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L'Angleterre se range derrière l'agression
américaine au Yémen
Ann Talbot
Vendredi 15 janvier 2010 La classe dirigeante britannique fut,
une fois de plus, la première à s’aligner en bloc derrière la
dernière provocation militaire actuellement en préparation de
Washington. Après avoir participé aux guerres d’agression contre
l’Afghanistan et l’Irak et après avoir soutenu les agressions
commises sur le territoire pakistanais, l’Angleterre s’est
jointe aux Etats-Unis pour faire du Yémen la prochaine cible
d’une attaque.
Washington a la ferme intention de se servir de l’attentat
manqué du vol Amsterdam-Detroit le 25 décembre pour en faire le
prétexte d’une intervention dans ce pays très pauvre. S’appuyant
sur les relations rapportées par la presse entre l’étudiant
nigérien Omar Farouk Abdulmutallab et des éléments d’Al-Qaida au
Yémen, le président américain Obama s’est engagé à ce que
« toutes les composantes de la puissance américaine » soient
mobilisées contre ce pays, alors que la presse rapporte
également qu’on est déjà en train de sélectionner les cibles
devant être attaquées.
Le premier ministre anglais Gordon Brown répondit avec grand
empressement à la belligérance américaine. Il ordonna
immédiatement l’introduction de scanners corporels dans les
aéroports, malgré le fait que l’Europe ait déclaré que ces
instruments représentaient une violation des droits de l’Homme.
Brown a aussi annoncé la tenue d’une réunion internationale à
Londres à la fin du mois de janvier afin de discuter du Yémen en
disant que l’Angleterre participerait à un programme
antiterroriste commun avec les Etats-Unis dans ce pays. Cette
réunion doit se tenir en liaison avec une conférence prévue sur
l’Afghanistan et destinée à renforcer l’engagement militaire des
Etats européens dans l’occupation de plus en plus sanglante
conduite par les Etats-Unis.
Le premier ministre s’est empressé d’appuyer les menaces de
Washington vis-à-vis du Yémen malgré les interrogations
sérieuses qui existent sur la tentative d’attentat aérien. Une
question et qui n’est pas des moindres concerne le fait
qu’Abdulmutallab ait réussi à monter à bord de l’appareil alors
qu’il figurait sur une liste de surveillance et que son père
avait fait savoir aux autorités nigériennes et américaines qu’il
constituait un risque terroriste potentiel.
L’attitude de Brown confirme le fait qu’aucun changement de
politique réel n’a eu lieu au cours du transfert de pouvoir
entre lui et Tony Blair. Le Royaume-Uni continue de fonctionner
en Europe comme le relais de la CIA, à Langley en Virginie
(siège de l’agence, ndt), et de la Maison Blanche.
Pour Brown, ce qui est en jeu ici c’est plus que la campagne
électorale en vue de la prochaine élection législative ou que de
s’incliner devant les exigences d’un allié plus puissant du
Royaume-Uni. Ce que les annonces frénétiques de sa part ont
montré c’est à quel point l’Angleterre et les Etats-Unis sont
déjà militairement engagés au Yémen.
Le premier ministre avait d’abord affirmé qu’il avait décidé
de participer à un programme antiterroriste commun avec
Washington après une conversation personnelle avec Obama. Mais,
dans une interview accordée dimanche à Andrew Marr, journaliste
de la BBC, Brown admit que cette opération était déjà en train
de se dérouler. « La vérité est que nous faisons déjà cela
depuis un certain temps » dit-il.
Quand on lui posa des questions sur ce programme
antiterroriste, un responsable américain resté anonyme dit à
l’agence Associated Press qu’il n’y avait pas là d’initiative
nouvelle. Les forces américaines et britanniques aidaient déjà
les forces de sécurité yéménites dans des opérations
« antiterroristes ». Le sénateur américain Jospeh Lieberman qui
est président de la Commission sénatoriale sur la sécurité
intérieure fut cité en ces mots dans le quotidien britannique Daily
Telegraph: « Notre présence dans ce pays s’accroît –
c’est ce que nous devons faire – opérations spéciales, bérets
verts, renseignement ».
L’implication de l’admission de Brown est qu’il y a au Yémen
aussi, aux cotés des forces spéciales américaines des forces
spéciales britanniques sur le terrain.
Quelques jours avant l’attentat manqué du 25 décembre il fut
révélé qu’Obama avait personnellement donné l’ordre de frappes
aériennes contre le village d’Al-Maajala dans la province d’Abyane.
Ces frappes qui ont tué quelque cent vingt personnes le 17
décembre étaient apparemment coordonnées avec la dictature du
président yéménite Ali Abdallah Saleh qui est soutenue par les
Etats-Unis.
