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IRIS

Fallait pas l'inviter, Bachar ?...
Barah Mikaïl


Barah Mikaïl - Photo IRIS

IRIS, 16 juin 2008

Fallait-il l’inviter ? Telle est la question qui semble devoir nous occuper d’ici à la mi-juillet 2008, date de lancement officielle d’un sommet de l’Union pour la Méditerranée auquel le président syrien Bachar al-Assad a été convié. Et, une fois encore, cette perspective n’a pas fini de faire couler de l’encre.

On se souvient en effet de la soudaine frénésie qui avait saisi plusieurs des opposants à la première venue du président syrien à Paris, en 2001. A l’époque pourtant, le successeur de Hafez al-Assad avait tout pour plaire : jeune, ayant fait une partie de ses études à Londres, réputé ouvert d’esprit, le « docteur Bachar » suscitait de l’espoir. Et était encore vu par beaucoup de personnes comme le promoteur potentiel d’un « printemps syrien » qui, cependant, n’aboutira pas. C’est dire combien les rancoeurs risquent d’être encore plus manifestes à son encontre, sept ans plus tard, et alors que les évolutions interlibanaises, combinées aux prétentions nucléaires iraniennes, à l’exacerbation de la donne irakienne, et à l’affermissement de la posture politique du Hamas palestinien, n’ont contribué en rien à rendre le régime syrien plus fréquentable aux yeux d’une grande partie des gouvernements occidentaux… comme arabes.

Et pourtant, ne convient-il pas de se rendre à l’évidence ? Les expériences irakienne et afghane ont eu tout loisir de prouver combien il était illusoire, voire prétentieux, pour des acteurs étrangers à une région de vouloir y promouvoir des schémas politiques à l’image de leurs fantasmes démocratiques. Mieux encore, les exemples palestinien, égyptien, mais aussi ukrainien et géorgien, ont illustré l’absurdité qu’il y avait à s’acharner à vouloir transplanter des formations démocratiques pro-occidentales à tout va. « La fin de l’histoire » chère à Francis Fukuyama devra encore attendre, si tant est qu’elle puisse se réaliser un jour. Pour le reste, et pour revenir au Proche-Orient, les catastrophiques évolutions qui continuent à animer le quotidien des Irakiens auront au moins eu le « mérite » de prouver une chose. A savoir que l’on ne change pas les logiques d’une configuration politique du jour au lendemain. Les conséquences catastrophiques dues à la suspension du scrutin législatif algérien de 1991 avaient pourtant eu valeur de très sérieux révélateur en la matière… ou du moins, c’est ce que l’on avait pu croire.

Il y a en effet une ambiance de mauvaise foi qui continue à planer dans les cieux médiatiques et souvent politiques, français. Le régime syrien est-il en effet devenu fréquentable ? Non, si l’on considère que le degré de respect des droits de l’homme sur le plan interne est un critère d’appréciation. Pas plus d’ailleurs, si l’on estime que l’ingérence d’un pays dans les affaires d’un/de plusieurs Etat(s) tiers est un motif de déni diplomatique. Et encore moins pour qui note que l’attachement à la promotion d’une voie politique modérée devrait être le devoir de tout dirigeant, que ce soit au Proche-Orient, région emprunte de tant de tensions, ou ailleurs dans le monde.

Mais dans ce cas, et pour rester dans le seul cadre du Moyen-Orient pris dans son sens large, quel sens y a t’il à continuer à encenser et/ou à fréquenter les leaders du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie, de la Libye, de l’Egypte, d’Israël, de la Jordanie, de la Turquie, de l’Arabie saoudite, du Yémen, et même de l’ensemble des micro-Etats du Golfe ? Tous, à des degrés divers, sont sans conteste coupables d’entorses flagrantes aux droits de l’Homme. Beaucoup d’entre eux, tels le Maroc et l’Algérie au Sahara occidental, l’Arabie saoudite au Liban ainsi qu’au travers de son prosélytisme religieux à échelle élargie, ou encore Israël dans son occupation et sa « gestion » des Territoires palestiniens, font bel et bien de l’ingérence dans des zones tierces. Sans oublier qu’à l’attachement de Damas à soutenir des forces radicales telles que le Hamas ou le Hezbollah, répond comme par effet de miroir le soutien apporté par Riyad à des religieux radicaux asiatiques, arabes comme africains, ou encore celui de la majorité parlementaire libanaise à des formations palestiniennes salafistes. Autant dire que, au test de la vertu politique, les Etats du Moyen-Orient ont tous la particularité de ne rien avoir à envier les uns aux autres.

