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L'EXPRESSIONDZ.COM
Mahmoud Abbas franchit le Rubicon
Pr Chems Eddine Chitour
Photo CPI
Samedi 7 novembre 2009
Dans le collimateur du Hamas, le président palestinien
raccrocherait les gants au moment où les négociations entre les
deux belligérants sont dans une impasse de tous les dangers.
Un scoop! Mahmoud Abbas renonce à la présidence palestinienne:
coup de poker ou non? On est tenté de dire «tant mieux!» devant
l’impasse actuelle. Petit retour en arrière pour voir comment
l’allié des Occidentaux tente ce coup de poker. Il y a cinq ans,
Arafat meurt; des élections propres et honnêtes sont organisées
contre toute attente des stratèges occidentaux, le Hamas
remporte haut la main les élections dont l’ancien président
Carter et tant d’autres observateurs occidentaux diront qu’elles
ont été légales. Résultat des courses: sur décision d’Israël, le
Hamas fut diabolisé par l’Occident, les vivres sont coupés et
Israël pacifie. Les populations meurent en silence. Mieux.
L’Autorité palestinienne est par la force des choses et des
dollars amenée à collaborer amenant le coup de force du Hamas
sur Ghaza en 2007. Depuis plus de trente mois Ghaza est soumise
à un blocus inhumain, l’aide internationale ne passe pas, les
médicaments ne passent pas. Mieux. De décembre à janvier 2009,
Israël procède à une véritable boucherie: 1400 morts dont 400
enfants, 5000 blessés, des destructions sans nombre, pas
d’électricité, pas d’eau... Pour une fois, une enquête des
Nations unies est décidée, du fait que les bâtiments des Nations
unies ont été attaqués. «Le Rapport» fait par le juge Goldstone
demande aux deux belligérants (David et Goliath) de faire une
enquête. On remarquera que la dizaine de morts israéliens est
équivalente aux 1400 morts palestiniens.
Bluff ou décision
irrévocable?
Israël a fait l’impossible pour annuler les effets de ce
rapport. Il y a même un vote du Sénat qui demande au président
Obama de mettre son veto au Conseil de sécurité. Les
rodomontades des Arabes aux Nations unies seront sans effet. Le
Rapport Goldstone ira rejoindre les centaines de résolutions de
l’ONU qu’Israël bafoue régulièrement. A l’approche du scrutin
qui se tiendra à l’initiative de Mahmoud Abbas le 24 janvier
2010 en Cisjordanie, en l’absence d’accord de réconciliation
avec le Hamas, le président en exercice de l’Autorité
palestinienne vient d’indiquer devant le comité de l’OLP qu’il
jette l’éponge. Bluff stratégique ou décision irrévocable. Dans
le collimateur du Hamas, et déstabilisé en interne par de vives
critiques, le président palestinien raccrocherait les gants au
moment où les injonctions de Barack Obama appelant Israël à
geler la colonisation israélienne sont restées lettre morte, et
où les négociations entre les deux belligérants sont dans une
impasse de tous les dangers. Plusieurs dirigeants palestiniens,
qui n’envisagent pas les élections sans le président sortant,
ont aussitôt déclaré qu’ils le pressaient de revenir sur sa
décision. Clinton avait soutenu publiquement le Premier ministre
israélien Benyamin Netanyahou, qui veut une reprise des
négociations avec les Palestiniens sans gel préalable des
colonies, revenant ainsi sur la position de Barack Obama.
Hillary Clinton a ensuite fait machine arrière, mais ses propos
continuent de susciter le désarroi du président palestinien. Le
message, ajoute le politologue, s’adresse aussi à certains
«frères arabes». Le ministre des Affaires étrangères égyptien,
Ahmed Aboul Gheit, avait lui aussi, mercredi au Caire, semblé
abandonner le préalable du gel des colonies, appelant Israéliens
et Palestiniens à se «concentrer sur l’objectif final plutôt que
de perdre du temps à exiger telle ou telle chose».(1)
Comment se fait-il qu’il y ait eu revirement? Pour Adrien Prier
du journal Le Figaro, Le Premier ministre israélien a réussi
l’impensable: résister aux mises en demeure de Washington et
faire endosser le rôle du mauvais élève aux Palestiniens.
