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Explication de texte
Washington
face au Honduras : un numéro d'équilibriste
Arnold August
Le « président »
« civil » Roberto Micheletti
Montréal, dimanche 16 août 2009
Que pense Washington de ce qui s’est passé au Honduras ? Au
premier abord, au nom de la Charte démocratique inter-américaine,
les États-Unis dénoncent vigoureusement le renversement du
président Zelaya. À y regarder de plus près, ils condamnent le
coup d’État, mais ils soutiennent leurs amis putschistes. Arnold
August analyse un festival d’hypocrisie embarrassée : les
déclarations officielles du département d’État et de la
Maison-Blanche. Presqu’immédiatement après le coup d’État du
28 juin 2009, les grands médias n’ont pu s’empêcher de remarquer
que Washington faisait face à un problème. Le 30 juin, on
pouvait lire en gros titre dans le quotidien USA Today :
« La journée d’Obama : la corde raide présidentielle. »
L’article se poursuivait ainsi : « Bon matin depuis le Bureau
ovale [Maison-Blanche]. Lors de cette même journée, en 1859, un
acrobate français nommé Charles Blondin a marché sur une corde
raide au-dessus des eaux torrentielles des Chutes Niagara.
Exactement 150 ans plus tard, le président Barack Obama doit
sans doute comprendre ce qu’il ressentait… [par rapport à]
l’Amérique latine. Obama essaie de résoudre le coup militaire au
Honduras malgré la charge de méfiance de l’Amérique latine face
aux États-Unis. » [1]
La même journée, le Washington Post titrait : « Sur
les questions de politique étrangère, Obama avance à pas
comptés. » Le texte se poursuivait ainsi : « Le président Obama
est arrivé au pouvoir en promettant des changements audacieux
sur de nombreux fronts, mais sa politique étrangère se fait
souvent en demi-teintes. Que ce soit en Iran, en Chine ou en
Corée du Nord, y a-t-il des moments où l’on ne puisse pas dire
que l’administration Obama « manœuvre prudemment » ou « avance à
pas comptés » à l’étranger ? Le dernier exemple en lice est le
Honduras, dont la Maison-Blanche, hier, a critiqué le coup
d’État qui a renversé Manuel Zelaya, sans toutefois signifier sa
désapprobation totale. ‘Mais tout en condamnant le renversement,
les officiels américains n’ont pas exigé la réinstallation de
Zelaya’, écrit le Times de Los Angeles. » [2]
Nous aborderons plus loin les différences apparentes ou
véritables entre le président Obama et le département d’État,
dirigé par Hillary Clinton. Mais pour l’instant, continuons de
traiter le sujet initial. Le correspondant de l’AP, Nestor
Ikeda, titrait ainsi son article repris le 6 juillet par
plusieurs grands médias internationaux ou états-uniens : « Obama
joue le rôle de l’équilibriste dans le drame hondurien ».
M. Ikeda atteint sa cible en plein cœur lorsqu’il écrit :
« Étant donné qu’Obama avait promis aux gouvernements
sud-américains que nous allions désormais privilégier le
dialogue dans la recherche de solutions diplomatiques, il semble
que pour la première fois, il ait adopté un nouveau rôle face au
coup d’État militaire au Honduras : celui de l’équilibriste. » [3]
Par ailleurs, le numéro du 7 juillet du Christian Science
Monitor annonçait en manchette : « Hilary Clinton sur la
corde raide face au Honduras » pour introduire un article
soulignant que : « L’administration Obama s’est attaquée plus
profondément à la crise au Honduras, mardi, dans la hâte que se
résolve le dernier conflit de l’hémisphère sud. Cependant, elle
a bien pris garde de ne pas apparaître comme la puissance
hégémonique d’antan qui imposait sa volonté à ses plus petits
voisins. » [4]
Dans le même ordre d’idée, le magazine Time écrivait
le 8 juillet que : « Depuis le coup d’État, la Maison-Blanche a
dû manœuvrer délicatement pour cultiver une nouvelle image moins
interventionniste des États-Unis —qui ont trop souvent appuyé
les coups d’État en Amérique latine— tout en « répondant aux
désirs de l’hémisphère occidental qui leur demande d’être au
premier plan dans la défense des normes démocratiques », affirme
Vicki Grass, associée dirigeante pour les droits et le
développement au Bureau indépendant sur l’Amérique latine à
Washington. » [5]
Le dilemme auquel Washington fait face avait été prévu par le
sympathisant médiatique le plus endurci du régime issu du coup
d’État, soit le El Heraldo du Honduras. En effet, le 19
janvier, après l’inauguration d’Obama, le quotidien constatait :
« Il sait qu’il n’a pas le droit de décevoir ses partisans. »
[…] Parlant de son discours inaugural, on a rapporté que « Ce
sera comme si Obama marchait sur la corde raide ». Cela
concernait la crise économique, mais pourrait également
s’appliquer à la situation internationale. [6]
Le journal El Heraldo savait que l’oligarchie devait
faire basculer l’équilibre en sa propre faveur.
Quels sont les deux côtés en bas de
cette corde raide ?
Dans l’important discours prononcé par Hillary Clinton, le 15
juillet, au Council on Foreign Relations, elle affirmait que :
« […] La question qui se pose est non pas de savoir si notre
pays peut ou doit donner l’exemple, mais comment il le fera au
XXIe siècle. Les idéologies rigides et les vieilles formules
n’ont pas lieu d’être. Nous avons besoin de considérer [les
choses] sous un angle entièrement nouveau […] À ces ennemis
actuels et éventuels, permettez-moi de dire que l’importance que
nous accordons à la diplomatie et au développement ne remplace
pas notre arsenal sécuritaire national. Notre volonté de
dialogue n’est pas un signe de faiblesse à exploiter. Nous
n’hésiterons pas à défendre vigoureusement nos alliés, nos
intérêts et, avant tout, notre peuple, en ayant recours si
besoin est à la plus puissante armée du monde. Ce n’est ni une
solution que nous rechercherons ni une menace ; c’est une
promesse faite à tous les États-uniens. […] [Sur la question du
financement accru à USAID] De même que nous ne refuserions pas
des munitions à des soldats US en route pour le champ de
bataille, nous ne pouvons pas déployer notre personnel civil sur
le terrain sans l’équipement nécessaire. […] Pour instaurer un
système de coopération mondiale, nous devons définir des mesures
adéquates et nous servir d’outils adéquats. Je fais souvent
référence à la notion de « pouvoir intelligent » (smart power)
car elle est au cœur même de nos réflexions et de nos processus
de décision. Elle se définit par l’usage intelligent de tous les
moyens à notre disposition, y compris notre capacité à
rassembler et à nouer des liens. Elle se définit par notre
puissance économique et militaire ; notre capacité à créer des
entreprises et à innover ; et les qualifications et la
crédibilité de notre nouveau président et de son équipe. Cette
notion consiste également à faire preuve d’un bon sens
traditionnel lors de la formulation de la politique. Elle allie
à la fois principes et pragmatisme. […] » [7]
À présent, prenons note de certaines notions dont
l’équilibriste doit tenir compte pour réussir son numéro :
1.
Washington sera le leader du monde, tel que l’avait formulé mot
à mot le président Bush. Le problème, toutefois, c’est que
l’orientation de sa politique étrangère s’est avérée un échec,
et par conséquent, a menacé l’objectif états-unien de domination
et de contrôle. Alors comment doit-on gouverner sans laisser
transparaître que nos politiques ne font qu’imiter celles de
l’époque de Bush ? C’est ici qu’Hillary Clinton intervient pour
affirmer qu’il faut une nouvelle façon de voir les choses (mindset).
2.
Washington souhaite employer la diplomatie, c’est-à-dire
favoriser les pourparlers et inviter les autres pays à
dialoguer. En même temps, l’autre côté de la corde raide —que
Washington doit éviter— comprend en outre le recours à la force.
Mais qu’y a-t-il de nouveau dans cette façon de voir les choses
(mindset) ? Mme Clinton prévient ses interlocuteurs que
la volonté états-unienne de parlementer n’exclut pas
« vigoureusement […] et lorsque nécessaire, [le recours à]
l’armée la plus puissante au monde. » En tenant compte de la
situation actuelle au Honduras, quelle place et quelle
importance tiennent réellement ces intentions pacifiques en
regard du recours à la force militaire ?
3.
« Un mélange de principes et de pragmatisme ». Le principe
prédominant, on le suppose, est que les États-Unis doivent
« continuer de prendre les devants » (mais avec succès,
c’est-à-dire sans provoquer la hargne des peuples et des
gouvernements du monde à leur endroit). Le pragmatisme dont il
est question signifie sans doute le besoin d’éviter un recours
injuste à l’armée aux dépens des propositions de paix, comme
cela se passait à l’époque de Bush et des autres administrations
avant la sienne. Cela s’avère un véritable défi lorsque l’on
considère, d’une part, l’opposition pacifique et continue du
peuple hondurien et de son président légitime Manuel Zelaya, et
d’autre part, les instigateurs du coup d’État, lequel est à
présent doublé d’une répression brutale soutenue par la base
militaire états-unien au Honduras. La lutte constante et
courageuse du peuple hondurien pour mettre fin au régime issu du
coup d’État peut mettre en péril le numéro des équilibristes les
plus expérimentés, tels qu’on les retrouve à Washington.
Examinons, si vous le voulez bien, la façon dont le
Département d’État tente de composer avec la situation, puisque
cela comporte plusieurs leçons pour les populations de
l’Amérique du Sud.
Le numéro d’équilibriste du
département d’État
Le 28 juin, la journée du coup d’État, Hillary Clinton
affirmait : « Les gestes perpétrés contre le président hondurien
Mel Zelaya violent les préceptes de la
Charte démocratique interaméricaine et par conséquent,
devraient être condamnés à l’unanimité. Nous exhortons toutes
les parties au Honduras à respecter l’ordre constitutionnel et
la primauté du droit, à réaffirmer leur vocation démocratique et
à s’engager à résoudre les conflits politiques de façon
paisible, à travers le dialogue. Le Honduras doit embrasser les
principes mêmes de la démocratie que nous avons réaffirmés lors
de l’assemblée de l’OEA, laquelle s’est déroulée au Honduras il
y a moins d’un mois. » [8]
Le département d’État a refusé de dire qu’il s’agissait d’un
coup d’État, et il ne fait aucune mention du violent enlèvement
et de l’expulsion forcée dont le président Zelaya a été victime,
réduisant tout cela au simple terme « gestes ». Puis, il
poursuit son délicat numéro d’équilibriste en plaçant les
putschistes et le gouvernement Zelaya, élu
constitutionnellement, sur un pied d’égalité : « Nous exhortons
toutes les parties au Honduras […] à résoudre les conflits
politiques de façon paisible et à travers le dialogue. » Si l’on
pense que les États-Unis savaient que quelque chose se tramait
avant même que se produise le coup d’État du 28 juin, alors
qu’en est-il du pragmatisme « peace and love » dont parle
Hillary Clinton ? Ou encore, se peut-il que les États-Unis aient
effectivement été impliqués dans le coup d’État ? Le principe du
recours à la force armée revendiqué par Hillary Clinton, tel que
citée plus haut dans son discours au Council on Foreign
Relations, pourrait très bien vouloir dire que les États-Unis
l’utiliseront pour freiner la tendance montante des
gouvernements et des peuples d’Amérique du Sud à bâtir leurs
propre avenir anti-néolibéral et à s’opposer à la domination
états-unienne chez eux. [9]
Le lendemain, 29 juin, Mme Clinton a déclaré : « Les
États-Unis ont travaillé avec nos partenaires de l’OEA afin de
créer un fort consensus pour condamner la détention et
l’expulsion du Président Zelaya et pour demander la restauration
totale de l’ordre démocratique au Honduras. Notre priorité
immédiate est de rétablir complètement l’ordre démocratique et
constitutionnel de ce pays.
