Al Ahram Weekly
Plutôt que l’apaisement
Azmi Bishara
Pour un peuple, sans racines ou sous occupation,
les Palestiniens ont fait plus qu’il ne faut en matière
d’initiatives diplomatiques. Ne serait-il pas normal qu’un
peuple occupé lutte pour sa libération jusqu’à la victoire ou
continue à résister et force ainsi la communauté internationale
ou le pouvoir occupant de trouver une solution à des situations
qui ne sont plus tenables ?
La norme veut donc que la résistance soit accepte
les propositions et dépose les armes, soit les rejette et
continue à se battre jusqu’à ce que des propositions plus
raisonnables lui soient faites. En outre, un objectif central est
censé inspirer les actions de la résistance : la libération
et la réalisation de l’autodétermination.
Dans le cas de la Palestine, nous assistons au
processus inverse : les Palestiniens ont présenté tant
d’initiatives et de propositions qu’il leur est difficile de
se rappeler le but de leur lutte, non seulement le but initial,
mais le dernier en date également. Ce faisant, ils ne font plus
la distinction entre stratégies et tactiques, entre tactiques et
délusion et entre viser des objectifs tactiques et complaire à
autrui.
Ce n’est pas que leurs tentatives de plaire
aient eu beaucoup de succès ; elles ont plutôt aiguisé
l’appétit de ceux qui voyant dans de telles tentatives un signe
de faiblesse, ont relevé leurs exigences d’un cran. Israël
n’acceptera jamais les idées palestiniennes parce qu’il les
trouve à son goût, mais uniquement si leur mise en œuvre lui
convient ou s’il est forcé de les accepter. Par exemple, quand
les attaques suicides ont atteint leur paroxysme pendant la deuxième
Intifada, le monde israélien du capital et des affaires a obligé
le gouvernement à choisir entre la reprise du processus de paix
jusqu’à son aboutissement ou la construction du mur de séparation.
Le gouvernement a choisi le mur.
Les Palestiniens et les Arabes n’ont présenté
que trop d’initiatives et de propositions de règlement et de
phases intérimaires. Israël a constamment refusé de les prendre
en compte et il est évident qu’il en attend d’autres, sans
aucun doute convaincu qu’à chaque nouvelle proposition les
Palestiniens placeront la barre moins haut. Il est assurément
grand temps que les Arabes attendent qu’Israël leur adresse des
propositions ou des initiatives qu’ils pourront soit accepter,
soit rejeter, au lieu de se laisser bousculer par la logique de
l’unilatéralisme et la construction de murs de séparation.
Entretemps, s’ils ont besoin d’une sorte
d’inspiration unificatrice, ils peuvent toujours tirer profit du
document de consensus national palestinien qui constitue le
terrain d’entente le plus large qui soit, ainsi que des résolutions
adoptées par l’OLP lors des sessions successives du Conseil
national. Comme ni Israël, ni les Etats-Unis ne sont sur le point
de produire une proposition de solution acceptable dans un avenir
prévisible, les Palestiniens, spécialement après l’accord
entre le Hamas et le Fatah, devraient faire savoir que eux non
plus n’ont pas d’autres propositions à faire et qu’il ne
leur incombe pas de faire des propositions, mais plutôt de lutter
contre l’occupation et contre le mur de séparation, la judaïsation
de Jérusalem et d’autres objectifs nationaux.
Jérusalem, par exemple, n’existe pas dans le
vide. Ses représentants à l’Assemblée nationale palestinienne
ont été arrêtés et aucun leadership convenablement organisé
et financé n’a pris la relève d’Orient House et des comités
populaires de quartier. Que s’est-il passé ? A un moment
donné, les gens ont cessé de se concentrer sur les droits
nationaux de Jérusalem comme ville arabe palestinienne, partie du
peuple palestinien et du projet national palestinien et ont
commencé à se focaliser sur leurs droits civils en tant
qu’Israéliens. Soixante pour cent des enfants de Jérusalem fréquentent
des écoles qui relèvent de la municipalité israélienne de Jérusalem.
