Opinion
Israël et
Palestine négocient sans illusion :
Rien de nouveau sous le soleil
Chems Eddine Chitour
Samedi 3 août 2013
«Un
diplomate palestinien parlant des
négociations avec Israël compare ces
´´négociations´´ de la terre
palestinienne au partage d'une pizza.
Israël veut qu'on négocie avec elle tout
en mangeant pendant ce temps... la
pizza»
Un conflit délibérément oublié par les
médias occidentaux est celui de la
tragédie des Palestiniens. Ce conflit
quasi centenaire, qui refait surface au
moment où on s'attend le moins. Les
Etats-Unis ont pu convaincre Israéliens
et Palestiniens de revenir à la table
des négociations. Pour négocier quoi?
Sur quelles bases? Est-ce en fonction
des multiples résolutions pertinentes
des Nations unies depuis plus de 60 ans?
Il semble que non, que rien n'est acquis
et qu'en fait on discutera de la
nécessité de prendre en compte la
réalité du terrain. On dit que le leader
palestinien n'aurait accepté qu'à la
condition que la colonisation s'arrête
acceptant implicitement le fait accompli
qui a vu s'installer près de 500.000
colons dans les territoires occupés. Il
n'empêche! A grands renforts de
publicité, de caméras, de crépitements
de flash et comme pour Annapolis,
pratiquement à la même période, la
communauté internationale se met à
espérer.
On lit sur le Journal Le Monde: «Des
pourparlers directs israélo-palestiniens
ont repris symboliquement, lundi soir, à
Washington autour du repas de rupture du
jeûne du Ramadhan, l'iftar, offert par
M.Kerry. Les Etats-Unis ont exhorté les
deux parties à négocier de ´´bonne foi´´
afin de trouver un ´´compromis
raisonnable´´. M.Erakat a salué les
efforts du patron de la diplomatie
américaine ´´Je suis ravi que toutes les
questions soient sur la table [...]. Il
est temps pour les Palestiniens d'avoir
leur propre Etat souverain´´, a encore
dit le dirigeant palestinien. Et Mme
Livni s'est elle aussi montrée plutôt
optimiste. ´´Je crois que l'histoire ne
se fait pas par les cyniques. Elle se
fait grâce aux réalistes qui n'ont pas
peur de rêver´´, a lancé la ministre.
Les Etats-Unis, la Russie, l'Union
européenne et les Nations unies ont
appelé ensemble Israéliens et
Palestiniens à ne pas faire échouer les
pourparlers.»(1)
Le journal Le Monde revient sur
la position de Israël: «Mais pour le
gouvernement israélien, il est exclu de
revenir à la ´´ligne verte´´ des
frontières de 1967, tout comme il est
politiquement difficile de mettre un
terme à la colonisation. Soit deux
points qui étaient des conditions sine
qua none pour l'Autorité palestinienne.
Comme l'indiquait Le Monde, samedi, les
Américains auraient offert la garantie
que les discussions se feraient sur la
base des frontières de 1967. Tout comme
ils auraient fait accepter à Israël un
´´gel silencieux´´ de la colonisation, à
l'exception de certaines zones
existantes. Selon l'agence AP, les
Palestiniens auraient pour leur part
admis que certaines des colonies
construites depuis 1967 au-delà de la
ligne verte puissent être acquises à
Israël en cas d'accord.»(1)
Le rendez-vous est pris pour dans deux
semaines entre les négociateurs
israéliens et palestiniens, et cette
fois au Proche-Orient. Les deux camps
´´se rencontreront en Israël ou dans les
territoires palestiniens pour des
négociations formelles´´, avec pour
´´objectif´´ de trouver ´´un accord
final au cours des neuf prochains
mois´´, a déclaré le secrétaire d'Etat
américain, John Kerry, mardi 30 juillet
Pour mener à bien ces négociations, John
Kerry a annoncé lundi la nomination de
l'ancien ambassadeur en Israël, Martin
Indyk comme émissaire spécial. Pour
rappel, à l'époque, Martin Indyk ne
semblait pas plus croire à la paix
aujourd'hui qu'hier... «Interrogé en
Janvier 2012 par Ido Benbaji de la radio
de l'armée israélienne pour savoir s'il
était optimiste quant aux négociations,
Indyk a dit qu'il n'était pas
«particulièrement optimiste, car je
pense que le coeur de la question est
que le maximum de concessions que le
gouvernement d'Israël serait prêt à
faire est bien en deçà des exigences
minimales d'un Etat palestinien selon
Abou Mazen.» En gros, il sait que les
négociations vont dans le mur - mais on
ne refuse pas un coup de projecteur qui
donne toujours plus d'envergure à
l'international et un bon gros
chèque...»(2)
La triste
et complexe réalité du terrain
Pour le professeur Ilan Pappé, de
l'Université de Tel-Aviv, les
négociations israélo-palestiniennes ne
sont qu'une gesticulation destinée à
occuper le temps en empêchant toute
initiative palestinienne. Elles ne
conduiront nulle part, d'autant que
l'opinion publique israélienne a perdu
tout contact avec la réalité et ignore
désormais la question palestinienne.
