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L'EXPRESSIONDZ.COM

DILEMME EN OCCIDENT

Faut-il sauver Moubarak ou son système ?
Chems Eddine Chitour

Jeudi 3 février 2011

«Je voudrais dire au président Moubarak combien j’apprécie son expérience, sa sagesse et la vision modérée qui est la sienne. L’Egypte est, pour la France, un partenaire essentiel et le président Moubarak est, pour nous, un ami. (...) J’ai toujours pris mes responsabilités, je soutiens un gouvernement qui lutte contre le terrorisme (...)»
Nicolas Sarkozy au Caire, décembre 2007


Deux millions de personnes sur la place Tahrir: on n’avait pas vu cela depuis Nasser. Même son fils est venu encourager la protesta qui s’est déroulée sans problème majeur. L’armée ayant donné des assurances -après 300 morts- que tout irait bien. Moubarak a tout le temps été soutenu, bien avant 2001, avec le nouveau Satan de rechange. La raison? Israël avec qui elle a signé un traité de paix. Après 2001, un autre rôle a été dévolu à Moubarak: tétaniser les potentats arabes à travers sa Ligue arabe, appendice du ministère des Affaires étrangères égyptien et cela depuis 1945. Moubarak pour la politique, le roi Abdallah pour le pétrole et l’Opep. Les Arabes étaient alors considérés comme moins que rien dans l’imaginaire occidental. On dit que Moubarak représente pour l’Occident, le barrage contre l’Islam politique. «C’est moi où l’Algérie», avait l’habitude de marteler Moubarak quand on lui parlait de démocratie et de GMO.
Pour la première fois, l’Occident a peur, toute sa puissance déployée a été en quelques semaines rendue inopérante par quelques petits grains de sable insignifiants qui ont endormi la méfiance de tous les stratèges occidentaux, et Israéliens qui les ont totalement minorés comme étant, comme on les appelle en physique des perturbations, du second ordre. Il est vrai que les pays arabes avaient donné le change en s’enfonçant dans une apathie voire un coma profond.

