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IRIS

Syrie : pourquoi les attentats ?
Barah Mikaïl


Barah Mikaïl - Photo IRIS

IRIS, 29 septembre 2008

Pendant longtemps, la Syrie s’était targuée d’être l’un des pays les plus sûrs au monde. Et voilà que les faits viennent, une fois de plus, démentir cette affirmation. Le 27 septembre, un attentat à la voiture piégée survenait ainsi à Damas, près de l’un des quartiers généraux des services syriens de sécurité. Ses auteurs cherchaient-ils à faire des dégâts humains, civils, comme militaires ? On peut le croire, les 17 morts et 14 blessés dus à cet attentat étant loin d’être les victimes d’un simple hasard. Dans le même temps, l’endroit où a eu lieu l’explosion, beaucoup moins fréquenté que ne le sont maints quartiers syriens, laisse aussi à penser que les auteurs de cet attentat, à défaut de vouloir renverser le régime syrien, ont plutôt cherché à mettre celui-ci en garde, et éventuellement à faire un pas de plus vers sa potentielle déstabilisation. Aux yeux des Syriens en effet, et quand bien même la théorie du complot reste amplement en vogue dans ce pays, de telles explosions démontrent notamment que les services de sécurité syriens ne sont plus aussi performants et efficaces qu’ils l’étaient il y a quelques années encore.

Bien entendu, savoir pourquoi un tel attentat a été fomenté aujourd’hui, nécessiterait une identification de ses auteurs au préalable. Tâche rendue cependant d’autant moins aisée que les ennemis du régime syrien sont légion, et qu’ils demeurent loin d’être confinés aux seuls cas d’individus et de formations extra-étatiques.

Ainsi, sur le plan international, les Etats-Unis, ou plus précisément l’Administration Bush, demeure extrêmement réticente à voir la Syrie poursuivre la tendance actuelle vers un – relatif - regain de respectabilité. Sur le plan régional, Israël, malgré ses tractations récentes avec Damas, demeure tout aussi opposé à une amélioration de l’image de la Syrie tant que celle-ci ne modifierait pas ses constantes stratégiques (soutien aux formations armées palestiniennes et au Hezbollah libanais, alliance avec l’Iran, sans oublier ses bonnes relations avec la Russie). L’Iran, pour sa part, a bien des raisons de se méfier de ces tractations en cours entre Damas et Israël. Mais il ne faut pas pour autant oublier – ni sous-estimer – l’ampleur des différends qui opposent la Syrie à bon nombre de ses voisins arabes régionaux. L’Arabie saoudite, l’Egypte, la Jordanie, sans oublier le cas de la majorité parlementaire libanaise actuelle, ainsi que celui d’une bonne partie de la classe politique irakienne, sont ainsi autant d’exemples de pays et/ou acteurs pleinement en opposition avec la politique régionale syrienne. Le tout sans pouvoir nier qu’il y a, sur la scène libanaise en particulier, des éléments, qu’ils soient extrémistes ou « modérés » - comme aiment à les voir beaucoup de gouvernements occidentaux -, sont très déçus de voir la Syrie érigée comme acteur fréquentable depuis la signature des accords de Doha en mai 2008, à l’issue desquels un président libanais a enfin pu être désigné.

En parallèle, le cas des formations islamistes n’est pas à négliger. On entend par là, non pas les Frères Musulmans syriens, mais plus généralement les formations salafistes assimilables à l’organisation al-Qaïda et consorts (telles celles opérant par exemple dans les camps de réfugiés palestiniens du Liban), et qui ont pour souci de mettre à mal le gouvernement syrien depuis son début de rapprochement apparent avec un/des pays occidentaux. Dans le contexte actuel de réchauffement des relations entre Damas et Paris, ainsi que de tractations entre la Syrie et Israël, on imagine aisément que de telles formations auraient intérêt à tout tenter pour fomenter des troubles, histoire d’interpeller les Syriens vis-à-vis de leur gouvernement. Si cette thèse n’est cependant pas plus à même d’être étayée que les précédentes, il demeure néanmoins une réalité manifeste : le fait que des formations islamistes ont d’ores et déjà instauré des cellules sur le territoire syrien. Les démantèlements annoncés en ce sens depuis quelques années par le gouvernement syrien, combinés à des événements tels que ceux qui ont conduit le long de l’été dernier à la répression par les forces de sécurité de prisonniers de la prison de Saydnaya, en sont un sérieux indicateur.