Nous l'écoutons: «Je ne crois absolument
pas que cette nouvelle tentative nous
amène quelque part, tout comme les
précédentes, depuis les accords d'Oslo
(1983). Parce qu'elle part des mêmes
bases selon lesquelles il vaut mieux
avoir un processus de paix que ne pas en
avoir. Même si ce processus ne produira
rien. C'est pourquoi il n'y a aucune
impulsion réelle de la part des
Israéliens et des États-uniens à faire
davantage pour arriver à des résultats
concrets.Aucune nouveauté, du fait aussi
qu'il n'y a aucune modification de la
base dudit «consensus» qui unit les
Israéliens quand ils parlent de la
Cisjordanie et de la bande de Ghaza».
(3)
Le professeur Illan Pappé pense que
c'est la pression européenne avec les
sanctions d'interdiction d'importation
des produits des territoires occupés qui
auraient fait plier Israël: «Ces
pressions aussi ont convaincu Benjamin
Netanyahu qu'il vaut mieux lancer
quelque forme de dialogue avec les
Palestiniens, pour empêcher que soient
adoptées des sanctions contre Israël et
ses colonies. Le paradigme est toujours
le même, il n'a pas changé et ne
changera pas. Et il n'y a aucune raison
de penser que ces négociations, en
admettant qu'elles se développent dans
les semaines qui viennent, puissent
amener à quelque solution.»(3)
A une question sur le fait que les
Palestiniens seraient tentés de
s'adresser aux Nations unies, le
professeur déclare: «Israéliens et
Étasuniens veulent développer ce que
j'appelle le «Plan A» et empêcher qu'on
ne réalise un «Plan B». Le «Plan A»
prévoit que les entretiens avec les
Palestiniens avancent avec un Israël
maître de la situation dans les
Territoires occupés et libre d'étendre
ses colonies, et l'Autorité
palestinienne d'Abu Mazen engagée à
empêcher le développement de toute forme
de résistance, pas seulement armée, à
l'occupation militaire. Le «Plan B» par
contre est celui où les Palestiniens
s'adressent aux autorités
internationales pour obtenir la
réalisation de leurs droits et demandent
que soient sanctionnés l'occupation et
les crimes qu'elle commet. Le «Plan B»
inclut une Europe plus consciente des
droits des Palestiniens, et, peut-être,
une nouvelle révolte populaire
palestinienne contre l'oppression. Pour
empêcher que démarre le «Plan B»,
Washington et Tel-Aviv relanceront
toujours le «processus de paix»,
c'est-à-dire le «Plan A», qui est celui
du dialogue pour le dialogue sans
perspective de solution fondée sur la
légalité internationale».(3)
«Je pense poursuit-il, qu'il n'y a pas
de différences significatives entre le
leadership de 1983 et l'exécutif de
Netanyahu. Tous les gouvernements
israéliens de 1967 à aujourd'hui (depuis
l'occupation des Territoires) ont
développé la même stratégie: 1.
Jérusalem appartient entièrement à
Israël et il n'y aura aucun compromis
sur la ville; 2. les réfugiés
palestiniens ne rentreront jamais dans
leurs villes d'origine; 3. Israël ne
peut pas exister sans la Cisjordanie. Le
coeur de la politique israélienne était
et reste l'idée sioniste que la
Cisjordanie est une partie d'Israël,
(...) Par exemple, l'annexer entièrement
ou la diviser en une zone israélienne et
une palestinienne? Concéder ou pas
l'autonomie aux Palestiniens? Concéder
ou pas un semblant d'indépendance aux
Palestiniens en continuant à avoir le
contrôle de la souveraineté réelle? Mais
ce n'est qu'une tactique. (...) S'il
existe une différence entre la direction
israélienne des accords d'Oslo et
l'actuelle, elle se limite à quelques
aspects tactiques. Aujourd'hui, par
rapport à 1983, il n'existe plus pour
l'opinion publique israélienne un
problème palestinien, la question
palestinienne est invisible, elle a
disparu de tout horizon. Le peuple
occupé, tout simplement, a disparu de
lesprit de millions d'Israéliens.»(3)
Il semble en fait que les désirs des
Palestiniens soient plus terre à terre:
«Des sources occidentales affirment à la
presse israélienne: les Palestiniens
veulent l'autorisation de construire un
aéroport avant de venir négocier. (...)
