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Bakchich

Esther Benbassa écrit à Bakchich

Mercredi 13 janvier 2010

Polémique entre l’auteure de l’essai "Etre juif après Gaza" et notre chroniqueur Jacques-Marie Bourget à la suite de sa critique contre l’ouvrage.

La critique de Jacques-Marie Bourget :

Cet opuscule d’Esther Benbassa porte un titre étrange : Etre juif après Gaza. Et pourquoi ne pas l’être ? Etre juif n’est rien d’autre que revendiquer l’appartenance à une grande religion. Ainsi on peut être juif et réprouver la politique de l’état d’Israël, on peut aussi avoir une famille élevée en continuité dans le judaïsme et revendiquer son athéisme, sa non implication avec les décisions du gouvernement de Tel Aviv.

C’est pourquoi la question posée par ce livre, qui se veut scientifique puisque publié sous la bannière du CNRS, est intrigante. Après Arthur Koestler, l’historien israélien Shlomo Sand l’a démontré, « le peuple juif n’existe pas ». Il a été « inventé », au XIXe siècle par les théoriciens du sionisme. A son origine, la religion juive a été comme les autres monothéismes, c’est-à-dire prosélyte. Les berbères du Maghreb sont devenus juifs quand des religieux venus de Palestine les ont convertis. Des peuples du Caucase, où de ce qui deviendra l’Ukraine, ont fait de même, comme d’autres au Moyen Orient, dans ce qui sera le Yémen, l’Irak, l’Iran…

Ce qui n’empêche pas, dans son petit livre, Esther Benbassa de perpétrer la légende d’une « diaspora » qui n’a jamais existé. Les ancêtres de Jean Daniel, le patron de l’Obs, sont des berbères et sont les mêmes que ceux de l’écrivain kabyle Kateb Yacine. Ce serait bien que madame Benbassa, du CNRS, tienne compte d’un certain nombre de vérités de l’histoire. Non, les juifs n’ont pas été expulsés d’Israël par Titus en 70. Cette croyance, comme d’autres, n’est qu’un mythe.

Pourquoi pas leur taper sur la gueule

Bien sûr, aux yeux du lecteur occidental pas très bien informé, le bouquin d’Esther se veut « généreux », je veux dire que la savante ne trouve pas très bien d’avoir tué 1500 Palestiniens, victimes d’un blocus, au prétexte qu’ils se sont un peu énervés en balançant des roquettes, militairement stériles, sur Israël.

Mais, au fil de son discours, surgissent les poncifs classiques : « le développement menaçant du fondamentalisme musulman », « le terrorisme nourri d’une haine irraisonnée de l’occident », « les diktats du Hamas », autrement dit, pourquoi pas leur taper sur la gueule. Le stéréotype de l’arabe lâche, celui qui a laissé en 56, ses godasses dans le désert, n’est pas absent : pendant la guerre de Gaza « les hommes du Hamas se sont cachés ou enfuis ». On trouve aussi la condescendance pour « les erreurs de jeunesse des Palestiniens », alors que ceux-ci se battent depuis cent cinquante ans pour leur indépendance, pour ne parler que de la lutte contre les Ottomans ou les Anglais !

Entrés dans l’histoire ?

On peut détester le Hamas, mais on n’a pas le droit, quand on est au CNRS, d’ignorer l’histoire du nationalisme palestinien : il n’est pas né avec la création d’Israël. « Les Palestiniens sont-ils en état de faire des projets d’avenir ou d’écrire leur propre histoire… », nous dit Esther Benbassa. D’abord « projet d’avenir » est un pléonasme, deuxièmement, ils disent chiche !

Parfois l’auteure dit une chose et son contraire. Un exemple : « Israël est comme toutes les autres nations… mais se doit d’être différent des autres nations, ne serait-ce que pour être à la hauteur de l’amour que les juifs lui portent ». Comprenne qui pourra. Et plus encore qui va saisir le sens qui sort de l’apposition de ces deux observations : la critique d’Israël « peut coûter sa réputation à celui qui s’y risque. L’accusation d’antisémitisme, voilà l’arme ultime contre qui ose douter, car l’antisémite est le pestiféré des temps modernes », mais plus loin, la plume tranquille de Madame Benbassa nous dit : « l’antisémitisme qui s’exprime aujourd’hui en Occident trouve un alibi dans le conflit israélo palestinien ». Faudrait savoir…

Vient, et c’est sa place à la fin du livre, le bouquet final : « La dernière cause qui mérite encore de mobiliser, pour certains, est la cause palestinienne. Cette appropriation militante ne sert évidemment pas toujours les palestiniens. Menée en chambre, au mieux dans la rue ou dans des actions de boycott d’Israël, elle est d’une efficacité toute relative. Reste que la tournure violente et haineuse qu’elle prend dans certains milieux est de nature à remettre en cause le principe d’une coexistence pacifique des juifs avec les autres composantes de la société, de nature à produire de l’antisémitisme ». Ainsi, selon le livre publié par le CNRS, ce n’est pas le comportement d’Israël qui est de nature à produire de l’antisémitisme, ce sont les allumés qui s’indignent des lois internationales bafouées, du droit pourfendu, de l’injustice historique faite aux palestiniens.

