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Al-Ahram Weekly
Madrid
redux
Azmi Bishara
Dr Azmi Bishara
n° 873, 29 novembre - 5 décembre
2007
http://weekly.ahram.org.eg/2007/873/op55.htm
La conférence de paix de Bush n’est rien de plus
qu’une orgie de rhétorique, vide
La brillante idée
de Bush d’organiser une conférence de paix dénuée de sens et
de lustre est comme un de ces orages
secs qui n’apportent pas la pluie attendue.
L’administration américaine avait besoin de quelque chose pour
prouver que sa politique à l’égard de la région arabe n’était
pas un échec radical. Et elle n’a rien trouvé de mieux que de
remettre en scène la conférence de paix de Madrid manigancée
par James Baker, secrétaire d’Etat sous Bush père. Pour une
raison ou pour une autre, les Républicains tiennent la politique
de Bush Sr et Baker après la guerre au Koweït pour une réussite
digne de commémoration et d’émulation. Nous avons donc
aujourd’hui une conférence qui a conduit les Arabes à
Washington, ivres de gratitude pour sa Grâce Impériale de porter
ainsi, une fois encore, son attention sur la cause palestinienne.
Au fil des années,
les dirigeants arabes et leur entourage ont adopté des termes et
des concepts comme « le processus de paix », « le
processus », « la priorité (haute ou basse) que
l’administration américaine a accordé à la cause
palestinienne », « donner une impulsion aux efforts
diplomatiques », et même « la vision de Bush ».
Ce que tous ces termes et ces concepts ont en commun, c’est d’être
disséminés comme des valeurs positives en elles-mêmes, par leur
capacité à inspirer l’espoir et à remuer des eaux stagnantes.
Une autre de leurs vertus communes tient dans leur capacité à
mettre l’essentiel hors jeu et à promouvoir une vénération de
la forme (le « processus » et la « priorité à
l’agenda »). Elles présument également l’amnésie
totale et récurrente du public pour tout ce qui touche à
l’histoire même de ces termes que leurs instigateurs ne se
lassent jamais de répéter. Quant à ceux qui s’aventurent à
demander « mais pourquoi ? » et « à quelle
fin ? », ils s’entendent railler pour leur babillage
enfantin et naïf.
Les conférences
internationales sont des événements historiques, il est vrai.
Mais comme le faisait remarquer Karl Marx à propos de Napoléon
III, certains événements historiques adviennent
pour ainsi dire deux fois : la première fois comme tragédie, la
seconde fois comme farce. Madrid a planté le décor pour la
formulation de pistes de négociation et pour la tragédie d’Oslo
dont la cause palestinienne est toujours l’otage. Avec
Annapolis, le rideau s’est levé sur une farce. Les gens ont
d’abord pensé qu’il s’agirait d’une conférence, avant
d’apprendre qu’il s’agirait d’une réunion. Puis cela
s’est annoncé comme une « rencontre » et finalement
comme une inauguration d’un processus de paix, autrement dit un
processus de négociation. Mais Madrid aussi s’était avéré être
l’inauguration d’un processus de négociation. Combien
d’inaugurations de processus de négociation peut-il y avoir ?
Combien de fois de pompeux discours enjolivés de citations de la
Torah, incrustés de versets coraniques, émaillés de références
à « notre père commun, Abraham » et aux demi-frères
Isaac et Ismaël, doivent-ils être délivrés dans des salles spécialement
préparées, climatisées, bondées de délégations et de
journalistes, n’attendant rien, mourant d’ennui et passant
leur temps à se demander comment ils vont bien pouvoir remanier
les divagations les plus mornes et les plus anodines en des
discours qui furent « profonds », « cohésifs »,
« éloquents » et autres ? Qu’ont fait les
Arabes depuis Madrid jusqu’à ce jour ? Ils ont négocié.
Pourquoi nous faut-il une autre orgie de rhétorique pour
introduire toujours plus du même ? Je ne le sais pas plus
que vous. Bien sûr, certains soutiennent que cette fois, les négociations
sur la création d’un Etat palestinien seront sérieuses, que
nous inaugurons une phase sérieuse dans les négociations, que ce
que nous verrons dans les huit mois à venir fera paraître toutes
les négociations qui ont eu lieu jusqu’ici comme un jeu
d’enfant. C’est en tout cas ce que les négociateurs
palestiniens se sont promis, même si Olmert contrecarre cette
promesse par la promesse qu’il ne sera tenu par aucun calendrier
ni aucune échéance pour la conclusion de négociations sur une
solution définitive.
