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IRIS

Quelle(s) porte(s) de sortie pour le Liban ?
Barah Mikaïl


Barah Mikaïl - Photo IRIS

IRIS, 27 septembre 2007

Cruciale, la question de la désignation par les parlementaires libanais d’un nouveau président amené à s’installer à la tête de leur Etat pour les six années à venir n’en est pas moins source de maintes tensions. Et partant, à la base de maintes interrogations sur l’avenir du pays.

D’un point de vue juridique, les faits semblent pourtant simples, et puiser pour l’essentiel dans une ambiguïté constitutionnelle. La Constitution libanaise stipule en effet, dans son article 44, que la Chambre des députés « procède à l’élection du Président et du Vice-président (…) au scrutin secret et à la majorité absolue des suffrages exprimés », tout en précisant que « au troisième tour de scrutin les résultats sont acquis à la majorité relative ». Par contre, pas la moindre mention du quorum requis pour la validation du vote de la Chambre.

Le boycott de cette première session parlementaire par les forces de l’opposition, dont fait partie le président de la chambre et chef du parti Amal, Nabih Berri, aura ainsi mis à mal toute potentielle désignation d’un successeur aux fonction du général Emile Lahoud. Cette situation était de toutes façons prévisible, et ne préjuge pas pour autant, dans l’immédiat s’entend, d’un blocage institutionnel assimilable à un quelconque point de non retour. Toujours selon les termes de la Constitution libanaise, en effet, les députés libanais ont deux mois pour se mettre d’accord sur un nouveau président de la République. Une marge confortable, dans un sens ; mais également restreinte pour qui prend conscience de ce que la situation actuelle prend racine dans une situation apparue à la fin de l’année 2004.

En septembre 2004, la reconduction, sur ordre de la Syrie, par les députés libanais du mandat du président Lahoud pour une durée de trois ans avait en effet contribué à la canalisation des premières protestations officielles importantes vis-à-vis de l’action de Damas dans le pays. Cinq mois plus tard, l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, combiné à des pressions internationales symbolisées par l’adoption par l’ONU de la résolution 1559 (1) en date du 2 septembre 2004, pousseront la Syrie à plier bagages. Dans le même temps, les symboles rémanents de la tutelle syrienne trouveront matière à rebondissement pour les partis anti-syriens, et c’est en ce sens qu’Emile Lahoud, prolongé initialement dans son mandat au départ de modalités effectivement anti-constitutionnelles (2) , incarnera à lui seul l’une des pierres d’achoppement les plus importantes entre les partis du « 14-Mars » et ceux du « 8-Mars » (3) . Trois ans plus tard, la fin effective de son mandat arrive néanmoins, et avec elle une constatation : incapables de se mettre d’accord sur des perspectives d’avenir, les partis de la majorité et de l’opposition libanaises se retrouvent, une fois encore, face à des perspectives clairement menaçantes pour l’avenir du pays.

Un raisonnement de type constitutionnel et juridique ne suffit en effet plus à qualifier les évolutions de la scène politique libanaise. La réduction des formations du pays à de seuls « pro-Syriens » qui seraient opposés aux desiderata des « anti-Syriens » n’a pas plus de pertinence, sans quoi l’on voit mal comment le général Michel Aoun, longtemps exilé en France du fait de son opposition à la tutelle syrienne sur son pays, pourrait continuer à compter aujourd’hui au rang des forces de l’opposition. Certes, les déterminants constitutionnels, et l’ambiguïté qui les sous-tend, pourraient pousser les représentants de la majorité à se réunir à nouveau, malgré le boycott des membres de l’opposition, et à désigner un nouveau président « à la majorité absolue » de leurs suffrages exprimés (soit un total de 35 voix sur les 68 députés membres de cette majorité parlementaire). Mais cela ne laisserait pas moins posées deux questions au moins : quel est le candidat à même de refléter les options de la majorité parlementaire ? Et dans quelle mesure celui-ci, une fois désigné, pourrait-il s’imposer aux partis de l’opposition ?

