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IRIS
Etats-Unis :
Démocrates en eaux troubles
Charlotte Lepri
Charlotte Lepri - Photo IRIS
Vendredi 22 janvier 2010
L’Obamania n’aura pas résisté à la réalité du pouvoir. La veille
du premier anniversaire de son investiture, le Président Obama a
reçu une douche froide : le siège autrefois appartenant à Ted
Kennedy au Sénat a été remporté avec plus de 4 points d’avance
par le Républicain Scott Brown. Cette défaite dans le
Massachusetts, bastion démocrate depuis près de 60 ans, laisse
présager de sérieuses difficultés au parti de l’âne pour les
élections de mi-mandat à l’automne prochain. Car depuis
l’annonce des résultats, une question est sur toutes les
lèvres : si les Démocrates n’arrivent pas à conserver le siège
qui appartenait à Ted Kennedy, le pourront-ils ailleurs ?
Plusieurs raisons expliquent la défaite des démocrates.
Des raisons locales d’abord : l’équipe de Martha Coakley a fait
une mauvaise campagne. La candidate démocrate n’a pas jugé utile
de réellement mener campagne, persuadée de remporter l’élection,
et l’état-major démocrate s’est faiblement mobilisé pour la
soutenir. L’élection a été, jusqu’aux derniers jours précédents
le vot,e perçue comme une simple formalité, du fait de
l’héritage de Ted Kennedy et de la tradition libérale dans le
Massachusetts. Au contraire, le candidat républicain s’est
positionné en outsider contre l’establishment et a su mobiliser
ses troupes, en surfant sur la vague de mécontentement à l’égard
de la politique de l’Administration Obama. Certains mouvements
ont été particulièrement actifs pendant la campagne, réalisant
un travail de terrain dans l’ensemble de l’Etat. Le Tea Party
Movement, en référence à la Boston Tea Party lors de
la révolution américaine et opposé à un pouvoir central fort,
s’est par exemple largement mobilisé pour donner de la résonance
à son message central en faisant sortir de l’ombre le candidat
républicain qui était jusque-là peu connu. Du côté des
électeurs, l’envie de changement s’est faite particulièrement
ressentir dans les banlieues et les zones rurales. Les électeurs
des zones urbaines, désenchantés, se sont peu déplacés pour
aller voter. En général, les électeurs démocrates se sont moins
mobilisés que les électeurs républicains, Martha Coakley ne
l’emportant que dans les circonscriptions où l’abstention a été
la plus faible.
Des raisons nationales ensuite : le mécontentement à l’égard de
la politique de l’Administration Obama va croissant, que cela
soit sur le chômage, sur la réforme de la santé, ou sur les
questions de sécurité. Il y avait donc, au travers de cette
élection, la volonté d’envoyer un message fort au Président. Les
Américains commencent à douter de la direction prise par Barack
Obama, et se demandent si le fait de renforcer les pouvoirs du
gouvernement central est vraiment efficace pour redresser
l’économie. Même s’ils reconnaissent qu’Obama est arrivé au
pouvoir dans une situation particulièrement difficile, et que
son plan de relance a permis au pays de sortir assez rapidement
de la récession, les Américains restent frustrés par un chômage
toujours très élevé.
Autre enjeu de taille ayant joué lors de cette élection : celui
de la sécurité, notamment depuis la tentative d’attentat du vol
Amsterdam-Detroit à Noël. Les Américains détestent se sentir en
insécurité ; et cet attentat raté leur a rappelé que leur pays
n’est pas invulnérable. Mais cela leur a surtout fait douter en
l’efficacité du gouvernement à lutter contre le terrorisme et à
les protéger.
Reste à savoir maintenant quel sera l’impact de cette élection
dans les mois à venir. L’Administration Obama va devoir
reconsidérer sa réforme de santé, qui avait besoin des 60 voix
du Sénat pour être adoptée La victoire de Scott Brown renverse
l’équilibre au Sénat et va compliquer l’agenda des Démocrates.
Les options qui s’offrent à l’Administration Obama sont peu
encourageantes. La première option serait de partir du texte
adopté par le Sénat et de le faire adopter à la Chambre des
Représentants. Cette solution serait la plus rapide, mais Nancy
Pelosi, speaker de la Chambre, s’y est d’ores et déjà opposée,
le texte du Sénat étant selon elle incapable de rallier la
majorité des voix à la Chambre par son manque d’ambition. La
seconde option serait de modifier le projet de loi de façon à ce
qu’il soit acceptable pour les Républicains modérés du Sénat.
Enfin, certains Républicains comptent sur la défaite des
Démocrates dans le Massachusetts pour exiger de repartir de zéro
et réécrire entièrement le projet. Dans tous les cas, la réforme
phare d’Obama perdra une grande partie de sa substance si les
Démocrates doivent encore faire des concessions aux
Républicains.
L’Administration Obama craint plus largement une opposition de
principe des Républicains pour chaque projet de loi au moins
jusqu’aux élections de mi-mandat, paralysant ainsi son action.
Mais elle redoute aussi que nombre de Démocrates au Congrès se
montrent plus prudents dans les prochaines réformes par peur de
perdre leur siège aux prochaines élections. C’est donc au niveau
interne que les conséquences seront les plus importantes, avec
un ralentissement certain des réformes à venir, qui vont pour la
plupart faire l’objet d’âpres batailles au Congrès. En matière
de politique étrangère, l’impact sera beaucoup moins important
(notamment parce que le rôle du Congrès y est moindre et que la
continuité des politiques étrangères entre Démocrates et
Républicains est plus importante).
L’équipe Obama semble vouloir se laisser du temps pour repenser
sa stratégie, et attendre que la pression retombe plutôt que de
prendre des décisions dans l’empressement. Dans une interview à
la chaîne ABC, le Président Obama a reconnu des erreurs mais
s’est dit déterminé à continuer ses réformes, en les expliquant
mieux aux Américains. Il rencontrera très bientôt les leaders du
Congrès mais il est surtout très attendu la semaine prochaine,
pour le traditionnel Discours sur l’Etat de l’Union (State of
the Union Address) dans laquelle il dressera un bilan de son
action au bout d’un an et détaillera ses objectifs de l’année à
venir. L’occasion pour le Président de remobiliser ses troupes
et de trouver le soutien nécessaire, tant au Congrès que dans
l’opinion, pour une année 2010 qui, il faut le reconnaître, est
pour l’heure mal engagée.
Charlotte Lepri, chercheur à l'IRIS. Tous les droits des auteurs des Œuvres
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réservés.
Publié le 25 janvier 2010 avec l'aimable autorisation de l'IRIS.
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