Netanyahou a réussi à renverser les rôles. Hillary Clinton, en
visite éclair au Proche-Orient, est repartie en félicitant le
Premier ministre israélien et en rejetant les conditions
palestiniennes à une reprise des négociations. «Ce que le
Premier ministre israélien a proposé en matière de retenue dans
la politique de colonisation est sans précédent», a affirmé la
secrétaire d’État américaine, qui a aussi précisé que le gel de
la colonisation n’avait «jamais été une condition préalable» aux
pourparlers. «J’espère voir les deux parties reprendre les
négociations le plus tôt possible», a ajouté Hillary Clinton. Ce
revirement d’une Administration américaine qui exigeait, il y a
quelques mois encore, le gel total des colonies israéliennes en
Cisjordanie, a un goût de victoire pour Netanyahou. (...)
Netanyahou a réussi l’impensable. Il a non seulement résisté aux
mises en demeure de Washington, mais il est aussi parvenu à
faire endosser le rôle du mauvais élève aux Palestiniens.
L’Administration Obama, qui a compris au cours de l’été que le
dossier israélo-palestinien était un peu plus complexe que
prévu, a fini par se contenter de ces demi-mesures. Pas les
Palestiniens, qui refusent de revenir s’asseoir à la table des
négociations. Le président palestinien, Mahmoud Abbas, trop
faible politiquement pour se montrer accommodant, continue à
s’arc-bouter sur le gel des colonies. Comment accepter qu’un
processus de paix visant à faire cesser l’occupation soit
accompagné de nouvelles constructions dans des colonies visant à
perpétuer cette même occupation? demande-t-on dans son
entourage. Netanyahou s’est offert le plaisir de relancer
publiquement Mahmoud Abbas: «J’espère beaucoup que les
Palestiniens vont comprendre qu’ils doivent s’engager dans le
processus de paix, car c’est leur intérêt comme le nôtre.»
La secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton s’est faite
«l’avocat du diable» lors de la réunion des ministres arabes des
Affaires étrangères à Marrakech où elle a félicité le Premier
ministre israélien Benyamin Netanyahou pour, paraît-il, limiter
les activités de colonisation.
Pour rappel, un gel total des colonies avait déjà été fixé comme
une condition préalable aux pourparlers de paix, mais Clinton a
annoncé qu’à son avis, les prétendues «concessions» de
Netanyahou étaient suffisantes pour que les Palestiniens
reviennent à la table des négociations. En public, les ministres
arabes ont fait connaître leur déception avec le changement de
ton des Etats-Unis qu’ils présentent comme une atteinte au
processus de paix. Mais nous ne savons pas ce qu’ils ont dit à
Clinton en secret lors des réunions à huis clos, d’autant que la
secrétaire d’Etat américaine a réitéré sa demande préalable, à
savoir que les pays arabes dits modérés prennent des mesures
allant dans le sens de la normalisation avec le gouvernement
israélien actuel. Cela, dit-t-elle, afin d’encourager les
Israéliens à faire avancer le processus de paix. (2)
Nous craignons fort que les ministres arabes des Affaires
étrangères ne souscrivent à la nouvelle position américaine sur
les colonies et ne fassent pression sur l’Autorité [nationale]
palestinienne pour qu’elle renonce à vouloir imposer un gel
total des activités de colonisation en Cisjordanie et à
Jérusalem comme préalable non négociable à une reprise des
pourparlers. (..) Le prince héritier de l’un des émirats du
Golfe arabe a même dit au président palestinien de ne pas
provoquer, par ses hésitations, la colère du président des
Etats-Unis (qui, lui, semblait le mieux disposé de tous les
dirigeants américains à l’égard de la cause arabe et le plus
désireux de négocier un accord de paix...). L’ex-président
palestinien devrait s’en tenir à sa position qui est de ne pas
reprendre les négociations avec ce gouvernement israélien
extrémiste qui a pour seul but d’annexer les terres
palestiniennes, de judaïser Jérusalem occupée, de mettre en
morceaux la mosquée Al-Aqsa et de construire une synagogue à sa
place. (2)
Clinton joue-t-elle
le jeu?
