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Affaires Stratégiques
Hillary Clinton au Moyen-Orient: Un
changement dans la continuité ?
Barah Mikaïl
Barah Mikaïl - Photo IRIS
Vendredi 6 mars 2009
Il serait excessif d’affirmer que les orientations politiques
américaines au Moyen-Orient ont gagné en clarté aujourd’hui.
Dans le même temps, on commence à avoir une idée de certaines
esquisses en la matière. Ainsi, non seulement la nomination de
certaines personnes-clés des dossiers moyen-orientaux a, jusqu’à
un certain point, valeur d’indicateur. Mais de plus, la tournée
entamée par la secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, dans la
région, a permis de se faire une certaine idée des options
moyen-orientales à venir de l’Administration Obama.
Légitime fut l’inquiétude qu’affichèrent certains, il y a peu
encore, devant l’apparente inertie de l’Administration Obama
vis-à-vis des affaires moyen-orientales. Suite à son entrée en
fonctions, celui-ci avait en effet procédé à une série de
nominations, liées tant à cette région qu’à d’autres champs de
compétence. En parallèle, les premiers déplacement des hauts
représentants du gouvernement ne donnaient pas l’impression d’un
attachement particulier des Etats-Unis à combler les frasques
commises par un George W. Bush dans la région. B. Obama avait
certes réservé son premier coup de fil présidentiel au président
de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Suivaient d’ailleurs
le Premier ministre israélien Ehoud Olmert, le président
égyptien Husni Moubarak, et le roi Abdallah de Jordanie. Mais
son premier déplacement à l’étranger, furtif, sera dédié au
Canada voisin. En parallèle, sa secrétaire d’Etat fera un choix
asiatique (Japon, Indonésie, Corée du Sud et Chine) avant que de
dédier son second voyage au Proche-Orient (Egypte, Israël et les
Territoires palestiniens). Tournée qui, néanmoins, n’est pas
limitée à cette seule région, puisque sont prévues comme autres
étapes Bruxelles, Moscou, puis la Turquie.
Dans le même temps, on croit comprendre que B. Obama a une idée
de la manière par laquelle il conviendrait dorénavant
d’approcher les affaires moyen-orientales. Et force est de
constater que celle-ci semble, sur la forme s’entend, répondre
parfois à des paradoxes.
Des nominations aux signifiés contradictoires
Les nominations de Richard Holbrooke au poste d’envoyé spécial
de B. Obama au Pakistan et en Afghanistan ; de George Mitchell
comme émissaire spécial pour le Moyen-Orient ; ou, ce qui a été
beaucoup moins souligné par les média, la désignation annoncée
de Chas Freeman, entre autres ancien ambassadeur pour l’Arabie
Saoudite, à la tête du National Intelligence Council ; tels sont
les trois éléments qui ont pu susciter des débats, et parfois
des polémiques, chez les observateurs attentifs de la politique
étrangère américaine. Mitchell et son fameux rapport de 2001
critiquant notamment la colonisation israélienne, et Freeman et
son « tropisme pro-arabe » que croient savoir déceler certains ;
tels sont les éléments qui donnent finalement l’impression de
tomber en contradiction avec certains fondamentaux de la
politique étrangère américaine, et que n’équilibraient pas
entièrement l’excellente connaissance qu’a Holbrooke des
questions internationales.
Evidemment, à ces nominations, avait répondu
une légère réjouissance de la part des critiques des politiques
de G. W. Bush, mais une plus grande inquiétude de la part de ses
adeptes. Et c’est là qu’interviendra une nouvelle désignation,
qui rassérénera les pessimistes, et vice-versa. En se voyant
consacré conseiller spécial de Hillary Clinton pour le Golfe
Persique et l’Asie du Sud-Ouest, Dennis Ross, connu pour ses
positions pro-israéliennes, adepte de la fermeté vis-à-vis de
l’Iran, a défrayé une chronique qui n’est pas encore estompée à
l’heure qu’il est. Cette nomination venait confirmer en effet
l’attachement des Etats-Unis à user de diplomatie vis-à-vis de
l’Iran et de ses ambitions nucléaires, mais sans pour autant
renoncer à la fermeté, voire à un nouveau raidissement.
Aussi, l’ensemble de ces nominations ne
suffisent pas à forger une politique. Et surtout, elles ne
dissipent pas les mystères d’une inconnue récurrente dans la vie
politique américaine. A savoir : qui le président écoute-t-il
pour la formulation de ses options diplomatiques à
l’international ? Département d’Etat, Conseil de sécurité
national, conseillers proches du président sont, entre tant
d’autres, autant de candidats potentiels qui ont été de tous
temps suggérés pour cette fonction implicite de « grand
manitou ». Et si la rumeur washingtonienne prête à Lee Hamilton,
ancien co-directeur de l’Iraq Study Group, le rôle de principal
consultant du président américain, rien ne permet pour autant de
confirmer ce fait, ni même d’en faire des déductions démesurées.
D’autres bruits entrevoient plutôt un rôle important qu’auraient
d’ores et déjà acquis des personnes telles que Joseph Biden,
Robert Gates, ou encore James Jones, conseiller à la Sécurité
nationale. Encore que dans ce cas, il semblerait que ce soit
plus explicitement le dossier iranien qui soit concerné.
