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Ma
faute ? Avoir heurté de plein fouet la doxa occidentale
Bruno Guigue
Bruno Guigue
Lundi 21 avril 2008
Dans les jours qui ont suivi mon "limogeage", les éditorialistes
Jean Daniel, Bernard-Henri Lévy et quelques autres se sont
empressés de me prendre pour cible. Prenant courageusement le
parti du pouvoir contre un homme seul, ils ont caricaturé mes
propos et stigmatisé ma personne. Point commun de ces
commentaires peu amènes ? Sous une avalanche de procès
d'intention, un pesant silence à propos des faits que j'avais
mentionnés dans ma tribune. Sans toujours réitérer l'accusation
grotesque d'antisémitisme proférée par Luc Rosenzweig, ils
insinuent que je me serais condamné moi-même par l'outrance de
mes propos.
Mais qu'en est-il, effectivement, des tirs de snipers israéliens
sur les enfants et de la pratique de la torture dans les
prisons ? Rien. Vrai ou faux ? À lire leur prose, nous n'en
saurons pas plus. On préfère évoquer à mon encontre « les
protocoles des sages de Sion », comme l'a fait Pierre Assouline.
À croire que la coalition de ceux qui ne veulent pas savoir et
de ceux qui ne veulent pas que l'on sache est majoritaire. Et au
lieu de réfuter mes affirmations de manière factuelle, mes
détracteurs préfèrent ainsi jeter l'anathème.
Mais, précisément, parlons plutôt des faits. Deux phrases
inlassablement reprises en boucle, tirées de leur contexte, en
effet, ont alimenté mon lynchage médiatique. « L’Etat d’Israël
est le seul où des snipers abattent des fillettes à la sortie
des écoles ». Cette affirmation visait à répliquer aux
signataires d’une violente charge contre l’Iran, pays où la
peine de mort est cruellement appliquée. Une phrase choquante ?
Sans nul doute. Mais les tirs de soldats israéliens contre des
enfants, hélas, sont des faits avérés, évoqués par le quotidien
israélien Haaretz depuis 2000. Des tirs délibérés, dont le
journaliste britannique Chris MacGreal, pour l’hebdomadaire The
Guardian, a notamment fait le récit détaillé dans un
article paru le 29 juin 2005.
Une triste réalité dont Christophe Oberlin, professeur de
chirurgie à l’hôpital Bichat, a lui aussi publiquement témoigné
au terme de nombreuses missions médicales en Palestine. Il vient
d’ailleurs d’écrire au gouvernement une lettre où il lui demande
si, lui aussi, il sera limogé pour avoir confirmé mes dires.
Livrée en pâture à l’opinion comme une énormité, la phrase que
j’ai écrite avait quelque chose de monstrueux, en effet : elle
était vraie. Et parce qu’elle disait la vérité, elle heurtait le
formidable déni de réalité qui entoure, dans les médias
dominants, la politique israélienne.
La deuxième phrase litigieuse est celle où j’évoque « les geôles
israéliennes, où grâce à la loi religieuse, on interrompt la
torture durant le shabbat ». Choquant, là encore ? Le propos
renvoyait à leur propre contradiction ces fervents partisans de
l’État d’Israël qu’indigne, curieusement, l’inclination de
certains pays à la défense de la religion. Mais le fait
mentionné, lui, ne fait pas l’ombre d’un doute : il suffit de
consulter le dossier établi par l’association israélienne de
défense des droits de l’homme Bet’Selem.
Lorsque la Cour suprême israélienne tenta de limiter l’usage de
la torture pratiquée sur les prisonniers palestiniens, en 1999,
les services secrets ont argué de l’urgence pour la justifier.
Les plaignants ont alors fait observer que du vendredi midi au
samedi soir, cette pratique était interrompue, ce qui
relativisait singulièrement l’argument de l’urgence. Cette
affaire est parfaitement résumée par Sylvain Cypel, ex-rédacteur
en chef du quotidien Le Monde, dans son livre « Les emmurés »,
paru aux éditions La Découverte en 2005, p. 94, note 17. Chacun
peut s’y référer et vérifier la véracité de mes propos.
Reste un troisième grief, tout aussi paradoxal. Dans la tribune
violemment antionusienne dont je faisais la critique, les
signataires crurent bon de citer Goebbels, lequel invoquait face
à la Société des Nations le fameux adage : « charbonnier est
maître chez soi ». Cette citation visait la majorité des pays
membres du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, dont le tort
était d’avoir dénoncé la violation du droit international par
Israël. Les pays musulmans se voyaient ainsi "nazifiés",
purement et simplement, par les auteurs du pamphlet que je
passais au crible. « Analogie pour analogie », ai-je fait
observer, il y avait plutôt ressemblance entre le Reich qui
s’asseyait sur la SDN et l’Etat d’Israël qui bafouait l’ONU.
Mea culpa : j’avais oublié que les comparaisons les plus
désobligeantes, aux yeux de l’establishment hexagonal, sont
interdites à propos d’Israël mais vivement recommandées à
l’égard des pays du « Tiers Monde ». Mon principal tort, plus
que d’avoir enfreint le devoir de réserve, n’est-il pas d’avoir
heurté de plein fouet la doxa occidentale ? Après avoir mis en
lumière le déni de réalité dont le discours dominant entoure les
exactions israéliennes, il faut croire que c’en était trop. À
mes dépens, j’ai fait la démonstration que la frontière entre ce
qu’il est licite de dire et ce qui ne l’est pas, dans notre
pays, n’a rien à voir avec le vrai et le faux
Bruno Guigue
Diplômé de l’Ecole normale supérieure et de l’ENA
Auteur de "Proche-Orient : la guerre des mots", L’Harmattan,
2003
Publié le 22 avril 2008 avec l'aimable
autorisation d'Oumma.com
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