«Assez de mensonges, Hillary Clinton! écrit Omar Himi el Gul
dans une tribune d’Al Hayat! (...) Il ne fallait pas attendre de
l’intervention d’Hillary Clinton qu’elle fasse avancer le
dossier israélo-palestinien, ni des envoyés spéciaux de
l’administration américaine qu’ils fassent pression sur l’Etat
hébreu et le contraignent à trouver une solution négociée. Mais
on ne pouvait pas imaginer que la secrétaire d’Etat américaine
aggraverait les choses en tordant le cou à la vérité. A la suite
de son entretien avec le Premier ministre israélien Benyamin
Netanyahou [le 1er novembre à Jérusalem], elle a inversé les
rôles et affirmé que ce sont les Palestiniens qui faisaient
obstacle à la négociation. Selon une source israélienne haut
placée, les Américains pensent à présent que les Palestiniens
empêchent tout progrès dans le processus de paix. (...) Il est
vrai que, par le passé, la direction palestinienne a accepté de
négocier sans avoir obtenu l’arrêt de la colonisation. Cela
veut-il dire pour autant qu’il faut se prêter au jeu
israélo-américain? (...) C’est à se demander si la chef de la
diplomatie américaine veut vraiment la paix. Est-ce bien dans
l’intérêt de la paix de poursuivre l’implantation de colonies,
les confiscations de terres et la judaïsation dans les
territoires occupés depuis 1967, là où devrait être créé le
futur Etat palestinien? Tout cela sert-il la négociation ou
est-ce la loi de la jungle? Autant de questions dont les
réponses se trouvent du côté d’Hillary Clinton et de son
administration. La principale question toutefois est de savoir
pourquoi elle se ment à elle-même, à son peuple et au reste du
monde et cherche à travestir la réalité en accusant les
Palestiniens de faire obstacle à la négociation. Pourquoi donc,
Madame? Qui vous a achetée? Combien les pro-Israéliens vous
ont-ils offert?»(3)
On se souvient du tollé provoqué par la demande de Mahmoud Abbas
de différer la discussion du Rapport Goldstone au printemps!
Khaled El Hroub décrit le scénario progressif ayant amené à cet
état de déliquescence de la cause palestinienne. Ecoutons-le:
«En demandant au Conseil des droits de l’homme le report du vote
sur le rapport de l’ONU qui accuse Israël de crimes de guerre,
l’Autorité palestinienne a provoqué la colère de la population.
En Israël, l’ancien Premier ministre Ehoud Olmert comparaît
devant la justice pour corruption et détournement de quelques
dizaines de milliers de dollars. Dans son pays, il n’est pas le
premier à devoir démissionner et s’expliquer devant les juges
pour de telles affaires, des affaires qui, dans le monde arabe,
passeraient pour tellement banales que les coupables n’auraient
jamais été inquiétés. C’est ainsi qu’en Palestine, malgré les
millions de dollars dilapidés durant les années des accords
d’Oslo [1993-2000], une poignée de dirigeants continuent
d’accaparer les décisions. Et, comme si la corruption financière
ne leur suffisait pas, ils ont également corrompu la politique.
Ils ont manipulé la cause nationale et gâché le peu de soutien
international qui reste au peuple palestinien.»(4)
«Le dernier scandale en date est la demande faite par l’Autorité
palestinienne d’ajourner le vote sur le rapport du courageux
juge juif sud-africain Richard Goldstone. Les responsables de
cette aberration politique doivent être démis de leurs fonctions
et jugés. C’est un coup de poignard dans le dos pour ceux qui
forment le front de solidarité internationale et humanitaire
avec les Palestiniens. Le travail de centaines d’organisations
des droits de l’homme est réduit à néant, tandis que les
criminels de l’armée israélienne et leurs acolytes en sortent
confortés. Au lieu de se retrouver dans le box des accusés pour
crimes de guerre, ils peuvent continuer d’afficher leur superbe
et d’aller et de venir en toute liberté. Qui a décidé d’étouffer
le rapport? Comment est-il possible qu’il soit enterré, de la
pire manière - et avec le soutien palestinien? Même s’il
n’existe aucune instance de contrôle législative dans les
Territoires, le peuple palestinien a le droit de savoir. (...)