Les Palestiniens
et les Israéliens ne sont parvenus à aucune entente autour du
statut de Jérusalem, des frontières ou du démantèlement des
colonies israéliennes. Sur le droit palestinien au retour, d’un
autre côté, ils ont fait un progrès non négligeable – en
direction du renoncement officiel, palestinien et arabe, à
l’exercice de ce droit. Cela s’est réalisé en faisant d’un
non-sujet – le caractère juif de l’Etat d’Israël – une
question de négociation au même titre que toutes les autres,
comme Jérusalem, les réfugiés, les frontières et les colonies.
Il y a aussi un
quasi consensus autour de la « vision » de Bush.
Essentiellement identique à l’ancienne « vision de Sharon »,
il s’agit d’une formule visant à troquer tous les droits
palestiniens jadis « non négociables » contre une
entité politique palestinienne devant être gouvernée, après
une ou deux générations, par une élite palestinienne, quand
celle-ci aura apporté sa contribution à la lutte contre le
« terrorisme ». Cette entité politique, censée être
appelée un Etat, ne sera pas délimitée territorialement par les
frontières d’avant juin 1967. Sa création ne s’accompagnera
pas du retour des réfugiés palestiniens dans leurs maisons, ni
du démantèlement des principales colonies israéliennes. Elle
n’exercera pas de souveraineté sur la Jérusalem arabe, bien
qu’elle pourrait peut-être être en mesure d’étendre la
citoyenneté aux Arabes de Jérusalem qui pourraient peut-être y
conserver leur résidence. Il se pourrait peut-être aussi qu’il
y ait l’une ou l’autre disposition permettant un accès aisé
aux Lieux saints. C’est un rêve en rose pour ceux qui rêvent
de diriger un Etat et un cauchemar pour tous ceux qui
s’accrochent encore à la justice de la cause palestinienne.
En tout cas,
avant que ce rêve ne se réalise, les négociateurs devront se réunir
et le marteler tous ensemble. Mais l’Amérique a d’abord
besoin de fanfare : une petite fête républicaine-Bush-Rice-Blair
pour célébrer, enfin, leur succès étourdissant d’avoir lancé
une conférence de paix pendant que les Palestiniens de Gaza, les
Libanais et les Irakiens vivent un véritable cauchemar.
Mais la rencontre
d’Annapolis n’était pas seulement portée par la forte envie
américaine d’un coup de relations publiques, mais aussi de la nécessité
de répondre à la position des modérés arabes. Ceux-ci se sont
alignés sur l’Amérique pour toutes les questions et en toutes
occasions, et ils n’ont pas une seule fois chicané Washington
depuis que les néo-conservateurs ont cessé de se mêler de leurs
affaires intérieures. Le temps est maintenant venu pour les
Etats-Unis de les récompenser en offrant un petit quelque chose
en matière de « processus de paix ». Mais une fois de
plus, ils vont à Washington au lieu de faire venir Washington
chez eux. Olmert n’a offert aucune initiative de bonne foi,
soutenu en cela par l’opinion publique israélienne, dont la
majorité refuse de discuter les questions de statut définitif, même
si une majorité de 65 à 75 % appuyait la participation d’Israël
à Annapolis et des négociations avec la Syrie et les
Palestiniens. Washington n’a fait aucune tentative pour
interpeller Olmert sur son manque de coopération et il devenait
en fin de compte gênant pour des Arabes « modérés »
de seulement envisager de participer à une conférence pourtant
en partie supposée destinée à les aider, eux. Bien sûr, on a
pu entendre le Président de l’Autorité Palestinienne parler,
au Caire, de l’opportunité historique qu’il ne fallait pas
manquer. Mais tout le monde sait qu’il est l’otage du
processus de négociation et des aumônes israéliennes, et
qu’il fuirait plutôt de l’avant plus profondément entre les
serres d’Israël que de caresser l’idée de retourner à un
gouvernement palestinien d’unité nationale.
Ce qui précède
conduit à ce qui avait été accompli avant la conférence. Cette
conférence s’est bâtie sur une discorde et des querelles
internes palestiniennes. Avant la rupture Fatah-Hamas, il y avait
un gel de ce qu’on appelle processus de paix et Israël a dit à
l’Autorité Palestinienne et à son Président qu’ils devaient
cesser de discuter avec le Hamas s’ils voulaient qu’Israël
daigne ne fût-ce que leur parler. Israël dispose d’une source
inépuisable de conditions, non pas juste pour parvenir à un
accord avec l’Autorité Palestinienne mais tout simplement pour
consentir à lui adresser la parole. La dernière en date a été
que l’Autorité Palestinienne cesse toute forme de coopération
et de pourparlers avec le Hamas, autrement dit, avec les représentants
d’une large partie du peuple palestinien.
