Opinion
Le Sénégal à feu
et à sang, au nom de la politique
Amy
Niang
Abdoulaye
Wade
Mercredi 8 février
2012
Jamais
dans l’histoire politique du Sénégal,
une période préélectorale n’aura été
aussi lourde de menaces, aussi porteuse
de nuages incertains. A cause d’une
candidature des plus controversées,
portée à n’importe quel prix, par un
parti, par un homme qui ne ménage ni
morts, ni répression, un homme déterminé
à poser un des actes les plus
nullissimes de notre histoire
contemporaine.
Pouvoirisme et
suffisance auront donc eu raison de la
figure emblématique de l’opposition
sénégalaise. Wade n’aura pas tenu face à
l’épreuve du pouvoir. En un peu plus de
dix ans, il a réussi a faire reculer
libertés, démocratie et espoirs, tout en
abusant des mécanismes et des ressources
de l’état pour mieux asseoir un régime
autocrate. Et malgré les rafales de
violence qui balaient les villes
sénégalaises depuis l’annonce de la
validation de sa candidature par le
conseil constitutionnel le 27 Janvier
2012, le président Wade continue
d’asséner son arrogance et ses
convictions qui reposent en réalité sur
une idée largement insubstanciée : celle
d’une légitimité populaire restée
intacte. Les protestations de ces
derniers jours ne sont alors, pour lui,
que le fruit de manipulations,
nationales et internationales, qui
chercheraient à le décrédibiliser devant
l’opinion internationale.
Abdoulaye Wade a été élu, en 2000, de la
manière la plus belle par un mouvement
populaire à l’échelle d’une volonté de
changement qui s’est naturellement
retrouvée dans l’ambition
révolutionnaire du « Sopi » (NDLR :
changement, en langue wolof).
Aujourd’hui cependant, le « «Wade dégage
» est devenu la plus forte expression
d’un sentiment d’injustice banalisé,
négligé et piétiné par un gouvernement
devenu ennemi du peuple.
Cette extraordinaire mobilisation,
emplie de toutes les résolutions
possibles, n’a pas seulement pour
objectif d’empêcher un troisième mandat
du président Wade. C’est un cri profond
de révolte, celui d’un peuple blessé
jusque dans sa capacité à se prendre en
charge, qui ne sait plus à quel sait se
vouer, au point d’en appeler à la
médiation des autorités religieuses.
La position des religieux s’avère être
des plus délicate en ce qu’elle doit
témoigner d’une recherche de l’équilibre
dans un contexte marqué par des
positionnements intéressés, mais aussi
et surtout de sa capacité à préserver la
cohésion et la paix sociales comme
fondement de sa démarche. Les chefs
religieux sont pris entre le fer et
l’enclume dans la mesure où d’une part
leurs prises de position sont souvent
interprétées comme des incursions
inopportunes du religieux dans le
politique, et d’autre part, leur mutisme
est fustigé comme inacceptable et
complice en temps de crise.
Aujourd’hui, le Sénégal se trouve dans
un état insurrectionnel. Il brûle des
mille pneus de jeunes grisés de colère
et de slogans radicaux. Les uns avaient
prédit ‘la décente dans le chaos’ avec
une trépidation malsaine, les
autres—anticipant les dérives d’une
violence dont nul ne peut contrôler les
débordements—l’avaient redouté à juste
titre.
Le Sénégal présente aujourd’hui, au
monde, deux aspects fondamentaux de son
expérience démocratique. D’une part, il
y a le courage extraordinaire, la
détermination et l’aspiration à la
liberté de son peuple qui est
relativement jeune, ambitieux et
rebelle. D’autre part, il y a
l’immobilisme de sa classe politique,
opportuniste, apathique, dépouillée
d’idéaux réels, prompte à s’appuyer sur
les forces vives de la société civile
pour élargir son électorat. Aujourd’hui
plus que jamais, le peuple est pris en
otage par cette classe désuète, qui
prêche la violence à la manière de
parieurs de combats de coqs.
La violence ne peut être la réponse à
l’oppression ; mais elle se fait, en
attendant, l’expression, temporaire,
d’une forte exigence : celle d’une
révolution juste qui inaugurera un
gouvernement humainement utile contre un
gouvernement politiquement utile. Mais
aussi du démantèlement des alliances
d’intérêts politiques et financiers qui
ont cimenté le Sénégal depuis
l’avènement de l’alternance politique en
2000. Une exigence qui s’adresse donc
fortement à l’opposition politique, dont
une bonne partie est entrain de se
refaire une conscience à la hauteur de
l’éthique de justice qui sous-tend
l’action du peuple.
* Amy Niang est
enseignante en relations internationales
Le dossier Afrique noire
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