Opinion
Comment couvrir la
Syrie depuis Beyrouth et le Liban
As'ad
AbuKhalil
Mardi 26 février
2013 Règles de
déontologie journalistique applicables
dans le cas de la Syrie
Le règlement politique de la crise
syrienne semble avancer et c’est sans
doute la meilleure solution aussi bien
pour la population que pour le pouvoir
en place ou pour la coalition
d’opposition dont l’influence est
sûrement plus grande du côté turc de la
frontière que du côté syrien. Et qui a
surtout une existence médiatique.
Justement,
As’ad AbuKhalil, alias
Angry Arab,
nous explique ce qu’est la déontologie
journalistique quand il s’agit de
couvrir les troubles qui secouent la
Syrie.
Des principes qu’il
expose ici, découle une pratique du
journalisme qui prétend nous renvoyer
une image des évènements correspondant
peu ou prou à la réalité alors que cette
image est surtout faite de faux
semblants.
Sur le plan
militaire d’abord, avec ces annonces
régulières de prises «décisives» de
routes, d’aérodromes et même d’un
barrage. Des
victoires qui s’avèrent sans lendemain
voire même purement imaginaires.
Sur le plan politique
ensuite, avec une opposition en exil qui
s’avère être de plus en plus une
coquille vide dont la composition est
supposée refléter la diversité
politique, ethnique et religieuse de la
Syrie comme se la figurent les
Occidentaux mais qui ne correspond pas à
grand chose sur le terrain syrien. Un
terrain où l’opposition militaire réelle
au pouvoir est le fait de brigades
islamistes, notamment celles qui sont
liées aux Frères Musulmans.
Si ces forces
aspirent à représenter une alternative
au régime en place, il ne s’agit en
aucun cas d’une alternative
démocratique. Mais comme on l’a dit, la
situation militaire fait que cette
alternative au régime syrien ne semble
pas sur le point de renverser ce
dernier.
Ce qui nous
amène au dernier point qui est, en dépit
de quelques défections, la cohésion
d’ensemble du régime,
qui n’est pas un régime alaouite
comme on le prétend, tant s’en faut.
Cette
cohésion est un des facteurs de la
résistance de ce pouvoir aux coups de
boutoir qui lui sont assénés par des
forces qui sont loin d’être toutes
syriennes puisque des tueurs sont venus
de l’ensemble du monde musulman et même
non musulman
pour participer à la curée.
L’autre facteur de la
résistance de ce pouvoir, c’est
l’absence d’insurrection populaire. En
effet, partout où le pouvoir est resté
présent, c’est-à-dire sur l’essentiel du
territoire, la vie suit son cours avec
bien sûr les souffrances qu’endure la
population d’un pays mis sous embargo et
dont l’économie a été en grande partie
ravagée, voire pillée par les prétendus
révolutionnaires comme on l’a vu à Alep.
Ce fait est d’autant
plus remarquable que l’armée syrienne,
il faut le rappeler, est constituée en
grande majorité de conscrits et qu’on ne
peut pas forcer bien longtemps des
appelés à tirer sur leurs propres
concitoyens. Un pays comme les Etats
Unis avait même pu s’apercevoir qu’il
était difficile de forcer très longtemps
des conscrits à tuer des étrangers, même
quand ils n’ont pas la même couleur de
peau.
Djazaïri
Comment
couvrir la Syrie depuis Beyrouth et le
Liban par As’ad
AbuKhalil, Al-Akhbar (Liban) 25 février
2013 traduit de l’anglais par Djazaïri
En se fondant sur la couverture de la
Syrie dans la presse des Etats Unis, il
est possible d’identifier certaines
caractéristiques de cette couverture
depuis Beyrouth.
1. Ecrivez les articles mais appuyez
vous sur des pigistes locaux sous payés
qui peuvent assurer la traduction et
l’interprétation pour vous.
2. Appelez le service de presse
d’Hariri et les services de presse des
organisations de Syriens en exil dès
votre arrive dans la ville.
3. Vous n’avez pas besoin de sortir
de chez vous: le boulot nécessite
d’utiliser abondamment Skype. Vous
n’avez pas besoin de chercher des
adresses Skype : les services de presse
d’Hariri et ses alliés dans l’opposition
syrienne en exil vous donneront des noms
et pourront même en inventer pour vous.
4. C’est bien de montrer de la
sympathie pour les organisations
syriennes armées et de l’émotion dans
vos reportages, exactement comme il
n’est pas bien de montrer de l’émotion
quand on couvre le côté arabe du conflit
arabo-israélien.
5. Traitez largement de la souffrance
humaine, sauf quand elle est causée par
les groupes armés syriens eux-mêmes.
6. Ne citez pas les vrais chefs des
organisations syriennes en exil qui sont
dominées par les islamistes: citez par
contre des Syriens qui résident dans des
pays occidentaux afin de donner un
visage occidentalisé à l’opposition
syrienne en exil.
7. Essayez de minimiser le rôle de la
Turquie, du Qatar et de l’Arabie
Saoudite aux côtés des organisations
armées syriennes.
8. N’hésitez pas à vous engager dans
des campagnes de collecte de fonds dans
vos articles en faisant référence
constamment à la pauvreté des groupes
armés et à leurs carences en armes et en
équipement.