Mais il servira aussi de joujou à toute
la clique présidentielle qui veut se la
jouer «grande nation» en se baladant en
Air Palestine 1. Dans les discussions
préliminaires, les Palestiniens ont en
outre demandé qu'Israël leur permette de
chercher du gaz naturel devant les rives
de Ghaza dans les eaux territoriales de
la bande. Les Palestiniens ont aussi
demandé que leur soit accordé plus de
visas et permis de travail dans les
territoires israéliens. Drôle de
paradoxe... Doit-on pleurer ou rire? (4)
Les
pressions européennes
L'Union européenne a adopté, mardi 16
juillet, un texte prévoyant d'exclure à
partir de 2014 les territoires occupés
de sa coopération avec Israël,
provoquant la colère de Tel-Aviv, qui y
voit un ´´diktat´´ sur ses frontières.
Israël vient de prendre des mesures de
rétorsion à l'égard de l'Union
européenne. De quoi l'UE serait-elle
«coupable»? écrit Jurek Kuczkiewicz:
«D'avoir décidé que ses programmes de
coopération avec l'État hébreu, et donc
l'argent européen, ne pouvaient plus
financer des projets israéliens situés
en territoire palestinien occupé. En
dépit de l'occupation, Israël est le
pays partenaire de l'UE qui bénéficie du
statut le plus privilégié en matière de
coopération, notamment économique et
scientifique. La décision récente de la
Commission européenne n'a pas consisté à
couper ces programmes de coopération:
elle permettra seulement d'éviter que
cet argent ne finance l'occupation.(5)
Malgré cela, la direction palestinienne
s'est installée dans les temps morts.
Ghaza est plus asphyxiée que jamais. On
apprend que les militaires égyptiens ont
détruit ou fermé environ 80% des
tunnels, vitaux pour l'approvisionnement
en nourriture et en carburant et donc
pour la survie de la population
palestinienne. De plus, l'Union
européenne inscrit la branche militaire
du Hezbollah islamique libanais dans la
liste des «organisations terroristes».
Enfin, la nouvelle déléguée américaine
auprès des Nations unies, Samantha
Power, qui est connue pour sa loyauté au
régime sioniste, a dévoilé récemment les
efforts déployés par les Etats-Unis pour
l'adhésion d'Israël au Conseil de
sécurité...
Quelles sont les
chances pour que cette fois, cela soit
la bonne?
Comme le professeur Illan Pappé, Pierre
Haski, cofondateur de Rue 89, fait la
même analyse: «Les chances d'un accord
de paix israélo-palestinien sont minces.
John Kerry, qui a pris la suite
d'Hillary Clinton en janvier, en a fait
une de ses priorités, (...) il a déjà
produit un résultat inespéré: le feu
vert des deux parties à une reprise des
négociations. Pour autant, il y a une
limite à ce que Washington peut imposer
à ses alliés israéliens qui disposent de
puissants relais aux Etats-Unis, en
particulier au Congrès où Benyamin
Netanyahu est plus applaudi que Barack
Obama lors de ses apparitions... Mais
Netanyahu sait aussi que les colons de
Cisjordanie sont impopulaires auprès
d'une majorité de l'opinion israélienne
(..)Mais ne rêvons pas: il y a bien plus
de chances que Netanyahu n'ait accepté
de reprendre les négociations que pour
gagner une fois de plus du temps.» (6)
Parlant des Palestiniens, il écrit
qu'ils n'ont aucun atout: «Les
Palestiniens ont perdu l'initiative
depuis longtemps. Mahmoud Abbas est un
Président sérieusement affaibli: il est
à la tête d'une moitié de Palestine; il
n'a pas de budget digne de ce nom; il
est incapable de stopper la progression
des colonies juives en Cisjordanie et à
Jérusalem-Est; il est confronté à la
disparition progressive de la question
palestinienne alors que le Monde arabe
est en pleine crise, entre les
soubresauts égyptiens et la guerre de
Syrie. L'initiative de John Kerry est
pour lui une planche de salut qu'il ne
pouvait pas laisser passer. Mais les
Palestiniens attendront de pouvoir le
juger sur trois critères:1° Les colonies
de peuplement en Cisjordanie et à
Jérusalem-Est: combien seront
démantelées? Quelles frontières? Celles
de 1967 corrigées par des échanges de
territoire? Le sort des réfugiés
palestiniens: Israël n'acceptera jamais
un «droit au retour» mais comment
traiter cette question centrale à
l'identité palestinienne?»(6)
Conclusion:
Depuis le décès de Arafat, les
Palestiniens sont passés de compromis à
des compromissions, malheureusement sans
lendemain. Même le Hamas a dévoilé sa
vraie nature par son allégeance au
Qatar, il veut un émirat. Il n'y a plus
de feu sacré d'une cause palestinienne.
