Opinion
Le Monde
fait de la propagande pro-guerre
sur les armes chimiques en Syrie
Anthony
Torres et Alexandre Lantier
Mercredi 5 juin
2013 Peu avant que
l’Union européenne ne se prononce pour
la levée de l’embargo sur les livraisons
d’armes à l’opposition en Syrie, Le
Monde a publié une série d’articles
assurant que le régime syrien utilisait
des armes chimiques contre l’opposition.
En publiant ces
articles, Le Monde participe à
une campagne de manipulation de pièces à
conviction, dirigé contre le régime
syrien du président Bachar Assad. Le but
assumé des articles du Monde,
préparés avec le concours de l’Etat et
dénués de toute preuve concluante, est
d’encourager les dirigeants des
puissances impérialistes à accuser la
Syrie d’utiliser des armes chimiques.
La décision du
Monde de lancer de pareilles
accusations, qui ont été à maintes
reprises démasquées comme étant sans
fondement, est sinistre et politiquement
criminelle. Il est évident qu’en les
publiant, le journal savait qu’il
fournissait un prétexte non seulement
pour la levée de l’embargo, mais pour
une guerre. Le président américain
Barack Obama, soutenu par les
gouvernements britannique et français, a
déclaré que l’utilisation d’armes
chimiques par le régime d'Assad
franchirait une « ligne rouge »
provoquant une attaque par Washington.
Le Monde
fonde son éditorial sur le reportage du
journaliste Jean-Philippe Rémy et du
photographe Laurent Van der
Stockt. Selon Le Monde, ils ont
séjourné pendant deux mois
clandestinement en Syrie, avec
l’opposition près de Damas. Le Monde
ne dit rien sur comment ils ont organisé
un pareil séjour, ni sur le caractère
des agences militaires ou de
renseignement en Europe qui les ont mis
en contact avec l’opposition en Syrie.
Dans un éditorial,
intitulé « Exiger la vérité sur les
armes chimiques », le Monde
s’enthousiasme de la spécificité des
accusations qu’ils portent : « Ce qu'ils
rapportent ne provient ni de
vidéos affichées sur Internet par
l'opposition syrienne ni de récits de
réfugiés, sources habituelles des
témoignages sur des attaques chimiques
en Syrie ces derniers mois. Pour la
première fois, des assauts chimiques
sont décrits par des journalistes
occidentaux, témoins directs des
événements ».
Cependant, Le
Monde reconnait lui-même n’avoir
aucune preuve matérielle pour étayer ses
accusations explosives, écrivant : «
Le Monde ne détient pas la preuve
irréfutable d'un recours à des armes
chimiques en Syrie ».
C’est dire que les
témoignages de Rémy et de Van der Stockt,
tirés d’expériences et d’interviews
auprès de milices d’opposition
syriennes, dont les propos se sont
souvent révélés faux, n’ont aucune
valeur réelle. Les arguments échafaudés
par Le Monde pour en tirer la
conclusion que Damas utilise des armes
chimiques ont tous un caractère biaisé
ou malhonnête.
Dans l’article «
Guerre chimique en Syrie - Sur le front
de Damas », Rémy affirme : « Un jour
d'attaque chimique sur une zone du front
de Jobar, le 13 avril, le photographe du
Monde a vu les combattants qui
font la guerre dans ces maisons en ruine
commencer à tousser, puis mettre leur
masque à gaz, sans hâte apparente, mais
en réalité déjà exposés. Des hommes
s'accroupissent, suffoquent, vomissent
».
Ceci ne constitue
pas la preuve d’un recours à des armes
chimiques en Syrie, car ces symptômes
ressemblent à ceux que provoqueraient
une exposition à du gaz lacrymogène.
Pour tenter de convaincre le lecteur que
le gaz en question était en fait une
arme chimique toxique, l’article ajoute
: « La gravité des cas, leur
multiplication, la tactique d’emploi de
telles armes montrent qu’il ne s’agit
pas de simples gaz lacrymogènes utilisés
sur les fronts, mais de produits d’une
autre classe, bien plus toxiques ».