Selon moi, la sagesse de notre approche fut évidente, hier,
lorsque nous nous sommes fondés sur l’OEA et sur la
Charte démocratique interaméricaine pour réagir au coup
d’État. » [10]
Mme Clinton se tournait-elle davantage du côté de la
diplomatie, distançant le département d’État des instigateurs du
coup d’État appuyés par l’armée ? Après tout, elle affirme
« condamner la détention et l’expulsion du président Zelaya ».
Néanmoins, afin de prendre part à la résolution ferme de l’OEA [11]
contre le coup d’État et pour le rétablissement de Zelaya dans
ses fonctions légitimes de président, les États-Unis ont dû
faire quelques concessions. Il est à noter que Mme Clinton ne
parle pas du retour de Zelaya chez lui, mais qu’elle évoque
plutôt, de manière générale, « la restauration totale de l’ordre
démocratique au Honduras ».
C’est ainsi que le porte-parole du département d’État, Ian
Kelly, a dû monter à son tour sur la corde raide. Tout juste
après que Mme Clinton eût fait la déclaration rapportée
ci-dessus, le 29 juin, il a répondu aux questions des
journalistes sur le Honduras lors du point de presse habituel
qui se déroule presque tous les jours sur différents sujets.
Selon les extraits cités dans la transcription suivante, il
semble évident que les États-Unis ont dû adhérer à l’orientation
de l’OEA afin de sauver la face —et de combiner principes et
pragmatisme, comme le dirait Hillary Clinton—. Cela semblait
avoir été fait à contrecœur, tel que le reflètent les réponses
de M. Kelly (les États-unis ont « adhéré » à la résolution de
l’OEA). L’échange transcrit plus bas révèle un autre sujet de
prédilection, soit la première d’une longue série de questions
de journalistes et de réponses ambigües fournies par le
département d’État. Cet échange s’est étendu sur une période de
six semaines. De quel enjeu fut-il question pendant tout ce
temps ? Réponse : déterminer si les États-Unis jugeaient qu’il
s’agit effectivement d’un coup d’État militaire au regard des
normes juridiques. Ce jugement aurait signifié la suspension de
toute l’aide militaire et autres formes de secours à leurs
alliés au Honduras.
Ian Kelly (© Xinhua)
« — Question : Donc, Ian —je suis désolé, c’est seulement
pour confirmer— donc vous ne dites pas qu’il s’agit d’un coup
d’État, c’est bien cela ?
— M. Kelly : Eh bien je crois que vous avez tous entendu la
déclaration de l’OEA hier soir, affirmant qu’il s’agissait bien
d’un coup d’État, et que vous avez entendu ce que vient
d’affirmer la Secrétaire d’État. Ceci étant dit, nous sommes
très conscients des détails de la loi états-unienne à ce sujet.
Nous vous reparlerons donc plus tard de la question de la
définition légale. Vous comprenez, je ne voudrais pas
nécessairement inventer de politiques au moment où l’on se
parle.
— Question : Puis-je poursuivre là-dessus ? Car enfin, je ne
comprends pas vraiment ce que vous souhaitez au juste, puisque
vous ne réclamez pas la restauration. Soit, vous demandez que
celle-ci se fasse selon l’ordre démocratique de la constitution,
mais vous ne demandez pas à ce que le président —qui est à votre
avis le président élu démocratiquement— puisse rentrer au pays.
Ainsi, est-ce que vous…
— M. Kelly : Oui, nous le demandons.
— Question : – La Secrétaire Hilary Clinton vient tout juste de
dire – non, la Secrétaire vient tout juste de dire qu’elle ne
sait pas ce que réclament les États-Unis…
— M. Kelly : Nous – que dis-je, nous avons souscrit à la
déclaration très ferme du Conseil permanent de l’OEA qui exige
que le Président Zelaya soit rétabli dans ses fonctions de
Président légitime. » [12]
Le lendemain, 30 juin, Ian Kelly dût affronter les
journalistes au sujet de la même question, à savoir si les
États-Unis jugeaient qu’un coup d’État avait été perpétré au
Honduras en vertu de la loi.
« — Question : Honduras.
— M. Kelly : Elise, oui.
— Question : Pourriez-vous nous parler de la révision de l’aide
accordée au Honduras à la suite du coup d’État – du président
Zelaya ?
— M. Kelly : Oui. Comme nous en avons discuté hier, il existe
une disposition dans la section –il s’agit de la section 7008,
je crois- de la loi sur les opérations étrangères qui nous
oblige à faire une évaluation légale des faits sur le terrain
afin de déterminer si la disposition sur la suspension des fonds
s’applique aux circonstances en question. Ce processus se
déroule au moment où l’on se parle dans notre Bureau du
conseiller juridique.
— Question : - - sans vouloir être simpliste – et je comprends
qu’il y ait des questions légales à respecter – mais si vous
êtes témoin qu’un Président a été évincé et que des troupes sont
au pouvoir sans avoir été élues de façon constitutionnelle, je
me – […]
— M. Kelly : Eh bien, oui.
— Question : - - me demande ce qu’il peut y avoir de compliqué
là-dedans.
— M. Kelly : Eh bien, d’accord. Vous avez entendu ce qu’a dit la
Secrétaire, hier. Elle a dit qu’il s’agissait d’un coup d’État.
— Question : Oui, mais –
— M. Kelly : Le président a dit que c’était un coup d’État.
— Question : D’accord.
— M. Kelly : Nous sommes témoins de certains faits, bien sûr, et
ceux-ci nous disent que l’ordre constitutionnel au Honduras a
été renversé. Mais il y a également un – il y a un processus à
suivre, et nous le suivons présentement. Et c’est une question
légale. Et comme vous le savez tous, lorsque l’on – lorsqu’il
s’agit de questions légales, il est préférable de consulter ses
avocats, c’est donc ce que nous faisons. [….]
— M. Kelly : Eh bien je crois que notre message sera le même que
celui que nous avons exprimé publiquement, c’est-à-dire, ce que
la Secrétaire Hillary Clinton a affirmé hier et ce que le
président Obama a dit – que nous croyons que le président Zelaya
est le président constitutionnel du Honduras élu
démocratiquement, et qu’il devrait pouvoir terminer son mandat.
En outre, nous adhérons de très près aux procédures de
l’Organisation des États américains, et nous croyons que ce qui
s’est produit au Honduras ne respecte pas les principes de la
Charte interaméricaine, et que nous devons nous attaquer à cela
de façon multilatérale. Entre-temps, à l’ONU, il y a d’autres
événements qui se précipitent. Ainsi, je crois qu’il s’agit là
d’une occasion de manifester notre soutien au président élu
présidentiellement – pardon, je voulais dire démocratiquement –
au Honduras, et également de lui parler de la façon dont nous
nous sommes coordonnés avec nos alliés, dont certains se
trouvent à l’OEA.
— Question : Croyez-vous que ce soit une bonne idée qu’il rentre
au pays jeudi comme il souhaite le faire ?
— M. Kelly : Je ne vais pas – je vais seulement – je crois que
c’est une bonne idée qu’il soit rétabli dans ses fonctions de
président du Honduras.
— Question : Les États-unis sont-ils prêts à lui fournir des
mesures de sécurité s’il retourne au Honduras jeudi ?
— M. Kelly : Voilà une question à laquelle je ne suis tout
simplement pas prêt à répondre, en fait.
Oui, Jill.
— Question : Oui, Ian, pour en revenir au sujet – je regrette,
mais je crois devoir te poser une autre question légale.
— M. Kelly : Oui.
— Question : Mais seulement – vous dites constitutionnel – vous
les connaissez, les faits. L’ordre constitutionnel a été
renversé.
— M. Kelly : En effet.
— Question : D’accord. Alors est-ce cela l’élément déclencheur ?
Est-ce suffisant pour suspendre l’aide ? Parce qu’ensuite, vous
avez dit qu’il y aurait un processus légal à suivre.
— M. Kelly : Oui.
— Question : En d’autres termes, avez-vous défini – est-ce
l’élément déclencheur que nous avons – vous savez, renverser
l’ordre constitutionnel, par conséquent, nous avons le droit de
suspendre notre aide ?
— M. Kelly : Eh bien, nous – comme je le disais, il y a un
processus. Nous voulons nous assurer que M. Harold Koh, le
Conseiller juridique au département d’État nouvellement entré en
fonction, ainsi que son équipe, ait eu le temps voulu de prendre
une décision à ce sujet.
— Question : D’accord. Ainsi - -
— M. Kelly : Voilà donc ce qui se passe maintenant.
— Question : D’accord. Donc, ce n’est pas suffisant pour
suspendre l’aide ? Le renversement de l’ordre constitutionnel
n’est pas suffisant sur le plan légal pour que vous puissiez
suspendre votre aide ?
— M. Kelly : Nous avons besoin que nos experts juridiques
consultent la loi, constatent les faits sur le terrain et qu’ils
prennent une décision.
— Question : Et combien de temps cela prendra-t-il ?
— M. Kelly : Oh, ce ne sera pas long. Je ne peux vous dire avec
exactitude combien de temps cela prendra, mais je présume que ce
ne sera pas très long. » [13]
Encore une fois, on peut observer que M. Kelly retarde son
engagement à émettre un quelconque jugement pour déterminer s’il
s’agit oui ou non d’un coup d’État selon la perspective et les
lois états-uniennes. Pour l’armée, qui se consacrait (et se
consacre encore), tous les jours, à réprimer la résistance
montante et à entraver son avancée au Honduras, cela se traduit
par du temps supplémentaire et la possibilité quotidienne de se
régénérer. L’armée et la police s’efforçaient et s’efforcent
toujours, par tous les moyens, de dissimuler et d’entraver
sérieusement la couverture médiatique locale et internationale
concernant la situation véritable qui se déroule au Honduras.
M. Kelly tente également de dévier l’attention portée sur la
responsabilité états-unienne en s’empressant d’insister sur le
besoin de diplomatie et de médiation par l’OEA. Vous
remarquerez, ci-dessus, ce qu’affirme M. Kelly : « nous nous
sommes coordonnés avec nos alliés, dont certains se trouvent à
l’OEA ». Cela soulève la question à savoir qui sont les alliés
de Washington ? Le Costa Rica, La Colombie, le Canada ? D’une
part, les États-Unis louangent l’OEA, mais du même souffle, ils
se réservent le droit de négocier de manière bilatérale avec
certains gouvernements de leur choix. Washington a besoin de
temps pour s’organiser avec ses alliés, et pour donner le feu
vert aux putschistes afin qu’ils puissent faire de même avec
l’oligarchie de droite de l’Amérique du Sud et de Miami. Cela
représente une tentative à peine voilée de diviser les forces au
sein de l’OEA. La résolution juste et bonne de l’OEA ne devient
plus qu’une opération de camouflage qui sert à n’importe quoi
sauf à la réinstallation du président Zelaya.