Un an après l’opération « Plomb fondu », encore un effort Esther pour mettre votre pendule à l’heure.

Jacques-Marie Bourget

Réponse à Jacques-Marie Bourget :

Je ne suis par loin de penser que Jacques-Marie Bourget n’a pas lu mon livre, ou qu’il l’a lu avec des œillères, et en a rendu compte avec une idée préconçue derrière la tête que j’ai du mal à saisir. Il critique le titre de mon livre. Il a son idée sur ce qu’il faut entendre par être juif. Qu’il me permette d’avoir la mienne. Juive, je le suis de bien des façons, bien qu’athée, et non moins citoyenne du monde. J’essaie de me situer dans la lignée des intellectuels juifs des XIXe et XXe siècles, très nombreux dans les mouvements socialisants et marxisants, ainsi que dans les luttes qui ont marqué l’histoire contemporaine. C’est à ce titre, de ce lieu-là, que je m’insurge contre ce qui s’est passé à Gaza l’an dernier. Et mon cri de colère ne veut être rien d’autre que l’expression du souci éthique – à la fois juif et universel – qui m’anime, de l’angoisse éthique qui m’étreint face à cette catastrophe que fut l’offensive israélienne contre Gaza.

Il est vrai que M. Bourget ne semble pas avoir lu plus attentivement le livre de Shlomo Sand. Il en tire la simple conclusion que le peuple juif n’existe pas. Depuis le XIXe siècle, en Europe et ailleurs, il n’y a jamais eu d’autres peuples qu’imaginés, ou «  inventés ». Cela vaut pour les Juifs comme pour les Palestiniens. Qu’il s’agisse là de représentations n’ôte rien à la légitimité des revendications nationales de ces deux groupes humains qui, qu’on le veuille ou non, considèrent être des peuples. M. Bourget pense sans doute que le conflit israélo-palestinien serait réglé si l’un au moins de ces deux peuples n’existait pas. Croit-il vraiment qu’un coup de baguette purement rhétorique suffira à nous sortir de ce cauchemar ? S’il le croit, il se trompe.

Les préjugés de M. Bourget ne s’arrêtent pas là. Publié par CNRS Editions, mon ouvrage est un essai, paraissant dans une collection très particulière, accueillant des livres dits d’intervention, rédigés par des savants qui n’en sont pas moins des citoyens. Cet essai est nourri aussi bien de mes expériences personnelles, de ma réflexion politique que des acquis de ma recherche d’historienne. Sortant des phrases de leur contexte, et les sélectionnant soigneusement, M. Bourget voudrait me faire dire ce que je n’ai pas dit, et me faire passer pour une savante qui ne sait pas grand-chose et qui dit tout et son contraire. Toute nuance est jugée par lui scandaleuse. C’est à la fois facile, malhonnête et un brin populiste. Je dis clairement que la politique actuelle d’Israël est de nature à encourager l’antisémitisme. Je dis aussi que certaines franges du mouvement pro-palestinien se laissent parfois aller à des dérapages ou à un confusionnisme inquiétants. Je ne dis nulle part que tout pro-palestinien, ce que je suis moi-même, doive être systématiquement suspecté d’antisémitisme.

Si quelqu’un doit mettre sa « pendule à l’heure », c’est bien M. Bourget. Mais je ne suis pas sûr qu’il en ait une. Offrons-lui déjà une boussole.

Esther Benbassa

Réponse d’un "journaliste" :

Hosanna ! Voilà le seul mot que madame Benbassa supporte en manière de critique. L’universitaire, qui devrait être entrainée à la dispute, voie qui conduit à la connaissance, ne tolère pas mon analyse de son livre « Etre juif après Gaza ». Bien sûr, n’étant pas savant mais « journaliste », une façon de dire « crétin » je n’ai « rien compris » à sa pensée. Si sèche. Sans doute parce que publiée sous le parapluie du CNRS.

C’est, en tout cas, ce que j’ai compris lors d’un appel téléphonique lancé par l’auteure ulcérée. Je sais maintenant que l’obsession de cette spécialiste de l’histoire du judaïsme n’est pas le sort fait par Israël aux Palestiniens. Mais elle est de sauvegarder l’image et la réputation de l’histoire des intellectuels juifs toujours « associés à toutes les grandes causes humanistes et humanitaires, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe ». C’est ce que me dit madame Benbassa dans le téléphone.

