Opinion
Netanyahu et les
printemps arabes
Charles Enderlin
Charles
Enderlin
Dimanche 4 décembre
2011
Un pouvoir idéologique a toujours
tendance à placer la réalité au service
de ses idées. La situation présente,
explique-t-il, est éphémère. Car, si le
danger n’est pas immédiat, l’avenir est
inexorablement porteur de catastrophes.
C’est ainsi que, le 10 juillet 1996.
Premier ministre, fraichement élu,
Benjamin Netanyahu expliquait dans un
discours devant le Congrès à Washington
que l’absence de démocratie dans le
monde arabe l’empêchait de faire des
concessions territoriales : « […]
Nous devons appliquer les standards de
la démocratie et des droits de l’homme
au Proche orient. Je crois que chaque
musulman, chaque chrétien et chaque
Juifs de la région a droit à cela. Je ne
pense pas que nous devons accepter
l’idée que le Proche Orient soit le
dernier sanctuaire isolé « sans
démocratie » pour toujours à l’exception
d’Israël. Le Proche-Orient n’a pas
encore réalisé ce passage fondamental de
l’autocratie vers la démocratie. Cela ne
veut pas dire que nous ne pouvons pas
avoir la paix dans cette région, une
paix avec des régimes non démocratiques.
Je crois que nous le pouvons. C’est un
fait, nous avons eu de tels accords de
paix. Mais, ils peuvent être
caractérisés que comme étant une paix
défensive, où nous devons conserver des
acquis essentiels pour la défense de
notre pays et suffisants pour [notre
dissuasion].Jusqu’à ce que la
démocratisation existe dans la région,
la voie correcte pour le monde
démocratique, conduit par les
Etats-Unis, doit être de renforcer la
seule démocratie du Proche Orient,
Israël »
Mais pas n’importe quelle
démocratie. Les Printemps arabes sont,
pour Benjamin Netanyahu, porteurs de
tous les dangers. Le 23 novembre
dernier, à la Knesset, il a ainsi défini
les raisons pour lesquelles Israël ne
pouvait pas faire certaines concessions
: « Le Moyen Orient n’est pas un endroit
pour les naïfs. En février dernier,
j’étais debout à ce podium lorsque des
millions d’égyptiens descendaient dans
les rues du Caire. Des commentateurs et
de nombreux membres de l’opposition
m’avaient expliqué que nous étions à
l’orée d’une nouvelle ère de libéralisme
et de progrès qui évacuerait l’ordre
ancien. J’avais répondu en espérant que
ce serait le cas mais qu’en dépit de
tous nos espoirs, il était probable
qu’une vague islamiste inonde les pays
arabes, une vague antioccidentale,
antilibérale, anti-israélienne et, en
fin de compte, anti-démocratique. Ils
disaient que je voulais alarmer le
public, que je ne voyais pas que j’étais
du mauvais côté de l’histoire, que je ne
voyais pas la direction que prenaient
les choses. [Les printemps arabes]
bougent, n’avancent pas dans le sens du
progrès, mais reculent.
[…] Je vous demande aujourd’hui, qui n’a
pas compris l’histoire ? Je me souviens
: nombreux d’entre vous me lançaient des
appels- et quels appels !- afin que je
saisisse l’occasion et fasse des
concessions précipitées. C’est le moment
disiez vous ! Ne ratez pas l’occasion!
Mais je ne fonde pas la politique
d’Israël sur une illusion.
La terre tremble ! Nous ne savons pas
qui contrôlera toute terre à laquelle
nous renoncerions. Pas demain, pas cette
après midi. Nous voyons que la réalité
change, elle change partout. Qui ne voit
pas cela [fait l’autruche] se cache la
tête dans le sable Cela n’empêchait pas
[certaines] personnes de venir et de
proposer : « Donnez ! Renoncez ! ». J’ai
répondu : « Nous voulons parvenir à un
accord avec les Palestiniens car nous ne
voulons pas d’un état binational, mais
nous insistons pour que ce soit sur des
fondements stables et surs. […] Je ne
suis pas prêt à ignorer la réalité. Je
ne suis pas prêt à ignorer les dangers.