M. Kelly a également refusé de répondre à la question à
savoir si les États-Unis allaient fournir des mesures de
sécurité au président Zelaya s’il essayait de revenir chez lui.
Ce numéro d’équilibriste est très révélateur, parce que lorsque
M. Zelaya a déclaré publiquement qu’il allait effectivement
tenter de rentrer chez lui par voie terrestre, le 24 juin, en
passant par la frontière du Nicaragua, les États-Unis ont tenté
de persuader M. Zelaya du contraire avec la dernière énergie,
comme on le verra plus bas. Cela fut fait de manière à ce que
tout incident qui puisse découler du retour de Zelaya soit perçu
comme étant sa faute par les États-Unis. Cette position est la
même que celle revendiquée par les instigateurs du coup d’État.
Lors du point de presse suivant, soit le 1er juillet,
M. Kelly, répondant à la même question – à savoir quand les
États-Unis auraient finalement déterminé s’il s’agissait d’un
coup d’État au regard de la loi – M Kelly, donc, a déclaré qu’il
ne pourrait acquiescer à aucun « adverbe de temps ». Il a
d’ailleurs ajouté – ce qui semble être une excuse pour des
délais ultérieurs – que les États-Unis prennent « [leurs]
obligations légales très au sérieux ». C’est tout de même
curieux de voir que la loi portant sur les résolutions adoptées
par l’OEA ne semble pas relever du fait de prendre « [leurs]
obligations légales très au sérieux. »
« — Question : Pour commencer avec le Honduras : hier,
vous nous avez dit que le Bureau du Conseiller juridique avait
entrepris son examen officiel pour savoir si le gouvernement
états-unien considérait cela comme un coup d’État.
— M. Kelly : Effectivement.
— Question : Et par conséquent, si cela entraîne la suspension
de l’aide.
— M. Kelly : Oui.
— Question : Avez-vous terminé cet examen ? Vous avez également
dit que vous pensiez que ce ne serait pas long.
— M. Kelly : Oui.
— Question : Est-ce terminé, et avez-vous pris une décision ?
— M. Kelly : Oui. Il est toujours risqué d’adjoindre un adverbe
de temps, peu importe lequel, à une quelconque déclaration. En
fait, nous n’avons pas fini d’étudier la question. Néanmoins,
comme je l’ai dit hier, nos conseillers juridiques sont
présentement en train d’évaluer activement les faits et la loi
en question, que nous prenons très au sérieux. Nous prenons nos
obligations légales très au sérieux. Et puis, bien évidemment,
je vous en informerait sitôt que cette décision sera prise. » [14]
Voici maintenant en quoi consistait la partie du point de
presse du 2 juillet portant sur le Honduras, en réponse aux
questions du même journaliste :
« — M. Kelly : Eh bien, évidemment, notre objectif est la
restauration constitutionnelle – de l’ordre constitutionnel à
Tegucigalpa, ce qui veut dire la réinstallation du président
Zelaya. Un processus mené par l’OEA est en cours actuellement.
Nous croyons qu’il faudrait permettre à ce processus de se
dérouler pleinement, et nous aurions tendance à dissuader qui
que ce soit de poser des gestes pouvant entraver le déroulement
de ce processus jusqu’au résultat souhaité, c’est-à-dire,
évidemment, la réinstallation de Mel Zelaya au pouvoir.
— Question : Donc – simplement pour clarifier – êtes-vous en
train de sous-entendre que son retour prématuré puisse être une
entrave ?
— M. Kelly : C’est possible. Je pense que ce sur quoi nous
devrions tous nous concentrer présentement, c’est la mission de
l’OEA mandatée par son Assemblée générale extraordinaire.
Évidemment, je ne peux parler au nom du président Zelaya, mais
je crois comprendre qu’il ait prévu de retarder son retour au
pays.
— Question : Avez-vous des nouvelles concernant la révision de
l’aide accordée au Honduras et de la possibilité qu’elle soit
suspendue ?
— M. Kelly : Oui, j’ai effectivement une mise à jour pour vous
là-dessus, si vous voulez bien m’accorder quelques instants. La
révision légale a présentement cours. Nous sommes en train
d’essayer de trancher pour déterminer si la section 7008 de la
Loi sur l’assistance aux pays étrangers doit être appliquée.
Entre-temps, nous avons pris des mesures pour interrompre,
comment dire, les programmes d’assistance que nous serions tenus
par la loi de suspendre si effectivement l’on considère – si les
événements du 28 juin sont considérés comme, tels que définis –
ça y est, je commence à avoir l’air d’un avocat – tels que
définis dans la section 7008 de la Loi sur l’assistance aux pays
étrangers, s’ils sont définis comme étant un coup d’État. » [15]
Et tandis que cela se déroule à Washington, la répression
contre la résistance héroïque du peuple hondurien se poursuit
sans relâche.
Était-ce un coup d’État militaire ou
non ? Le Département d’État a-t-il pris une décision ?
Pas encore ! Le 6 juillet, le numéro d’équilibriste se
poursuivait ainsi :
« — Question : D’accord. Mais avez-vous pris une décision
quant à – une décision à savoir s’il s’agit en effet d’un coup
d’État militaire, et si par conséquent l’aide fournie par les
États-Unis devrait être suspendue ?
— M. Kelly : Eh bien, comme je l’ai dit jeudi, nous avons décidé
que toute aide suspendue en vertu de cette loi – qu’aucune aide
de cet ordre ne doit parvenir actuellement au régime de facto.
Nous sommes encore plongés dans le processus qui déterminera si
cette loi s’applique. Néanmoins, nous préférons nous abstenir de
prendre une décision statutaire pendant que ces initiatives
diplomatiques sont en cours.
— M. Kelly : Bon, voici quelques faits. L’un d’eux est qu’il y a
– la plupart de nos activités sont exclues en vertu de cette
section spécifique de la loi, et il s’agit de l’aide humanitaire
et de l’aide fournie pour soutenir les programmes qui visent à
établir la démocratie.
Les fonds que nous avons décidé de couper sont ceux versés aux
programmes qui pourraient être considérés comme ayant –
directement aidé le gouvernement ou le – ce que nous appelons le
régime de facto au Honduras. Il s’agit d’un processus compliqué,
mais nous admettons que nous pourrions décider de suspendre
notre aide, et c’est pourquoi tous les programmes qui pourraient
être considérés comme un soutien au gouvernement ont été –
aucune de cette aide n’est en route actuellement. » [16]
Il est à noter que M. Kelly s’inquiète de ce que l’aide
envoyée au régime de facto soit « considérée » comme un soutien
au gouvernement ; il utilise d’ailleurs ce terme deux fois dans
le même paragraphe. Cela me rappelle l’importante déclaration de
principe que Mme Clinton a faite le 15 juillet, tel que
rapportée plus haut, alors qu’elle évoquait « les compétences et
la crédibilité de notre nouveau président et de son équipe. […]
cela signifie également se servir du bon vieux sens commun dans
l’élaboration de nos politiques. Bref, c’est un mélange de
principes et de pragmatisme […] » Ainsi, ce qui semble
préoccuper le département d’État en tout premier lieu, c’est de
rebâtir l’image et la crédibilité des États-Unis, tandis que
ceux-ci tentent de « prendre les devants » d’une manière
nouvelle et efficace. Accorder temps et soutien au régime de
facto contribue au principe énoncé plus haut sur l’objectif
impérialiste de domination états-unienne, ou comme on le dit à
Washington, « prendre les devants ». Cette intention est censée
se mêler au pragmatisme : dans le cas du Honduras, cela veut
dire s’abstenir d’appuyer effrontément le régime soutenu par
l’armée, comme cela aurait été le cas avec les politiques de
Bush, lesquelles n’ont fait que contribuer à encourager les
grands mouvements de masse latino-américains contre
l’impérialisme états-unien et les politiques néolibérales. La
défaite rapide du coup d’État contre Chavez organisé par les
États-Unis ne fait que démontrer à son tour la futilité de ces
politiques, que Washington essaie maintenant d’éviter. Et c’est
en dissimulant la véritable cible des États-Unis sous des
notions de dialogue et de diplomatie que ce pragmatisme se
manifeste.
La portée de cet article ne me permet pas d’aborder certaines
notions ou niveaux juridiques subtils quant aux différentes
formes d’aide fournies par les États-Unis, entre autres dans le
cadre de la « promotion de la démocratie », dans les domaines
militaire, économique, humanitaire. Je me limiterai ici à
traiter de la politique états-unienne actuelle, qui consiste à
ne pas vouloir se prononcer clairement sur la nature juridique
du coup d’État. Quelles seraient, pour les politiques
états-uniennes relatives au Honduras, les conséquences d’une
définition juridique claire du coup d’État comme étant un coup
d’État militaire ? Les deux plus récents articles d’Eva Golinger
fournissent des révélations et des analyses détaillées sur les
différentes formes de l’aide états-unienne [17] :
Dans le point de presse du 7 juillet, M. Kelly a répondu à
une question concernant le rétablissement de M. Zelaya dans ses
fonctions de Président :
« — M. Kelly : Oui. Eh bien, je crois – si vous regardez
le
discours du président Obama à Moscou aujourd’hui, ce qu’il a
dit, c’est que nous avions été témoins d’une situation où un
président élu démocratiquement a été renversé et forcé à
s’exiler. Et nous voulons adhérer au principe voulant que l’on
ne puisse traiter ce genre de conflits sans égard à la
constitution. Voilà le principe que nous souhaitons voir
respecter. Nous voulons voir le – cet ordre démocratique et
constitutionnel restauré.
— Question : Il semble que vous ayez ouvert la porte à une autre
solution en devançant probablement les élections - -
— M. Kelly : À présent, c’est ce qu’on va voir. C’est-à-dire,
maintenant – c’est-à-dire que nous soutenons depuis le début que
(a) nous voulons que ces conflits soient résolus à travers le
dialogue et (b) nous avons perçu cela comme un problème pour
l’Organisation des États Américains et pour le – pour le forum
du Forum Interaméricain. À présent, un processus remarquable est
en cours où le président du Costa Rica joue le rôle de
médiateur. Évidemment, ce processus ne fait que commencer. Et
comme l’a dit la Secrétaire, nous ne voulons pas présumer de la
façon dont il se déroulera, mais à présent, un dialogue a été
établi. » [18]
M. Kelly veut que la médiation du président du Costa Rica,
M. Arias, puisse « se dérouler pleinement » pendant qu’au
Honduras, la lutte se poursuit entre le régime militaire et la
Résistance populaire. Il semble que le département d’État
souhaite vivement que la Résistance du peuple hondurien
s’estompe avec le temps. Néanmoins, au moment d’écrire ces
lignes, on ne trouve aucun signe de découragement en dépit de la
répression et des conditions extrêmement difficiles.