Cette argumentation
est absurde : le simple fait d’utiliser
de larges quantités de gaz ne démontre
pas en soi qu’il ne soit pas du gaz
lacrymogène. Les forces de l’ordre en
France et ailleurs répandent du gaz
lacrymogène en grande quantité sur des
manifestants ; Le Monde n’a pas
pour l’heure proposé des frappes
aériennes sur la police française pour
stopper la guerre chimique qu’ils mènent
contre la population française.
En fait, l’article
ne démontre pas que les gaz qui auraient
été utilisés sur le front de Damas aient
été hautement toxiques. Le journaliste
du Monde ne cite aucune mort
provoquée par ces gaz—malgré le fait
que, selon lui, seule une « poignée » de
masques à gaz a été distribuée aux
combattants de l’opposition autour de
Damas. Le fait que ces derniers mettent
leur masque à gaz « sans hâte » suggère
d’ailleurs qu’ils ne craignent pas
d’effets mortels.
La procédure
qu’envisage l’éditorial du Monde
pour déterminer si ses journalistes ont
réellement assisté à l’usage d’armes
chimiques contre l’opposition est
parodique. Le Monde
prétend détenir des échantillons «
prélevés sur place par des médecins
syriens auprès de victimes
d'intoxications par des gaz toxiques
utilisés lors de combats. Le seul centre
scientifique certifié en France pour
procéder à des analyses relevant du
ministère de la Défense, ces
échantillons ont été remis aux autorités
françaises, qui se sont engagées à
remettre au Monde l’intégralité
des résultats de cette étude ».
Le Monde a
ainsi récolté des matériels fournis par
le personnel de l’opposition, comptant
laisser à l’armée française le soin de
se prononcer sur leur contenu. Une
pareille méthode, qui ne jette aucun
regard critique sur ses propres sources,
va à l’encontre de principes
fondamentaux de déontologie
journalistique.
Des sections de
l’opposition liées à Al Qaïda détiennent
des armes chimiques, et l’Etat français
comme Al Qaïda cherchent tous deux à
faire monter la pression sur la Syrie.
Pourtant, Le Monde ne propose ni
une vérification indépendante des
échantillons fournis par l’opposition,
ni d’examen de leur origine ou du
travail scientifique de l’armée
française.
Le journal s’offre
sciemment en tant que plateforme
médiatique pour les manipulations les
plus diverses, par des forces
criminelles ou par des officines
gouvernementales, qui pourraient
provoquer une guerre.
Le Monde
évite d’évoquer un fait d’une importance
critique pour évaluer les reportages de
ses journalistes : les déclarations de
l’ONU qui les réfutent. Rémy et Van der
Stockt ont enquêté sur l’emploi d’armes
chimiques par le régime syrien pendant
le mois d’avril. Or, Carla Del Ponte,
qui siège dans une commission d’enquête
pour les Nations Unies, était chargée
d’enquêter sur les armes chimiques en
Syrie, et ce sur la même période. Elle a
tiré des conclusions diamétralement
opposées à celles du Monde.
Le 5 mai, Carla Del
Ponte avait déclaré à la BBC : « Nous
avons rassemblé des témoignages qui
laissent penser que des armes chimiques
ont été utilisées, en particulier du gaz
de combat. Ce qui a émergé de notre
enquête c'est que cela a été utilisé par
les opposants, par les rebelles. Nous
n'avons aucune, absolument aucune
indication que le gouvernement, les
autorités du gouvernement syrien, aient
utilisé des armes chimiques. »
Employant des
tactiques déloyales pour donner plus de
poids à ses accusations, Le Monde
cite à l’appui les allégations déjà
discréditées par l’ONU, sans citer
l’intervention de del Ponte.