Preuve supplémentaire de la complexité des enjeux proche-orientaux, beaucoup auront probablement oublié que les enjeux confessionnels restent si prégnants au Liban qu’ils priment le plus souvent sur le politique. Le Liban est un Etat-nation, certes ; mais l’héritage – pour ne pas dire l’exigence – laissé par l’ancienne puissance mandataire française à travers le Pacte national de 1943, et qui passe par la confessionnalisation des institutions, continue aujourd’hui à imprégner fortement l’esprit politique libanais. En ce sens, la Chambre des députés ne pourra que continuer à être le reflet de la composante confessionnelle du pays bien plus que de ses orientations politiques, sur les court, moyen et long termes. C’est ici tout le sens de la fameuse « démocratie consensuelle » (al-Dîmoqratiyya al-Tawâfoqiyya) prônée par les formations politiques libanaises.

Ce constat s’avère extrêmement inquiétant dans le contexte politique libanais actuel. De deux choses l’une, en effet : soit les députés s’accordent, avant l’échéance du 24 novembre, sur une le nom d’une personnalité « consensuelle », et donc à même de s’imposer à un camp comme à l’autre ; soit, au contraire, le mois de novembre ne connaît aucune avancée notable sur ce plan, et les scénarii du pire resteront posés à l’échelle nationale. Ce qui pourrait mener, dans le meilleur des cas, à une perpétuation des tensions politiques et des attaques et contre-attaques entre partis de la majorité et partis de l’opposition, sans pour autant que cela ne dégénère en des affrontements physiques entre les partisans respectifs de ces formations ; ou alors, dans le pire des cas, l’esquisse d’un scénario sombre qui, du fait du blocage institutionnel de facto qui prévaudrait alors, pourrait avoir pour aboutissement une situation agitant le spectre d’une guerre civile.

On n’y insistera en effet jamais assez, les députés libanais sont loin de pouvoir se résumer à deux seules tendances pro-syrienne d’une part, et anti-syrienne – comme anti-iranienne – de l’autre. Le scénario d’un président ouvert à des relations cordiales avec la Syrie inquiète bien entendu les forces du 14-Mars, qui ne laisseront à aucun prix libre cours à une telle hypothèse. Mais, en contrepartie, c’est plus franchement la perspective d’un président libanais aux options pro-américaines qui inquiète les partis de l’opposition. Ces derniers mois, le nom du général Michel Sleimane, commandant en chef de l’armée libanaise, avait pu être avancé comme une issue possible pour les perspectives présidentielles libanaises, tant l’homme s’est caractérisé jusqu’ici par une neutralité politique à toute épreuve. Mais celui-ci n’a pas pour autant fait valoir son intérêt pour la magistrature suprême.

Il demeure pourtant impératif pour les forces du 8 et du 14-Mars de se mettre d’accord au plus vite sur une personnalité en phase avec la plupart de leurs revendications respectives. Si, d’ici au 24 novembre, la question n’a toujours pas été tranchée, le point de non-retour risquera fort d’être franchi dès lors. Avec, comme prolongements, le risque laissé béant pour les Libanais, politiques comme citoyens, de s’engouffrer dans un cycle aux forts apparats irakiens. Or, il serait fort dommage – et dommageable - d’en arriver à de tels extrêmes, au départ de tiraillements principalement dus à l’idée divergente que se font chacun de la majorité et de l’opposition libanaises de la définition de l’indépendance libanaise.

1 Résolution qui en appelait, entre autres, au retrait de toutes les troupes étrangères en présence sur le territoire libanais.
2 La Constitution libanaise interdit formellement, dans son article 49, au président libanais de prétendre à un deux mandats consécutifs.
3 Les partis dits du « 14-Mars » constituant la majorité parlementaire actuelle, et ceux du « 8-Mars » l’opposition

Barah Mikaïl Chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialisé sur le Moyen-Orient. Auteur de La Politique américaine au Moyen-Orient (Dalloz, 2006)



Source : IRIS
http://www.iris-france.org/...


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