Le 10 juillet, en réponse aux journalistes, le secrétaire
d’État adjoint, M. Philip J. Crowley, a affirmé que les « […]
négociations [menée par Arias] sont le meilleur moyen de
résoudre la crise de manière pacifique […] » [19].
Ce n’est que lorsqu’un journaliste a insisté pour savoir si cela
supposait le retour de Zelaya au pouvoir que Crowley a confirmé
ceci – à tout le moins verbalement.
Hillary Clinton reçoit
Manuel Zelaya (© State Departement)
La médiation menée par le Président
Arias est-elle un processus états-unien ?
À mesure que la réponse à cette question prenait davantage le
devant de la scène, on a demandé à M. Kelly, le 13 juillet, si
la médiation menée par M. Arias constituait ou non un processus
états-unien.
« — M. Kelly : Oui, eh bien ce n’est pas un processus
américain. C’est un processus où nous mettons tous nos – c’est
un processus mené par le président du Costa Rica, Oscar Arias,
auquel nous donnons tout notre appui. Et…
— Question : À mes yeux, cela ressemble drôlement à un processus
américain. (Rires)
— M. Kelly : Nous appuyons ce processus mené par Arias. Il n’est
pas américain ce…
— Question : Quel pays se trouve dans quelle partie du monde ?
— M. Kelly : Ce n’est pas un processus qui est mené par les
États-Unis d’Amérique. (Rires) Et devons simplement donner –
nous devons donner le temps à ce processus de fonctionner. Et je
vais simplement – nous – nous allons – comme je le disais, nous
appuyons fermement le président Arias. Vers la fin de la semaine
dernière, il a dit qu’il s’attendait à s’asseoir de nouveau avec
les deux parties, et j’espère qu’il s’agira du type de
propositions dont les deux protagonistes seront prêts à
discuter. » [20]
Puis, le 14 juillet :
« —Question : Le président Zelaya a donné un – ce que les
gens ont appelé un ultimatum. Il affirme que si les pourparlers
dont le président Arias est le médiateur ne le réinstallent pas
ou ne le remettent pas au pouvoir lors de la prochaine session,
qu’ils auront échoué et que d’autres mesures pourraient devoir –
d’autres mesures devront être adoptées.
— M. Kelly : Oui.
— Question : Quel – est-ce là la position qu’ont adoptée les
États-Unis ?
— M. Kelly : Eh bien, je pense que vous savez quelle est notre
position – qui est que nous croyons que tous les intervenants
dans ces pourparlers devraient donner du temps à ce processus,
ne pas donner de dates butoir artificielles, ne pas faire de –
ne pas dire que si un résultat « x » ne se produit pas dans tel
délai, que les pourparlers seront clos. Nous devons laisser ce
processus faire ses preuves et appuyer le travail du président
Arias.
— Question : Alors, allez-vous considérer qu’ils ont échoué si
la prochaine session ne provoque pas le retour de Zelaya ?
— M. Kelly : Eh bien écoutez, comme je viens de le dire, nous ne
voulons pas fixer de date butoir artificielle.
— Question : Alors, voilà qui est – êtes-vous en train de nous
dire que la réponse est « non », que vous n’êtes pas d’accord
avec Zelaya quand il dit qu’il s’agira d’un échec s’ils - -
— M. Kelly : Je crois que nous devrions donner une chance au
Président Arias […] » [21]
L’équilibriste change, mais la
précarité demeure
Le 17 juillet, M. Robert Wood, un autre porte-parole du
département d’État, s’adressait ainsi aux journalistes :
« — M. Wood : Et puis écoutez, les pourparlers de paix
dirigés par Arias n’ont pas été – voyez-vous, cette initiative
est récente. Nous devons lui donner du temps. Comme je l’ai déjà
dit, il s’est engagé dans ce processus, nous le sommes aussi, et
d’autres dans l’hémisphère occidental le sont. Nous devons
donner la chance à [ce processus] de faire ses preuves. Nous
devons lui permettre d’évoluer. Ainsi, nous allons continuer
d’encourager les intervenants à l’appuyer dans ce processus,
parce que nous croyons que c’est la meilleure manière de revenir
au point où nous voulions nous trouver. _ Warren. _ — Question :
Pour poursuivre là-dessus, le gouvernement états-unien a-t-il
spécifiquement demandé au président Zelaya, ou l’a-t-il exhorté
à ne pas faire une autre tentative contestée de revenir au
Honduras ?
— M. Wood : Je ne voudrais pas aborder des discussions que nous
pourrions avoir eues ou ne pas avoir eues avec le président
Zelaya sur une foule de sujets. Disons simplement que nous ne
voulons pas – comme je l’ai dit plus tôt, nous ne voulons pas
que quiconque prenne de mesures qui puissent entrer en conflit,
de quelque manière que ce soit, ou ne pas contribuer de manière
bénéfique au processus de médiation.
— Question : Donc, son retour ne serait pas bénéfique ? Est-ce
ce que vous dites ?
— M. Wood : Je n’ai rien à ajouter à ce que je viens de vous
dire […] » [22]
Qu’est-ce que Hillary Clinton a dit à
Micheletti ?
L’armée hondurienne protège le
putschiste Micheletti
(© Getty Images, photo transmise par l’auteur)
Revenons à M. Crowley, lors du 20 juillet :
« — M. Crowley : Et hier, depuis New Delhi, la Secrétaire
a eu une conversation téléphonique avec le leader du régime de
facto, M. Micheletti. Et elle a exposé durant cet appel – l’a
encouragé à continuer de se concentrer sur ces négociations, et
l’a également aidé à comprendre les conséquences qui pourraient
s’ensuivre s’il laissait passer cette occasion de médiation.
— Question : En fait, c’est la première fois qu’elle – que qui
que ce soit, je crois, parle à Micheletti ?
— M. Crowley : Voilà une bonne question. Je ne – nous avons été
en contact avec des représentants des deux parties, mais de
toute évidence, c’est là son premier contact avec lui.
— Question : Donc ce n’était pas concernant…
— Question : Avez-vous une transcription qui démontre son niveau
de fermeté dans sa conversation avec Micheletti ?
— M. Crowley : Je crois qu’elle… […]
— Question : …a-t-elle signifié très clairement à M. Micheletti
que les États-Unis ne reconnaissent pas le gouvernement de
facto, et que peu importe ses objections durant les pourparlers
de ce week-end, il devra se préparer à se retirer afin de
laisser le président élu reprendre sa place ?
— M. Crowley : Je crois que cet appel téléphonique a été très
ferme. Néanmoins, je pense qu’il a été – elle a clarifié à
savoir si le régime de facto avait besoin qu’on lui rappelle que
nous voulons la restauration de l’ordre démocratique et
constitutionnel, donc une résolution pacifique. Nous croyons que
personne ne devrait prendre la moindre mesure qui puisse attiser
le risque de violence au Honduras, et nous appuyons totalement
la médiation en cours menée par Arias.
— Question : Donc, vous avez prévenu M. Zelaya de rester pour
l’instant au Nicaragua, ou dans le pays qui lui donne refuge, si
cela pourrait faire diminuer les tensions ?
— M. Crowley : Je crois que nous avons aussi signifié clairement
au président Zelaya qu’à notre avis, la médiation est la voie à
suivre.
Oui.
— Question : Pouvez-vous – des mesures plus sévères, des
déclarations que vous êtes prêts à faire s’ils – le régime de
facto ne change pas sa conduite…
— M. Crowley : Vous savez, nous disposons d’alternatives s’ils
ne le font pas – également des obligations légales si les
négociations échouent. […]
— Question : P.J., je voudrais simplement clarifier. Vous avez
affirmé avoir dit à Zelaya que la médiation était la voie à
suivre. Mais lui avez-vous dit spécifiquement : « Ne rentrez pas
car c’est dangereux et cela pourrait engendrer des tensions et
de la violence » ?
— M. Crowley : Oui.
— Question : C’est ce que vous lui avez dit, directement ?
— M. Crowley : Oui.
— Question : D’accord. » [23]
Cette conversation téléphonique entre Mme Clinton et
Micheletti n’a pas été divulguée au public. Néanmoins, je crois
que Mme Clinton s’est effectivement montrée très « ferme » face
à son interlocuteur, tel que son porte-parole et secrétaire du
département d’État l’a indiqué plus haut. Mais pourquoi donc ?
Les instigateurs du coup d’État ne peuvent même pas se mettre
d’accord sur une proposition – qui pourtant les favorise
grandement – issue de la médiation, tandis que la résistance se
poursuit dans les rues du Honduras : quelle image cela
donne-t-il de la nouvelle politique étrangère que Washington
voudrait transmettre à travers le globe ? De quoi cela a-t-il
l’air aux yeux de la population états-unienne elle-même, qui a
démontré qu’elle était de plus en plus opposée aux politiques
d’affrontement sur la scène internationale ?
M. Zelaya, pour sa part, n’a pas eu le privilège d’être
averti en privé. Comme le département d’État l’indique plus
haut : « Ne rentrez pas car c’est dangereux et cela pourrait
engendrer des tensions et de la violence. » En affirmant cela
publiquement, ne démontre-t-on pas ouvertement aux putschistes
qu’ils ont le droit de s’en prendre à Zelaya et que Washington
ne lui portera pas secours ? Si nous comparons cela à la
conversation téléphonique secrète avec M. Micheletti,
semble-t-elle aussi ferme que les paroles adressées à M. Zelaya ?
La décision de Washington quant à la classification légale du
coup d’État, en vertu des normes états-uniennes, n’avait pas
encore été prise. Ce jugement éventuel allait déterminer si les
États-Unis suspendraient ou non la totalité de leur aide
militaire et économique, de façon permanente, aussi longtemps
que les instigateurs du coup d’État resteraient au pouvoir,
couperaient toute aide militaire, économique et politique ainsi
que la reconnaissance diplomatique.
Le régime est totalement dépendant des secours états-uniens
de toutes sortes pour assurer sa survie. Au moment du point de
presse mentionné ci-dessus (le 20 juillet), le département
d’État affirmait avoir simplement fait une interruption
temporaire dans le cas de certains programmes. Or, plus tard au
cours de ce même point de presse, en réponse à la question
suivante : « Avez-vous décidé s’il s’agissait d’un coup d’État
sur le plan légal […] » M. Crowley a dit : « non ». [24]
De l’ambigüité au cœur de l’ambigüité ! Cela veut-il dire que
les États-Unis avaient finalement jugé que le coup d’État
n’était pas légal, ou qu’ils n’avaient pas encore pris leur
décision ? En fait, cette clarification n’aura lieu que plus
d’une semaine plus tard, soit le 29 juillet.
