Opinion
Les Haredim :
Une autre facette de l'intégrisme
religieux
Chems Eddine Chitour
Jeudi 5 janvier
2012
«L'Etat juif
est ce personnage mythique qui conjoint
les deux rôles de la victime et du héros.»
Alain Finkielkraut
Un événement a défrayé la chronique des
médias. Il s'agit des heurts entre juifs
ultraorthodoxes et le pouvoir israélien
à propos de tenues vestimentaires. Ces
Haredim se sont attaqués à des femmes et
notamment à une fillette. Pour ajouter à
la provocation, ils ont vêtu l'uniforme
de la Shoah avec l'étoile jaune.
«Le port de l'étoile jaune, écrit Pierre
Haski du journal Rue 89, par des
ultraorthodoxes lors d'une
manifestation, a choqué la société
israélienne où la question de la
religion cristallise les tensions. (...)
Cette référence à l'holocauste des juifs
pendant la Seconde Guerre mondiale pour
signifier à l'Israël laïque la colère
des ultraorthodoxes a provoqué des
réactions de choc et d'incrédulité de la
part des leaders politiques de tous
bords. Ils n'étaient pourtant qu'un
millier à s'être rassemblés samedi soir
sur la «place du shabbat», dans le
quartier ultraorthodoxe de Mea Shearim,
à Jérusalem Ouest, où vivent des
dizaines de milliers de Haredim, la
frange la plus religieuse de la
population israélienne. Mais cette
manifestation et les outrances
auxquelles elle a donné lieu n'est que
le point culminant d'une confrontation
croissante entre les Haredim et la
société laïque, en particulier dans
cette ville charnière qu'est Jérusalem,
où la cohabitation entre deux visions du
monde est la plus explosive. Les Haredim
représentent quelque 20% de la
population de la ville, deux fois plus
qu'à l'échelle du pays. (1) On
remarquera le choix du mot frange à la
place d'intégriste...
Qui sont
les Haredim?
Les Haredim ou «Craignant-Dieu» (en
hébreu), souvent appelés «ultraorthodoxes»
sont des juifs orthodoxes ayant une
pratique religieuse particulièrement
forte. Depuis la fin du XIXe siècle, ils
rejettent partiellement la «modernité»,
que ce soit dans le domaine des moeurs
ou des idéologies. Les Haredim vivent
généralement en marge des sociétés
laïques environnantes, même juives, dans
leurs quartiers et sous la direction de
leurs rabbins, seule source de pouvoir
pleinement légitime à leurs yeux. C'est
aussi le plus important groupe juif
actuel affichant ses réticences face au
sionisme, et même parfois son hostilité.
La vision fondamentale des Haredim est
que le monde qui les entoure est une
source permanente de perversion. La
télévision ou la publicité y sont une
source d'images débauchées ou violentes.
Les valeurs d'indépendance de
l'individu, de relativisme idéologique,
d'égalité des sexes ou des religions y
sont régulièrement affirmées. Les
Haredim rejettent originellement assez
largement le sionisme, Selon une thèse
historiquement dominante chez les
religieux, Dieu a détruit le royaume
d'Israël pour punir les juifs, et seul
Son Messie peut le recréer ». (2)
« La vie en Terre sainte est possible,
mais toute tentative autonome de créer
un État est une révolte contre Dieu.
Ainsi, le Talmud de Babylone dans son
commentaire du Cantique des cantiques
déclare: Qu'Israël ne «forcerait pas la
muraille» (c'est-à-dire que le peuple
d'Israël s'engage à ne pas conquérir
Eretz Israel par la force). Que Yhwh a
fait jurer à Israël qu'il ne se
rebellerait pas contre les nations
(c'est-à-dire que le peuple d'Israël
s'engage à obéir aux gouvernements
pendant son exil, en attendant «que la
main de Dieu se manifeste aux yeux du
monde»). Qu'en échange, Yhwh a fait
jurer aux nations de ne «pas trop» (yoter
midai) opprimer Israël. Cette vision,
connue sous le nom des «trois serments,
[...] a joué un rôle considérable dans
la pensée religieuse antisioniste, et
[...] est encore évoquée aujourd'hui par
[...] les Netourei Karta et les Hassidim
de Satmar». La Shoah a donc été
interprétée par certains Haredim comme
la conséquence inévitable de la
violation par les sionistes des deux
premières promesses.(2)
« D'un point de vue socio-économique,
leur refus (relatif) de l'éducation
moderne et leur volonté de privilégier
l'étude talmudique sur un travail dans
le secteur marchand (surtout s'il est
immergé dans le monde des laïcs) les
amènent à des niveaux de vie assez
modestes. Cette situation est
particulièrement forte en Israël, où les
communautés sont fermes sur ces points.
