Opinion
Mort anonyme du
prisonnier X
Charles
Enderlin
© Charles
Enderlin
Mercredi 13
février 2013
L’affaire a en fait commencé hier matin,
mardi 12 février. Le quotidien Haaretz
révélait sur son site qu’un citoyen
australien détenu sous un faux nom
s’était suicidé, le 15 décembre 2010,
dans le quartier à haute sécurité de la
prison Ayalon près de Tel Aviv. Moins
d’une heure plus tard, l’article
disparaissait du site comme s’il n’avait
jamais existé. Pourtant l’histoire
provenait du web de la chaine publique
australienne ABC.
(http://www.abc.net.au/news/2013-02-12/prisoner-x-foreign-correspondent/4514806)
La même mésaventure avait frappé, en
juin 2010, le site Ynet, appartenant au
quotidien Yediot Aharonot. Il ne fallait
pas être professeur de relations
internationales pour comprendre qu’il y
avait là une affaire d’espionnage sous
une forme ou une autre. Visiblement, la
censure interdisait toute publication à
ce sujet. En début d’après-midi, une
information passe malgré tout : les
patrons des principaux médias israéliens
sont convoqués à la Présidence du
conseil à propos d’une affaire
concernant la sécurité de l’état.
(http://www.haaretz.com/news/diplomacy-defense/prime-minister-s-office-calls-emergency-meeting-with-heads-of-israeli-media-outlets.premium-1.503095)
On n’en saura guère plus jusqu’au moment
où en séance plénière, trois députés de
l’opposition posent la question au
ministre de la Justice. Qui leur
conseille de s’adresser à son collègue
de la sécurité intérieure qui est
responsable de l’administration
pénitentiaire. Problème : les débats au
parlement sont diffusés en direct et il
est impossible de les censurer. Les
Députés disposent de l’immunité
parlementaire. L’ensemble de la presse a
donc emboité le pas, le soir même, et le
lendemain, ce mercredi.
Les autorités n’avaient plus le choix.
Les médias israéliens ont l’autorisation
de citer les informations de la chaine
australienne, mais pas plus. Il est
interdit de révéler les raisons de
l’incarcération de ce « prisonnier X »
et son maintien à l’isolement total,
sous un faux nom.
Voici donc, ce que l’on sait :
Né à Melbourne, X s’appelait en fait Ben
Zygier. Après avoir immigré en Israël en
2000, où il a effectué un service
militaire durant lequel il aurait été
blessé. Il a attiré l’attention des
services de contre-espionnage
australiens car, à trois reprises il a
demandé de nouveaux passeports en
changeant de nom, de Ben Alon en Ben
Alen puis Ben Borroughs. Le tout pour
voyager en Iran, en Syrie et au Liban.
Trois autres membres de la communauté
juive australienne étaient ainsi
soupçonnés d’appartenir au Mossad. Les
services de sécurité de Camberra étaient
particulièrement vigilants depuis
janvier 2010, l’assassinat de Mahmoud
al-Mabhouh, un responsable du Hamas, à
Dubaï en janvier 2010, par un groupe de
« touristes » dont trois disposaient de
passeports australiens. Le gouvernement
israélien avait dû promettre
solennellement que cela ne se
reproduirait plus… L’utilisation de
documents australiens.
La famille, son épouse israélienne – ils
ont deux enfants- et ses parents et ses
proches à Melbourne gardent le silence
et refusent de rencontrer la presse. On
ne connait pas les raisons de son
arrestation. En juin 2010, après la
brève diffusion de l’information sur le
site Ynet, Nitzan Horowitz, député du
parti de gauche Meretz a écrit au
conseiller juridique du gouvernement
car, il s’inquiétait des conditions de
détention extrêmement sévères de Ben
Zygier : L’isolement total sous un faux
nom. On lui avait répondu qu’il
s’agissait d’une affaire très grave
concernant la sécurité de l’état. La
censure a interdit la publication de la
lettre d’Horowitz. C’est hier seulement
qu’il a appris la mort de Zyguier. Le
fait qu’il ait pu se suicider par
pendaison, dans une cellule surveillée
en permanence sous tous les angles,
suscite, évidemment, des questions
auxquelles l’administration n’a pas
encore répondu.
Politiquement, l’affaire fait du bruit
en Israël. Avigdor Lieberman, l’ancien
ministre des Affaires étrangères accuse
la gauche de porter atteinte à la
sécurité de l’état et Miri Regev,
députée Likoud, veut traduire en
justice, pour trahison, ses trois
collègues qui ont enfreint la censure.
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