Lors du point de presse suivant, le 21 juillet, le
porte-parole adjoint du département d’État, M. Robert Wood, a
répondu à une question en ces termes : « Nous sommes en
contact constant avec un certain nombre de pays de l’hémisphère
au sujet de la situation au Honduras. Et nous croyons que la
médiation menée par Arias constitue la voie à suivre […] »
En réponse à une autre question, à savoir ce que Wood voulait
dire par « agir maintenant », il a affirmé : « ce que je veux
dire par ‘agir maintenant’, c’est que nous disposons d’un
processus que nous avons mis en œuvre et qui est mené par le
président Arias ». [25]
Il semble évident que la médiation contribue à donner du
temps aux États-Unis pour leur permettre de former des alliances
en Amérique du Sud. Celles-ci sont dirigées non seulement contre
Zelaya, mais également contre tous les gouvernements
sud-américains, y compris ceux des Caraïbes, qui persistent à
appuyer son retour inconditionnel, tel que les résolutions de
l’OEA et de
l’ONU l’exigeaient. La situation doit être très frustrante
dans les rues de nombreuses villes du Honduras, où des milliers
de personnes défient l’armée entraînée et parrainée par les
États-Unis : en effet, tandis que le peuple persiste à défendre
ses revendications malgré la violente répression, « agir
maintenant », selon les États-Unis, s’applique uniquement aux
forces sociales qui s’opposent aux instigateurs du coup d’État,
mais ne concerne pas le régime putschiste. Sur la liste des
priorités états-uniennes, les propositions de paix se retrouvent
tout en bas, bien enfouies sous le matériel militaire.
Imprudent, prématuré et téméraire ?
Le lendemain, 23 juillet, en réponse à une autre question
concernant les délais de la médiation, le secrétaire d’État
adjoint, M. Philip Crowley, a affirmé qu’il ne devrait pas y
avoir « d’échéance ». Puis, rétorquant à un autre journaliste
qui voulait savoir si Zelaya prévoyait retourner au Honduras, il
a qualifié ce retour « d’imprudent ». [26]
Le 24 juillet, la lutte s’intensifiait dans les rues du
Honduras ainsi que dans les zones proches de la frontière
nicaraguayenne, où M. Zelaya préparait son retour. Ce jour-là,
la vidéo officielle du département d’État n’a pu dissimuler la
réaction du secrétaire d’État adjoint M. Philip Crowley,
lorsqu’une fois de plus, on lui a posé une question au sujet du
retour de M. Zelaya. La frustration se lisait partout sur son
visage. Il a semblé soupirer d’exaspération, puis, il a serré la
vis un peu plus fort à M. Zelaya et à ses sympathisants,
affirmant maintenant que son retour serait « prématuré ». [27]
Il n’y avait peut-être pas de grande différence entre
« imprudent » et « prématuré », mais la même journée, le 24
juillet, Mme Clinton est apparue dans un point de presse avec le
Premier ministre iraquien Nour al-Maliki, après leur rencontre
au département d’État. Elle a affirmé de son propre chef, sans
qu’il s’agisse d’une réponse à la question d’un journaliste,
qu’elle considérait le retour de Zelaya comme étant «
téméraire » [28].
Il n’y a aucun doute, cela consiste à serrer la vis. Et en
outre, n’est-ce pas là une façon d’encourager M. Micheletti à
prendre une position rude envers Zelaya ? La « fermeté » de
l’appel téléphonique de Mme Clinton devait être bien loin dans
l’esprit de Micheletti lorsqu’il l’a entendue prévenir
publiquement M. Zelaya.
Le duo Clinton- Micheletti
À partir du vendredi 24 jusqu’au dimanche 26 juillet, l’armée
s’est essayée (et dans une certaine mesure, a réussi) à réprimer
par la force brutale le grand mouvement d’appui absolument
indéniable et héroïque du peuple hondurien, qui voulait
accueillir le président Zelaya à la frontière. En dépit de cela,
le lundi 27 juillet, M. Kelly a corroboré l’opinion de
Mme Clinton au sujet du retour de Zelaya, le qualifiant de
« téméraire, effectivement ». Il a également ajouté que le
département d’État appuyait le retour de Zelaya dans la mesure
où ce soit fait « d’un commun accord ». En réponse à une
question concernant la demande de sanctions qu’avait faite M. Zelaya
contre le régime de facto le 27 juillet, M. Kelly a évité la
question en affirmant qu’ils « appuyaient le président
Arias ». [29]
Comment peut-il y avoir un « commun accord » alors que les
putschistes refusent que Zelaya soit rétabli dans ses fonctions
de président, que ce soit par des moyens diplomatiques vagues et
douteux (les propositions du président Arias) ou par un retour
pacifique via la frontière ? Dans le contexte de la situation
tendue qui prévaut le long de la frontière Nicaragua-Honduras,
« appuyer M. Arias » suppose de plus en plus chaque jour que
cette médiation parrainée par les États-Unis est conçue pour
fournir au régime militariste le temps nécessaire pour
s’organiser au niveau national et international. En effet, M. Micheletti
est en train d’établir ses contacts au niveau international, et
entre-temps, il utilise la force brutale contre la population :
le temps joue en faveur du statu quo. Le département d’État, le
président Arias et M. Micheletti font tout ce qu’ils peuvent
pour démoraliser et décourager les mouvements sociaux au pays,
tout en s’efforçant de provoquer des divisions et des désertions
au niveau international.
En parlant de donner du temps au régime de Micheletti, le 27
juillet, le Wall Street Journal lui a fourni l’occasion
d’exprimer son opinion sur sa page éditoriale. Micheletti a
littéralement fait l’éloge du terme « téméraire » choisi par
Mme Clinton pour qualifier le retour de Zelaya, affirmant qu’il
s’agissait là d’un qualificatif « approprié ». Il a poursuivi en
faisant ainsi appel à l’extrême-droite et aux éléments
belliqueux de l’oligarchie états-unienne : « […] plutôt que
d’imposer des sanctions, les États-Unis devraient poursuivre les
sages politiques de Mme Clinton. Elle appuie les efforts du
Président Arias dans sa médiation concernant ces questions. » [30]
Il doit y avoir beaucoup de pression sur la nouvelle
administration à Washington pour maintenir la domination
militaire pro-états-unienne sur le Honduras, peu importe ce
qu’il en coûtera à l’administration Obama. Le Wall Street
Journal témoigne de cette coercition.
Le Wall Street
Journal et la droite états-unienne
Roberto Micheletti
Dans un récent article de l’avocate, auteure
et journaliste états-unienne d’origine vénézuélienne Eva
Golinger, publié dans Cubadebate, elle écrivait que
« Le Wall Street Journal fait partie de l’agence de
presse Dow Jones News Corporation. Son propriétaire est le
puissant multimillionnaire Rupert Murdoch. Celui-ci, grâce au
monopole de News Corporation, contrôle des centaines de
journaux, magazines, chaînes de télévision et stations de radio
à travers le globe. Murdoch est bien connu pour sa chaîne
American Fox News, laquelle favorise la vision impérialiste et
néoconservatrice des États-Unis. Certaines de ses autres
entreprises médiatiques comprennent le National Geographic
Channel, The Film Zone, tous les canaux et studios de FOX, Cine
Canal, MySpace (internet) Harper Collins (édition), New York
Post (quotidien), The Sunday Times (RU), The Sun
(RU), et bien d’autres encore.
Le Wall Street Journal est un quotidien qui jouit d’un
tirage de plus de deux millions d’exemplaires par jour sur
l’échelle mondiale et de 931 000 lecteurs sur internet.
L’éditorial du dictateur Roberto Micheletti a été rédigé et
diffusé par son lobbyiste aux États-Unis, le procureur Lanny
Davis, ami intime et avocat de l’ancien président Bill Clinton
et de son épouse Hillary, la secrétaire d’État du Président
Obama. Le Wall Street Journal a plaidé d’emblée en faveur
du coup d’État au Honduras, et il a même publié une série
d’articles tentant d’accuser le Venezuela et le président Hugo
Chavez d’avoir causé la crise dans ce pays centroaméricain. » [31]
Le réseau de contacts commence à se dévoiler, tel qu’en
témoigne le texte ci-dessus. Il devient de plus en plus
difficile pour le fildefériste de conserver son équilibre.
Inévitablement et sous les yeux de tous, il semble être en train
de basculer du côté de la puissance militaire, aux dépends du
cheval de Troie que représente le « dialogue et la diplomatie »
situé de l’autre côté du fil. Il faudrait tout un acrobate pour
maintenir la position chancelante de cet équilibriste.
« Je n’ai pas encore de mise à jour
là-dessus »
La première fois que les journalistes ont demandé au
département d’État si le coup d’État avait été jugé légal ou
non, c’était le 29 juin, soit le lendemain du renversement
militaire. M. Kelley avait répondu, tel que cité plus haut :
« Je n’ai pas encore de mise à jour là-dessus. » Le 28 juillet –
je répète volontairement – le 28 juillet, c’est-à-dire un mois
plus tard :
« — Question : Et une… une autre sur le Honduras. Je suis
bien conscient que le Bureau du conseiller juridique était à
l’œuvre pour déterminer si les événements au Honduras
correspondaient techniquement à la définition légale d’un coup
d’État, ce qui par conséquent aurait entraîné la suspension de
l’aide – qui a déjà été suspendue, comme je le constate.
— M. Kelley : Oui.
— Question : Avez-vous enfin pris une décision sur cette
question ?
— M. Kelley : Je n’ai pas encore de mise à jour là-dessus.
— M. Kelley : Ian ?
— Question : Cela veut-il dire que vous avez pris votre décision
ou que cet examen achève ?
— M. Kelley : Je – comme je viens de le dire, je vais devoir –
je n’ai pas encore de mise à jour là-dessus. » [32]
Ce qui est encore plus révélateur que les transcriptions,
c’est le langage corporel qu’exhibait M. Kelley et qui est bien
visible sur la vidéo officielle. On aurait dit qu’il s’était
passé une éternité avant qu’il ne donne sa dernière réponse :
« Je – comme je viens de le dire, je vais devoir – je n’ai pas
encore de mise à jour là-dessus ». Il ne cessait de gigoter. Par
ailleurs, les journalistes n’avaient plus de questions. Pas un
seul d’entre eux n’a souligné que le département d’État avait
dit la même chose il y a un mois ! Si ce n’était de la situation
profondément grave et critique que vit le peuple hondurien, et
au demeurant toute l’Amérique du sud dans le contexte historique
du coup d’État, alors le cirque du Département d’État aurait dû
être anéanti sous nos moqueries.
Mais le show continue : est-ce, oui
ou non, un coup militaire ?
Le 1er août :
« — Question : Est-ce que le fait que vous n’avez pas
encore condamné ce gouvernement signifie que vous l’appuyez
d’une façon ou d’une autre ?
— M. Crowley : Pendant environ un mois, nous avons fermement
condamné l’action du régime de facto et le renvoi du président
Zelaya.
— Question : Reconnaissez-vous qu’il s’agissait d’un coup
d’État, d’un coup d’État militaire ?
— M. Crowley : Eh bien, il y a certaines questions juridiques
dans ce cas que nous avons décidé de ne pas traiter à cette
étape. Mais nous avons dit clairement, et sous tous les tons
possibles, que ce qui est arrivé au Honduras constitue une
violation de la Charte de l’OÉA. C’est pour cela que nous avons
pris des mesures contre le Honduras. Il s’agit d’une violation
de la
Charte démocratique interaméricaine, et nous poursuivrons
intensivement nos efforts pour essayer de résoudre cette
situation. » [33]
Le 6 août, un journaliste a insisté sur la question de la
définition juridique à donner au coup d’État :
« — M. Wood : [...] Mais un coup d’État a eu lieu dans ce
pays, et [...]
