Pourquoi pas leur
taper sur la gueule
Bien
sûr, aux yeux du lecteur occidental pas très bien informé, le
bouquin d’Esther se veut « généreux », je veux dire que la
savante ne trouve pas très bien d’avoir tué 1500 Palestiniens,
victimes d’un blocus, au prétexte qu’ils se sont un peu énervés
en balançant des roquettes, militairement stériles, sur Israël.
Mais,
au fil de son discours, surgissent les poncifs classiques : « le
développement menaçant du fondamentalisme musulman », « le
terrorisme nourri d’une haine irraisonnée de l’occident », « les
diktats du Hamas », autrement dit, pourquoi pas leur taper sur
la gueule. Le stéréotype de l’arabe lâche, celui qui a laissé en
56, ses godasses dans le désert, n’est pas absent : pendant la
guerre de Gaza « les hommes du Hamas se sont cachés ou enfuis ».
On trouve aussi la condescendance pour « les erreurs de jeunesse
des Palestiniens », alors que ceux-ci se battent depuis cent
cinquante ans pour leur indépendance, pour ne parler que de la
lutte contre les Ottomans ou les Anglais !
Entrés dans
l’histoire ?
On
peut détester le Hamas, mais on n’a pas le droit, quand on est
au CNRS, d’ignorer l’histoire du nationalisme palestinien : il
n’est pas né avec la création d’Israël. « Les Palestiniens
sont-ils en état de faire des projets d’avenir ou d’écrire leur
propre histoire… », nous dit Esther Benbassa. D’abord « projet
d’avenir » est un pléonasme, deuxièmement, ils disent chiche !
Parfois l’auteure dit une chose et son contraire. Un exemple :
« Israël est comme toutes les autres nations… mais se doit
d’être différent des autres nations, ne serait-ce que pour être
à la hauteur de l’amour que les juifs lui portent ». Comprenne
qui pourra. Et plus encore qui va saisir le sens qui sort de
l’apposition de ces deux observations : la critique d’Israël
« peut coûter sa réputation à celui qui s’y risque. L’accusation
d’antisémitisme, voilà l’arme ultime contre qui ose douter, car
l’antisémite est le pestiféré des temps modernes », mais plus
loin, la plume tranquille de Madame Benbassa nous dit :
« l’antisémitisme qui s’exprime aujourd’hui en Occident trouve
un alibi dans le conflit israélo palestinien ». Faudrait savoir…
Vient, et c’est sa place à la fin du livre, le bouquet final :
« La dernière cause qui mérite encore de mobiliser, pour
certains, est la cause palestinienne. Cette appropriation
militante ne sert évidemment pas toujours les palestiniens.
Menée en chambre, au mieux dans la rue ou dans des actions de
boycott d’Israël, elle est d’une efficacité toute relative.
Reste que la tournure violente et haineuse qu’elle prend dans
certains milieux est de nature à remettre en cause le principe
d’une coexistence pacifique des juifs avec les autres
composantes de la société, de nature à produire de
l’antisémitisme ». Ainsi, selon le livre publié par le CNRS, ce
n’est pas le comportement d’Israël qui est de nature à produire
de l’antisémitisme, ce sont les allumés qui s’indignent des lois
internationales bafouées, du droit pourfendu, de l’injustice
historique faite aux palestiniens.
Un an
après l’opération « Plomb fondu », encore un effort Esther pour
mettre votre pendule à l’heure.
Jacques-Marie Bourget
Réponse à
Jacques-Marie Bourget :
Je ne
suis par loin de penser que Jacques-Marie Bourget n’a pas lu mon
livre, ou qu’il l’a lu avec des œillères, et en a rendu compte
avec une idée préconçue derrière la tête que j’ai du mal à
saisir. Il critique le titre de mon livre. Il a son idée sur ce
qu’il faut entendre par être juif. Qu’il me permette d’avoir la
mienne. Juive, je le suis de bien des façons, bien qu’athée, et
non moins citoyenne du monde. J’essaie de me situer dans la
lignée des intellectuels juifs des XIXe et XXe siècles, très
nombreux dans les mouvements socialisants et marxisants, ainsi
que dans les luttes qui ont marqué l’histoire contemporaine.