Satan de rechange

Quels sont ces minuscules grains de sable: il y a d’abord eu des signes avant-coureurs de la misère morale des peuples du Sud et dont la partie visible de l’iceberg est constituée par ces harraga qui préfèrent mourir en mer d’un coup, que de mourir à petit feu dans des sociétés profondément inégalitaires. Les eldorados fantasmés ont barricadé leur frontière et les rares rescapés des cauchemars en mer sont repérés -délit de faciès aidant- retenus le temps qu’il faut et renvoyés dans leur pays où ils vont en prison. Après les harraga en mer, il y a les harraga au sens réel.
Depuis le commencement des manifestations, les chancelleries occidentales n’ont cessé d’interférer, surtout les Etats-Unis qui menacent et promettent et leur cauchemar est l’arrivée des Islamistes au pouvoir. La première détente a été de forcer Moubarak à prendre un vice-président, chose qu’il n’a jamais voulu faire depuis 31 ans. Le choix s’est porté sur le général Souleïman qui dirige les services de renseignement; on le dit proche de l’Occident et d’Israël mais le peuple le conteste.
Moubarak en parfait autiste, fait un discours décalé. Il annonce deux fausses nouvelles: d’abord qu’il ne se représente plus, tout le monde était convaincu qu’il préparait son fils. Ensuite, il fait comme s’il n’y avait pas eu ce million de personnes qui ne lui demande rien, sauf de partir. Même El Baradei, conforté par son titre de porte-parole de l’opposition lui demande de partir avant vendredi. Mohammed El Baradei a prévenu que, si le président «veut vraiment sauver sa peau, il ferait mieux de partir». «Quand un régime retire complètement la police des rues du Caire, quand les casseurs font partie de la police secrète pour essayer de donner l’impression que, sans Moubarak, le pays plongera dans le chaos, c’est un acte criminel. (...) S’il veut sauver sa peau, il ferait mieux de partir», a estimé l’opposant dans une interview publiée mardi dans le journal britannique The Independent.
Par ailleurs, on apprend que l’ambassade américaine a discuté avec El Baradei. Tout se passe comme si le discours de Moubarak sert à gagner du temps et joue la montre, la lassitude de la population, le temps nécessaire pour procéder à cette transition voulue et orchestrée par les Etats-Unis qui n’a, encore une fois, qu’une obsession, l’avenir d’Israël dans la région; Netanyahu l’a bien compris, il le dit urbi et orbi: quel que soit le gouvernement égyptien il faut qu’il respecte l’accord de paix avec Israël. C’est en gros, le message que les ambassadeurs israéliens sont amenés à vendre en boucle à toutes les chancelleries occidentales.
Pour Sylvia Cattori, l’exemple tunisien n’est qu’un détonateur d’une mal-vie structurelle entretenue par l’Occident qui s’entête à soutenir des tyrans pourvu qu’ils luttent contre l’Islam politique. Lorsque, le 17 décembre 2010, un jeune diplômé tunisien, Mohamed Bouazizi, en proie au désespoir, s’est immolé par le feu, qui aurait imaginé que son geste allait bouleverser le coeur de millions de gens, embraser la Tunisie, conduire un mois plus tard à la fuite de Ben Ali et à la chute de son régime, libérer des peuples entiers de leurs peurs et les conduire à la révolte? «Si cette révolution - en train de s’accomplir - a pu se déployer avec cette extraordinaire ampleur, c’est bien évidemment parce que, dans de très nombreux pays arabes, le ressentiment populaire accumulé contre des régimes tyranniques et corrompus est un baril de poudre qui n’attendait que l’étincelle pour exploser. Des millions de gens de par le monde, qui ne supportent pas l’injustice et l’ensauvagement de leurs sociétés, ont regardé avec espoir, avec inquiétude avec admiration, ces rassemblements d’Égyptiens défier, malgré la peur, la fatigue, les gaz asphyxiants, des policiers en uniformes noirs ou en civil, et réussir, en quelques jours seulement, à faire vaciller le régime trentenaire et brutal de Moubarak, le grand allié d’Israël. Il est temps que les gouvernements des grandes puissances «démocratiques» qui soutiennent ces régimes dictatoriaux rendent des comptes à leurs propres peuples. Car, sans le soutien qui leur a été fourni, au nom de la realpolitik, au nom de la lutte contre le «danger islamique», ces dictateurs n’auraient jamais pu régner durant des décennies et mater leurs peuples. (...) La propagande visant à susciter la peur en brandissant la «menace de l’intégrisme islamique» ne convainc plus. (...) Aujourd’hui, des milliers de gens de par le monde, communiquent, s’engagent de manière volontaire pour contrer la désinformation et écrire, traduire, diffuser inlassablement sur la Toile une contre-information. Et ils travaillent d’arrache-pied pour construire des réseaux de solidarité avec des peuples bâillonnés et leur dire: «Votre combat est le nôtre».(1)