9. Essayez de montrer l’humanité des
groupes armés: des photos d’enfants
soldats devraient souligner le fait que
ce sont d’abord des enfants après tout
et qu’ils représentent la face humaine
des groupes armés [comme peut-être cet
adolescent Libyen qui résidait en
Irlande et qui a été tué au combat en
Syrie à l'âge de 16 ans].
10. Ne parlez pas avec les deux
parties au conflit. Un côté (celui qui
est soutenu par le Qatar et l’Arabie
Saoudite) est suffisant.
11.Rappelez-vous: les voitures
bourrées d’explosifs ne sont pas une
mauvaise chose quand elles sont
utilisées par le camp soutenu par les
Etats Unis. Les voitures piégées ne sont
des armes destructrices haineuses que
quant elles sont utilisées par des
ennemis des Etats Unis.12. Dans les
articles sur une intervention étrangère
en Syrie, rappelez-vous qu’une
intervention par l’Arabie Saoudite, le
Qatar, Bahreïn, la Turquie, la Jordanie,
la Libye, l’OTAN, Israël, l’UE et les
Etats Unis n’est pas vraiment une
intervention. C’est simplement un geste
humanitaire et de bonne volonté.
Intervention militaire réfère seulement
à la Russie, à l’Iran et au Hezbollah.
13. Quand vous traitez de
l’intervention libanaise en Syrie,
souvenez-vous qu’on ne parle que du
Hezbollah. L’intervention (militaire ou
autre) des organisations hariristes et
salafistes ne compte pas et ne justifie
pas une intervention [pour y mettre
fin].
14. Rappelez-vous que l’étalon en
matière de professionnalisme
journalistique dans la couverture de la
Syrie est représenté par les medias des
princes Saoudiens et de la famille
Hariri.
1. Les rumeurs et les inventions
répandues par les médias saoudiens et
d’Hariri sont «bonnes à imprimer» si
elles servent les objectifs de la
propagande de la coalition emmenée par
les Etats Unis.
16. Les préjugés contre les Alaouites
et la lecture sectaire sont essentiels à
la compréhension du conflit. SVP, parlez
de tous les Alaouites, bébés compris,
comme de Shabiha. Ce qui rendra plus
facile de justifier leur assassinat par
les groupes armés.
17. Faites de votre mieux pour
dissimuler le poids d’un leadership
islamiste fanatique et l’affiliation des
groupes armés. Essayez plutôt de trouver
quelqu’un qui porte des jeans et affirme
parler au nom de l’unité militaire
libérale et «laïque» [secular].
18. Toute histoire relative à la
défection d’une personne, même un simple
soldat ou le chauffeur d’un petit cadre
d’une usine locale de traitement des
déchets devra être couverte très
largement.
19. Oublions SVP notre ancienne
hostilité envers al-Jazeera. Al-Jazeera
a changé maintenant et nous la
considérons maintenant comme une
télévision exemplaire qui représente la
merveilleuse propagande de la famille
royale du Qatar.
20. La famille Hariri vous fournira
des noms et des numéros de téléphone de
ses homes dans les services de sécurité
intérieure du Liban et de ceux qui
acceptant de livrer toute information ou
rumeur qui va contre les intérêts du
Hezbollah et vous pouvez citer ces
personnes comme de «hauts responsables
du gouvernement libanais en matière de
sécurité.»
21. Les intérêts et la propagande
d’Israël devront être fortement
représentés dans la couverture du
conflit, et Israël devra être présenté
comme l’ami du peuple syrien, malgré son
occupation [du Golan] et ses attaques en
territoire syrien.
22. Exactement comme dans le cas de
la couverture de presse de l’opposition
irakien en exil avant 2003,
souvenez-vous SVP que toutes les
personnalités de l’opposition syrienne
en exil sont intelligents, éloquents
(même dans le cas de
Cicéron de Syrie) et vraiment
drôles.
23. En parlant des armes chimiques
syriennes, ne mentionnez pas SVP
l’arsenal israélien d’armes de
destruction massive. Au contraire, pour
que les Israéliens passent encore pour
des victimes, choisissez des photos
d’Israéliens posant avec des masques à
gaz à chaque fois que vous écrivez sur
l’armement chimique syrien.
24. Rappelez-vous, vous êtes là pour
remonter le moral et pas seulement pour
“couvrir” les évènements. Vous devez
écrire chaque semaine quelque chose sur
la chute imminente du régime de Bachar
et sur les rebelles qui sont sur le
point de contrôler le centre ville de
Damas.
25. Il est important de rappeler aux
lecteurs que 99 % de la population
syrienne soutient l’action des Etats
Unis et d’Israël en Syrie et que 99 %
d’entre elle s’oppose farouchement au
régime. Seuls des scélérats et des
voyous persistent à soutenir le régime.
26. A l’appui du succès de
l’opposition syrienne à obtenir du
soutien parmi toutes les minorités en
Syrie, le service de presse d’Hariri à
Beyrouth vous donnera les numéros de
téléphone d’un Druze, d’un Chrétien,
d’un Kurde et même d’un Alaouite qui
sont contre le régime.
27. La connaissance de la langue
arabe – comme toujours quand on traite
du Moyen Orient – n’est pas nécessaire
du moment que vous savez reconnaître un
sandwich au falafel.
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