C’est à ce titre, de ce lieu-là, que je m’insurge contre ce qui
s’est passé à Gaza l’an dernier. Et mon cri de colère ne veut
être rien d’autre que l’expression du souci éthique – à la fois
juif et universel – qui m’anime, de l’angoisse éthique qui
m’étreint face à cette catastrophe que fut l’offensive
israélienne contre Gaza.
Il
est vrai que M. Bourget ne semble pas avoir lu plus
attentivement le livre de Shlomo Sand. Il en tire la simple
conclusion que le peuple juif n’existe pas. Depuis le XIXe
siècle, en Europe et ailleurs, il n’y a jamais eu d’autres
peuples qu’imaginés, ou « inventés ». Cela vaut pour les
Juifs comme pour les Palestiniens. Qu’il s’agisse là de
représentations n’ôte rien à la légitimité des revendications
nationales de ces deux groupes humains qui, qu’on le veuille ou
non, considèrent être des peuples. M. Bourget pense sans doute
que le conflit israélo-palestinien serait réglé si l’un au moins
de ces deux peuples n’existait pas. Croit-il vraiment qu’un coup
de baguette purement rhétorique suffira à nous sortir de ce
cauchemar ? S’il le croit, il se trompe.
Les
préjugés de M. Bourget ne s’arrêtent pas là. Publié par CNRS
Editions, mon ouvrage est un essai, paraissant dans une
collection très particulière, accueillant des livres dits
d’intervention, rédigés par des savants qui n’en sont pas moins
des citoyens. Cet essai est nourri aussi bien de mes expériences
personnelles, de ma réflexion politique que des acquis de ma
recherche d’historienne. Sortant des phrases de leur contexte,
et les sélectionnant soigneusement, M. Bourget voudrait me faire
dire ce que je n’ai pas dit, et me faire passer pour une savante
qui ne sait pas grand-chose et qui dit tout et son contraire.
Toute nuance est jugée par lui scandaleuse. C’est à la fois
facile, malhonnête et un brin populiste. Je dis clairement que
la politique actuelle d’Israël est de nature à encourager
l’antisémitisme. Je dis aussi que certaines franges du mouvement
pro-palestinien se laissent parfois aller à des dérapages ou à
un confusionnisme inquiétants. Je ne dis nulle part que tout
pro-palestinien, ce que je suis moi-même, doive être
systématiquement suspecté d’antisémitisme.
Si
quelqu’un doit mettre sa « pendule à l’heure », c’est bien
M. Bourget. Mais je ne suis pas sûr qu’il en ait une.
Offrons-lui déjà une boussole.
Esther Benbassa
Réponse d’un
"journaliste" :
Hosanna ! Voilà le seul mot que madame Benbassa supporte en
manière de critique. L’universitaire, qui devrait être entrainée
à la dispute, voie qui conduit à la connaissance, ne tolère pas
mon analyse de son livre « Etre juif après Gaza ». Bien sûr,
n’étant pas savant mais « journaliste », une façon de dire
« crétin » je n’ai « rien compris » à sa pensée. Si sèche. Sans
doute parce que publiée sous le parapluie du CNRS.
C’est, en tout cas, ce que j’ai compris
lors d’un appel téléphonique lancé par l’auteure ulcérée. Je
sais maintenant que l’obsession de cette spécialiste de
l’histoire du judaïsme n’est pas le sort fait par Israël aux
Palestiniens. Mais elle est de sauvegarder l’image et la
réputation de l’histoire des intellectuels juifs toujours
« associés à toutes les grandes causes humanistes et
humanitaires, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe ».
C’est ce que me dit madame Benbassa dans le téléphone.
Vous me direz, si un prurit d’honneur
atteignant Lanzman, Finkielkraut et BHL aboutissait à la fin de
la colonisation et à la création d’un état palestinien, ce
serait un progrès… Dans sa sainte colère Madame Benbassa
ajoute : « les Palestiniens n’existent pas, les Palestiniens
sont une invention du XXe siècle » ! Voilà une information
forte, une découverte. Des gens, tout aussi savants que notre
amie, ont écrit livres et thèses pour nous décrire l’existence
de cananéens, 1500 ans avant notre ère. D’autres, comme dans le
Nouveau Testament, nous décrivent des Pelesets (« Philistins »
d’où viendra le mot Palestine), un peuple venu de la mer. Des
fouilles à Gaza, il est vrai facilitées par l’éventrement des
bombes d’Israël, indiquent aussi l’existence de civilisations
très antérieures au royaume juif.
