Syrie
Les services
secrets américains admettent que l'aide
en armes allant en Syrie va à Al Qaïda
Bill Van Auken
Jeudi 18 octobre
2012
Des responsables
des services secrets américains
admettent que le gros des armes qui vont
en Syrie dans le cadre de la guerre
soutenue par les Etats Unis pour
renverser le régime de Bashar al-Assad
vont dans les mains d’Al Qaïda ou
d’autres milices ayant le même
programme.
Un article paru en
première page dans le New York Times
lundi 15 octobre confirme les
informations de plus en plus nombreuses
en provenance de la région et montrant
que les éléments djihadistes jouent un
rôle de plus en plus important dans ce
qui est devenu en Syrie une guerre
civile sectaire.
« La plupart des
armes transportées à l’initiative de
l’Arabie Saoudite et du Qatar pour
approvisionner les groupes rebelles
syriens luttant contre le gouvernement
de Bashar al-Assad, aboutissent dans les
mains de djihadistes islamistes durs et
pas dans celles des groupes d’opposition
plus laïcs que l’Occident veut
promouvoir, selon des responsables
américains et des diplomates en poste au
Moyen Orient », écrit le New York
Times.
L’article exprime
l’inquiétude grandissante ressentie dans
les milieux dirigeants américains
vis-à-vis de la stratégie de
l’administration Obama en Syrie et plus
généralement au Moyen-Orient. Il
renforce encore la crise de la politique
extérieure de plus en plus sérieuse à
laquelle est confronté le président
démocrate à trois semaines de l’élection
présidentielle.
Dans le débat
déformé entre les Démocrates et les
Républicains, cette crise s’est fixée
sur l’attaque menée le 11 septembre
dernier contre le consulat américain et
une base secrète de la CIA dans la ville
libyenne de Benghazi, et qui coûta la
vie à l’ambassadeur J. Christopher
Stevens et à trois autres américains.
Les Républicains
ont mené une campagne publique de plus
en plus agressive, accusant le
gouvernement Obama de ne pas avoir su
protéger le personnel américain. Ils ont
aussi accusé la Maison-Blanche d’avoir
voulu camoufler la nature de l’incident,
que celle-ci a d’abord présenté comme
une manifestation spontanée contre une
vidéo anti-islamique, avant de la
classer comme attaque terroriste.
C’est la ligne
d’attaque adoptée par les Républicains
dans les interviews télévisées
dominicales, tandis que les Démocrates
contraient en disant qu’il s’agissait
d’une « chasse aux sorcières » et que la
description initiale de l’attaque se
fondait sur les informations disponibles
à ce moment.
Le sénateur
républicain Lindsey Graham qui parlait
dans l’émission d’information de NBC «
Face the Nation », avança qu’une
description de l’attaque mortelle de
Benghazi comme d’un événement spontané
était motivée par des considérations
politiques. La campagne de réélection d’Obama,
accusa-t-il, était en train « de vendre
un discours qui dit que… Al Qaïda a été
démantelé – et le fait d’admettre que
notre ambassade a été attaquée par Al
Qaïda ne colle pas avec ce discours. »
Il ne s’agit
cependant pas seulement du fait que le «
discours » de la campagne électorale a
été court-circuité. Les événements de
Benghazi ont fait éclater toute la
politique américaine tant en Libye qu’en
Syrie, ouvrant une énorme crise pour la
politique extérieure américaine dans
toute cette région.
Les forces qui ont
attaqué le consulat américain et le
poste de la CIA à Benghazi n’étaient pas
seulement affiliées à Al Qaida. Il
s’agissait des mêmes forces que
Washington et ses alliés avait armées,
entraînées et soutenues à l’aide d’une
guerre aérienne intense dans la campagne
de changement de régime qui aboutit au
meurtre brutal du dirigeant libyen
Mouammar Kadhafi l’année dernière.
L’ambassadeur
Stevens qui fut envoyé à Benghazi à la
fin de cette guerre de sept mois était
le principal artisan de la mise en place
de cette alliance cynique entre
l’impérialisme américain et les forces
et individus que Washington avait
précédemment vilipendés comme «
terroristes », soumis à la torture et
emprisonnés à Guantanamo.
La relation entre
Washington et ces forces rappelle une
alliance similaire forgée dans les
années 1980 avec les Moudjahiddins et
précisément Al Qaïda dans la guerre
favorisée par la CIA en Afghanistan dans
le but de renverser un gouvernement
aligné sur Moscou et d’infliger une
défaite à l’armée soviétique.
Comme en
Afghanistan, l’arrangement libyen a
conduit à un retour de bâton pour
l’impérialisme américain. Ayant utilisé
les milices islamistes pour finir le
travail commencé par les frappes
aériennes de l’OTAN et, une fois ce but
atteint, pour traquer Kadhafi,
Washington a cherché à les évincer et à
installer les hommes de confiance de la
CIA et des grands monopoles pétroliers à
la direction du pays. Se vengeant du
fait qu’ils ont été écartés du butin de
la guerre, et toujours fortement armés,
les forces islamistes ont
contre-attaqué, organisant l’assassinat
de Stevens.