Brown, tout comme Blair, est déterminé à ne pas manquer la
« guerre de demain ». S’il peut sembler aberrant que
l’Angleterre qui, plus que tout autre pays développé, est
embourbée dans les dettes et d’ores et déjà débordée
militairement, aille s’empêtrer dans une nouvelle guerre, pour
l’élite dirigeante il n’y a pas d’autre choix que de suivre les
Etats-Unis. En fait, c’est la situation économique et financière
désespérée de l’Angleterre qui la pousse dans de nouvelles
aventures militaires.
L’Angleterre peut vraisemblablement apporter au Yémen une
expérience très appropriée. Elle y a mené dans les années 1960,
sous le gouvernement travailliste de Harold Wilson, une de ses
dernières guerres coloniales dans la partie du territoire qui
est devenu le Yémen. Et ce fut une guerre brutale.
Brian Barron, qui a suivi ce qu’on appela « la crise d’Aden »
en tant que correspondant de la BBC, se souvient qu’« en
arrivant par un matin brumeux dans le district du Crater [le
district arabe du port d’Aden] il a trouvé le lieutenant Colin
Mitchell - connu dans les médias comme Mad Mitch (Mitch le Fou)
à cause de ses excès de zèle - en train de donner des directives
à un groupe de bidasses qui empilaient sur le trottoir les corps
de six arabes comme s’il s’agissait d’un arrivage de carcasses.
Ils avaient été tués alors qu’ils essayaient de tendre une
embuscade à une patrouille. ‘C’est comme une chasse aux perdrix’
dit le lieutenant, ‘deux oiseaux par-ci, deux oiseaux par-là.
Cela n’a duré que quelques secondes. ‘»
Cette désinvolture face à la propre brutalité coloniale fut
caractéristique de l’occupation britannique. Ce que Brown et
Obama décrivent à présent comme un « Etat manqué » est en grande
partie le résultat de cette expérience coloniale.
L’engagement britannique est aussi dicté par l’importance
géostratégique du Yémen. Aden, un port important en eau
profonde, est situé directement sur la principale route maritime
du monde, celle qui relie l’Extrême-Orient à l’Europe et à
l’Amérique. Aden contrôle l’accès à la mer Rouge et au Canal de
Suez. C’est pourquoi ce port était si important pour
l’Angleterre et c’est aussi pourquoi, lorsque l’Angleterre fut
finalement forcée de se retirer en 1967, les Etats-Unis
s’efforcèrent à leur tour de contrôler le Yémen à travers leur
représentant dans la région, l’Arabie Saoudite.
Entre 1962 et 1970, l’Arabie Saoudite a appuyé des forces
royalistes contre la République du Yémen, qui avait le soutien
de l’Egypte et de l’Union soviétique dans la guerre civile au
Yémen du Nord. Après le retrait anglais, le Yémen du Sud s’est
aligné sur l’Union soviétique. Il n’y eut pas de Yémen uni avant
1990.
Lorsque le Yémen refusa de soutenir la première Guerre du
Golfe au début de 1991, l’Arabie Saoudite répondit en expulsant
un million de travailleurs yéménites, ce qui accrut la pauvreté
et l’instabilité du pays. L’héritage du colonialisme et des
conflits de la guerre froide fait en sorte que, malgré le fait
qu’il dispose d’un des meilleurs ports du monde, le Yémen reste
le plus pauvre des Etats arabes. La plus grande partie de la
population dispose de moins de deux dollars par jour pour vivre.
Le réel objectif de l’Angleterre et des Etats-Unis n’est pas
Al-Qaida mais la population civile du Yémen. L’utilisation de
l’armée de l’air contre des civils est une version moderne de la
tactique anglaise qui consiste à bombarder les villages de
tribus rebelles. Si l’on a atteint une nouvelle dimension dans
les effets destructeurs de cette terreur d’Etat le but reste à
peu près le même. L’intention des Etats-Unis est d’étendre leur
contrôle colonial sur cette région stratégique. L’Angleterre qui
est l’ancienne puissance coloniale est déterminée à s’assurer
une part de butin.
L’ouverture d’un nouveau front dans la soi-disant « guerre
contre le terrorisme » aura des conséquences incalculables.
Brown déclara explicitement que l’Angleterre allait aider le
Yémen à développer ses garde-côtes. Au mois d’octobre, les
garde-côtes yéménites ont arraisonné un navire iranien dont il
fut dit qu’il transportait des armes destinées aux rebelles
Houthis au Yémen du Nord. Alors qu’une grande partie du fret
maritime passe par Aden, une telle politique navale a des
implications globales explosives. Nombreux sont les conflits
internationaux que pourrait déclencher un Yémen arraisonnant des
navires marchands avec le soutien de l’Angleterre et des
Etats-Unis.
(Article original publié le 6 janvier 2010)
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Publié le 15 janvier 2010 avec l'aimable autorisation du WSWS
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