Cette croissance parfois explosive
entraîne des tensions avec les voisins.
En effet, l'objectif des Haredim est
d'avoir des quartiers homogènes et
relativement clos. Quand les Haredim
s'implantent en nombre dans un nouveau
quartier, et c'est un mouvement
permanent, ils tendent à y imposer leurs
règles. Ainsi, à Jérusalem, «depuis
quelques mois [fin 2007], les membres
d'une ´´ patrouille de la pudeur ´´ s'en
prennent aussi aux femmes vêtues selon
eux de façon ´´ provocante ´´, qui
circulent dans les quartiers habités par
les Haredim (ultraorthodoxes) du nord de
Jérusalem. La boutique de vêtements
féminins Princesse, rue Méa Shéarim,
reçoit régulièrement des visites de la
patrouille. ´´ Ils nous demandent de
retirer de la vente des robes qu'ils
jugent trop courtes, explique le patron.
Si on veut faire des affaires dans le
quartier, il faut se plier aux règles:
nos vêtements ne doivent rien laisser
entrevoir de la peau, mis à part les
mains et le visage ´´. Les Haredim ont
beaucoup d'enfants. Grâce à tous ces
enfants, l'expansion est rapide. Et de
plus, le système d'allocations
familiales permet aux familles de vivre
sans un réel travail salarié (ils ont
des besoins frugaux et modestes). C'est
un vrai cercle vicieux, qui fait tout
pour que les mômes ne soient jamais au
contact du reste de la société, et
arrivent à l'âge adulte largement
incultes et ignorants (hors de la
Bible). (2)
Les fondamentalistes juifs sont-ils les
seuls? A l'évidence non! Si on connaît
les centaines de milliers d'articles sur
l'Intégrisme islamique, les
fondamentalistes chrétiens se
manifestent de temps à autre. En France,
en décembre, une pièce de théâtre
portant atteinte à l'image du Christ a
violemment été combattue. Le choix des
mots dénonçant les intégristes juifs
n'est pas innocent: «ultrajuifs «ou»
ultra-orthodoxe», ça donne de suite une
image plus sympa que 'intégriste.
Pierre Haski de Rue 89 nous dit que tout
commença il y a une semaine: «Le conflit
fait rage depuis plusieurs semaines,
depuis que des Haredim ont commencé à
s'en prendre aux femmes dans la rue,
vêtues de manière trop «légère» de leur
point de vue. Une femme et une fillette
sont devenues les symboles involontaires
de cette crise ouverte qui place les
Israéliens face à la question, jamais
résolue, de l'identité de leur société.
Naama Mergolis a huit ans, et habite
Beit Shemesh, une ville située entre
Tel-Aviv, la métropole de «perdition» au
bord de la mer, et Jérusalem, la
capitale trois fois sainte. A Beit
Shemesh, les ultra-orthodoxes sont
entrés en campagne contre l'école pour
filles fréquentée par Naama, pourtant
une école liée au courant sioniste
religieux, mais trop «laxiste» à leurs
yeux. Des ultraorthodoxes s'en sont pris
de manière violente à des femmes aux
abords de l'école, semant la terreur
parmi les enfants. Lorsque Naama
Mergolis a témoigné dans les médias
israéliens sur «des gens méchants qui
m'attendent dehors et veulent me faire
du mal», les Israéliens ont été
bouleversés, s'agissant d'hommes qui se
réclament de la religion».(1)
«Israël poursuit Pierre Haski, s'est
créé en 1948 par un compromis historique
entre des pères fondateurs issus du
sionisme de gauche laïque, comme David
Ben Gourion, travailliste et pas
pratiquant, et le courant religieux du
judaïsme. Il en est résulté un équilibre
fragile, qui fait d'Israël une société
sans séparation entre la synagogue et
l'Etat, avec des lois dont certaines
sont héritées de l'époque ottomane. «Les
fondateurs de cet Etat l'ont créé selon
une vision laïque, préconisant la
renaissance économique, sociale et
culturelle du peuple juif. A cette
conception, s'oppose, dès la fin du XIXe
siècle, celle des milieux religieux
désireux de créer, en pays d'Israël, une
société juive qui pratiquerait les
commandements de la Torah - de la Bible.