Le problème n’est ainsi pas dans la nature du régime syrien, amplement critiquable certes, mais loin d’être le seul dans ce cas. L’essentiel réside plutôt dans les attentes qu’ont beaucoup de gouvernements européens, à commencer par la France, vis-à-vis d’un pouvoir rétif aux injonctions occidentales formulées à son encontre. L’hypothétique intervention de Damas auprès de ses alliés de la scène politique libanaise a-t-elle en effet été déterminante dans le déblocage de la donne présidentielle ? Cela revient à prêter beaucoup de pouvoir à Damas, et surtout très peu de capacité décisionnelle autonome aux formations de l’opposition parlementaire libanaise. Mais admettons que ce soit le cas. Une telle posture syrienne suffit-elle à assurer la virginité du régime syrien ? On est peu enclins à le croire. L’éventualité d’une venue du président syrien au fameux sommet du 13 juillet sera – ou serait – pour beaucoup l’illustration d’un succès de la part de Nicolas Sarkozy, qui aura – ou aurait – dans sa conception des choses, et en une année de pouvoir, réussi à rendre jusqu’à Mouammar Kadhafi et Bachar al-Assad fréquentables. Pour le reste, rien n’est acquis.

Certaines questions peuvent en effet d’ores et déjà trouver réponse, avec une marge d’erreur que l’on suppose pouvoir être réduite. Ainsi : la Syrie est-elle prête à troquer à terme son alliance avec l’Iran pour des relations cordiales, et éventuellement attrayantes d’un point de vue politique comme financier, avec l’UE et/ou la France ? Assurément pas, Damas restant convaincu de ce que les politiques occidentales versent inconditionnellement dans le sens des intérêts israéliens. Dans le même ordre d’idées, la Syrie serait-elle prête à se désengager de son alliance avec le Hezbollah libanais et/ou le Hamas palestinien, en échange de sa réintégration au giron de la communauté internationale ? Comment croire que oui, alors que les priorités stratégiques anti-israéliennes de ces deux dernières formations constituent le cœur de sa propre stratégie politique régionale. Enfin, le président syrien pourrait-il acquiescer à un rangement à une posture de type « pro-occidentale » si le plateau du Golan venait à lui être restitué dans son intégralité, conformément aux frontières qui prévalaient à la veille de la guerre des Six Jours de juin 1967 ? Cela reste très peu probable, ne serait-ce qu’en raison des garanties sécuritaires que Damas serait dès lors obligé de fournir à l’Etat hébreu, et qui seraient nécessairement assimilables, à ses yeux, à une fin annoncée pour le régime syrien, étiolement de sa souveraineté et portée des contestations populaires à son encontre obligent.

Au final, et sauf surprise majeure, on voit donc mal comment la Syrie pourrait bouleverser ses options politiques du seul fait des promesses de normalisation qu’agite Nicolas Sarkozy en sa direction. Certes, les tractations diplomatiques ne devraient pas manquer ces prochains temps, et entretiendront l’illusion d’un assouplissement potentiel de la posture syrienne ; les tractations syro-israéliennes annoncées par le biais d’une médiation turque en sont d’ailleurs l’une des illustrations. Mais le tout restera à la merci de bien des diapasons régionaux, le moindre nouvel attentat susceptible d’apparaître sur la scène libanaise pouvant, à titre d’exemple, suffire à faire réapparaître des tensions dans les cieux syro-français comme syro-occidentaux, et syro-arabes en général. Sans oublier que, plus que tout, c’est en provenance de Washington que Damas attend les signes concrets à partir desquels il se révélera prêt – ou non - à composer sérieusement. Autant dire qu’il ne reste plus qu’à attendre l’année 2009, et la nature de l’ère post-Bush Jr, avant de pouvoir esquisser sérieusement l’avenir potentiel de l’attitude politique syrienne.

D’ici là, difficile de tabler autrement que sur un horizon nuageux, sans réelle tendance à l’amélioration. Est-ce pour autant qu’il ne fallait pas convier le président syrien à Paris ? Rien n’est moins sûr. Par contre, il demeurera intéressant de voir s’il répondra à cette invitation, et si oui, de quelle manière il gérera les conditions d’une rencontre que l’on suppose inévitable avec les conviés de la délégation israélienne. Autant dire que ce sommet de l’UPM s’annonce d’ores et déjà très intéressant, même si pas forcément pour la finalité à laquelle il aspire officiellement.

Barah Mikaïl Chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialisé sur le Moyen-Orient. Auteur de La Politique américaine au Moyen-Orient (Dalloz, 2006)



Source : IRIS
http://www.iris-france.org/...


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