— Question : Eh bien, vous n’avez pas encore déclaré
officiellement qu’il s’agit, sur le plan juridique, d’un coup
d’État.
— M. Wood : Nous l’avons qualifié de coup d’État. Ce que nous
avons dit c’est que, sur le plan juridique, nous ne pouvons pas
le qualifier comme étant un coup d’État militaire. Une analyse
est toujours en cours.
— Question : Pourquoi faut-il tant de temps pour établir s’il
s’agit ou non d’un coup d’État militaire ?
— M. Wood : Eh bien, regardez, ce cas comporte un grand nombre
de questions juridiques qui doivent être examinées attentivement
avant que nous puissions nous prononcer, et, pour le faire, nous
devons échanger des informations avec un certain nombre de
parties. Nous devons examiner ces informations et prendre la
meilleure décision juridique qui soit possible sur si oui ou
non…
— Question : Cela prend beaucoup de temps, semble-t-il.
— M. Wood : Eh bien, lorsqu’on traite de questions juridiques
aussi délicates, les choses prennent du temps. Nous voulons donc
faire en sorte que…
— Question : Avez-vous pris une décision sur la nécessité
d’imposer des sanctions supplémentaires contre le gouvernement
« de facto » ?
— M. Wood : Aucune décision n’a été prise pour le moment, à part
celle d’appuyer les Accords de San José et le processus de
médiation.
— Question : [...] Ma question était la suivante : avez-vous oui
ou non pris la décision de ne pas imposer de nouvelles sanctions
contre le Honduras ?
— M. Wood : Et ce que je vous réponds c’est que nous nous
concentrons en ce moment sur l’appui à ce processus et que nous
essayons d’obtenir des deux parties qu’elles en viennent à une
sorte d’entente politique. Mais je n’ai rien d’autre à ajouter
sur cette question. » [34]
À ce point, ce que l’on ne peut lire sur la transcription
mais que l’on peut voir très clairement sur la vidéo c’est que
M. Wood était visiblement agacé. Il a interrompu le journaliste
très persistant en pointant du doigt un autre journaliste. Or le
peuple hondurien sait qu’il s’agit d’un coup d’État militaire.
Il est en train d’unir ses forces et de s’organiser davantage
pour intensifier sa lutte contre les militaires et contre la
police. Le peuple est en train de se mobiliser malgré
l’intensification de la répression. Celle-ci est déjà
responsable d’au moins six assassinats, de centaines
d’arrestations et de cas de blessures.
Le même jour, le 6 août, un article de l’agence de presse
Reuters montre que le Département d’État est même allé encore
plus loin :
« ‘Notre position politique et stratégique d’engagement n’est
pas fondée sur un appui quelconque à un politicien ou à une
personne en particulier. Elle est plutôt fondée sur la décision
de mieux servir la population hondurienne et de répondre à ses
aspirations démocratiques’ », a écrit Richard Verma, secrétaire
d’État adjoint aux affaires législatives. « ‘Nous avons rejeté
le recours à des sanctions économiques écrasantes et nous avons
rendu clair que tous les États devaient essayer de contribuer à
l’adoption d’une solution sans recourir à la violence et en
respectant le principe de non-intervention’ » a-t-il
déclaré. La lettre a été obtenue par l’intermédiaire du service
des nouvelles de l’agence Reuters. » [35]
Deux points importants sont à souligner :
1.
En ce qui concerne la soi-disant position d’appui à Zelaya et
d’opposition à Micheletti, le département d’État (voir citation
ci-dessus) celle-ci « n’est pas fondée sur un appui quelconque à
un politicien ou à une personne en particulier ». Cela veut dire
que le département d’État est neutre maintenant ! Mais cela
montre que la position soi-disant si modérée que le département
d’État affirme adopter n’est en vérité pas si modérée. Elle est
en réalité favorable au régime « de facto ». Maintenir le statu
quo signifie appuyer Micheletti.
2.
Quand le représentant du département d’État, Richard Verma,
affirme, ci-dessus, « [...] nous avons rejeté le recours à des
sanctions économiques écrasantes [...] » n’explique-t-il pas
ainsi, sans le vouloir, la raison pour laquelle les États-Unis
d’Amérique n’ont pas qualifié juridiquement le coup d’État comme
étant un coup d’État militaire ?
Barack Obama et Hilary
Clinton (© White House)
Obama : victime ou complice ?
Jusqu’ici, nous avons analysé en profondeur les déclarations
du département d’État et de Mme Clinton, mais nous n’avons rien
dit sur le président Obama. Néanmoins, il est difficile d’éviter
le sujet quand on pense que, jusqu’ici, M. Obama ne s’est
presque pas prononcé sur la question. Depuis le début de la
crise, soit le 28 juin, et au moment d’écrire ces lignes, le
président Obama et son secrétaire de presse ont émis six
commentaires au total :
Le 29 juin, lors d’un point de presse à la Maison-Blanche
avec le président de la Colombie (Uribe), Obama affirme : « Nous
croyons que le coup n’est pas légal et que le président Zelaya
demeure le président du Honduras, le président élu
démocratiquement là-bas. Là-dessus, nous avons rejoint tous les
pays de la région, y compris la Colombie et l’Organisation des
États Américains. » [36]
Le 29 juin, le secrétaire de presse de la Maison-Blanche
Monsieur Robert Gibbs fait son numéro pour les journalistes :
« — Question : […] toujours au sujet du Honduras, pour
essayer de voir clair dans les intentions des États-Unis.
L’administration considère-t-elle le retrait de son ambassadeur,
comme l’ont fait les gouvernements latino-américains de gauche,
ou même la suspension potentielle de son aide ?
— M. Gibbs : Eh bien, encore une fois, je crois qu’il y aura de
cela dans le prochain… dans le cadre des prochaines étapes de
l’évaluation de cette situation. Seulement, pour l’instant, je
préférerais ne pas trop préciser.
— Question : Les États-Unis savaient-ils d’avance ou avaient-ils
entendu dire qu’un coup d’État était prévu ? Avaient-ils pris
des mesures quelconques pour essayer de le bloquer ? Et que
révèle l’incapacité de l’administration à empêcher le coup
d’État sur sa crédibilité en Amérique latine ?
— M. Gibbs : Bon, alors comme je l’ai dit il y a une minute, je
crois que l’administration, notre gouvernement, en collaboration
avec des partenaires, essayaient de prévenir le genre de
troubles que nous avons vu se produire durant les dernières 24
heures. Ils s’y sont penché au cours des quelques derniers
jours. Et nous allons continuer de travailler à restaurer
l’ordre démocratique au Honduras.
— Question : L’administration avait-t-elle prévenu le président
Zelaya que cela se préparait ?
— M. Gibbs : Je n’en sais rien. » [37]
Si l’on considère cet extrait, est-ce vraiment différent du
numéro d’équilibriste du département d’État ?
On ne le dirait pas.
Le 1er juillet, le secrétaire de presse de la Maison-Blanche
répondait aux journalistes :
« — Question : Mais avec le Pentagone qui suspend les
opérations militaires conjointes, à quel point l’effet est-il
considérable et songe-t-on également à prendre d’autres
mesures ?
— M. Gibbs : Eh bien, nous continuons de surveiller la situation
et nous allons réagir de manière appropriée à mesure que les
événements vont se produire. Mais encore une fois, comme je l’ai
déjà dit, nous surveillons de près ce qui se passe. » [38]
Tandis que le département d’État semblait de plus en plus aux
prises avec un scénario vague et incertain concernant le retour
du président Zelaya, le président Obama, en visite à Moscou, a
fait un commentaire sur le Honduras pour répondre à des
questions qu’on lui posait sur le sujet. Ainsi, le 7 juillet, le
correspondant en chef à la Maison-Blanche de la chaîne ABC
M. Jack Tapper, qui n’a pas la réputation d’être conservateur –
et ABC n’étant certes pas aussi à droite que Fox News –,
écrivait de Moscou, d’où il citait le président Obama : « ‘Les
États-Unis appuient dès maintenant la réinstallation du
président du Honduras élu démocratiquement, même s’il s’est
fermement opposé aux politiques américaines […]’ »
M. Tapper, s’appuyant sur sa longue expérience dans le
domaine politique à la Maison-Blanche, écrivait : « Le président
Obama, qu’on a critiqué pour avoir appuyé le « mauvais côté »
lors du récent coup d’État au Honduras, a essayé d’expliquer,
mardi, [7 juillet] son plaidoyer en faveur du président expulsé
Manuel Zelaya […] Mais les conservateurs ont critiqué le
président et blâmé Zelaya pour ce qui lui arrive. » Pour donner
des exemples de la pression exercée par les conservateurs, M. Tapper
a cité les activistes floridiennes de droite anti-Venezuela,
anti-Cuba et des représentantes républicaines au Congrès,
Mmes Ileana Ros-Lehtinen et Connie Mack. [39]
Si nous tenons compte de la déclaration de M. Obama citée
plus haut, alors effectivement, en surface, il semble y avoir un
désaccord sinon un conflit entre le président Obama et le
département d’État. Or, le département d’État est plus
effrontément lié à l’armée et aux forces de droite de l’époque
de Bush (comme nous l’avons vu plus haut à de nombreuses
occasions, et plus récemment dans l’article du Wall Street
Journal de M. Micheletti).
Le 7 août, selon l’agence Reuters, Obama a déclaré aux
journalistes qu’il continuait à appuyer le retour de Zelaya au
pouvoir. Il a cependant ajouté : « ‘Je ne peux appuyer sur un
bouton et rétablir soudain M. Zelaya à son poste’ ». Obama a
dit : « ‘Il est important de noter combien il est ironique que
ceux qui se plaignaient de l’ingérence des États-Unis en
Amérique latine se plaignent maintenant que nous ne nous sommes
pas assez ingérés.’ » [40]
On pourrait, ici aussi, croire que la position du président
diffère beaucoup de celle du département d’État. Alors que le
département d’État a déclaré le 6 août (voir la citation
ci-dessus) que sa politique n’est pas fondée sur un appui
quelconque à un politicien ou à une personne en particulier,
Obama a affirmé le jour suivant, le 7 août, qu’il appuyait
encore le retour de Zelaya au pouvoir. Mais, se servant de son
talent oratoire, Obama a fait allusion aux conditions dans
lesquelles il se trouve en affirmant qu’il ne peut rétablir
Zelaya au pouvoir en appuyant sur un bouton. Veut-il dire qu’il
subit trop de pressions des oligarchies de droite des
États-Unis, de l’Amérique latine et même du département d’État
pour agir ? Ou utilise-t-il tout simplement d’autres mots et
images pour appuyer la politique du département d’État, qui
consiste à gagner du temps et à donner de l’oxygène au
gouvernement de facto pour maintenir ce dernier au pouvoir ?
