Opinion
La presse
française attaque Damas après la mort
d'un journaliste français en Syrie
Anthony Torres
Vendredi 20 janvier
2012
La mort du reporter de France2 Gilles
Jacquier en Syrie dans la ville de Homs,
pendant une manifestation pro-Assad
ciblée par un tir de roquette RPG ou de
grenades, a retenu l’attention des
médias français. Ceux-ci parlent de
manipulation de la part du régime
d'Assad, dans une attaque qui a aussi
entraîné la mort de huit militaires
pro-Assad et fait de nombreux blessés.
Cet évènement survient alors que la
France—avec la Turquie, les Etats-Unis
et d’autres puissances
occidentales—intervient pour épauler les
forces rebelles dans une guerre civile
qui s’est développée à partir des
manifestations syriennes de mars 2011,
inspirées par les révolutions tunisienne
et égyptienne. Suivant le modèle de la
guerre de l’OTAN contre le régime de
Kadhafi en Libye en 2011, ces puissances
veulent mettre en place un régime
fantoche à Damas, et ensuite
éventuellement en Iran, allié de la
Syrie.
C’est dans ce contexte politique qu’il
faut considérer les affirmations de la
presse française, suggérant que le
régime syrien serait complice de la mort
de Jacquier.
Libération
cite les déclarations de Rémy Pflimlin,
président de France Télévisions, qui
soutient implicitement la thèse d’une
attaque commanditée par le régime :
« Nos confrères étaient sur place
avec toutes les autorisations, des visas
officiels et normalement une protection
qui, brusquement, s'est retirée au
moment des frappes. Il y a donc là des
questions que nous nous posons ».
Citant « une source proche du président
français », le quotidien Le Figaro
affirme : « Les responsables syriens
étaient seuls à savoir qu'un groupe de
journalistes occidentaux visitait Homs
ce jour-là, et dans quel quartier il se
trouvait ».
Un article de Philippe Gelie paru dans
le Figaro raconte que le jour de
l’assassinat, Jacquier s'était plaint le
matin même d'être otage d'une «
opération de propagande », après avoir
été empêché de filmer dans certaines
rues de Damas.
La manifestation pro-Assad à Homs avait
été organisée à l’occasion de la visite
des journalistes. Le Figaro
explique : « Cette visite était non
seulement autorisée—fait très
exceptionnel—mais étroitement encadrée
par le régime, cantonnée aux
zones sous son contrôle total ».
L’affirmation selon laquelle Homs était
sous contrôle « total » de Damas,
encourageant ainsi le lecteur à croire
que la mort de Jacquier aurait nécessité
l’aval du régime, est à la fois
étonnante et fausse. Homs est bien connu
pour être un centre de la rébellion
anti-Assad. Le quartieroù Jacquier a
trouvé la mort, quartier de confession
alaouite, comme le clan Assad, est de
surcroit souvent ciblé par les
manifestants anti-Assad, majoritairement
sunnites.
Le Monde
avoue ainsi que «
les témoins ont évoqué des tirs soit
d'obus, soit de roquettes, soit même de
grenades. L'Armée syrienne libre des
rebelles (ASL) est connue pour utiliser
des lance-roquettes, moins des mortiers,
contrairement à l'armée du régime
».
Cette révélation de la part du Monde
s’ajoute à celle du journaliste Mohammed
Ballout, envoyé spécial de la BBC en
arabe, qui était présent aux côtés du
journaliste français : « Zahira est un
bastion alaouite qui a été visé
plusieurs fois dans le passé par les
manifestants. Dans ce quartier, il y a
souvent des tirs de snipers de la part
des manifestants ».
Ces accusations plus ou moins explicites
des médias français contre Damas
soulèvent de nombreuses questions.
Est-il crédible de dire que le régime
syrien, qui invita des journalistes à
une manifestation pour montrer que
Bachar Al Assad était populaire, ait
voulu assassiner des journalistes, et
plusieurs de ses propres soldats, à ce
moment-là ? Assad n’aurait-il pas craint
qu’un pareil attentat produirait des
enquêtes hostiles de la part du
gouvernement français ?
Pourquoi les médias français évitent-ils
d’évoquer la possibilité que ce soient
des tirs de l’Armée syrienne libre (ASL)
rebelle qui aient touché Jacquier et les
militaires syriens ? Comme le démontrent
des témoignages de la presse, c’est une
hypothèse tout à fait plausible, mais
totalement délaissée.
Ainsi, ayant évoqué la possibilité de
tirs rebelles à proximité de Jacquier,
Le Monde écrit : « La communauté
internationale a appelé les autorités
[syriennes] à assurer la protection des
journalistes sur son territoire ».
L’hypocrisie de la bourgeoisie
française, qui exige que le régime
syrien protège les civils sur son
territoire en même temps qu’elle
approuve l’envoi en masse d’armes aux
rebelles syriens pour attaquer les
troupes de Damas, est sans bornes. (Voir
aussi :
France: Le
Nouveau Parti anticapitaliste soutient
une intervention impérialiste en Syrie).
Les calculs de la bourgeoisie émergent
de la conjoncture politique qui fait
suite au développement de troubles
révolutionnaires de la classe ouvrière
en Tunisie et en Egypte ayant renversé
les dictateurs Ben Ali et Moubarak. Ces
mouvements ouvriers en Afrique du Nord
signifiaient une résurgence de la lutte
des classes à l’échelle internationale.
Les puissances impérialistes y ont
répondu en saisissant l’occasion de
manifestations en Libye en mars 2011,
pour commencer une intervention
militaire et renverser le régime de
Kadhafi. A la demande des rebelles
libyens, l’OTAN a soutenu les rebelles
par une couverture aérienne soi-disant «
humanitaire ». Le renversement de
Kadhafi avait pour but d’installer un
régime plus docile aux puissances
impérialistes qui pourraient ainsi
profiter des richesses pétrolières de ce
pays.
Les puissances impérialistes, dont la
Franc,e ont pu intervenir militairement
en Libye avec le soutien des partis
petit-bourgeois, qui ont fait tout leur
possible pour présenter l’offensive
impérialiste comme étant « démocratique
». (Voir aussi :
Un instrument de
l'impérialisme: le Nouveau parti
anticapitaliste français soutient la
guerre contre la Libye).
A la longue, cependant, cette guerre qui
a coûté la vie à environ 50.000 Libyens
est devenue très impopulaire.
Maintenant, alors que les puissances
occidentales considèrent la possibilité
d’intervenir militairement en Syrie,
elles cherchent un nouveau prétexte pour
empoisonner l’atmosphère politique,
affaiblir le régime d'Assad, et
peut-être permettre aux rebelles et à
l’OTAN d’attaquer la Syrie.
C’est pour cela que la mort de Gilles
Jacquier est traitée non pas comme un
évènement tragique, mais comme le
prétexte à une campagne de presse
politiquement biaisée.
Copyright 1998 - 2011 - World Socialist
Web Site - Tous droits réservés
Publié le 20 janvier 2012 avec l'aimable
autorisation du WSWS
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
|