Opinion
Obama soutient un
bain de sang en Egypte
Bill Van Auken
Samedi 5 février 2011
L’administration Obama est entièrement responsable,
politiquement et moralement, de la terreur d’Etat et de la
violence sanglante qui ont fait de nombreux morts et des
milliers de blessés sur la place Tahir du Caire et dans d’autres
villes d’Egypte.
Les attaques menées par des gangs nombreux et armés, menés
par des agents en civil des services secrets et par les nervis
du Parti national démocratique, le parti gouvernemental d’Hosni
Moubarak, se sont produites immédiatement après ce que les
responsables de Washington ont appelé une longue et « franche »
conversation téléphonique entre Obama et Moubarak. Cette
conversation eut lieu directement après le discours télévisé du
président égyptien et au cours duquel il a annoncé son intention
de rester au pouvoir jusqu’à l’élection présidentielle de
septembre.
Le président américain a ensuite tenu son propre discours
télévisé, où il fit l’éloge de l’armée égyptienne, affirma que
Moubarak comprenait qu’un « changement devait avoir lieu » et
appela à une « transition ordonnée » en Egypte. Obama déclara
aussi, entouré d’une rhétorique fleurie et hypocrite qui
célébrait les masses qui s’étaient levées contre la dictature,
« nous sommes prêts à fournir l’assistance nécessaire à aider le
peuple égyptien au moment où il gère la période qui suit ces
protestations. »
Autrement dit, les protestations son terminées. Quittez la
rue et laissez le Département d’Etat et l’armée égyptienne
déterminer l’avenir de l’Egypte!
La Maison Blanche affirmera ce qu’elle voudra sur le contenu
de ce qu’Obama a dit à Moubarak, le message reçu par le
président égyptien est clair : si les masses refusent d’accepter
son offre et n’abandonnent pas leur défi insurrectionnel, il a
le feu vert de Washington pour restaurer le pouvoir de sa
dictature militaire et de se servir ouvertement de la violence
pour les chasser des rues du Caire, d’Alexandrie, de Suez et
d’autres villes d’Egypte.
Moubarak n’aurait guère mobilisé des dizaines de flics et de
criminels pour lancer des attaques à l’aide de couteaux, de
matraques, de cocktails Molotov, de charges à cheval et à dos de
chameau, s’il avait pensé qu’il provoquerait des représailles
américaines.
Et les événements de mercredi ont montré qu’il n’avait rien à
craindre. Tandis que la Maison Blanche et le Département d’Etat
faisaient pour la forme des déclarations déplorant les violences
– tout en suggérant que, d’une manière ou d’une autre, il
n’était pas clair qui était responsable de ces violences – le
porte-parole d’Obama, Robert Gibbs, refusa expressément de
répondre à la question de savoir si Moubarak était ou non un
dictateur et fit clairement comprendre qu’il n’était pas
question de suspendre les deux milliards de dollars d’aide
américaine dont bénéficie annuellement le régime égyptien et
dont l’armée et les forces répressives du pays reçoivent la part
du lion.
Il n’y a pas eu non plus de demande quelconque de la part de
Washington que Moubarak abdique, les responsables américains
éludant avec insistance toute question de savoir si Obama
désirait qu’il quitte ou non ses fonctions. Washington n’avait
pas de telles réticences, faut-il le rappeler, lorsqu’il s’est
agi des diverses « révolutions colorées », orchestrées dans le
but d’installer des régimes pro-américains dans des pays comme
l’Ukraine ou la Georgie.
En Egypte cependant, les choses sont tout à fait différentes.
Des décennies de corruption et de répression accompagnées d’une
vaste inégalité sociale, un chômage allant s’aggravant et une
pauvreté écrasante se sont combinées pour produire un
soulèvement révolutionnaire de masse contre ce qui a été le
principal allié des Etats-Unis dans le monde arabe et la pierre
d’angle universellement acclamée de leur quête d’hégémonie au
Moyen-Orient.
Comme la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton l’a dit
cette semaine, le régime égyptien a fait fonction de
« partenaire des Etats-Unis pendant plus de trois décennies » et
constitue une ressource vitale dans le fait « d’essayer de
stabiliser une région qui représente de nombreux défis ». Le
fait que ce régime ait cherché à imposer cette stabilité et de
réprimer ces « défis » en torturant et en assassinant ses
adversaires était bien compris par Washington et ne lui posait
pas de cas de conscience.
Ce soutien à Moubarak au sein de l’establishment américain
trouva son expression de façon particulièrement nauséabonde dans
un éditorial du New York Times mercredi qui décrivait cet
acolyte des Etats-Unis comme un « fier nationaliste ».
Clinton affirma dans sa déclaration que la préoccupation des
Etats-Unis quant à l’Egypte était d’amener une « véritable
démocratie » et non pas une « soi-disant démocratie qui conduise
ensuite à ce que nous avons vu en Iran ». En d’autres mots, le
seul critère d’une démocratie n’est pas la volonté du peuple,
mais la subordination aux intérêts américains.
Comment l’administration Obama promeut-elle ce genre de
« démocratie véritable»? Tout d’abord, elle a choisi d’envoyer
en Egypte l’ancien ambassadeur américain dans ce pays, Frank
Wisner. Les lettres de créance de Wisner en fait de démocratie
comportent son expérience en tant que membre des conseils
d’administration d’Enron et d’AIG et, plus de façon plus
décisive, d’être devenu, d’ambassadeur en Egypte qu’il était,
lobbyiste au service de Moubarak et de son régime.