La brutalité de la situation dans laquelle ils
vivent nous force inévitablement à exiger leurs droits - et par
cela nous voulons dire leurs droits en tant qu’Israéliens- auprès
du Ministère israélien de l’Education. Toutefois, si nécessaire
que soit ce processus, il se déroule en dehors du cadre et des
limites du projet national palestinien et s’est inscrit dans le
processus d’israélisation et d’annexion de Jérusalem et de
sa population. Je suppose donc que je n’avais pas à être
surpris de voir récemment un groupe de douze écoliers de Jérusalem-Est
visiter la Knesset dans le cadre de leur programme d’éducation
civique comme s’ils avaient été des étudiants arabes vivant
à l’intérieur de la Ligne verte.
Si la mosquée d’Al-Aqsa est en danger en tant
qu’œuvre architecturale, la souveraineté palestinienne et
islamique arabe court un danger bien plus grand. Les personnes qui
sont censées exercer leur souveraineté - c’est à-dire, le
peuple palestinien y compris la société palestinienne de Jérusalem
- sont également en péril. Les Arabes vivant à l’intérieur
de la Ligne verte vont régulièrement prier dans la mosquée d’Al-Aqsa
et font de leur mieux pour qu’elle reste une mosquée, mais ils
sont citoyens israéliens et ne peuvent pas exercer leurs droits
souverains. Si admirables que soient leurs efforts, ces Arabes ne
constituent pas un Etat et même pas un Etat en voie de formation.
Ils sont citoyens de la puissance d’occupation elle-même.
La transformation de la mosquée d’Al-Aqsa - du
fait de sa fermeture et de l’absence d’une résistance arabe -
en une mosquée pour les Arabes vivant à l’intérieur de la
Ligne verte ne peut guère constituer un rempart contre le danger.
L’opinion mondiale se rend-elle compte qu’Israël refuse aux
habitants de la Rive occidentale et de Gaza l’accès à l’un
des lieux de pèlerinage les plus sacrés de l’Islam violant
ainsi leurs droits fondamentaux en matière de liberté de culte ?
Pourtant, la libération de Jérusalem et de la
mosquée d’Al-Aqsa ainsi que l’exercice de la souveraineté
arabe et musulmane sur le sanctuaire sont étonnamment absents de
toutes les démarches politiques et diplomatiques liées au
« processus de paix ». Il en va de même pour la
protection de la société arabe de Jérusalem, le respect de
leurs personnes et de l’identité arabe de Jérusalem, y compris
de la mosquée Al-Aqsa.
Si nous ajoutons à cela l’érosion du statut de
Jérusalem et la peau de chagrin que constituent les refuges
palestiniens qui étaient une partie intégrante et primordiale de
la cause palestinienne pour devenir une série de causes
humanitaires de gravité diverse selon les pays dans lesquels
vivent les réfugiés, nous constatons que la cause palestinienne
a été ramenée à une négociation pour un Etat palestinien
selon la définition de Bush et Olmert. La dépendance à l’égard
du « processus de paix » - et il faut insister
lourdement sur « processus »- a laissé un trou énorme
à Jérusalem, dans la diaspora palestinienne et dans le projet
national palestinien dans son ensemble.
Le « processus » est devenu un
objectif en soi : certains hommes politiques estiment que
leur carrière et leur vie politiques ne valent rien s’ils ne
rencontrent pas un officiel américain lors d’une tournée
diplomatique dans la région, ne se font pas photographier à ses
côtés, ne font pas un commentaire sur l’importance de leur
rencontre et ne réprimandent pas les Etats-Unis pour leur
parti-pris en faveur d’Israël au moins une fois par cycle de négociation.