Je ne suis pas prêt à ignorer
l’Histoire. Je ne suis pas prêt à
ignorer le présent et à renoncer à une
seule de nos exigences de sécurité qui
ont augmenté en raison des crises
récentes et n’ont pas diminué. Ce n’est
pas le moment d’y renoncer et de foncer
de l’avant. C’est le moment d’être
extrêmement prudent dans la gestion de
nos contacts avec les Palestiniens. […].
» Et d’accuser Mahmoud Abbas, le
Président palestinien de refuser le
dialogue car « le Premier ministre
israélien n’est pas prêt d’accepter ses
conditions ».
Tom Friedman, l’éditorialiste du New
York Times a repris les arguments de
Netanyahu. D’abord en rappelant que
Netanyahu avait accusé l’administration
Obama d’avoir poussé Hosny Moubarak vers
la démission au lieu de le soutenir.
Faux ! Les dictateurs arabes ont été
destitués par leurs peuples. En Égypte,
le régime avait organisé les élections
les plus truquées de son histoire.
L’année dernière il avait fait élire 209
députés du parti au pouvoir sur 211.
Quand à la montée de l’Islamisme, elle
est due avant tout aux régimes
autocratiques qui pendant des décennies
n’ont pas permis le développement de
partis d’opposition libéraux, séculaires
et démocratiques. La seule opposition
organisée se trouvait dans les mosquées.
Les succès électoraux des islamiques
ne devraient donc pas surprendre. Ils se
sont développés sur un terreau fertile.
Occupés à s’enrichir, les dictateurs ont
systématiquement délaissé leurs classes
pauvres, les abandonnant aux
intégristes. En Égypte, où l’illettrisme
dépasse les 40%, la mosquée, tenue par
les Frères musulmans est non seulement
un lieu de culte mais aussi un centre
d’aide sociale et éducative. C’est là
que le petit peuple ressentait un
sentiment de dignité.
Bien entendu, la théologie de la
Confrérie est anti-occidentale et
anti-juive. Voir mon livre : « Le
grand aveuglement. Israël et
l’irrésistible ascension de l’Islam
radical » Confrontés à la réalité à
l’approche d’un pouvoir dont ils ont
toujours rêvé, les islamistes
sauront-ils faire preuve de pragmatisme
? Pour certains d’entre eux, peut-être.
Pour d’autres certainement non. L’armée
égyptienne qui, aujourd’hui, assume le
pouvoir, laissera t’elle le pays devenir
un second Pakistan ? Ou une deuxième
Libye ? Ce n’est pas sur. Dans tous les
cas, cette révolution est loin d’être
achevée. Sur son blog de Foreign Policy,
Stephen Walt rappelle que ces
changements de régime, ne sont jamais
rapides mais s’étendent sur des
décennies. Parfois plus. Le combat des
jeunes révolutionnaires arabes, des
blogueurs et des militants des droits de
l’homme en est à ses tous débuts. Après
avoir renversé les dictatures en place,
vont-ils devoir affronter une autocratie
islamique ? Probablement.
Reste la question d’Israël dont
l’environnement stratégique s’est
sérieusement détérioré, avec au nord, le
Hezbollah dominant le Liban, au nord, au
sud Gaza tenu par le Hamas et la crainte
d’une Egypte tombant dans l’escarcelle
de l’Islam radical alors que ses
relations avec la Turquie sont au plus
mal. Un isolement grandissant qui
inquiète également Washington. Le
secrétaire américain à la défense, Leon
Panetta a lancé, vendredi dernier un
appel au gouvernement israélien pour
qu’il se tourne vers l’Egypte, la
Turquie et ses autres partenaires
sécuritaires dans la région, rétablisse
de bonnes relations avec ces pays et
fasse des efforts pour arriver à la paix
avec les Palestiniens. La présidence du
conseil à Jérusalem s’est empressée de
lui répondre en rejetant la
responsabilité du gel du processus de
paix sur les Palestiniens.
Mahmoud Abbas, le Président de
l’autorité autonome refuse toute
négociation directe avec Benjamin
Netanyahu aussi longtemps que se
poursuivront les activités de
colonisations en Cisjordanie et à
Jérusalem Est. Il insiste pour que les
termes de référence des pourparlers
soient fondés sur la ligne de 1967. Des
conditions que le Premier ministre
israélien refuse.