Repousser de six mois le vote sur le rapport revient à
l’enterrer purement et simplement. Personne ne peut croire qu’il
sera possible de mobiliser l’opinion publique mondiale une
seconde fois. D’autant moins que nous savons que même un verdict
de la justice internationale, pris à la quasi-unanimité,
concluant à l’illégalité du mur de séparation raciste, n’a
abouti à aucun résultat [en 2004, la Cour internationale de
justice avait jugé que le mur de séparation était ´´contraire à
la loi internationale´´]. L’Autorité palestinienne n’a rien
entrepris pour profiter de ce jugement et n’a même pas cherché à
maintenir le dossier ouvert. Tout ce que nous savons de ces
pressions, c’est que Hillary Clinton et d’autres responsables
américains auraient dit qu’un vote sur le Rapport Goldstone
affaiblirait les possibilités d’une reprise des négociations,
alourdirait le climat et réduirait les occasions pour une
diplomatie constructive. (4)
Obama savait que le Premier ministre israélien, Benyamin
Netanyahou, et son gouvernement s’opposeraient au principe d’un
gel total des colonies. Par conséquent, pourquoi a-t-il
tellement insisté? Que va-t-il faire maintenant? Washington
risque de perdre la face et sa crédibilité si, confronté à
l’entêtement israélien, le président américain recule. Obama
risque également de ne gouverner que pendant un seul mandat et
de voir échouer d’autres de ses grandes initiatives politiques
s’il fait malgré tout pression sur Tel-Aviv sous peine de
s’aliéner le lobby pro-israélien aux Etats-Unis, qui
l’affrontera non seulement sur la question du Moyen-Orient, mais
aussi sur des questions nationales. (...) Il aurait été plus
logique d’exiger qu’Israël mette un terme à un acte illégal et
immoral - la colonisation - et d’exiger également des Arabes
qu’ils mettent un terme à des actes tout aussi inacceptables,
comme le terrorisme contre les populations civiles, les
manifestations antisémites ou la négation de l’Holocauste. Nous
n’en sommes encore qu’à la phase d’apprentissage d’Obama dans la
région.(5)
Nous savons maintenant qu’Obama a les mains liées. Que la
secrétaire d’Etat ne cache pas ses affinités pour Israël. Que
les Arabes ne feront rien pour aider la Palestine, que les pays
modérés veulent avant tout sauver leur dynastie royale ou
républicaine. C’est à se demander si la politique du pire menée
par Israël n’est pas à terme la pire des politiques. Quand Saâb
Urikat menace de revenir à la solution à un Etat, peut-être que
c’est la solution. Un Etat laïc multiconfessionnel serait pour
le Moyen-Orient un exemple à suivre. Dans ces conditions,
l’affirmation que l’Etat d’Israël est un Etat juif comme le
martèle Netanyahou, n’a plus de sens.
1. Pierre Prier: Abbas jette l’éponge avant l’élection de
janvier. Le Figaro 05/11/2009
2.Bari Al Atwan: Hillary Clinton: l’avocat du diable. 5 Novembre
2009 http://www.bariatwan.com/index.asp
3.Omar Hilmi Al-Ghoul: Assez de mensonges, Hillary Clinton!
Al-Hayat Al-Jadida02.11.2009
4.Khaled Al-Hroub:Palestine - Un peuple roulé dans la farine.
Courrier international 15.10.2009
5.Rami G. Khouri: Des erreurs de débutant The Daily Star.
15.10.2009
Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale
polytechnique, Ecole d´ingénieurs Toulouse
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Publié le 7 novembre 2009 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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