Le processus est comparable à celui d’une
famille élargie : elle abandonne les enfants perdus si elle
se défait et joue les entremetteuses jusqu’à ce que sous
l’effet de quelque catastrophe les amoureux pleurent sur leur
misérable sort au café. Le processus est tout et ceux qui en
font partie s’arrangeront pour vous dire que cette fois-ci l’Amérique
est sérieuse ; contrairement à l’impression générale,
ils ont détecté un nouveau sens des responsabilités chez le
quelconque officiel américain qu’ils ont rencontré.
Ils vous mettront aussi en garde contre ceux qui
s’emploient à donner à l’Amérique une excuse pour se laver
les mains du sort de cette région et s’empresseront de vous
rappeler la démagogie et la stratégie du bord de l’abîme
pratiquée par les Arabes. Ce sont les Arabes qui ont perdu la
Palestine et pendant qu’on y est, ils ouvriront le registre
historique des mauvais points de la Syrie et de l’Iran, de tous
ceux qui n’ont pas reconnu Israël et des Arabes en général,
à l’exception de ceux qui font pression sur les Palestiniens
pour qu’ils sacrifient leurs droits nationaux.
Maintenant que les Palestiniens sont passés du
slogan ‘A bas le sionisme » à « Non, aux conflits
internes » deux délégations palestiniennes se sont rendues
à La Mecque. Elles subissent de fortes pressions pour arriver à
un accord sur les moyens d’éviter les conflits, considérés
par l’une et l’autre comme une sorte de gestion de la crise.
Toutefois, certaines parties y voient l’occasion de dicter les règles
du « jeu des nations » aux Palestiniens vivant sous
l’occupation, arguant que l’accord doit être capable
d’obtenir la levée du blocus.
La seule façon d’interpréter cette position
est que l’on donne ainsi raison à ceux qui ont imposé le
blocus à preuve que « ramenée à la raison », la
partie qui le subit a changé de position. Le corollaire inévitable
est bien entendu que la politique de la force est efficace, que
« la raison du plus fort est toujours la meilleure ».
Les conséquences seront importantes pour
l’avenir du « processus politique ». Certains
membres des délégations ont déjà menacé de demander des élections
prématurées, ce qui vu les tensions actuelles équivaut à
lancer un appel à la guerre civile.
Seul un front uni contre le blocus, peut mettre
fin à celui-ci. Le blocus perd sa raison d’être si ceux qui
l’ont monté ne peuvent trouver personne en Palestine pour en
faire une base de pouvoir et tirer profit de la situation misérable
de la population pour allumer sa colère contre le gouvernement
qu’elle a élu. Depuis la signature du concordat national qui se
fondait sur le document relatif aux prisonniers palestiniens, la
ruée pour sauter dans le train des injonctions politiques a été
à l’origine de chaque nouvel affrontement qui a suivi les trêves.
Dans le cadre du blocus, tout nouvel accord obtenu au prix de
coercition, de chantage, de menaces de poursuite du blocus et
d’appels à référendums et élections, forment la base de
nouvelles exigences, déclenchant une nouvelle flambée de
violence.
Si l’on est animé de bonnes intentions, il
n’y a pas lieu d’être fier d’arriver à la tenue de
nouvelles élections et tout lieu d’avoir honte de rejeter les résultats
d’élections légitimes. Mais donner la preuve de ses bonnes
intentions suppose que l’on renonce à imposer des conditions
sous les étendards du blocus et que l’on parte d’un agenda
politique commun ayant le caractère du Concordat national. En
fait, ce document convient très bien comme plateforme pour un
gouvernement palestinien. Que le Hamas y ait contribué et l’ait
accepté représente rien de moins qu’une révolution sur le
plan de ses conceptions et de ses perspectives politiques.
Le Hamas n’avait jamais participé à la rédaction
de la Charte nationale ni à ses amendements ultérieurs. Les résolutions
adoptées par les assemblées du Conseil national qui se sont succédé
et le fond du document lui-même constituent un énorme compromis
par rapport à la propre charte du Hamas et en fait, par rapport
à son programme électoral. Cela devrait suffire pour arriver à
un accord interne.