Mais, en fait, les Palestiniens ont
soumis des propositions que les
Israéliens ont refusé de recevoir.
C’était le 14 novembre dernier, à
Jérusalem au cours d’une réunion du
Quartet (les représentants des
Etats-Unis, de l’ONU, de l’Europe et de
la Russie). Saeb Erekat a présenté un
premier document proposant que la
frontière de l’état palestinien soit
basée sur la ligne de 1967, avec un
échange de territoire portant sur 1,9 %
de la Cisjordanie. Un second document
décrivait les arrangements de sécurité
proposés par l’OLP. Une force
internationale serait déployée le longe
de la frontière avec Israël et dans la
vallée du Jourdain. La Palestine serait
démilitarisée et ne conclurait pas
d’alliance militaire avec des pays
hostiles à Israël. Le lendemain, le 15
novembre, Yitzhak Molho,le représentant
israélien a répondu au quartet qu’il ne
pouvait pas coopérer avec une telle
procédure et que les Palestiniens
devaient accepter des négociations
directes. En raison de ces fuites, le
quartet a rappelé les Palestiniens à
l’ordre en leur conseillant de reprendre
les négociations directes Cela dit, ce
n’est pas la première fois que Molho
refuse des propositions palestiniennes.
Lors d’une rencontre aux Nations Unies
en septembre 2010, Saeb Erekat, le
principal négociateur d’Abbas a, en
présence d’Hilary Clinton présenté un
dossier de plusieurs centaines de pages
à Molho. Ce dernier a expliqué qu’il ne
pouvait pas les recevoir, car cela
produirait une crise gouvernementale en
Israël..
En tout cas, sur la scène
internationale, l’attitude du
gouvernement Netanyahu suscite, de plus
en plus de scepticisme quand à sa
volonté de parvenir à un accord. Le 22
septembre 2011, Bill Clinton, l’ancien
président des Etats-Unis a rejeté la
responsabilité de l’impasse sur Israël.
« C’est le premier ministre
israélien Benjamin Netanyahu, dont le
gouvernement a déplacé les bornes (goalposts)
lors de sa prise du pouvoir, et dont
l’ascension représente la raison majeure
de l’absence d’accord de paix
israélo-palestinien […] Il y a deux
principales raisons à l’absence d’une
paix globale : « la réticence de
l’administration Netanyahu à accepter
les termes de l’accord de Camp David
(2000) et un mouvement démographique en
Israël qui rend l’opinion publique
israélienne moins disposée envers la
paix. » […] Le gouvernement Netanyahu a
reçu toutes les assurances que les
gouvernements israéliens précédents
avaient demandées, mais maintenant il ne
les acceptera pas pour signer la paix.
[…] Il s’est éloigné du consensus de
paix, rendant un accord sur le statut
final plus difficile […] Le roi d’Arabie
Saoudite a rassemblé tous les Etats
arabes pour dire aux Israéliens : « Si
vous parvenez à un accord avec les
Palestiniens, nous vous accorderons
immédiatement, non seulement la
reconnaissance mais aussi, un
partenariat politique, économique et
sécuritaire. » […]. Voilà comment nous
en sommes arrivés là. […] Les vrais
cyniques croient que l’appel fréquent du
gouvernement Netanyahu pour des
négociations sur les frontières et
autres signifie qu’il n’a simplement pas
l’intention de renoncer à la
Cisjordanie.»
Bill Clinton ne va pas au bout de son
raisonnement. Benjamin Netanyahu, son
gouvernement, sa majorité à la Knesset,
le Likoud son parti, ne veulent pas d’un
état palestinien dans les limites qui,
seules, permettraient un accord avec
l’OLP. Cela, pour des raisons
idéologiques, car, pour eux, la
Cisjordanie est la Judée-Samarie
biblique, la Terre d’Israël et Jérusalem
la capitale réunifiée et indivisible de
l’état juif. La droite nationaliste au
pouvoir et ses alliés religieux n’y
renonceront pas. Un situation que le
caricaturiste du quotidien Haaretz
résumait ainsi:
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