(...) Le problème est d'autant plus
explosif que la minorité la plus
extrémiste des ultraorthodoxes, bardée
de la certitude d'incarner la volonté
divine, n'hésite pas à braver la loi des
hommes, à l'image de l'assassin de
Yitzhak Rabin en 1995, ou, plus
modestement, de ceux qui ont voulu
imposer leurs règles au sein d'un bus de
la compagnie Egged.» (1)
Les réactions furent nombreuses.
Plusieurs dirigeants du gouvernement
(Netanyahu, Barak, etc.) ou des
formations politiques (Livni, etc.) se
disent très choqués par les actions des
Haredim. Pour Gideon Levy, journaliste
de gauche, il ne faut pas s'y fier. Ces
mêmes dirigeants envisagent une deuxième
opération Plomb Durci contre Gaza dans
un avenir très proche. Une occasion de
focaliser sur les actions des Haredim
pour éviter que les gens réfléchissent
sur un assaut meurtrier éventuel. On
sait que l'ambiguïté entre nationalisme
et religion date en fait des tout débuts
du Yishouv.
Dans « Aux origines d'Israël »,
Sternhell remarque que «de fait, la
Bible a été l'argument suprême du
sionisme. Ce n'est pas seulement la
tension entre les aspirations
divergentes des sionistes et celles des
religieux qui sont à la source du
conflit. C'est aussi le fait que la
religion ne s'est pas laissée laïciser
par le mouvement sioniste, ce qui peut
se comprendre du point de vue des
religieux.
On comprend dans ses conditions le
glissement inexorable d'un Etat - en
théorie - de tous ses citoyens - à un
Etat réservé exclusivement aux Juifs.
Une preuve? Le Parlement israélien doit
prochainement débattre d'un projet de
loi qui définirait Israël comme un «Etat
juif». Un projet qui isolerait un peu
plus les citoyens arabes de ce pays et
tendrait encore davantage les relations
avec l'Autorité palestinienne.
« Doit-on parler d'un Etat juif plutôt
que de l'Etat d'Israël? Un Etat peut-il
être juif et démocratique? Le Premier
ministre Benyamin Netanyahu et ses
alliés de l'extrême droite, emmenés par
le ministre des Affaires étrangères,
Avigdor Liberman, tentent d'imposer ce
nouveau vocabulaire à leurs partenaires
internationaux. Le Parlement israélien
(Knesset) a pour sa part été saisi d'une
proposition de loi qui définirait de
façon plus stricte la notion d'Etat juif
en l'inscrivant dans la Constitution:
l'arabe ne serait plus langue officielle
et la loi hébraïque servirait de source
d'inspiration au législateur.(..) » (3)
On comprend aussi que tout sera mis en
oeuvre pour pousser les Arabes
palestiniens vers la sortie. Cinquante
rabbins ultraorthodoxes ont cosigné une
lettre rendue publique le 7 décembre,
dans laquelle ils affirment que «la
Torah interdit de louer ou de vendre une
propriété à un non-juif», les Arabes
israéliens étant la principale cible de
cette initiative, rapporte Yediot
Aharonot. Plusieurs personnalités
israéliennes ont dénoncé ce manifeste.
Shmuel Eliyahou, le chef rabbin de
Safed, une ville du nord d'Israël, a été
le premier, en octobre, à appeler les
habitants de sa ville à ne pas louer ou
vendre des appartements à des Arabes.
Les
dérives d'une lecture littérale des
textes sacrés
Plusieurs thèmes tels que le voile, la
lapidation sont communs aux trois
religions. Mais quand il s'agit de
diaboliser - eu égard au monde actuel et
non dans le contexte d'alors - seul
l'Islam est voué aux gémonies.
S'agissant du Voile dans l'Epître aux
Corinthiens Paul déclare: «Je veux
cependant que vous sachiez que Christ
est le chef de tout homme, que l'homme
est le chef de la femme, et que Dieu est
le chef de Christ. (...) Car si une
femme n'est pas voilée, qu'elle se coupe
aussi les cheveux. Or, s'il est honteux
pour une femme d'avoir les cheveux
coupés ou d'être rasée, qu'elle se
voile» La lapidation existait comme
châtiment avant que le Code d'Alliance
ne soit donné par Dieu à Moïse au Sinaï,
mais elle fut intégrée dans ce Code par
la suite et elle est restée au fil du
temps le mode d'exécution privilégié des
Israélites sanctionnant des crimes
considérés comme des offenses d'ordre
public comme: le meurtre, l'apostasie,
l'idolâtrie, le blasphème, la violation
du sabbat, l'adultère, l'inceste etc.