C'est un fait que l'expansion des
colonies, y compris à Jérusalem-Est, et
l'emprise israélienne sur les
Territoires occupés, en violation du
droit international, témoignent d'un
déni des droits territoriaux
palestiniens. Paradoxalement, ce qui
reste de territoires est en train d'être
colonisé avec de l'immobilier de luxe
pour les milliardaires palestiniens de
la diaspora. Le petit peuple celui qui
souffre celui dont on montre les
souffrances, on l’aura compris , n'est
pas concerné.
C’est un fait, Israël veut être reconnu
mais comme un Etat juif, ce qui signifie
que ceux qui ne le sont pas ne pourront
y rester et l'on observera dès lors une
deuxième nakba qui, cette fois-ci,
concernera les Arabes israéliens. Elle
ne veut pas aussi du retour des réfugiés
qui pourraient désiquilivrer
dangereusement l’équilibre
démographique. Enfin , pour le statut de
Jérusalem, Israël, veut en faire sa
capitale éternelle et cela, de son point
de vue, ne saurait faire l'objet de
négociations.
Pourtant, l'initiative arabe de Riyadh
de 2002, torpillée par l'Occident,
aurait pu donner à Israël et aux
Palestiniens, la possibilité enfin de
tourner la page de ce conflit
centenaire.
Si par miracle, -La région s'y prête..-
il y a accord, je pense que la politique
de l'échange de territoires va primer et
que les Palestiniens vont accepter que
les Israéliens leur rétrocèdent des
territoires du côté du désert du Neguev.
Même avec cela, il est impossible pour
eux d'établir un Etat viable sur un
territoire en confettis. Ils tiendront à
ce que Jérusalem-Est soit pour eux la
capitale. Il est possible aussi de
trouver une solution pour les réfugiés,
en leur proposant des compensations
financières On s'acheminerait vers une
solution financière au profit des
petits-enfants des Palestiniens expulsés
en 1948, d'autant que ces derniers
n'auraient pas le même attachement à la
terre. Il restera à effectuer un tracé
afin que les Palestiniens aient des
terres viables avec de l'eau car l'accès
à l'eau est un énorme problème dans la
région ainsi qu'un débouché sur la mer.
Il reste l'utopie d'un Etat bi-national
Des intellectuels palestiniens estiment
que la solution à deux Etats n'est plus
possible et qu'il faut songer à un Etat
binational J'estime que c'est une
alternative viable. L'on aurait alors un
Etat binational, un Etat de tous les
citoyens avec les mêmes droits et les
mêmes devoirs quelles que soient leurs
nationalités ou leurs confessions.
1.
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/07/29/les-discussions-entre-palestiniens-et-israeliens-vont-commencer-sur-des-bases-modestes_3454928_3218.html
2. Amos Lerah http://jssnews.com/2013
/07/31/martin-indyk-ne-semble-pas-plus-croire-a-la-paix-aujourdhui-quhier/
3. Entretien avec Ilan Pappé 29 juillet
2013
http://www.voltairenet.org/article179656.html
4. http://jssnews.com/2013/07/18/un-aeroport-du-gaz-la-mer-morte-voic
i-les-pre-conditions-hilarantes-des-palestiniens/
5. Jurek Kuczkiewicz: Israël à l'Europe:
payez, puis taisez-vous! Le Soir.7
juillet 2013,
6. Pierre Haski Israël et Palestine vont
négocier: quelles chances de succès? Rue
89 21. 07.2013
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
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