Si néanmoins, certains ont pour objectif
d’apaiser les puissances étrangères, la voie vers une
prochaine série d’affrontements intérieurs est toute tracée :
un accord adapté à la levée du blocus, l’autorisation par le
président de l’AP et de ses conseillers pour le début des négociations,
les accords conclus en secret avec Israël, l’annonce de ces
accords assortie de la menace que si le Hamas refuse de les
accepter on lancera un appel pour de nouvelles élections ou pour
un référendum, etc.
Qu’il y ait des pressions dans ce sens est évident
vu l’annonce de la prochaine réunion à Jérusalem entre Olmert
et Abbas en présence de Rice. Si Olmert sort de cette rencontre
et d’entretiens ultérieurs entre Israël et les Etats-Unis avec
des propositions qui ne répondent pas aux exigences
palestiniennes minimums et menace ensuite de les soumettre à un référendum,
les Palestiniens recommenceront à se déchirer. Si en revanche,
l’accord palestinien d’unification repose sur des appels pour
la fin du blocus et la fin des violations à Jérusalem et
d’autres demandes de ce type, la capacité du peuple palestinien
à résister à l’occupation s’en trouvera renforcée.
Pour la réalisation et le respect d’un tel
accord il faudra que les dirigeants palestiniens changent leur
mode de pensée et d’action. Ils doivent complètement nettoyer
leur modus operandi et éliminer les virus qui les ont amenés à
dicter des conditions de nature à apaiser les puissances extérieures.
Si l’accord qui est sorti de la réunion de La Mecque doit
aboutir - et il est hors de doute qu’il le doit - il faudra que
les dirigeants palestiniens apprennent à conjuguer leurs efforts
pour atteindre les objectifs palestiniens communs au lieu de
chercher à plaire à un public extérieur.
A cet égard, il serait utile et cela éviterait
indubitablement beaucoup d’acrimonie, s’ils plaçaient dans
une perspective appropriée les destinataires des différents
portefeuilles ministériels. Peu importe par exemple que le
ministre des affaires étrangères appartienne au Hamas ou au
Fatah du moment qu’il est subordonné au président, décideur
ultime en matière de politique étrangère. Si, en revanche, la
prise de décisions est répartie entre le gouvernement, la présidence
et le parlement, il serait préférable que le ministre des
affaires étrangères n’appartienne à aucune des deux factions.
Une telle indépendance accroîtrait la crédibilité et
l’efficacité de la mise en application de mesures résultant
d’un équilibre et faciliterait leur accueil à l’étranger.
Ceci n’est pas nécessairement vrai pour le
ministre de l’intérieur. Dans tous les pays démocratiques, le
ministre de l’intérieur ou de la sécurité, tout comme celui
des affaires étrangères, est généralement membre de l’un ou
l’autre parti politique, peu importe lequel. Accepter la
filiation politique des ministres fait partie intégrante de la
vie démocratique dans laquelle les partis politiques forment les
identités principales participant du processus politique. Ce qui
importe est que les appareils de sécurité eux-mêmes soient
non-partisans.
Pendant la période qui a suivi Oslo, les services
de sécurité palestiniens ont été essentiellement Fatah,
qu’il s’agisse de leurs membres, de leur allégeance ou des
lignes de commandement. Ces services doivent être unifiés,
neutralisés sur le plan politique et remis en état afin d’empêcher
que des considérations partisanes n’influent sur les
nominations et les opérations internes. Dans ce cas, il n’y
aurait rien de mal à ce que le ministre de l’intérieur vienne
du Hamas, spécialement si une telle nomination faisait
contrepoids à un président Fatah en sa qualité de commandant en
chef des forces de sécurité.
A l’inverse, il ne sert à rien d’avoir un
« indépendant » comme ministre de l’intérieur si
les forces de sécurité elles-mêmes ne sont pas non-partisanes
et à moins qu’une limite ne soit tracée entre les forces de sécurité
dont la tâche consiste à préserver la sécurité et celles qui
se substituent à une armée pour supprimer la résistance.
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