C'était un geste de rupture, une
sanction collective, exécutée
collectivement contre un membre de sa
communauté. Pourquoi lapider? On n'avait
pas, à cette époque, une conception
individuelle du péché. La faute d'un
individu était vue comme une maladie qui
était venue se loger au coeur de la
communauté et qui risquait, si elle
n'était pas enlevée, de contaminer le
corps tout entier. On devait donc s'en
débarrasser au plus vite. Il fallait
retrancher, de son sein, le fautif: «Tu
ôteras le mal du milieu de toi» (Dt
21,21)!» (4)
Ainsi donc, la lapidation figure dans
les autres religions monothéistes,
chrétienne avec l'interpellation de
Jésus contre la lapidation de la femme
adultère, mais aussi, dans la partie
hébraïque de la Bible, on voit les
prophètes juifs lapidés par les leurs.
Donc, tout est relatif!
Je ne peux m'empêcher de citer une
lettre d'un auditeur qui s'interroge
s'il faut appliquer à la lettre ce que
dit la Bible. Il écrit: «J'apprends
beaucoup à l'écoute de votre programme
et j'essaie d'en faire profiter tout le
monde. Mais j'aurais besoin de conseils
quant à d'autres lois bibliques. Par
exemple, je souhaiterais vendre ma fille
comme servante, tel que c'est indiqué
dans le livre de l'Exode, chapitre 21,
verset 7. A votre avis, quel serait le
meilleur prix?»(5)
«Le Lévitique aussi, chapitre 25, verset
44, enseigne que je peux posséder des
esclaves, hommes ou femmes, à condition
qu'ils soient achetés dans des nations
voisines. Un ami affirme que ceci est
applicable aux Mexicains, mais pas aux
Canadiens. Pourriez-vous m'éclairer sur
ce point? Pourquoi est-ce que je ne peux
pas posséder des esclaves canadiens?
J'ai un voisin qui tient à travailler le
samedi. L'Exode, chapitre 35, verset 2,
dit clairement qu'il doit être condamné
à mort. Je suis obligé de le tuer
moi-même? Pourriez-vous me soulager de
cette question gênante d'une quelconque
manière? Quand je brûle un taureau sur
l'autel du sacrifice, je sais que
l'odeur qui se dégage est apaisante pour
le Seigneur (Levitique. 1:9). Le
problème, c'est mes voisins: ils
trouvent que cette odeur n'est pas
apaisante pour eux. Dois-je les châtier
en les frappant?»(5)
« Un dernier conseil. Mon oncle ne
respecte pas ce que dit le Lévitique,
chapitre 19, verset 19, en plantant deux
types de culture différents dans le même
champ, de même que sa femme qui porte
des vêtements faits de différents
tissus, coton et polyester. De plus, il
passe ses journées à médire et à
blasphémer. Est-il nécessaire d'aller
jusqu'au bout de la procédure
embarrassante de réunir tous les
habitants du village pour lapider mon
oncle et ma tante, comme le prescrit le
Lévitique, chapitre 24, versets 10 à 16?
On ne pourrait pas plutôt les brûler
vifs au cours d'une simple réunion
familiale privée, comme ça se fait avec
ceux qui dorment avec des parents
proches, tel qu'il est indiqué dans le
livre sacré, chapitre 20, verset 14?»(5)
Les contradictions de la société
israélienne notamment l'aspect
ultrareligieux - traités d'une façon
indulgente, voire complice par les
médias occidentaux qui sont très
prudents dans le choix des mots - vont
de plus en plus apparaître au grand
jour. Si les Haredim sont contre le
sionisme, ils abhorrent encore plus les
Arabes israéliens qui sont les futurs
variables d'ajustement d'un hypothétique
accord, car ils n'auront plus vocation à
rester dans un Etat qui se veut juif.
1. Pierre Haski: Israël confronté aux
provocations des ultrareligieux juifs
Rue 89 janvier 2012
2. Les Haredim: Encyclopédie Wikipédia
3. http://www.courrierinternational.com/
article/2011/12/21/israel-quel-est-ton-nom
4. http://www.interbible.org/interBible/
decouverte/comprendre/2009/clb_090515.html
5. Cri du peuple 1871:
http://www.mleray.info/article-a-tous-les-homophobes-citant-la-bible-93507982.htmll
Professeur Chems
Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 6 janvier
2012 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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