«Les gens ne sont pas dupes. Ils regardent avec dégoût les propagandistes amis d’Israël, se livrer à des manipulations pour tromper l’opinion publique, crier au scandale, comme cela s’est passé en juin 2009, quand le président iranien Ahmadinedjad a été réélu pour un second mandat avec 62,6% des suffrages exprimés et que le candidat, soutenu par les États- Unis, la France, la Grande-Bretagne, a perdu. Or, ces agitateurs (comme en France, BHL et Alexandre Adler) et ces États en guerre contre le monde arabo musulman, nous ne les avons jamais vu broncher à l’annonce des scores faramineux obtenus par Hosni Moubarak lors de ses réélections successives, ni devant la scandaleuse manipulation des élections législatives égyptiennes de novembre-décembre 2010. Comme pour la Tunisie, la stratégie qui consiste à susciter la peur du «terrorisme» islamique, a rendu les dirigeants occidentaux aveugles à la souffrance et à la réelle aspiration de liberté de ces peuples. Tel-Aviv veut croire à la survie du régime Moubarak: (...) Car, comme l’avait ingénument avoué le vice-Premier ministre israélien Silvan Shalom, un Monde arabe démocratique (...) serait gouverné par une opinion publique généralement opposée à Israël(1).»
Justement, Israël semble sérieusement craindre le pire: la fuite de Moubarak. Jacques Benillouche écrit: «Si un nouveau pouvoir arrive en Egypte et revient sur la paix signée avec Israël, l’Etat hébreu se retrouvera dans la même situation que lors de la guerre des Six- Jours, en 1967, et la guerre de Kippour, en 1973. Israël ne pourra pas se contenter d’être spectateur si un nouveau gouvernement, prenant le pouvoir en Egypte, optait pour une alliance avec les pays ouvertement hostiles. La situation ressemblerait alors à celle qui prévalait à la veille de la guerre des Six-Jours. Le risque de devoir mener une guerre sur plusieurs fronts, au nord, avec le Hezbollah et au sud, avec le Hamas et l’Egypte, n’est pas stratégiquement acceptable par Israël. La restitution du Sinaï à l’Egypte n’avait été acceptée par Israël que contre la signature d’un traité de paix en 1979 qui a toujours été respecté par les deux parties, générant une situation de paix avec la plus grande puissance arabe.»(2)
«Par ailleurs, le Hezbollah et le Hamas pourraient profiter des troubles en Egypte pour agir sur le terrain. Selon les services de renseignements israéliens, le Hamas profiterait des troubles en Egypte pour augmenter le trafic d’armes à partir du Sinaï en direction de la bande de Ghaza par les tunnels de contrebande.
La chute de Moubarak pourrait revitaliser tous ceux qui veulent en découdre avec Israël. Un changement de stratégie du nouveau gouvernement serait mesuré à l’aune d’une reprise des relations diplomatiques avec l’Iran, rompues avec le Caire en 1980. Mais comme en 1967, les militaires sont favorables à une guerre préventive plutôt que d’attendre que la menace devienne trop grande, suivant en cela une opinion publique devenue majoritairement à droite. Israël, qui a accepté de temporiser dans son conflit avec l’Iran et ses ambitions nucléaires, se voit contraint de tenir compte, dans sa nouvelle stratégie, du risque à ses frontières sud. L’Histoire risque de bégayer.(2)
Nous voilà fixés. Tel-Aviv avertit qu’elle n’abondonnera pas Moubarak L’armée égyptienne joue un rôle beaucoup plus important que son homologue tunisienne, c’est la colonne vertébrale du régime à la fois en termes de protection des frontières et de l’économie, a eu un comportement énigmatique. Elle accepte la survie du régime en acceptant que deux de ses généraux deviennent vice- président et vice-Premier ministre. De l’autre côté, la déclaration a été reçue dans la liesse. Lundi soir, l’armée égyptienne a déclaré que les revendications du peuple étaient «légitimes» et s’est engagée à ne pas faire usage de la force à la veille de marches géantes prévues pour marquer une semaine de révolte sans précédent contre le président Hosni Moubarak. Pour Mireille Duteil, Washington cherche un remplaçant à Moubarak mais temporise. Les Etats-Unis veulent éviter le chaos à tout prix. Les jours du président Hosni Moubarak semblent comptés, une semaine après le début de l’insurrection populaire en Égypte. Et ce sont les États-Unis, alliés de toujours, qui lui ont peut-être donné le coup de grâce. «Les réformes annoncées ne sont pas suffisantes», a déclaré Hillary Clinton le 30 janvier, en demandant au président égyptien d’assurer la transition en bon ordre. Est-ce à dire qu’il doit céder la place pour éviter le chaos? C’est le souci majeur de Washington. Le scénario concocté à Washington semble se mettre en place. Va-t-il réussir? Omar Souleïmane va-t-il se contenter de ramener l’ordre ou sera-t-il celui qui amènera l’Égypte vers les réformes et plus de démocratie? C’est l’inconnu.»(3)
Thierry Meyssan, faisant une analyse plus profonde dit que l’ordre américain au Moyen-Orient sera perturbé. Il rejoint les autres analyses quand il dit que les sauveurs qui apparaissent sont ceux qui sont adoubés par Washington et Tel-Aviv. Ecoutons-le nous expliquer la médiatique du conditionnement des foules. Les grands médias se passionnent pour les manifestations en Egypte et prédisent l’avènement de la démocratie à l’occidentale dans tout le Proche-Orient. Thierry Meyssan s’inscrit en faux contre cette interprétation. Selon lui, des forces contradictoires sont en mouvement et leur résultante est dirigée contre l’ordre états-unien dans la région. (...) Les peuples du Proche-Orient ne veulent pas remplacer les dictatures policières ou militaires qui les écrasent par des dictatures religieuses. Les médias occidentaux se sont rués autour de Mohamed El Baradei qu’ils ont désigné comme leader de l’opposition. Cependant, objectivement, M.El Baradei c’est l’eau tiède qui a reçu le prix Nobel de la paix pour que Hans Blix ne l’ait pas.»(4)