Last but not least, il convient bien de reconnaître que le régime syrien a aussi des ennemis sur son propre territoire. Rien ne permet d’affirmer que la majorité de la population syrienne serait aujourd’hui opposée au régime de Bachar al-Assad et/ou à ses orientations ; cela dit, les opposants existent, et ils sont très loin de se compter sur les doigts d’une main. Cela dit, des opposants politiques, aussi discrets et organisés soient-ils, peuvent-ils aller jusqu’à charger un véhicule de 200 kg d’explosifs sans pour autant attirer l’attention des services de renseignement ? Il est permis d’en douter, particulièrement dans un pays policier tel que la Syrie. Ne reste dès lors qu’une piste réellement plausible, à savoir la possibilité pour des éléments issus du régime syrien lui-même – ou à tout le moins, de son appareil sécuritaire – d’avoir cherché à manifester, avec cet attentat, leur opposition au régime actuel. Dans ce cas, resterait à savoir d’ailleurs si c’est le régime comme tel, ses orientations politiques actuelles, ou la nature de certains de ses hommes-clé qui aurait été visée. Un tel attentat ne manquera en effet pas de faire entendre une fois encore le nom de Assef Shawkat, le chef des services de renseignement syriens, que certains taxeront à nouveau de ne pas avoir su assurer la sécurité du territoire.

On notera en effet très particulièrement le fait que Imad Moughniyé, cadre du Hezbollah, ainsi que Mohammad Sleiman, conseiller militaire très proche du président syrien, ont tous deux été assassinés sur le territoire syrien en cette année 2008. Rien pourtant ne changera réellement en Syrie à l’issue de ces attentats, si ce n’est quelques nominations et remaniements sans grand lendemain au niveau de l’appareil national de renseignement. Assef Shawkat, dont certains média avaient rapporté en juin dernier – à tort – la mise à l’écart, pourrait-il payer aujourd’hui le prix de cet attentat ? Rien ne permet de l’affirmer, tant cet homme rusé a de l’expérience et des relations qui rendent dangereuse toute tentative de neutralisation à son encontre. Et tant, aux yeux de la population syrienne, le régime syrien en place, aussi critiquable soit-il, a au moins l’avantage d’être plus protecteur qu’une quelconque autre alternative.

Car évidemment, en filigrane de tels attentats, il convient bel et bien d’y voir le débordement du régime de Bachar al-Assad, même s’il ne faut pas pour autant croire que ceux-ci ont pour effet d’augmenter la contestation populaire à l’encontre du régime. Bien au contraire, les Syriens ont plutôt tendance à mettre ces actes sur le compte de personnes opposées au bien de leur pays pris dans le sens de patrie, particulièrement quand ils touchent des civils. Ils sont ainsi bien loin d’encenser leur régime, et ils en connaissent les particularités ; mais ils demeurent cependant échaudés par l’expérience vécue par les Irakiens voisins, et très sceptiques devant les politiques occidentales développées dans la région.

Cela dit, le temps nous renseignera éventuellement sur les motivations de cet attentat, selon qu’il ait eu pour vocation de porter un coup à la crédibilité du régime comme tel, ou qu’il ait pu par exemple viser une personne en particulier. Mais il reste certain que le régime a beaucoup à perdre devant de telles opérations, qu’il en ressort affaibli en termes d’image vis-à-vis de son opinion publique. De plus, et contrairement à ce qui prévalait encore au début de l’année 2003, la Syrie ressemble de moins en moins à ce havre tranquille – du point de vue de la sécurité s’entend – qu’il était alors effectivement. Les enjeux et défis nationaux et régionaux posés au pays sont en effet tels, que le régime paraît aujourd’hui condamné à évoluer entre deux contradictions pérennes : une satisfaction de la dite « communauté internationale », au détriment du consentement de sa population, ou l’inverse. Et dans un cas comme dans l’autre, il paraît évident que les conditions resteront malheureusement présentes pour la perpétuation par le régime de ses options politiques musclées, « intérêt national » oblige...

Barah Mikaïl Chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialisé sur le Moyen-Orient. Auteur de La Politique américaine au Moyen-Orient (Dalloz, 2006)



Source : IRIS
http://www.iris-france.org/...


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