Dans l’article «
Guerre chimique en Syrie », Rémy écrit:
« Plusieurs pays : les Etats-Unis, la
Turquie et Israël, ont déclaré posséder
des éléments matériels indiquant
l'utilisation d'armes de ce type, mais
n'ont pas communiqué la nature exacte de
leurs preuves, ni décidé si, comme
l'avait promis le président Obama en
août 2012, le recours à de telles armes
par le pouvoir de Damas constituerait le
franchissement d'une ‘ligne rouge’
susceptible d'entraîner une intervention
étrangère en Syrie contre le régime ».
Le silence de
Washington, Ankara, et Tel Aviv sur les
commentaires de del Ponte est la
démonstration la plus éloquente que les
accusations du Monde sont
infondées. Si ces pays-là n'ont pas
apporté les preuves jusqu’à présent
quant à l’emploi d’arme chimique par
Assad, c’est qu’ils n’en ont tout
simplement pas.
Le Monde,
quant à lui, continue sa propagande
pro-guerre. Son éditorial se termine en
réclamant que les gouvernements des pays
de l’OTAN apportent davantage
d’accusations contre Assad : « Il est
urgent que les responsables occidentaux
énoncent clairement ce qu’ils savent du
chimique en Syrie. Qu’ils cessent de
tergiverser sur la ‘ligne rouge.’ Ils
doivent sortir de l’ambiguïté. Avant
qu’il ne soit trop tard ».
Ce commentaire ne
laisse aucune ambiguïté sur la position
du comité de rédaction du Monde.
Ils veulent que la campagne de
provocations contre la Syrie reprenne de
plus belle, et que l’OTAN prépare des
chefs d’accusation contre Assad propres
à provoquer une guerre. Si la guerre se
déclenchait sans l’aval du Conseil de
sécurité de l’ONU, où la Russie et la
Chine ont déjà apporté leur véto à
d’autres mesures belliqueuses contre la
Syrie, l’intervention serait, de
surcroit, illégale selon le droit
international.
Le caractère
criminel d’une pareille intervention,
menée avec comme alliés des islamistes
d’extrême-droite liés à Al Qaïda, visant
à d’étendre l’emprise des puissances
impérialistes sur l’ensemble des
ressources stratégiques et pétrolières
du Moyen-Orient, ne fait aucun doute. Si
elle entraînait une intervention directe
de l’OTAN en Syrie, elle se solderait
par des pertes comparables à celles
infligées par l’occupation américaine de
l’Irak, qui a fait plus d’un million de
morts. Ceci ne compte pas le fait qu’une
guerre en Syrie en provoquerait
vraisemblablement une autre au Liban,
voire avec l’Iran ou même la Russie.
L’appel à la guerre
contre la Syrie marque une étape
importante dans la putréfaction de
l’élite dirigeante française. Toute une
couche sociale, les dirigeants de la
presse et des milieux de la « gauche »
petite-bourgeoise pabliste
historiquement proche du Monde,
se met au service des plus basses
manœuvres géostratégiques de l’Etat.
En publiant des
allégations infondées sur d’éventuelles
armes de destruction massive pour
justifier la guerre américaine en Irak,
il y a une décennie, la reporter Judith
Miller du New York Times s’était
durablement discréditée. Suite à
l’opprobre provoqué par son rôle de
propagandiste mensongère pour une guerre
sanglante et criminelle, Miller a dû
abandonner le Times et le métier
de journaliste. Elle a ensuite siégé au
Council of Foreign Relations, une
boîte à idées pour le Pentagone et les
services de renseignement américains.
En reprenant les
méthodes de Miller contre la Syrie, dans
une situation internationale même plus
explosive, le comité de rédaction du «
journal de référence » de la presse
française s’est abaissé au même niveau
de criminalité politique.
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Publié le 5 juin 2013 avec l'aimable
autorisation du WSWS
Le
dossier Syrie
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