La chute de Moubarak

«C’est surtout une personnalité sans aucun écho dans son propre pays. Il n’existe politiquement que parce que les Frères musulmans en ont fait leur porte-parole dans les médias occidentaux. Les Etats-Unis ont fabriqué des opposants plus représentatifs, comme Ayman Nour, que l’on ne tardera pas à sortir du chapeau, (...) Omar Souleïman est le principal artisan de la collaboration avec Israël, Washington et Londres vont donc le protéger comme la prunelle de leurs yeux. De plus, Souleïman peut s’appuyer sur Tsahal contre la Maison-Blanche. Il a d’ores et déjà fait venir des tireurs d’élite et du matériel israélien qui sont prêts à tuer les meneurs dans la foule. En définitive, l’Empire anglo-saxon reste arrimé aux principes qu’il a fixés en 1945: il est favorable aux démocraties qui font «le bon choix» (celui de la servilité), il est est opposé aux peuples qui font «le mauvais» (celui de l’indépendance). Par conséquent, s’ils le jugent nécessaire, Washington et Londres soutiendront sans état d’âme un bain de sang en Egypte, pourvu que le militaire qui l’emporte sur les autres s’engage à pérenniser le statu quo international.»(4)
«Quand un événement arrive par hasard, vous pouvez être sûr qu’il a été programmé pour se dérouler ainsi», disait Franklin Delano Roosevelt. Et si toutes ces perturbations, ces grains de sable étaient voulus? Pourtant, on a l’impression que les peuples arabes lèvent la tête et veulent réellement être acteurs de leurs destins. On le voit, le soldat Moubarak ne sera pas sauvé mais tout sera fait pour que ceux qui sont comme lui émergeront. Washington a toujours plusieurs fers au feu. Sauf que cette fois-ci, les grains de sable imprévisibles peuvent être déclinés indifféremment par des mots aussi simples que dignité, justice, travail, et pourquoi pas, vivre et être heureux, est-ce trop demander à ces assoiffés de pouvoir et d’argent et à leurs parrains?


1.Silvia Cattori: Égypte: Un face-à-face dramatique Reseau Voltaire 31 janvier 2011
2.Jacques Benillouche: Israël: le syndrome de l’encerclement Slate.fr
3.Mireille Duteil Égypte, le scénario américain Le Point.fr 31/01/2011
4.Thierry Meyssan: L’Egypte au bord du sang Réseau Voltaire 31.01.2011.

Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale polytechnique

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Publié le 3 février 2011 avec l'aimable autorisation de l'
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Source : L'Expression
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