Qu’en est-il de la remarque d’Obama sur le fait « ironique »,
selon lui, que ceux qui s’opposent d’habitude à l’ingérence des
États-Unis l’exigent maintenant ? En fait le Honduras a, sur son
territoire, une importante base militaire des États-Unis,
massivement financée par les États-Unis, fournie en forces
armées et équipée de matériel des États-Unis. La fermeture
complète de la base, le retrait immédiat des troupes
états-uniennes et du matériel militaire et l’arrêt complet de
tout entraînement militaire ne serait nullement un acte
d’ingérence des États-Unis dans les affaires intérieures du
Honduras. Les bases militaires, au Honduras, en Colombie ou
ailleurs, constituent en fait un prolongement de la puissance
militaire des États-Unis dans d’autres pays.
À ce sujet, dans un autre contexte et dans d’autres
conditions juridiques et historiques, ceux de Cuba, qui se
plaindrait de l’ingérence étrangère dans les affaires de ce pays
si Washington fermait la base de Guantanamo, se retirait
complètement de l’île et restituait cette partie du territoire
cubain au peuple cubain ? Et au Honduras, qui, à part Micheletti,
se plaindrait d’une ingérence, si Obama décidait aujourd’hui, en
tant que président, de retirer l’ambassadeur des États-Unis de
ce pays et de rompre les relations diplomatiques jusqu’au retour
de Zelaya ? Tels sont les boutons sur lesquels le président
devrait appuyer.
Le 10 août, selon l’AP, au Forum des leaders de l’Amérique du
Nord, Obama, a repris un thème déjà mentionné, en déclarant
ceci : « ‘Les personnes qui nous critiquent en affirmant que
les États-Unis n’ont pas intervenu suffisamment au Honduras,
sont celles qui disent aussi que nous sommes toujours en train
d’intervenir en Amérique latine, et que les Yankees doivent
sortir de la région’ ». « ‘Les gens qui nous critiquent
pensent qu’il est approprié que nous agissions soudainement
selon des façons qu’elles jugent inappropriées dans tous les
autres contextes. Je pense que cela démontre peut-être une
certaine hypocrisie dans leur façon de voir les relations entre
les États-Unis et l’Amérique latine’ » a poursuivi M. Obama. [41]
Voici une partie de la déclaration finale du Sommet :
« Nous avons discuté à fond sur le coup au Honduras et
nous réaffirmons notre appui à l’Accord de San José et aux
efforts continu de l’OÉA pour parvenir à une solution pacifique
de la crise politique. C’est une décision qui restitue la
gouvernance démocratique et la primauté du droit, et qui
respecte les droits de tous les Honduriens (...) » [42]
Qu’est-ce que cela nous révèle au
sujet d’Obama ?
Mais d’abord, quel est le lien juridique et constitutionnel
entre le président des États-Unis, l’armée états-unienne et le
département d’État ? Voici ce que nous en dit le site web de la
Maison-Blanche :
« Le pouvoir de la branche exécutive est conféré au
président des États-Unis, qui agit également à titre de chef
d’État et de commandant en chef des forces armées […]
Le département d’État joue le rôle principal dans le
développement et la mise en œuvre de la politique étrangère du
président. Ses responsabilités principales consistent à
représenter les États-Unis à l’étranger, fournir de l’aide aux
pays étrangers, offrir des programmes d’entraînement militaires
à l’étranger, […] » [43]
Et la Constitution états-unienne :
Article II, Section 2
« Le président sera commandant en chef de l’armée et de la
marine des États-Unis. » [44]
Le 29 juin 2009, l’analyste politique Thierry Meyssan
écrivait, sous le titre suivant :
« Le SouthCom prend le pouvoir dans un État membre de
l’ALBA »
« …la petite armée hondurienne est entièrement équipée,
formée et encadrée par les États-Unis. Elle obéit certes à son
chef, le président de la République, puis à son chef
d’état-major. Mais en pratique, elle est largement contrôlée par
le SouthCom depuis Soto Cano et Miami.
Précisément, le Pentagone a précipitamment installé le nouveau
commandant du SouthCom, le général Douglas M. Fraser, jeudi
dernier [25 juin 2009], pour suivre le coup….
Le SouthCom est installé à Miami, mais a une antenne à Soto Cano
et des sites avancés à Comalapa (Salvador), Manta (Équateur) et
sur les îles d’Aruba et de Curaçao (Antilles néerlandaises). » [45]
Le président Obama doit donc prendre ses responsabilités.
Est-il en train de laisser le département d’État se charger de
sa basse besogne tandis qu’il demeure relativement distant,
cherchant désespérément à s’accrocher à son image de
« changement » pour le bénéfice de sa propre administration ? Le
quotidien pro-coup d’État au Honduras, El Heraldo, tel
que cité plus haut, avait remarqué dès le 19 janvier 2009 que
l’extrême-droite au Honduras, en Amérique du sud et aux
États-Unis devait continuer de faire pression : « Il sait qu’il
n’a pas le droit de décevoir ses partisans […] ». Obama semble
être pris, d’une part, entre « ses partisans », c’est-à-dire
l’électorat et la branche du cercle des dirigeants qui ont
appuyé son accession à la présidence, et d’autre part, ses
déclarations électoralistes sur le changement, qui peuvent être
perçues comme de bonnes intentions. Se joindra-t-il au numéro de
cirque des équilibristes ? Est-il déjà en train de prendre part
au spectacle ?
Obama a-t-il les pieds sur terre ?
Le El Heraldo avait tout à fait raison, il y a six
mois, lorsqu’il a remarqué la contradiction entre les paroles et
les gestes d’Obama et la façon la droite doit manœuvrer dans
cette situation. Déjà, des sondages indiquent qu’Obama est en
train de perdre beaucoup de « ses partisans ».
Le 22 juillet, les résultats du sondage d’AP-GfK
annonçaient : « Les grands espoirs pour Obama se dissolvent dans
la réalité. » L’article lui-même expliquait : « Comme ce fut
rapide. L’espoir et l’optimisme qui ont balayé le pays pendant
les premiers mois de la présidence de Barack Obama cèdent place
à la dure réalité […] ; la confiance de voir les troupes se
retirer d’Irak et d’augmenter le respect envers les États-Unis à
travers le globe, en baisse de 15 points […] » [46]
Le 6 août, le réseau de nouvelles CNN a réalisé un sondage
montrant que seulement 41 % des États-uniens sont favorables à
la guerre en Afghanistan, ce qui constitue une baisse de neuf
points depuis le mois de mai. [47]
Obama est-il conscient de ce qui se passe ? On dirait que ses
voyages à l’étranger – en Europe, en Russie, au Caire et en
Afrique – lui ont monté à la tête. Le 23 juillet, le quotidien
Chicago Tribune rapportait qu’Obama était en visite à
Chicago, ce jour-là, pour deux levées de fonds destinées au
Parti démocrate. (Il en coûtait 15 200 $ par personne et
l’objectif était d’amasser deux millions en une soirée.) Le
président a répondu à la question d’un journaliste concernant le
prestige de son administration sur la scène internationale.
Pendant que le courageux peuple hondurien affrontait l’armée
(soutenue par les États-Unis) pour la quatrième semaine
consécutive, Obama affirmait, tel que cité : « L’anti-américanisme
n’est plus à la mode. » [48]
En effet, l’anti-américanisme n’a jamais été à la mode dans
les hautes sphères du Parti démocrate. Il est possible que le
président Obama trouve, ou qu’il croit avoir trouvé, des alliés
à l’échelle mondiale, mais demandez au peuple du Honduras ce
qu’il en pense, lui qui déclare bravement à Obama : « Nous
aussi, nous avons un rêve ! » Demandez-le aux peuples de
l’Amérique du sud. Demandez à la grande majorité des
gouvernements de l’Amérique latine, de l’Amérique centrale et
des Caraïbes quelle est leur opinion de la domination, de
l’interférence et du contrôle états-uniens dans leur Amérique ?
Au Honduras la crise se poursuit. Washington, ou du moins
certains secteurs de l’oligarchie de droite, semble ainsi
maintenir des politiques qui suscitent l’"anti-américanisme". Le
4 août, un journaliste suédois basé en Amérique du Sud a
rapporté que, selon des militants qui luttent pour les droits de
la personne au Honduras, des commandos de l’armée israélienne
donnent maintenant de l’entraînement en matière de répression
aux militaires et policiers honduriens.
Cette situation rappelle le double langage typique d’Israël,
qui, d’une part, parle de paix et de dialogue et tend une
branche d’olivier, et, d’autre part, brandit l’épée de façon la
plus brutale et poursuit le génocide des Palestiniens. Aussi,
quand on leur tend ainsi une branche d’olivier, les
gouvernements et les peuples d’Amérique du Sud et des Caraïbes
doivent prendre garde. [49]
Le 4 août, Washington et la Colombie ont conclu un accord sur
l’établissement de sept bases militaires états-uniennes en
Colombie, en préparation depuis un certain temps.
Si nous relions les deux faits, le coup d’État militaire du
Honduras et la décision de la Colombie de céder des bases
militaires, nous nous rendons compte qu’ils constituent une
autre offensive contre la hausse de prestige de Cuba, du
Venezuela, des autres États-membres de l’ALBA (à laquelle, sous
Zelaya, le Honduras a adhéré), des autres pays et de la grande
majorité des gouvernements de l’Amérique latine et des Caraïbes.
Les cercles dirigeants états-uniens essaient de leur mieux de
mater le soulèvement populaire au Honduras et utilisent, entre
autres moyens, le terrorisme médiatique. Les principaux médias
basés aux États-Unis d’Amérique, tels que le réseau CNN, de
concert avec le département d’État, invoquent tous les arguments
possibles et imaginables justifiant le coup d’État, directement
ou indirectement. CNN contribue en ne diffusant pas le moindre
mot sur la résistance du peuple hondurien contre la répression
violente pour essayer de démoraliser ce dernier. Ce réseau
essaie de donner à la population hondurienne l’impression que le
monde ne sait rien de ce qui se passe dans leur pays. Washington
pourra ainsi, plus facilement, poursuivre sa politique
hondurienne et même de réprimer davantage le peuple. Les cas de
silence médiatique sont nombreux : le 5 août, par exemple,
plusieurs agences de nouvelles, dont l’AFP, ont couvert la
manifestation de plus de 3 000 étudiants contre le coup d’État,
tenue à l’Université nationale autonome du Honduras, à
Tegucigalpa, qui a été violemment réprimée. [50]
Pourtant au cours de cette période, le réseau CNN n’a rien
rapporté sur le Honduras, et son seul reportage sur l’Amérique
du Sud portait sur les critiques du président Chavez du
Venezuela contre la Colombie, qui accusait Chavez de fournir des
armes aux FARC. Le reportage terminait par de la désinformation
sur cette question.
« Le 10 août, plus de 10 000 partisans du président hondurien
déchu, Manuel Zelaya, ont répudié le gouvernement de facto et
ont averti qu’ils intensifieront leur campagne de protestation
contre le coup d’État et pour le retour du président [...].