Le message porté par Wisner de la part d’Obama était que
Moubarak devait se cramponner à la présidence jusqu’après des
élections vers la fin de cette année, ce qui était précisément
ce que le dictateur égyptien avait promis dans son discours
télévisé. Il est très probable que Wisner lui a aussi transmis
le message que si le peuple égyptien n’acceptait pas l’offre de
Moubarak, celui-ci avait le soutien de Washington pour imposer
son autorité par tous les moyens qui lui paraîtraient
nécessaires.
En même temps, l’administration Obama s’est fortement appuyée
sur l’armée américaine et ses relations avec le commandement
militaire égyptien. L’amiral Mike Mullen, le chef d’Etat major
des armées, parla à son homologue égyptien mercredi, pour la
deuxième fois en deux semaines. Il dit qu’il avait pressé
l’officier supérieur égyptien d’assurer un « retour au calme ».
Le Pentagone a dit que Mullen avait « exprimé sa confiance dans
la capacité de l’armée égyptienne d’assurer la sécurité du pays,
tant à l’intérieur que dans toute la zone du canal de Suez. »
Cet appel en suivait un autre fait mardi par le secrétaire
d’Etat américain à la défense, Robert Gates, au ministre de la
défense égyptien, Mohammad Hussein Tantawi – le second appel en
une semaine là aussi – et coïncidait avec un appel d’Hillary
Clinton à Omar Suleiman, le chef de longue date des services de
renseignements de Moubarak et son tortionnaire en chef, qu’il a
choisi pour devenir son vice président.
Quel fut le sujet de toutes ces discussions? Le Pentagone
dispose de presque 700 membres de son personnel en Egypte et est
parfaitement informé de toute action entreprise par l’armée du
pays. Le rôle joué par l’armée au Caire mercredi, ouvrant la
Place Tahrir aux escadrons nombreux des nervis de la police
secrète et du régime afin qu’ils puissent lancer leur attaque
brutale, fut préparé à l’avance avec Gates, Mullen et le reste
des gros bonnets de l’armée américaine.
Quelque soient les idées qui règnent à Washington sur une « transition
ordonnée » en Egypte, elle sont entièrement subordonnées au
maintien d’un régime soutenu par les Etat Unis, contrôlé par
l’armée égyptienne et qui soit capable de casser un mouvement
insurrectionnel. Comme l’a dit à l’agence Reuters un des
participants à la séance de crise du Conseil national de
sécurité à la Maison Blanche : « Ce que les Etats-Unis ne disent
pas publiquement c’est qu’ils mettent leur poids derrière les
généraux égyptiens. L’objectif est de truquer les cartes en
faveur du statu quo – un scénario qui enlève Moubarak, mais qui
pour le reste est plus une question de continuité que de
changement ».
C’est là la « démocratie véritable » défendue par Clinton.
Elle ne peut être obtenue qu’en réprimant le soulèvement des
masses égyptiennes. S’il doit y avoir des élections elles seront
tenues seulement après que Washington ait été capable de truquer
leur résultat, assurant la victoire d’une marionnette soutenue
par les Etats-Unis et contrôlée par l’armée égyptienne.
Si on permettait aux masses égyptiennes d’exprimer leurs
véritables aspirations dans une élection, ceci mettrait un terme
au rôle joué par l’Egypte de client servile des Etats-Unis et
d’Israël. Un sondage réalisé par le Pew Global Attitudes Project
l’année dernière montrait que seuls dix-sept pour cent de la
population avait une vue positive de la politique américaine et
égalait le Pakistan en tant que population la plus hostile à
Washington. Ce n’est guère une surprise après plus de trois
décennies de dictature pro-américaine et de politique de « marché
libre » sponsorisée par les Etats-Unis et qui ont ravagé le
niveau de vie.
On ne peut pas aller dans la voie d’une « transition ordonnée »
sur laquelle l’administration Obama veut conduire l’Egypte sans
le genre de bain de sang qui a déjà commencé, en dépit de
déclarations officielles déplorant la violence.
La lutte révolutionnaire commencée par les masses
travailleuses et opprimées d’Egypte contre le régime Moubarak a
inévitablement conduit à une confrontation avec l’impérialisme
américain, la principale base de soutien de cette dictature. Un
victoire dans cette lutte ne peut être remportée que sur la base
d’une lutte pour la transformation socialiste des rapports de
propriété existants et pour le passage du pouvoir politique aux
mains de la classe ouvrière.
Pour une telle lutte, les travailleurs d’Egypte trouveront du
soutien non pas chez les prétendus démocrates de la bourgeoisie
nationale, mais dans la classe ouvrière internationale et parmi
les travailleurs des Etats-Unis. La tâche la plus pressante est
la construction d’une nouvelle direction révolutionnaire, basée
sur la perspective du socialisme international défendue
seulement par le Comité international de la Quatrième
internationale.
(Article original paru le 3 février 2011)
Copyright 1998 - 2009 - World Socialist
Web Site- Tous droits réservés
Publié le 5 février 2011 avec l'aimable autorisation du WSWS
Le dossier Egypte
Dernières mises à
jour
|