C’est la première
chose à avoir été réalisée. Et l’Autorité Palestinienne
s’en est si bien acquitté qu’elle a reçu des tapes dans le
dos par centaines pour son attitude résolue face au Hamas et que
le monde entier a été appelé à Annapolis afin de porter un
faux témoignage sur des négociations qui n’ont pas débuté et
qui n’offrent aucune garantie de succès au cas où elles
commenceraient. Et tout cet étalage simplement pour renforcer la
position des modérés palestiniens qui doivent être si fiers
d’eux-mêmes pour avoir saisi cette « opportunité
historique » qu’ils peuvent déjà entendre les ailes de
l’Histoire battre dans le ciel d’Annapolis. Comme on peut se
sentir important quand on accepte les conditions israéliennes !
Comme ils sont doués, les Etats-Unis et Israël (et l’Europe
qui veut juste en finir avec tout ça), pour amener les gens
qu’ils souhaitent à se sentir importants !
La seconde chose
à avoir été réalisée est sur le bout de toutes les langues.
Israël avait annoncé, à plusieurs occasions et par la voix de
divers porte-parole, que la condition mise à des pourparlers avec
les Palestiniens avait été rencontrée. Maintenant, pour que les
pourparlers puissent faire quelque progrès que ce soit, les
Palestiniens devaient honorer leurs engagements à l’égard de
la Feuille de Route, à savoir : combattre le « terrorisme »
et démanteler « l’infrastructure terroriste ». Israël
entendait par là l’écrasement de la résistance palestinienne,
en commençant par la Cisjordanie. Cet engagement à l’égard de
la Feuille de Route a toujours été une pomme de discorde entre
Israël et Arafat, en grande partie à cause du style israélien
qui consiste à contraindre les Palestiniens à faire leurs
preuves puis à leur dire « attendons voir ». Mais Israël
a réussi à persuader l’Autorité Palestinienne post-Arafat
d’accepter cette condition.
Avec ces réalisations
engrangées par Israël avant même que les négociations ne débutent,
le négociateur palestinien est plus faible que jamais. Il l’est
aux yeux de l’opinion publique israélienne autant du fait de la
rupture palestinienne que comme conséquence du degré de dépendance
atteint par la direction de l’Autorité Palestinienne à l’égard
de la bonne foi d’Israël et du succès des négociations. Quand
les Palestiniens étaient plus ou moins unis, Israël exigeait une
rupture inter-palestinienne comme préalable à des discussions.
Une fois la rupture consommée, Israël a soutenu que l’Autorité
Palestinienne était trop faible pour contrôler son domaine et
qu’elle ne pouvait être prise suffisamment au sérieux pour mériter
des concessions de bonne foi.
Mais il y a eu
une troisième réalisation : le désengagement arabe de la
cause palestinienne. Les Arabes peuvent voir à quel point l’Autorité
Palestinienne est faible et dans quelles mains se trouvent les
pouvoirs de prise de décisions de cette Autorité. Ils partagent
sa faiblesse et sont ainsi en mesure de la comprendre parfaitement et
c’est pourquoi ils saisissent toute solution « pragmatique »
que cette faiblesse a rendue possible. Ils ne sont pas prêts à
être « plus palestiniens que les Palestiniens »,
c'est-à-dire que le négociateur palestinien. C’est vrai
qu’ils profitent de chaque ornière et de chaque cahot du
processus de négociation pour proclamer combien inébranlable est
le camp palestinien et qu’il ne cédera pas facilement. Mais
finalement, que cela leur soit venu facilement ou non et avec ou
sans remords, ils ont été d’accord de trahir la cause.
Le fait que
telles soient les fondations établies par la rencontre d’Annapolis
ne signifie pas que s’asseoir simplement autour d’une table
revienne à normaliser tacitement les relations avec Israël.
Toutes les délégations qui se sont présentées à Annapolis
avaient jadis participé à Madrid. Leur participation n’a pas nécessairement
conduit à une normalisation. Elle a conduit à des voies de négociations
séparées, dont certaines ont calé. La seule partie à avoir
signé un accord de paix avec Israël depuis Madrid, c’est la
Jordanie. La seule partie à avoir normalisé ses relations avec
Israël sans accord de paix a été l’Organisation de Libération
de la Palestine.
La Syrie semble
avoir décidé de prendre part à Annapolis par crainte de se
retrouver, sans cela, complètement isolée au sein du monde
arabe. Qu’elle ait choisi de participer n’offre aucune
garantie que les hauteurs du Golan lui soient rendues, même si
cette question a été inscrite à l’agenda d’Annapolis. Il
fallait qu’elle y soit inscrite, sinon la Syrie n’aurait pas
pu accepter d’aller à Annapolis. Dans un passé pas si
lointain, une rapide évaluation des torts qu’allait occasionner
cette cérémonie inaugurale à la cause palestinienne aurait
suffit pour que Damas décide de ne pas y participer, que le Golan
soit ou non mentionné dans l’agenda.
(Traduction de l’anglais : Michel Ghys)
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