|
Affaires stratégiques
Obama, incompris ou
impuissant ?
Charlotte Lepri
Charlotte Lepri - Photo IRIS
Vendredi 29 octobre 2010
Les élections de mi-mandat de la semaine prochaine vont-elles
marquer un tournant dans le mandat de Barack Obama ? En tout
cas, quelques tendances semblent se confirmer depuis plusieurs
semaines. Les Démocrates ne sont plus les « saints-sauveurs »
qui venaient prendre la relève d’une équipe Bush usée et
déconsidérée. La perte de sièges est d’autant plus probable que
les Démocrates avaient remporté de nombreuses victoires aux
élections de 2008, faisant tomber dans l’escarcelle démocrate
des Etats jusque-là républicains. Un retour de balancier est
donc prévisible. De fait, les Républicains vont très
probablement devenir majoritaires au moins à la Chambre des
Représentants, et peut-être même au Sénat. Ce changement de
majorité à mi-mandat est, en l’occurrence, très commun aux
Etats-Unis. C’est une tendance en politique américaine depuis au
moins 50 ans : le parti du Président perd généralement des
sièges au Congrès lors des élections de mi-mandat. Pour celles
de 1994 par exemple, Bill Clinton avait connu une sévère
défaite, à la fois à la Chambre des Représentants et au Sénat,
au point que l’on a parlé à l’époque d’une « Révolution
républicaine ». Cela ne l’a toutefois pas empêché d’être réélu
en 1996. L’un des seuls à avoir échappé à cette tendance est
George W. Bush, qui, lors des élections de mi-mandat de 2002,
avait su rassembler la nation et consolider sa majorité dans un
contexte d’après 11-Septembre et de guerre contre le terrorisme.
Ces élections de mi-mandat sont donc un test pour Obama et
son parti.
Malmené dans les sondages, critiqué sur son bilan, surpris par
la montée en puissance du Tea Party (1), Obama peine à retrouver
le souffle qui l’avait porté pendant sa campagne. Alors que son
thème avait été axé sur le changement, la majorité des
Américains est aujourd’hui perplexe sur sa capacité à
véritablement faire évoluer la « politique washingtonienne » (2)
et se montre très critique sur le rôle du « big government ».
Les attentes suite à l’élection de Barack Obama étaient bien
trop élevées pour que, deux ans après, son bilan soit au niveau
des espoirs suscités.
En deux ans, il a réussi à faire adopter des mesures
emblématiques, telles que la fermeture de Guantanamo (inachevée
à ce jour), la réforme de la santé en mars 2010, la réforme du
système financier en juillet 2010, mais ces mesures sont souvent
incomprises et critiquées. Il a également réussi à obtenir, dès
le début de son mandat, le vote du Congrès pour un plan de
relance de 787 milliards de dollars permettant au pays d’éviter
de sombrer dans le marasme économique.
Mais les Américains ne font que peu de cas de la capacité de
l’équipe économique du Président à juguler la récession. Même si
de récents rapports montrent que l’état de l’économie américaine
aurait été bien pire sans le plan de relance, cela n’a que peu
d’effet sur les intentions des électeurs. En effet, il est rare
qu’une équipe gouvernementale soit félicitée d’avoir évité un
désastre économique qui n’est du coup pas arrivé. Les électeurs
ne s’intéressent pas tant aux hypothétiques problèmes qui
auraient pu arriver qu’aux difficultés qu’ils connaissent au
quotidien. Et la perception qu’ont les Américains de la santé
économique de leur pays est la clé des élections.
Or, même si la situation ne s’est pas détériorée depuis, elle
tarde à se rétablir : il est peu probable que l’économie
américaine retrouve les niveaux d’avant la crise dans les mois
qui viennent. Le taux de chômage reste à des niveaux record
(9,6%), la consommation est en berne et les perspectives de
croissance sont peu optimistes. L’état économique du pays,
l’accroissement de la dette publique et le taux de chômage vont
ainsi jouer en défaveur du parti du Président.
Sur les dossiers de politique étrangère, le bilan d’Obama est
discutable, notamment à cause du fossé entre les promesses et
les résultats.
Sa « stratégie des grands discours » a fait long feu, et semble
même avoir été abandonnée. Quelles sont en effet les
répercussions positives du discours d’Obama au peuple iranien,
de son discours du Caire (sur les relations avec le monde
musulman) et de son discours de Prague (sur un monde sans armes
nucléaires) ? Que sont devenus les appels au « multi-partnership » ?
Que de désillusions et désenchantements sur la capacité de
Barack Obama à vraiment faire avancer les choses !
Certes, il a signé avec les Russes un nouveau traité visant à
réduire les arsenaux nucléaires des deux pays (le « New
START »). Mais il est possible que le Sénat s’oppose à sa
ratification, d’autant plus s’il devient républicain à l’issue
des élections.
Certes, l’image des Etats-Unis s’est améliorée dans de larges
parties du monde (3). Mais quel poids cela aura-t-il dans le
vote des Américains ? D’ailleurs, la situation était tellement
détériorée qu’il aurait été difficile de faire pire.
Sur le front irakien, Obama est en train de mener la politique
de retrait des troupes en Irak. Mais cette décision avait déjà
été prise par l’Administration Bush. Concernant le dossier
israélo-palestinien, Obama a à son crédit de s’y être consacré
dès son premier mandat, et de parler clairement de « deux Etats
pour deux peuples ». Mais les propos contradictoires des
différents membres de son administration et le manque de fermeté
à l’égard de la politique israélienne peuvent laisser perplexe
quant à une réelle volonté de sortir de l’impasse.
En Afghanistan, la mise en œuvre d’une énième stratégie (basée
sur la contre-insurrection, avec un renforcement des troupes sur
le terrain et, parallèlement, une politique de réconciliation et
réintégration avec une partie des insurgés, pour préparer la
transition) ne permet toutefois pas d’envisager une amélioration
de la situation à court ou moyen terme : les conditions de
sécurité sur le terrain se détériorent et le gouvernement afghan
n’est pas en capacité de prendre le relai.
La force du verbe de Barack Obama, qui avait fait son succès
pendant la campagne électorale de 2008, n’a pas suffi pour
gagner la bataille de l’opinion. Barack Obama reconnaît des
erreurs tactiques et un manque de pédagogie et de communication
(4), d’où une large incompréhension de son bilan auprès de
l’opinion publique américaine, mais semble également rattrapé
par la dure réalité du pouvoir, qui révèle son impuissance à
mettre en œuvre le changement tant promis.
(1) Mouvement populiste sur une ligne très conservatrice,
partisan d’un retour aux valeurs traditionnelles et d’un rôle de
l’Etat limité.
(2) Son espoir de faire de la politique autrement, notamment par
une approche bipartisane (à savoir une position conciliatrice et
une coopération accrue entre les Républicains et les Démocrates)
semble avoir échoué, en ne réussissant pas par exemple à obtenir
une seule voix républicaine pour une mesure phare de
l’Administration, la réforme de la santé.
(3) Voir le sondage de la
BBC (avril 2010)
(4) Voir l’article de Peter Baker, « Education of a President »,
New York Times Magazine, 12 octobre 2010 Charlotte
Lepri, chercheur à l'IRIS
Tous les droits des auteurs des Œuvres protégées reproduites et
communiquées sur ce site, sont réservés.
Publié le 30 octobre 2010 avec l'aimable autorisation de l'IRIS.
Partager
Le sommaire de
Charlotte Lepri
Le dossier
politique américaine
Dernières mises à
jour
|