Hillary Clinton et le Moyen-Orient :
entre constantes et devoir protocolaire
Mais c’est, plus que tout, une stratégie
d’ensemble que la nouvelle administration américaine semble
clarifier et confirmer vis-à-vis du Moyen-Orient, quoique en
tentant aussi certaines variations tactiques. Dans la globalité
en effet, rien ou presque n’a réellement changé. Washington a
toujours l’Afghanistan – et le Pakistan – pour principaux
soucis. L’Irak, au sein duquel l’Administration Obama dit
percevoir une grande amélioration sur les plans sécuritaire et
politique, répond au final aux mêmes qualificatifs que ceux dont
G. W. Bush avait usé jusqu’à sa sortie du pouvoir. Les alliés
arabes traditionnels de l’Amérique – pays du Golfe, Egypte,
Jordanie, majorité parlementaire libanaise, pays du Maghreb
Mauritanie exceptée – paraissent toujours aussi « modérés » du
point de vue américain. Le tout sans oublier que l’allié
israélien paraît d’autant plus consacré aujourd’hui qu’il est
empêtré dans une équation gouvernementale insoluble en
apparence, que les Américains affirment prendre en
considération. Restent ainsi le cas iranien, qui a suscité des
paroles très fermes de la part de la secrétaire d’Etat, et qui
ne préjugent, sauf surprise, de l’ouverture d’aucun canal
diplomatique potentiel avant juin prochain, date des élections
présidentielles. Et bien entendu, le cas palestinien, qui répond
tout aussi bien à des constantes. Révélateur de ce fait a été le
déplacement que vient d’entamer H. Clinton au départ de la
région. Participation au sommet de Charm el-Cheikh afin
d’assurer son soutien partiel à la reconstruction de la bande de
Gaza, et entier au Fatah de Mahmoud Abbas ; visite à Jérusalem
afin d’insister sur l’attachement des Etats-Unis à la sécurité
d’Israël, puis à Ramallah afin d’assurer, une fois encore,
M. Abbas de son soutien. Le tout sur fond de rappel de
l’attachement de son pays aux termes de la feuille de route
énoncée par le Quartet (Etats-Unis, UE, ONU, Russie) en 2003, et
qui prévoit la création à terme (fin 2005, disait le texte) d’un
Etat palestinien aux côtés d’Israël. Puis, sur fond de
dénonciation, à Ramallah, de la politique israélienne de
colonisation de Jérusalem-Est. Certes, H. Clinton n’a pas moins
fait allusion, lors de son déplacement, aux conditions pour une
réintégration éventuelle du Hamas dans le jeu politique à
terme ; mais celles-ci, axées sur des paramètres principalement
sécuritaires, ont elles-mêmes été conformes à ce qu’avait pointé
un G. W. Bush précédemment. Et ont donc fait fi d’un
élément-clé : le renforcement plus avant de cette formation,
qu’ont favorisé les Israéliens lors de leur offensive à
l’encontre de la bande de Gaza il y a deux mois, et qui le rend
aujourd’hui encore plus incontournable politiquement.
Une variante tactique se doit cependant
d’être notée : l’annonce par H. Clinton de l’envoi de deux
émissaires américains – l’un provenant de la Maison Blanche,
l’autre du Département d’Etat – en Syrie. Rien de nouveau dans
l’immédiat, ne serait-ce que parce que le sénateur démocrate
John Kerry vient lui-même de mener une délégation américaine à
Damas. Mais c’est le symbole, ici, qui compte. A savoir : que
l’Administration Obama a décidé de rompre avec le boycott syrien
de son prédécesseur, qu’elle perçoit comme contre-productif ;
qu’elle cherche aussi à montrer des signes de bonnes intentions
vis-à-vis du président Bachar al-Assad, dont le pays est
incontournable pour l’exercice de pressions sur le Hamas et le
Djihad islamique palestiniens notamment ; le tout sans oublier
qu’elle demeure favorable à la reprise de pourparlers
syro-israéliens, qui ont, à ses yeux, au moins le mérite d’avoir
existé jusqu’à peu. Ce n’est ainsi pas un hasard s’il est prévu
que, après sa visite moscovite, H. Clinton fasse une escale en
Turquie avant de rejoindre Washington. Les Turcs ont en effet
été les parrains de tractations israélo-syriennes que
l’offensive de l’Etat hébreu à l’encontre de la bande de Gaza
avait finalement fait avorter.
Un passé et un passif peu
encourageants ?
Il serait ainsi sévère d’envisager les
évolutions américaines au « Grand Moyen-Orient » à travers un
seul prisme négatif ; mais il convient aussi de demeurer
réalistes, et de comprendre que les fondamentaux américains ne
donnent pas pour l’heure de signe de profond changement dans
cette partie du monde. L’expérience prouve d’ailleurs que les
signes de réjouissance à ce propos ont toujours conduit à des
déceptions dans le passé. Personne ne saurait affirmer qu’il en
sera ainsi sur les quatre ans à venir. Pour autant, aucune lueur
concrète ne pointe encore au bout du tunnel moyen-oriental…
Article publié en partenariat avec :
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Publié le 7 mars 2009 avec l'aimable autorisation de l'IRIS.
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