Vous me direz, si un prurit d’honneur atteignant Lanzman, Finkielkraut et BHL aboutissait à la fin de la colonisation et à la création d’un état palestinien, ce serait un progrès… Dans sa sainte colère Madame Benbassa ajoute : « les Palestiniens n’existent pas, les Palestiniens sont une invention du XXe siècle » ! Voilà une information forte, une découverte. Des gens, tout aussi savants que notre amie, ont écrit livres et thèses pour nous décrire l’existence de cananéens, 1500 ans avant notre ère. D’autres, comme dans le Nouveau Testament, nous décrivent des Pelesets (« Philistins » d’où viendra le mot Palestine), un peuple venu de la mer. Des fouilles à Gaza, il est vrai facilitées par l’éventrement des bombes d’Israël, indiquent aussi l’existence de civilisations très antérieures au royaume juif.

Thèse, antithèse, foutaise, pour madame Benbassa tout cela n’existe pas. C’est un peu troublant, dans la bouche d’une universitaire, sûrement de gauche, quand on sait que le propre d’un peuple d’occupation, de tout mouvement colonial est de nier l’existence des peuples indigènes… Et il est vrai, au XIXe siècle, que les fondateurs du sionisme encourageaient l’installation de leurs paroissiens en Palestine en leur expliquant que le pays était un « désert ». D’où les témoignages surpris de ces voyageurs sans retour, débarquant à Haïfa, une ville palestinienne très normalement constituée.

Hâte ou malaise plus profond, madame Benbassa aime à utiliser la langue coloniale : là où la journaliste israélienne Amira Hass parle de « Palestiniens citoyens d’Israël », la chercheuse dans son petit livre, nous parle sans cesse « d’arabes israéliens ». Normal puisque les Palestiniens n’existent pas. Mais imaginez qu’écrivant un livre sur la France, l’auteure nous parle des « arabes français »… Ce serait un peu désordre. Sans doute qu’habituée à travailler sur le judaïsme, donc aussi sur sa partie de mythes, Esther Benbassa s’embrouille parfois entre le rêve et la réalité.

Notre savante devrait savoir que tout citoyen d’un pays qui pratique la colonisation, même s’il s’imagine généreux, devrait s’abstenir de juger, de conseiller le colonisé. C’est ainsi que les Français auraient préféré, comme interlocuteur, le bachaga Boualem à Ben Bella et ses amis ; après avoir préféré Bao Dai à l’Oncle Ho. Ah, si nos victimes pouvaient toujours être parfaites, comme on les aime.

Tiens, une autre chose à la volée. Dans son livre la chercheuse nous explique que c’est pour des raisons religieuses, l’implication du FLN avec l’islam, que les juifs d’Algérie n’ont pas « soutenu le mouvement de libération »… Même si un arbre ne fait pas la forêt, madame Benbassa devrait, par exemple avant d’être hâtive, se pencher sur l’histoire du bâtonnier Tiennot Grumbach qui fut pourtant aux côtés des fellaghas, avec Vergès. Toujours à propos de livres, et de celui de Schlomo Sand que j’ai cité, je crois bien que l’historien israélien a intitulé son ouvrage : « Comment le peuple juif fut inventé »… Arrêtez-moi si je me trompe…

La saloperie, puisque la « réponse » de madame Benbassa en contient une - il en faut toujours quand l’argument ne suffit pas à écraser l’infâme- vient de cette phrase : « M. Bourget pense sans doute que le conflit israélo-palestinien serait réglé si l’un des deux peuples n’existait pas ». Ici l’auteure dit, sans avoir le courage de l’écrire, que je souhaite la disparition d’Israël. Et c’est l’écœurante et récurrente injure, celle de l’antisémitisme caché de l’adversaire.

Mais notons, toujours en passant, que, même dans son courrier, madame Benbassa use du langage colonial. Elle nous parle « du conflit israélo-palestinien », un équivalent des « évènements d’Algérie », des « implantations » au lieu des colonies. Ecrire « conflit israélo-palestinien » c’est un peu comme parler de la querelle entre l’OM et le PSG, qui tourne comme hamster en cage : on se tape dessus sans savoir pourquoi, ni qui a commencé. Pour être plus claire, parlez donc « d’occupation illégale », de «  spoliation », « d’emprisonnements », de « blocus ». Et cessez, dans les débats télévisés, que vous aimez tant, de parler au nom de ces Palestiniens qui n’existent pas. En ce qui me concerne, pour m’orienter, plutôt qu’un almanach des religions, j’ai choisi le droit international ; et le GPS contre la boussole. Avec ça, on s’égare moins. 

J.-M.B.

"Etre juif après Gaza" Esther Benbassa, CNRS éditions 2009, 74 pages, 4 euros



Source : Bakchich


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