Opinion
La démocratie
coloniale
Badis Guettaf
Samedi 10 novembre
2012 Blanc-seing
de l’ONU et des «Arabes» en main, ceux
qui n’ont jamais reconnu qu’ils avaient
noyé dans le sang la démocratie demandée
par les Algériens, un certain jour de
victoire sur le nazisme, le 8 mai 1945,
vont «démocratiser» les Libyens. Il y a
66 ans, en pleine guerre mondiale, De
Gaulle, chef de la France libre, avait
décidé, dans une ordonnance du 7 mars
1944, de consentir la nationalité
française à tous les «indigènes» qui
s’étaient distingués au combat et qui
ont bénéficié pour leurs actes de
décorations militaires ou ayant obtenu
des diplômes. Un peu plus de 60 000
Algériens à en bénéficier en 1945. Les
observateurs de l’époque rapportent que
cela n’a pas du tout plu dans les
milieux de la colonisation. Ce qui est
sûr, c’est que cela n’a en rien donné le
statut d’être humain aux bénéficiaires,
de même qu’aux millions de leurs
compatriotes qui étaient exclus du droit
de simplement exister. La fin du conflit
et la défaite des hordes hitlériennes,
sur fond de chants à la liberté des
peuples, ont fait croire aux Algériens
que l’heure était venue pour eux de
participer à la grande libération de
l’homme. A Sétif, ils sortent par
milliers, brandissant des drapeaux
américains ou anglais, puis le drapeau
de leur propre pays. Quelques jours
avant, les colonialistes avaient tué un
certain nombre de manifestants à Alger.
Un avant-goût de ce qui allait se
produire ici. La haine et le racisme
mêlés vont se matérialiser par l’un des
plus grands massacres de l’Histoire. En
quelques jours, des dizaines de milliers
d’hommes, de femmes et d’enfants, vont
payer de leur vie la simple idée d’avoir
cru être les égaux des «maîtres». A
Paris, à Londres, partout chez les
vainqueurs, on chantait la liberté
triomphante, on dansait, on
s’embrassait. Le bruit a couvert les
râles d’agonie et les cris de douleurs
des «indigènes» qui pouvaient mourir
sans que cela ne dérange personne. Six
mois plus tard, soit le 20 novembre
1945, s’est tenu le procès de Nuremberg
qui, officiellement, a représenté le
paroxysme de l’idée selon laquelle aucun
crime «contre l’Humanité» ne pourra
rester impuni. Les victimes de Sétif, de Kherrata et de Guelma n’y ont pas été
évoquées, pas même plus tard, ni même
aujourd’hui. Elles n’ont même pas le
droit d’être reconnues comme telles.
Elles n’existaient pas en tant qu’êtres
humains, elles continueront de ne pas
exister. Bien mieux, on parle de riposte
à une insurrection, d’une centaine de
morts européens, on chicane sur le
nombre de milliers de morts qu’il y a
eus. Non ! Pas 45 000, ce serait trop.
Mille, mille cinq cents, huit mille… ?
C’est plus acceptable et c’est dans des
normes qui font que cela soit moins
barbare que si c’était 45 000. Et alors,
si nous faisions un rabais ? De combien
? Il faut nous le dire, si cela tient à
ça pour trouver un arrangement. Non ! Il
n’y a pas à badiner sur le sujet. Un
seul Algérien tué pour motif d’indigénat
est un crime imprescriptible qui entache
pour toujours le système colonial.
Malheureusement, l’aventure libyenne
vient nous démontrer qu’il n’est pas
mort et nous éclairer, du même coup, sur
les raisons qui font que nos morts ne
soient pas reconnus.
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