"L'œil de Moscou"
Moscou-Washington
: frimas persistants
Arnaud
Dubien
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Arnaud Dubien
Mardi 16 avril 2013
Source:
RIA Novosti Le « reset » -
redémarrage des relations
russo-américaines initié par
l’administration Obama début 2009 – est
mort et enterré. C’est en tout cas
l’impression qui se dégage des derniers
développements entre Moscou et
Washington.
Le Département américain du Trésor
a publié, vendredi 12 avril, une liste
qui comprend les noms de dix-huit
citoyens russes qui, selon les
Etats-Unis, sont impliqués dans la mort
de Sergueï Magnitski, juriste du fonds
d'investissement Hermitage Capital
Management mis en examen pour fraude
fiscale et décédé en novembre 2009 dans
une prison moscovite faute de soins
médicaux. Cette liste Magnitski aurait
un volet « fermé » incluant d’autres
responsables russes parmi lesquels
le président tchétchène Ramzan Kadyrov.
La réponse de Moscou ne s’est pas
fait attendre : dès le lendemain, le
ministère des Affaires étrangères
rendait publique sa propre liste de
dix-huit noms, pour l’essentiel des
fonctionnaires américains impliqués
dans la gestion du camp de Guantanamo et
dans
l’arrestation de Viktor Bout. Cette
« guerre des listes » marque l’apogée de
tensions bilatérales nourries, entre
autres, par
les mesures du gouvernement russe contre
les ONG étrangères,
les différends sur la Syrie ou
la défense antimissile. Le fond de
l’air entre Moscou et Washington est en
apparence presqu’aussi lourd qu’en
2007-2008, période ponctuée par le
discours de Munich et
la « guerre des cinq jours » en Géorgie.
La télévision publique russe et les
commentateurs para-officiels se
déchaînent contre Washington, le parti
républicain (et une bonne partie des
Démocrates) étant quant à eux
prisonniers de lobbies et de visions
tout aussi rétrogrades.
Cette énième crispation entre Moscou
et Washington ne constitue pas
véritablement une surprise. Au-delà des
déclarations rituelles sur la fin de la
Guerre froide, Russes et Américains
n’ont su, au cours des vingt dernières
années, surmonter la logique de défiance
et de rivalité. Si les responsabilités
sont partagées, elles pèsent cependant
plus lourd côté américain. En
promouvant, dès 1993, l’élargissement de
l’OTAN (contre l’avis de l’illustre
George Kennan) au lieu de mettre sur
pieds, avec l’ensemble des Occidentaux,
un Plan Marshall pour soutenir la
nouvelle Russie, puis en refusant, en
2001, la main tendue par Moscou après le
11 septembre, la Maison Blanche a commis
deux erreurs historiques lourdes de
conséquences. Les Européens, y compris
et surtout ceux qui oeuvrent en vue d’un
véritable partenariat stratégique avec
Moscou, en font les frais. Le
containment feutré décidé à Washington
et repris à son compte par une
bureaucratie bruxelloise désespérément
conformiste aboutit à une remise en
cause inédite, y compris parmi les
libéraux russes, de la nécessité d’un
rapprochement avec l’Occident.
Doit-on pour autant considérer que le
troisième mandat de Vladimir Poutine au
Kremlin sera marqué par un affrontement
géopolitique inéluctable avec Washington
? Rien n’est moins sûr.
Fondamentalement, ni le Kremlin, ni la
Maison Blanche n’ont intérêt à la
poursuite de cette dégradation (ce qui
n’est pas forcément le cas de
l’opposition républicaine et des
éléments zélés de Russie Unie). Il n’a
échappé à personne à Moscou que
l’administration Obama a déployé des
trésors de conviction et d’influence
pour rendre la liste Magnitski la plus
insignifiante possible (rappelons que
James MacGovern, élu à la Chambre des
représentants à l’initiative de cette
liste, avait soumis deux cent
quatre-vingts noms à la Maison Blanche,
dont celui du procureur général de
Russie Iouri Tchaïka). Surtout, le
président américain
a décidé d’envoyer, le 15 avril, dans la
capitale russe un émissaire personnel,
Tom Donilon, haut fonctionnaire en
charge des questions de sécurité
nationale, à Moscou avec, dit-on, un
message personnel pour Vladimir Poutine.
Des observateurs russes généralement
bien informés soulignent quant à eux que
l’Asie, nouveau centre de gravité de
l’économie mondiale (mais aussi des
menaces), offre un terrain plus propice
que l’Europe à une coopération
sécuritaire.
Un nouveau printemps entre Moscou et
Washington ne saurait donc être exclu.
Pour durer, il devra cependant être
construit sur d’autres bases que les
éphémères rapprochements observés depuis
1991. C’est aussi l’intérêt bien compris
des Européens.
Arnaud Dubien dirige, depuis mars
2012, l’Observatoire franco-russe à
Moscou. Diplômé de l’INALCO et de l’IEP
de Paris, il a été, de 1999 à 2006,
chercheur Russie-CEI à l’Institut de
relations internationales et
stratégiques. Il a ensuite dirigé
plusieurs publications spécialisées sur
l’espace post-soviétique, parmi
lesquelles l’édition russe de la revue
Foreign Policy et les lettres
confidentielles Russia Intelligence et
Ukraine Intelligence. Ces dernières
années, Arnaud Dubien a par ailleurs
travaillé comme consultant du Centre
d’analyse et de prévision du ministère
des Affaires étrangères, ainsi que de
grands groupes industriels français. Il
est membre du Club de Valdaï.
© 2013
RIA Novosti
Publié le 20 avril 2013
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