Thèse, antithèse, foutaise, pour madame
Benbassa tout cela n’existe pas. C’est un peu troublant, dans la
bouche d’une universitaire, sûrement de gauche, quand on sait
que le propre d’un peuple d’occupation, de tout mouvement
colonial est de nier l’existence des peuples indigènes… Et il
est vrai, au XIXe siècle, que les fondateurs du sionisme
encourageaient l’installation de leurs paroissiens en Palestine
en leur expliquant que le pays était un « désert ». D’où les
témoignages surpris de ces voyageurs sans retour, débarquant à
Haïfa, une ville palestinienne très normalement constituée.
Hâte ou malaise plus profond, madame
Benbassa aime à utiliser la langue coloniale : là où la
journaliste israélienne Amira Hass parle de « Palestiniens
citoyens d’Israël », la chercheuse dans son petit livre, nous
parle sans cesse « d’arabes israéliens ». Normal puisque les
Palestiniens n’existent pas. Mais imaginez qu’écrivant un livre
sur la France, l’auteure nous parle des « arabes français »… Ce
serait un peu désordre. Sans doute qu’habituée à travailler sur
le judaïsme, donc aussi sur sa partie de mythes, Esther Benbassa
s’embrouille parfois entre le rêve et la réalité.
Notre savante devrait savoir que tout
citoyen d’un pays qui pratique la colonisation, même s’il
s’imagine généreux, devrait s’abstenir de juger, de conseiller
le colonisé. C’est ainsi que les Français auraient préféré,
comme interlocuteur, le bachaga Boualem à Ben Bella et ses
amis ; après avoir préféré Bao Dai à l’Oncle Ho. Ah, si nos
victimes pouvaient toujours être parfaites, comme on les aime.
Tiens, une autre chose à la volée. Dans
son livre la chercheuse nous explique que c’est pour des raisons
religieuses, l’implication du FLN avec l’islam, que les juifs
d’Algérie n’ont pas « soutenu le mouvement de libération »… Même
si un arbre ne fait pas la forêt, madame Benbassa devrait, par
exemple avant d’être hâtive, se pencher sur l’histoire du
bâtonnier Tiennot Grumbach qui fut pourtant aux côtés des
fellaghas, avec Vergès. Toujours à propos de livres, et de celui
de Schlomo Sand que j’ai cité, je crois bien que l’historien
israélien a intitulé son ouvrage : « Comment le peuple juif fut
inventé »… Arrêtez-moi si je me trompe…
La saloperie, puisque la « réponse » de
madame Benbassa en contient une - il en faut toujours quand
l’argument ne suffit pas à écraser l’infâme- vient de cette
phrase : « M. Bourget pense sans doute que le conflit
israélo-palestinien serait réglé si l’un des deux peuples
n’existait pas ». Ici l’auteure dit, sans avoir le courage de
l’écrire, que je souhaite la disparition d’Israël. Et c’est
l’écœurante et récurrente injure, celle de l’antisémitisme caché
de l’adversaire.
Mais notons, toujours en passant, que,
même dans son courrier, madame Benbassa use du langage colonial.
Elle nous parle « du conflit israélo-palestinien », un
équivalent des « évènements d’Algérie », des « implantations »
au lieu des colonies. Ecrire « conflit israélo-palestinien »
c’est un peu comme parler de la querelle entre l’OM et le PSG,
qui tourne comme hamster en cage : on se tape dessus sans savoir
pourquoi, ni qui a commencé. Pour être plus claire, parlez donc
« d’occupation illégale », de « spoliation »,
« d’emprisonnements », de « blocus ». Et cessez, dans les débats
télévisés, que vous aimez tant, de parler au nom de ces
Palestiniens qui n’existent pas. En ce qui me concerne, pour
m’orienter, plutôt qu’un almanach des religions, j’ai choisi le
droit international ; et le GPS contre la boussole. Avec ça, on
s’égare moins.
J.-M.B.
"Etre
juif après Gaza" Esther Benbassa, CNRS éditions 2009, 74
pages, 4 euros