L’administration
Obama ne peut pas expliquer cette
évolution en public sans montrer aux
yeux de tous la fraude que constitue la
soi-disant « guerre contre la terreur »,
la pierre d’angle de la politique
extérieure américaine pour plus d’une
décennie, et avec elle, les prétendues
motivations « humanitaires » et «
démocratiques » de l’intervention
américaine en Libye.
De plus, elle
utilise les mêmes forces dans la
poursuite de son objectif de changement
de régime en Syrie, destiné à son tour à
affaiblir l’Iran et à préparer, avec
Israël, une guerre contre ce pays. Et,
comme l’indique l’article du New York
Times, on prépare un « retour de
flamme » plus spectaculaire encore.
Le Times
cite anonymement un responsable
américain familier avec les informations
obtenues par les renseignements
américains ainsi : « Les groupes
d’opposition qui reçoivent le gros de
l’aide armée sont précisément ceux dont
nous ne voulons pas qu’ils l’obtiennent
».
L’article attire
l’attention sur le rôle joué par les
monarchies sunnites du Qatar et de
l’Arabie saoudite dans l’acheminement
d’armes vers les groupes islamistes
durs. Celles-ci s’appuient sur leur
propre ordre du jour religieux et
sectaire dans la région, destiné à
contrer l’influence de l’Iran dominé par
les chiites.
Il attribue l’échec
du personnel de la CIA déployé sur la
frontière turco syrienne à contrôler les
groupes recevant des armes à un « manque
d’informations fiables sur de nombreuses
figures et factions rebelles. »
Ce que l’article
manque à dire clairement cependant,
c’est précisément quels « groupes
d’opposition laïcs » existent en Syrie
et que les Etats-Unis veulent armer. Les
directions, basées en Turquie, du
Conseil national syrien et de l’Armée
syrienne libre ont peu d’influence et
sont largement discréditées en Syrie
même.
Un rapport publié
par l’ICG (International crisis group)
le 12 octobre et intitulé « La tentative
de Djihad, l’opposition intégriste en
Syrie » suggère que la soi-disant
opposition « laïque » n’existe pas. Il
fait remarquer que « la présence d’une
puissante tendance salafiste parmi les
rebelles syriens est devenue
irréfutable. » Cela s’accompagne d‘un «
glissement vers un discours religieux de
plus en plus radical et… des tactiques
de plus en plus brutales. »
Il cite le rôle de
plus en plus important joué par les
groupes comme Jabhat al-Nusra [Front de
soutien] et Kata’ib Ahrar al-Sham
[Hommes libres des bataillons syriens]
qui ont tous deux adopté sans aucune
ambiguïté le langage du djihad et ont
appelé à remplacer le régime par un Etat
islamique basé sur les principes du
salafisme »
Finalement il
attribue l’influence grandissante de ces
éléments à « l’absence d’une direction
cléricale et politique effective » dans
des conditions où les éléments sunnites
plus modérés sont opposés aux soi-disant
« rebelles ».
Dans l’ensemble,
l’absence d’une direction déterminée et
pragmatique s’accompagnant d’une spirale
de violence, profondément sectaire
parfois, a inévitablement favorisé les
factions les plus dures », dit en
conclusion le rapport de l’ICG.
Certains éléments
dans l’establishment dirigeant
américain citent de plus en plus
l’influence grandissante des milices
islamistes en Syrie pour justifier une
intervention directe des Etats-Unis. Un
des représentant de ce point de vue est
Jackson Diehl, le rédacteur en chef de
la rubrique Affaires étrangère du
Washington Post et un défenseur en
vue de l’invasion de l’Irak en 2003.
Dans un commentaire paru le 14 octobre,
Diehl décrit la situation en Syrie comme
représentant « l’apparition d’un
désastre stratégique » attribuable à «
la trop grande et nuisible prudence d’Obama
dans l’affirmation de la puissance
américaine. »
Diehl écrit : « Les
yeux rivés sur son mot d’ordre de ‘recul
de la guerre’ au Moyen Orient, Obama
affirme que l’intervention ne pourrait
que faire empirer le conflit – puis il
regarde comment elle s’élargit à la
Turquie, cet allié de l’OTAN, et comment
elle attire des centaines de combattant
d’Al Qaïda. »
Chapitrant Romney
et les Républicains parce qu’ils sont
fixés sur l’attaque terroriste de
Benghazi, Diehl fait remarquer que cela
est plus facile que de demander à des «
Américains fatigués de la guerre »
d’envisager une guerre d’agression de
plus. Néanmoins, suggère-t-il, une fois
que l’élection sera passée, une telle
guerre sera à l’ordre du jour, peu
importe qui occupera la Maison-Blanche.
(Article original
publié le 16 octobre 2012)
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Publié le 18 octobre 2012 avec l'aimable
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