IRIS
Irak
: vers la fin de l’état nation ?
Barah Mikaïl
Deux
contre-rapports, qui viendraient contrebalancer les conclusions du
plan Baker, ont été commandés au Pentagone et à la
Maison-Blanche. Les néo-conservateurs ne sont apparemment pas prêts
à céder du terrain sur la politique étrangère…
Les néoconservateurs
n'ont pas entièrement disparu de la scène mais il est indéniable
qu'ils sont en retrait depuis la fin du premier mandat de George
W. Bush. Malgré tout, le président américain reste le
principal détenteur des clés de la diplomatie. Il est prêt à
reconnaître des erreurs mais pas un échec global ; il essaye
d'écrire un scénario de sortie alternatif au plan Baker. Sa
stratégie concerne certes le positionnement américain en Irak,
mais sert surtout à préparer les élections présidentielles
de 2008.
Le
rapport Baker n'évoque aucunement la participation européenne ou
onusienne. Ces instances sont-elles définitivement exclues de
toute résolution du conflit ?
Les Etats-Unis ont un
avantage dans cette région, et dans le reste du monde, ils
n'ont pas de concurrents directs. Il y a des Européens, des
Russes, des Chinois ou l'Onu mais aucun de ces acteurs ne
dispose d'un potentiel militaire sur place. Personne ne peut prétendre
combler le vide que laisserait un éventuel échec américain
dans la région. C'est ce qui permet à Washington de ne pas
envisager de scénario alternatif autre que celui qu'ils
esquisseraient par eux-mêmes. Nous ne sommes pas dans la
situation de la Palestine à l'époque où les Britanniques
l'occupaient et où les contradictions internes les avaient
poussé à déléguer le dossier palestinien à l'Onu.
A
quelles conditions, la Syrie et l'Iran accepteraient de s'asseoir
à la table des négociations avec les Etats-Unis et Israël ?
Côté syrien, n'importe
quelle solution pourrait faire l'affaire. Ils sont très
clairement isolés aujourd'hui et attendent impatiemment le feu
vert des Etats-Unis pour négocier, quitte à voir ce qui
pourrait être discuté dans un second temps. Les Iraniens
savent qu'ils sont dans une posture favorable. L'échec
militaire des américains en Irak a fait le jeu de Téhéran qui
s'estime prémuni à court et moyen termes d'une invasion
militaire. Ils peuvent ainsi poser des conditions avant toute négociation
telle que la non-exclusion par les Etats-Unis d'un programme
nucléaire civil iranien. Les Américains en sont conscients
mais ne veulent pas donner l'impression, après des années de
froid diplomatique, d'être en position de faiblesse.
Ont-ils
le choix ?
Ils l'ont toujours car ils
font la différence sur le plan militaire, ce qui est
fondamental. Sans compter que sur la scène politique
moyen-orientale, ils n'ont pratiquement que des alliés. Cela
constitue un gage de maintien de leur propre pouvoir. Ils ont le
choix de poursuivre dans l'arrogance ou de s'assouplir. Le ton
verbal assez menaçant devrait prévaloir tant que George W.
Bush se maintiendra à la tête de l'administration américaine.
Tout assouplissement serait par ailleurs significatif de leur
affaiblissement sur la scène moyen-orientale aux yeux des
dirigeants locaux qui en profiteraient pour se glisser dans
cette brèche.
Le
rapport Baker appelle également les dirigeants irakiens à agir
dans le sens de la réconciliation nationale. La partition
confessionnelle est-elle d'ores et déjà actée ?
Les principaux leaders
irakiens critiquent le rapport Baker et estiment qu'il représente
un recul par rapport à la fédéralisation annoncée de l'Irak.
La loi sur une fédéralisation de l'Irak est passée au
Parlement en octobre dernier. Elle est susceptible d'être amendée
mais si l'on suit la logique constitutionnelle, elle devrait
entrer en vigueur en avril 2008. Cela signifierait que, dans le
meilleur des cas, l'Irak serait une République fédérale avec
un gouvernement central affaibli. Ce que les Etats-Unis
soutiennent. Je pense que beaucoup de leaders irakiens ont pris
conscience que les richesses présentes dans le sous-sol, et en
particulier le pétrole, peuvent permettre aux Chiites et aux
Kurdes d'établir une forme d'autonomie politique. La communauté
sunnite est, pour sa part, totalement privée, de par son
implantation géographique, de ces richesses même si elle a un
peu d'eau. Les Sunnites ont d'ailleurs menacé les Chiites de
les couper de ce potentiel en eau dans le cas où ils seraient
écartés du pouvoir. L'Irak s'est donc engagé dans une
configuration post-nationale. Le gouvernement central, qui n'a
pas la capacité d'assurer la sécurité, délègue la gestion
des affaires à des milices locales et à des représentants
politico-confessionnels. C'est la fin de l'Etat-nation irakien
en tant que tel au profit de communautés locales à colorations
confessionnelles. Reste à savoir quel pays prendra le relais
dans cette configuration parce que toute confessionnalisation de
l'Irak ne s'arrêtera pas aux seules frontières irakiennes.
Dans
cette perspective, l'hypothèse de l'arrivée d'un nouvel homme
fort est-elle plausible ?
Avant que les frontières
actuelles ne soient fixées, la nature sociologique de l'Irak
faisait la part belle à la tribalité. Or, qui dit tribalité
dit expansion régionale. Si les Irakiens se sentent démunis au
plan local et exclus d'un processus national, ils pourraient
tomber sous la coupe d'un leader local, lui-même susceptible de
nouer des alliances avec des Etats étrangers. On peut penser à
l'Arabie Saoudite pour les Sunnites ou à l'Iran pour les
Chiites. Cela reviendrait à valider un remodelage du
Moyen-Orient sur des bases confessionnelles et communautaires.
Ce n'est pas de bon augure dans une région où le contentieux
historique réside justement dans l'affrontement entre Sunnites
et Chiites. Si la région s'engage dans cette voie, elle sera
instable pendant de longues décennies.
Les
mouvements progressistes et laïques, dont les idéaux ont
largement été discrédités par les régimes autoritaires
successifs, sont-ils définitivement écartés en Irak ?
En Irak, comme au
Moyen-Orient, on ne voit pas quel est leur avenir même si on ne
peut pas parler d'une faillite définitive. Les opinions
publiques sont à la recherche d'une alternative aux régimes
autoritaires mais les seules formations qui ont eu le temps de
faire leurs preuves sur les vingt dernières années sont les
islamistes. Ainsi, en Egypte, les Frères Musulmans ont sextuplé
leur présence au Parlement et le Hamas est arrivé au pouvoir
dans les Territoires palestiniens. Il faudra donc beaucoup de
temps aux progressistes pour prouver qu'ils sont capables de
porter des scenarii alternatifs ou alors ils s'établiront de
manière révolutionnaire.
Barah
Mikaïl par Lina Sankari / La Terre / 19 décembre 2006
Barah Mikaïl
est chercheur à l'IRIS, spécialisé sur le Moyen-Orient.
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