aux Etats-Unis se mue, de nos jours, en chasse aux musulmans. Sale temps pour les musulmans qui paieront pour les extrémistes islamistes. Ces mêmes extrémistes dont le carburant est justement le sort fait aux pays musulmans que l’on veut absolument démocratiser par drones interposés.

1.Guillaume Weill-Raynal: Islamophobie? Site Oumma.com 4 novembre 2010
2.Jean-Marie Gaudeul: Benoît XVI et les musulmans. Site Oumma.com 19 septembre 2006
3.Zineb Dryef: Pas besoin d’apéro, à la Goutte d’Or Rue89 15/06/2010
4.http://droites-extremes.blog.lemonde.fr/2010/06/09/apero-geant-goutte-dor-les-identitaires-et-riposte-laique-font-manip-commune/
5.El Yamine Settoul: «L’extraordinaire banalité» des Français musulmans. Respect.mag.com 6 mai 2010

 

Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale polytechnique

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Publié le 8 novembre 2010 avec l'aimable autorisation de l'
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Source : L'Expression
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