Cette manifestation pour le retour de Zelaya a été la plus
importante depuis celle du 5 juillet. Cette dernière, tenue à
l’aéroport de Toncontin, à Tegucigalpa, où le président
renversé, qui voyageait à bord d’un avion vénézuélien, voulait
atterrir ; mais le gouvernement de facto avait alors empêché
l’atterrissage en plaçant des obstacles sur la piste de
l’aéroport. La manifestation s’était renforcée avec l’arrivée de
foules venues de l’Est et du Nord du pays et avec une colonne
venue du Sud. D’autres sont allés à San Pedro Sula (...) »
(Texte traduit de l’espagnol par l’auteur) [51]
Cependant, de la part de la CNN – rien.
Manifestations au Honduras
(© Getty Images, photo transmise par l’auteur)
« … C’est le peuple hondurien qui
aura le dernier mot »
Les peuples du monde, à mon avis, doivent également continuer
de faire pression sur le président Obama et son administration.
Lorsqu’il regarde les sondages, il doit être conscient de ce qui
se passe. Si la question du Honduras se retourne contre lui, ce
qui est fort possible, et que cela attise
« l’anti-américanisme », de quoi sa politique étrangère
aura-t-elle l’air aux yeux de la population états-unienne – et
même pour ceux qui paient 15 200 $ le couvert pour une levée de
fonds ? Ces derniers n’ont pas investi ce montant pour inaugurer
une autre époque à la Bush où les sentiments anti-états-uniens
se répandent à travers le globe. Cependant, Obama doit aussi
penser aux élections de 2012 pour lesquelles il semble déjà
chercher à remplir les coffres. Ne veut-il pas également gagner
la sympathie de l’oligarchie de droite afin d’assurer sa
victoire en 2012 ?
Le tourbillon des politiques états-uniennes semblent hisser
inévitablement le président Obama sur la corde raide. J’espère
que ce n’est pas le cas. Le peuple du Honduras, ainsi que celui
de l’Amérique du Sud et la plupart de ses gouvernements sont
déterminés à le forcer à prendre position. De quelle façon ? Des
actions que devrait prendre le président Obama : Prenant des
mesures sérieuses et en imposant des sanctions au régime
derrière le coup d’État (plutôt que de parader l’annulation de
quelques visas), et en appuyant le rétablissement du président
Zelaya dans ses fonctions de manière bien réelle, concrète et
inconditionnelle. En tant qu’avocat, M. Obama devrait également
être capable de composer avec toute la bureaucratie du
gouvernement états-unien (si le problème est là, ce dont je
doute), qui six semaines après le coup, n’a toujours pas porté
de jugement légal sur le coup d’État !
L’évolution de la situation politique de la nouvelle
administration états-unienne soulève elle aussi des questions
quant au type de démocratie et d’élections qui se font aux
États-Unis, et sur la façon dont ces derniers agissent dans le
pays qui est censé donner des leçons (par la diplomatie et la
force militaire) à la population mondiale. Si cela s’avère un
changement auquel les gens ne peuvent PAS croire, alors certains
se demanderont peut-être ce que veulent dire les élections et la
démocratie aux États-Unis. (Je traiterai en détail de cette
question dans un prochain ouvrage.) Obama devrait respecter le
principe de respect mutuel entre pays et envers leurs systèmes
politiques respectifs.
Obama, Clinton et leur administration au grand complet sont
en train d’être jugés. « […] C’est le peuple hondurien qui aura
le dernier mot », avait prédit Fidel Castro le 21 juillet, au
beau milieu de la situation la plus complexe que pouvait vivre
la population : la médiation appuyée par les États-Unis,
combinée avec la répression policière et militaire de la
résistance. [52]
À mesure que la situation évolue, la prédiction de Fidel
Castro (et sa confiance dans le peuple) s’avère juste.
D’ailleurs elle semble être irréversible, peu importe les hauts
et les bas qui se présentent. L’un des leaders de la résistance
au Honduras, un député au Congrès hondurien, a émis un
commentaire des plus profonds au journaliste de la Prensa
Latina, Raimundo López. Depuis le Honduras occupé par l’armée,
ce dernier n’a cessé de rapporter courageusement et
inlassablement les événements sur le terrain. Le 18 juillet,
l’activiste hondurien César Lam confiait donc au journaliste,
lors d’une entrevue : « Il y a un Honduras d’avant le coup
d’État, et un Honduras d’après le coup d’État. » [53]
Cette déclaration reflète bien le mouvement de résistance de
toutes les nouvelles forces politiques et sociales.
Même l’équilibriste le plus expérimenté peut être jeté au sol
par la force des aspirations au changement exprimées par un
peuple. Ainsi, il serait préférable que le président Obama
adopte une position qui favorise la justice.
Arnold August, auteur,
journaliste et conférencier spécialiste de Cuba. Livre
Democracy in Cuba and the 1997-98 Elections. Chapitre « Socialism
and Elections » du livre
Cuban Socialism in a New Century : Adversity, Survival, and
Renewal, (University Press of Florida, 2004) édité par
les professeurs Max Azicri et Elsie Deal. Prochain volume
Cuba : démocratie participative et élections au XXIème siècle
(automne 2010 en français, anglais, et espagnol). Membre de la
Latin American Studies Association (LASA).
Traduit par Marie France Bancel et Arnold August.
[1]
« Obama’s
day : The presidential tightrope », USA Today, 30
juin 2009.
[2]
« On
Foreign Policy, Obama Treads Carefully », par Ben Pershing,
Washington Post, 30 juin 2009.
[3]
« Obama
juega papel de equilibrista en drama hondureño » , par
Nestor Ikeda, Associated Press, 6 juillet 2009.
[4]
« Clinton’s
high-wire act on Honduras », par Howard LaFranchi,
Christian Science Monitor, 7 juillet 2009.
[5]
« Clinton
Pushes Honduran Foes to Negotiations », par Tim Padgett,
Time Magazine, 8 juillet 2009.
[6]
« Obama
hereda un mundo en crisis », El Heraldo, 19 janvier
2009.
[7]
« Discours
au Council on Foreign Relations », par Hillary Clinton,
Réseau Voltaire, 15 juillet 2009.
[8]
« Situation
in Honduras », Remarques d’Hillary Clinton, département
d’État, 28 juin 2009.
[9]
Ibid.
[10]
« Remarks
at the Top of the Daily Press Briefing », par Hillary
Clinton, département d’État, 29 juin 2009.
[11]
« Résolution
de l’OEA relative à la suspension du Honduras », Réseau
Voltaire, 4 juillet 2009.
[12]
« Daily
Press Briefing », par Ian Kelly, département d’État, 29 juin
2009.
[13]
« Daily
Press Briefing », par Ian Kelly, département d’État, 30 juin
2009.
[14]
« Daily
Press Briefing », par Ian Kelly, département d’État, 1er
juillet 2009.
[15]
« Daily
Press Briefing », par Ian Kelly, département d’État, 2
juillet 2009.
[16]
« Daily
Press Briefing », par Ian Kelly, département d’État, 6
juillet 2009.
[17]
« Washington
et le coup d’État au Honduras : Voici la preuve », par Eva
Golinger, CPML, 15 juillet 2009.
[18]
« Daily
Press Briefing », par Ian Kelly, département d’État, 7
juillet 2009.
[19]
« Daily
Press Briefing », par Philip J. Crowley, département d’État,
10 juillet 2009.
[20]
« Daily
Press Briefing », par Ian Kelly, département d’État, 13
juillet 2009.
[21]
« Daily
Press Briefing », par Ian Kelly, département d’État, 14
juillet 2009.
[22]
« Daily
Press Briefing », par Robert Wood, département d’État, 17
juillet 2009.
[23]
« Daily
Press Briefing », par Philip J. Crowley, département d’État,
20 juillet 2009.
[24]
Ibid.
[25]
« Daily
Press Briefing », par Robert Wood, département d’État, 21
juillet 2009.
[26]
« Daily
Press Briefing », par Philip J. Crowley, département d’État,
23 juillet 2009.
[27]
« Daily
Press Briefing », par Philip J. Crowley, département d’État,
24 juillet 2009.
[28]
« Remarks With Iraqi Prime Minister Nouri al-Maliki After Their
Meeting », par Hillary Rodham Clinton, département d’État, 24
juillet 2009.
[29]
« Daily
Press Briefing », par Ian Kelly, département d’État, 27
juillet 2009.
[30]
« The
Path Forward for Honduras. Zelaya’s removal from office was a
triumph for the rule of law », par Roberto Micheletti,
The Wall Street Journal, 27 juillet2009.
[31]
Version française : « Un
article d’opinion du dictateur putschiste dans le Wall Street
Journal », par Eva Gollinger, PCML, 27 juillet 2009.
[32]
« Daily
Press Briefing », par Ian Kelly, département d’État, 28
juillet 2009.
[33]
« Daily
Press Briefing », par Philip J. Crowley, département d’État,
1er août 2009.
[34]
« Daily
Press Briefing », par Robert Wood, département d’État, 6
août 2009.
[35]
« Honduras’s
Ousted Leader Calls U.S. Response Tepid », par William
Booth, The Washington Post, 6 août 2009.
[36]
« Remarks
in joint press avaibility », par Barack Obama et Alvaro
Uribe, Maison-Blanche, 29 juin 2009.
[37]
« Press
Briefing », par Robert Gibbs, Maison-Blanche, 29 juin 2009.
[38]
« Press
Briefing », par Robert Gibbs, Maison-Blanche, 1er juillet
2009.
[39]
« In
Russia, President Obama Explains His Support for Ousted
President of Honduras », par Jake Tapper, ABC News, 7
juillet 2009.
[40]
« Obama
says no quick way to end Honduras crisis », Reuters, 8 août
2009.
[41]
« Obama
Knocks "Hypocrisy" of Honduras Critics », par Anna Aulova,
CBS News, 10 août 2009.
[42]
« Joint
Statement by North American Leaders », 10 août 2009.
[43]
« The
Executive Branch », Site internet de la Maison-Blanche.
[44]
« Constitution
of the United States »
[45]
« Le
SouthCom prend le pouvoir dans un État membre de l’ALBA »,
par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 29 juin 2009.
[46]
« AP-GfK
Poll : Great hopes for Obama fade to reality », par Nancy
Benac et Trevor Tompson, Associated Press, 22 juillet 2009.
[47]
« Support
for Afghan war drops, CNN poll finds », CNN, 6 août 2009.
[48]
« Obama
on health care push : ’I’m from Chicago. I don’t break.’ »,
Chicago Tribune, 23 juillet 2009.
[49]
« Comandos
israelitas con experiencias de Palestina y Colombia capacitan a
las FF.AA. de Honduras. Entrevista a René Andrés Pavón »,
Cuba Debate, August 4, 2009.
[50]
« Honduran
police crackdown on student protests », AFP, 5 août 2009.
[51]
« Miles
marcharon por Zelaya en la mayor manifestación desde el 5 de
julio 7 », Cuba Debate, 11 août 2009.
[52]
« Le
médiateur Oscar Arias est un fidèle allié des États-Unis »,
par Fidel Castro, Réseau Voltaire, Agence cubaine de
nouvelles, 22 juillet 2009.
[53]
« Resistencia
del pueblo consolidó las esperanzas de cambio en Honduras »,
par Raimuno Lopez, Prensa Latina, 18 juillet 2009.
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